La plate-forme des bolcheviks-léninistes (Opposition) pour le XV° Congrès du PC de l'URSS. Un domument élaboré par Trotsky et Zinoviev, repris par 13 membres du CC et de la CCC, puis par près de 10 000 communistes. |
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Plate-forme pour le XV° congrès du PCUS
Opposition bolchévique unifiée
La Révolution d'Octobre a, pour la première fois dans l'histoire, transformé le prolétariat en classe dirigeante d'un immense pays. La nationalisation des moyens de production signifiait un premier pas décisif vers la reconstruction socialiste de tout le système social bâti sur l'exploitation de l'homme par l'homme. L'introduction de la loi sur les huit heures a été un pas en avant dans la voie de la transformation complète des conditions vitales et culturelles d'existence de la classe ouvrière. Malgré la pauvreté du pays, le Code du Travail a établi pour les ouvriers - et parmi eux pour les couches les plus arriérées qui, dans le passé, étaient absolument sans défense - des garanties juridiques qui n'avaient été et ne seront jamais accordées par l'État capitaliste le plus riche. Les syndicats professionnels ont été élevés jusqu'au niveau de l'arme la plus importante entre les mains de la classe dirigeante ; ils ont reçu la possibilité, d'une part, d'englober de larges masses qui, dans d'autres conditions sociales, leur auraient échappé et, d'autre part, d'influencer directement et sans intermédiaire, toute la marche de la politique de l'État ouvrier.
La tâche du Parti consiste à assurer l'application de ces grandioses conquêtes historiques en leur donnant leur plein contenu. Le succès dans cette voie dépend, d'une part, des conditions objectives nationales et internationales ; d'autre part, de la justesse de la ligne et du savoir-faire de la direction.
Les éléments décisifs pour la marche de notre pays dans la voie socialiste et non capitaliste sont liés étroitement aux améliorations dans le domaine de l'existence de la classe ouvrière. Ces améliorations doivent trouver leur expression dans le domaine matériel : le nombre des ouvriers occupés dans les industries, le niveau du salaire réel, le caractère du budget ouvrier, les conditions locatives des travailleurs, l'assistance médicale, etc. ; dans le domaine politique le Parti, les syndicats, les Soviets, les jeunesses ; enfin, dans le domaine culturel : l'école, la littérature, le journal, le théâtre. La tendance à repousser à l'arrière-plan les intérêts vitaux des ouvriers et, sous le nom méprisant d'« esprit d'atelier », à les opposer aux aspirations historiques de leur classe représente une tendance théoriquement fausse et politiquement dangereuse.
L'accaparement par l'État prolétarien de la plus-value n'est évidemment pas de l'exploitation. Mais nous avons : 1° l'État ouvrier avec des déformations bureaucratiques, l'appareil privilégié de direction démesurément grossi absorbant une très grande part de la plus-value ; 2° la bourgeoisie grandissante qui, par le commerce et par suite de l'écart des prix, accapare une partie de la plus-value provenant de l'industrie d'État.
En général, pendant la période de reconstruction, les effectifs des ouvriers et les conditions de leur existence grandissaient non seulement d'une façon absolue, mais même relativement à la croissance des autres classes, alors que, dans la dernière période, c'est le contraire qui s'est produit : la croissance des effectifs ouvriers, l'amélioration de leur sort marquent un temps d'arrêt, tandis que, pendant cette même période, les forces ennemies continuent à grandir d'une façon accélérée, ce qui non seulement fait empirer inévitablement la situation des ouvriers à l'usine, mais diminue le poids du prolétariat dans la société soviétique.
Les mencheviks, les agents de la bourgeoisie dans les milieux ouvriers montrent perfidement les difficultés matérielles de nos ouvriers, essayant d'opposer le prolétariat à l'État soviétique et d'amener les ouvriers à accepter leurs théories petites-bourgeoises et de « marche arrière vers le capitalisme ». Les fonctionnaires, contents d'eux-mêmes, qui aperçoivent le « menchévisme » dans la façon dont l'Opposition pose crûment la question des conditions matérielles des ouvriers, apportent de cette façon le meilleur appui au menchévisme, en poussant les ouvriers sous la bannière jaune de celui-ci.
Pour vaincre les difficultés, il faut les connaître. Il faut vérifier consciencieusement et d'une façon juste nos succès et nos échecs en examinant la véritable situation des masses travailleuses.
L'époque de reconstruction fut l'époque d'une augmentation assez rapide du salaire jusqu'à l'automne 1925. Une sensible diminution du salaire réel a commencé en 1926 et a été surmontée seulement au début de 1927. Le salaire d'un mois, pendant le premier semestre de l'année économique 1926-1927, représentait en moyenne, dans la grande industrie, en roubles conventionnels de la région de Moscou, 30 roubles 67 kopecks et 30 roubles 33 kopecks pendant l'automne 1925. Pendant le troisième trimestre de l'année économique, selon des prévisions approximatives, le salaire atteignait 31 roubles 62 kopecks. On voit de cette façon que pendant cette année, le salaire réel marqua un temps d'arrêt à peu près au niveau du salaire de l'automne 1925.
Il est certain, d'une part, que le salaire et le niveau matériel moyens de certaines catégories d'ouvriers, dans certains districts, avant tout dans les capitales comme Moscou et Leningrad, sont d'une manière indiscutable au-dessus du niveau moyen indiqué plus haut ; mais, d'autre part, le niveau matériel moyen d'autres larges couches d'ouvriers est sensiblement au-dessous même de ces chiffres modestes.
Toutes les données indiquent que l'augmentation du salaire ne suit pas l'augmentation du rendement. L'intensification du travail grandit, les mauvaises conditions de travail restent toujours les mêmes.
L'augmentation du salaire est de plus en plus subordonnée à l'intensification du rendement. Cette tendance qui ne peut s'accorder avec le cours socialiste a été confirmée par le CC dans sa fameuse résolution sur la rationalisation (Pravda, 25 mars 1927). Cette résolution a été adoptée par le IV° Congrès des Soviets. Cette politique signifie que l'augmentation des richesses publiques, grâce au développement de la technique (le rendement des entreprises), n'entraîne en aucune façon une augmentation des salaires.
La faible croissance des effectifs ouvriers diminue dans les ménages ouvriers le nombre de ceux qui travaillent. En roubles réels, le budget des dépenses d'une famille ouvrière, depuis 1924-1925, s'est rétréci. L'augmentation du prix des loyers oblige les ouvriers à sous-louer une partie de leur logis. Les sans-travail, directement ou indirectement, pèsent sur le budget ouvrier. La consommation grandissante des boissons alcooliques pèse également sur le budget ouvrier. En somme, tout ceci entraîne une diminution du niveau de vie des ouvriers.
La rationalisation industrielle entraîne inévitablement l'aggravation du sort de la classe ouvrière, lorsqu'elle n'est pas accompagnée par un développement de l'industrie des transports, etc., qui permette d'utiliser les ouvriers licenciés. Pratiquement, la rationalisation se traduit souvent par l'« expulsion » de certains groupes d'ouvriers et par l'aggravation du sort matériel des autres. Ceci entraîne inévitablement une méfiance des ouvriers à l'égard de la rationalisation.
Lorsqu'une pression sur les conditions de travail est exercée, ce sont toujours les groupes les plus faibles des travailleurs : manœuvres, ouvriers saisonniers, femmes et jeunes, qui en pâtissent.
En 1926, dans presque toutes les branches de l'industrie, une diminution du salaire de l'ouvrière s'est produite par rapport à celui de l'ouvrier. Dans maintes branches d'industrie, le salaire des manœuvres femmes représentait, en mars 1926, 51,8 %, 61,7 %, 83 % du salaire de l'homme. Les mesures nécessaires de protection du travail féminin, dans les branches industrielles, comme l'exploitation de la tourbe, les travaux de déchargement et de chargement, etc., ne sont pas prises.
Le salaire des jeunes, par rapport aux salaires des ouvriers adultes, diminue continuellement : en 1923, il formait 47,19 % ; en 1924, 45 % ; en 1925, 43,4 % ; en 1926, 40,5 % du salaire de l'adulte (Revue de la situation économique des jeunes en 1924-1925, 1925-1926). En mars 1926, 49,5 % des jeunes gagnaient moins de 20 roubles par mois (Bureau central de statistiques). Le nombre des jeunes sans travail augmente tous les jours.
Sur le chiffre global de 3 millions et demi de la main-d'œuvre agricole, les ouvriers et ouvrières agricoles sont au nombre de 1 600 000. Seulement 20 % de ceux-ci font partie d'organisations syndicales. L'enregistrement des contrats de travail, presque tous esclavagistes, est à peine commencé. Le salaire des ouvriers agricoles est, habituellement et même dans les entreprises étatiques, au-dessous du minimum fixé par l'État Le salaire actuel réel ne dépasse pas, en moyenne, 63 % du salaire d'avant-guerre. La journée de travail est rarement au-dessous de 10 heures ; en général la journée de travail des ouvriers agricoles n'est pas délimitée. Le salaire est payé irrégulièrement et avec beaucoup de retard. La situation des plus difficiles dans laquelle se trouvent les ouvriers agricoles ne provient pas uniquement des difficultés de la construction socialiste dans un pays agricole arriéré, mais provient aussi, certainement, d'un cours erroné qui, en pratique, dans la vie et dans la triste réalité, se préoccupe surtout des couches favorisées de la campagne au lieu de s'occuper des couches défavorisées. Il est nécessaire de défendre systématiquement, partout, les intérêts des ouvriers agricoles contre les koulaks et contre les soi-disant paysans économiquement forts.
La surface d'habitation pour les ouvriers est habituellement au-dessous de la moyenne de celle du reste de la population des villes. Les ouvriers des plus grandes villes industrielles sont la partie de la population la moins favorisée dans la question du logement. La répartition de la surface d'habitation, selon les groupes sociaux, dans les villes où un travail statistique a eu lieu, se traduit par les chiffres suivants : ouvriers, 5 à 6 mètres carrés ; employés, 6 à 9 ; artisans, 7,6 ; professions libérales, 10,9 ; éléments qui ne travaillent pas, 7,1. Ceci démontre que les ouvriers occupent la dernière place. La surface d'habitation des ouvriers diminue d'année en année. En même temps, les couches non prolétariennes voient leur surface d'habitation augmenter. La situation générale, par rapport à la construction des locaux d'habitation, menace le développement futur de l'industrie. Néanmoins, on reconnaît, selon le plan quinquennal de construction de la Commission du plan d'État, que d'ici 5 ans, la situation locative sera encore plus mauvaise qu'actuellement : la surface d'habitation moyenne vers la fin de 1926, qui était de 11,3 mètres carrés, tombera, selon la Commission, vers la fin de 1931, à 10,6.
Le développement lent de l'industrialisation se fait sentir surtout d'une façon aiguë dans la question du chômage, qui a pénétré même parmi les cadres les plus importants du prolétariat industriel.
Le nombre officiel des chômeurs enregistrés pour le 1° avril 1927 est de 1 656 000, le nombre réel des chômeurs atteint en réalité le chiffre de 2 millions. Le nombre des chômeurs grandit incontestablement plus vite que le nombre des ouvriers absorbés par l'industrie. Le nombre des chômeurs augmente rapidement parmi les ouvriers industriels.
Selon les prévisions du Plan quinquennal d'État, l'industrie augmentera pendant cette période sa main-d'œuvre de 400 000 ouvriers. Étant donné l'afflux de la main d'œuvre de la campagne, cela signifie que le nombre des chômeurs, vers la fin de 1931, s'accroîtra pour atteindre au moins le chiffre de 3 millions. Les conséquences de cet état de choses sont le développement de la mendicité, de la prostitution et des sans-abri.
Les chômeurs se plaignent à juste titre de la façon dont ils sont servis par les Caisses d'assurances. La moyenne des secours alloués est de 11,9 roubles (à peu près 5 roubles d'avant-guerre). Les secours alloués par les syndicats à leurs membres ne dépassent pas 6,5 à 7 roubles. Seulement 20 % des syndiqués chômeurs bénéficient des secours alloués par les syndicats.
Le Code du Travail a été soumis à une telle multitude d'explications que celles-ci dépassent de plusieurs fois le nombre des paragraphes qui existaient primitivement et dont un nombre assez important est supprimé. C'est la défense juridique des ouvriers saisonniers qui a empiré.
La campagne menée pour les Contrats collectifs se caractérise surtout presque partout par une diminution des garanties juridiques, une pression accrue sur le rendement et la fixation des prix. C'est ainsi que le droit accordé aux organes économiques de recourir à l'arbitrage obligatoire a même détruit dans son essence le contrat collectif, accord entre deux parties contractantes, qui devient une simple disposition administrative (Troud, 4 juillet 1927).
Les sommes, allouées à l'industrie pour la protection du travail, sont tout à fait insuffisantes. Selon les données du Commissariat du Travail de la RSFSR, pendant l'année économique 1925-1926, sur 1 000 ouvriers travaillant dans de grosses entreprises, il se produisait en moyenne 97,6 accidents de travail entraînant une incapacité de travail. Un ouvrier sur 10, au cours de l'année, est sujet à un accident de travail.
Les dernières années sont marquées par une augmentation des conflits. La solution des conflits, en réalité, n'a pas un caractère de conciliation, mais au contraire plutôt de contrainte.
Le régime intérieur dans les entreprises s'aggrave. L'administration cherche de plus en plus à introduire dans les entreprises son pouvoir illimité. L'embauchage et le débauchage, en fait, ne dépendent que de l'administration. Il n'est pas rare de voir entre les contremaîtres et les ouvriers s'instaurer des rapports tout à fait identiques à ceux d'avant-guerre.
Les conférences de production tendent à disparaître. La majeure partie des propositions pratiques des ouvriers concernant la production ne reçoit aucune suite. Une partie des ouvriers est actuellement dressée contre ces conférences de production, car les améliorations qui en résultent entraînent la diminution du personnel. Tout ceci contribue à une faible participation des ouvriers aux conférences de production.
Il faut faire ressortir dans le domaine des questions culturelles et d'existence les questions relatives à l'école. Il devient de plus en plus difficile aux ouvriers de donner à leurs enfants non seulement des connaissances professionnelles, mais même de leur fournir une instruction élémentaire. Dans presque tous les districts ouvriers, l'insuffisance des écoles se fait sentir d'une façon aiguë. Ce système qui consiste à prendre chez les parents des sommes destinées à divers besoins de l'école supprime pratiquement l'enseignement gratuit. Le manque d'écoles et de jardins d'enfants laisse une grande partie des enfants ouvriers à la merci de la rue.
Certaines divergences d'intérêts dans les questions des conditions de travail des entreprises (telles qu'elles furent reconnues dans une résolution du XI° Congrès) ont grandi énormément pendant les dernières années.
Pendant les dernières années, la politique du parti et des dirigeants syndicaux a amené les syndicats à une situation telle que, même de l'aveu du XIV° Congrès du parti, « les syndicats n'ont pas pu accomplir tout le travail qui leur était fixé, démontrant ainsi leur étroitesse d'esprit, reléguant au second plan leurs tâches primordiales essentielles de défense des intérêts économiques des masses qu'ils englobent et de relèvement de leur niveau matériel et moral ». La situation après le XIV° Congrès ne s'est pas améliorée, bien au contraire. La bureaucratisation des syndicats a fait un pas en avant.
Le nombre des ouvriers travaillant à l'usine ou des militants sans parti est insignifiant dans les organes dirigeants d'une dizaine de syndicats industriels (12 à 13 %). L'immense majorité des délégués, dans les congrès syndicaux, est faite d'éléments, qui ne travaillent plus à l'usine (Pravda, 23 juillet 1927). Jamais la classe ouvrière et les syndicats n'ont été aussi éloignés de la direction de l'industrie socialiste qu'en ce moment. L'activité propre des organisations syndicales, expression des larges masses ouvrières, est remplacée par l'accord entre le secrétaire de la cellule, le directeur de l'usine et le président du Comité d'usine. Les Comités d'usines inspirent une certaine méfiance aux ouvriers. La participation de ceux-ci aux réunions est très faible.
Le mécontentement que l'ouvrier ne peut exprimer au syndicat, l'oblige à se taire. « Il nous est défendu d'être trop actifs. Si tu veux manger du pain, parle le moins possible. » Ces déclarations sont générales. (Documents du Comité régional de Moscou. Les résultats des larges conférences ouvrières. Revue d'informations, p. 30 et autres). On enregistre actuellement des tendances parmi les ouvriers à améliorer leur sort en dehors des organisations syndicales. Cela déjà nous démontre qu'il faut changer radicalement le régime actuel des syndicats.
La situation difficile de la classe ouvrière au X° anniversaire de la Révolution d'Octobre s'explique évidemment aussi, en dernier lieu, par la pauvreté du pays, fruit des interventions militaires, du blocus, et par la lutte du milieu capitaliste qui entoure le premier État prolétarien. On ne peut pas changer la situation d'un coup de baguette magique. Mais on peut et on doit changer la situation en suivant une ligne juste. La tâche des bolcheviks ne consiste pas à se vanter et à embellir les résultats acquis (il en existe évidemment), mais à poser carrément la question de ce qui n'est pas encore fait, de ce qu'il faut faire, de ce qu'on petit faire en avant une ligne.