1946 |
Manifeste de la IV° Internationale aux travailleurs, aux exploités, aux peuples coloniaux opprimés du monde entier
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Les conditions sont‑elles mûres pour une action révolutionnaire des masses ? Le stalinisme d'une part, de l'autre les complices sociaux‑démocrates de l'impérialisme mondial, n'empêcheront‑ils pas une fois de plus le développement révolutionnaire d'aboutir à une issue victorieuse ? La IV° Internationale, avec les faibles forces dont elle dispose à l'heure actuelle, réussira‑t‑elle à surmonter ces obstacles et à donner une direction aux masses? Telles sont les questions que sans aucun doute se posent des ouvriers sérieux.
Les défaites passées de la classe ouvrière, sous la direction social‑démocrate et stalinienne, pèsent en vérité très lourdement. Ce furent des coups terribles. Le grand poids du stalinisme aujourd'hui demeure sans aucun doute un obstacle de taille. Mais par contre il faut mettre sur l'autre plateau de la balance la situation du capitalisme mondial aujourd'hui plus critique et plus grave que jamais. Tel est le point de départ pour des révolutionnaires, pour ceux qui cherchent à montrer aux masses la voie de l'action.
Il y a longtemps, la IV° Internationale énumérait les conditions de la révolution prolétarienne :
« Les conditions fondamentales permettant la victoire de la révolution prolétarienne ont été établi, grâce à l'expérience historique et clarifiées par la théorie. Ce sont :
- La situation sans issue de la bourgeoisie et la confusion qui en résulte pour les classes dirigeantes;
- Un mécontentement aigu et les efforts pour un changement décisif, dans les rangs de la petite bourgeoisie, sans le soutien de laquelle la grande bourgeoisie ne peut se maintenir;
- La conscience d'une situation intolérable et la préparation à l'action révolutionnaire dans les rangs du prolétariat;
- Une propagande claire et une direction ferme de l'avant‑garde prolétarienne. »
Jamais la situation sans issue du capitalisme n'a été aussi embrouillée, Jamais la confusion n'a été, répandue aussi largement dans la classe dirigeante. L'inflation rampe de pays à pays. Le fardeau de la dette publique atteint des chiffres astronomiques. L'abaissement du niveau de la vie et l'appauvrissement des masses dans leur ensemble prennent des proportions sans précédent. En dépit de l'intervention et du contrôle gouvernemental à un degré jamais atteint, la crise économique continue à grandir en une vertigineuse spirale et, alors qu'elle est déjà aiguë en Europe et aux colonies, menace de troubler l'économie la plus stable du monde, celle des U.S.A.
Après la première guerre mondiale, dans le but de rétablir dans la société l'équilibre des classes menacé par la vague révolutionnaire commencée en Russie, la bourgeoisie dut se décider à faire des concessions économiques considérables aux masses. Elle prêta ainsi une certaine stabilité au régime politique du réformisme, qu'elle avait appelé à sa rescousse pour la sauver de la destruction. Après cette guerre‑ci, une telle stratégie est un luxe que la classe capitaliste ne peut plus se permettre. En Europe, en particulier, où les dépenses improductives pour les besoins de la guerre et l'énorme destruction de capital ont considérablement réduit le poids spécifique de l'économie sur le marché mondial. La bourgeoisie ne peut espérer tant soit peu reconstruire son capital producteur de profits que par un nouvel assaut contre les salaires et le niveau de vie des masses. Mais ceci est vrai dans son sens le plus large pour l'Angleterre, ainsi que pour les USA.
Si, par conséquent, le gouvernement, a pu tomber aux mains du Parti Travailliste en Angleterre ou d'une coalition des socialistes et des staliniens avec les partis démocratiques bourgeois dans un « Front Populaire » en France, en Belgique, etc, tel n'était pas le dessein de la bourgeoisie. La classe dirigeante tolère, ces régimes « de gauche » parce que la pression des ouvriers et de la masse populaire est trop puissante, que ses propres forces sont encore trop faibles pour établir une dictature ouverte. Les capitalistes escomptent que les conséquences de l'effondrement économique amoncelleront le discrédit sur les partis traditionnels des masses qui ont été poussés à prendre le pouvoir. Ils apprécient justement la pleutrerie de ces partis qui redoutent d'aller au-delà des limites de la structure bourgeoise de l'Etat, qui laissent intactes l'armée et la police réactionnaires, qui respectent religieusement la propriété privée, aussi sacrée pour eux que pour la bourgeoisie.
Tandis que la haine des trusts pousse les ouvriers et les paysans à réclamer la socialisation de l'industrie, les partis ouvriers sont contraints de prendre des mesures de « nationalisation ». Mais ces mesures ne portent pas atteinte aux droits de propriété du grand capital. Elles assurent aux possédants des établissements « nationalisés » une compensation pleine et entière, imposant ainsi de nouvelles charges à une économie déjà surchargée. Les titres gouvernementaux qui leur sont délivrés à la place de leurs précédentes actions assurent aux capitalistes la continuation de leurs profits. La direction des industries « nationalisées », au lieu de revenir à des comités ouvriers, est en fait laissée aux mains des anciens directeurs au service des trusts. Par ces « nationalisations » fictives, la bourgeoisie vise ainsi à concentrer davantage son emprise sur l'ensemble de l'économie dans la poigne du capitalisme de monopoles.
Tandis que les ministres socialistes et staliniens désarment les milices indépendantes ouvrières et paysannes qui s'étaient formées sous l'occupation nazie, tandis qu'ils écrasent toutes les manifestations, la révolte de classe dans les forces armées, la bourgeoisie concentre dans ses propres mains l'appareil permanent de son Etat (l'armée la police, les services secrets). Dans les coulisses, elle se prépare, elle conspire avec les dynasties royales et les généraux réactionnaires, pour le moment favorable où elle pourra saisir le contrôle total sur l'Etat et installer de nouvelles dictatures bonapartistes.
Cependant, toute sa politique, assise sur une situation économique qui s'aggrave est marquée d'indécision et d'oscillations. Après plus d'une année d'efforts pour consolider sa position à l'aide d'ultimata autoritaires, de Gaulle, en France, se retrouve à l'arrière‑plan. En Belgique, la bourgeoisie avance et recule dans sa campagne pour le retour du roi Léopold. En Grèce, les efforts pour réinstaller la monarchie sous la protection des baïonnettes britanniques sont les prémisses d'une guerre civile ouverte, etc...
En même temps, la petite bourgeoisie, dont le soutien a été, dans le passé, indispensable au capitalisme de monopoles à la fois pour ses buts intérieurs (le fascisme) et pour sa politique étrangère (la guerre) s'est trouvée détachée de l'emprise du grand capital. Dans les pays où le fascisme a été la forme d'État, tout comme dans les pays « démocratiques », le processus de prolétarisation et de paupérisation des classes moyennes urbaines‑ non seulement n'a pas été ralenti, mais a été accéléré par la désagrégation des économies et le déclin absolu du niveau de vie amené par l'inflation D'autre, part, la paysannerie qui, comme dans toute guerre semble avoir profilé du marché noir, n'a pas en réalité une situation meilleure qu'auparavant. Ses profits sont essentiellement en monnaie dévaluée. Avec sa fortune en papier, elle ne peut acheter les machines agricoles indispensables et qui deviennent de plus en plus cher, l'engrais, le bétail, etc,... Ainsi une crise agricole nouvelle et plus aiguë pointe à l'horizon.
De plus, la guerre a crevé les vieilles illusions petites‑bourgeoises d'unité nationale. La grande bourgeoisie s'est révélée parfaitement « collaborationnisle ». Le mécontenlernent de la petite bourgeoisie et ses efforts pour un changement décisif se montrent dans son déplacement massif vers les partis, qui traditionnellement représentent pour elle des partis ouvriers. La formidable victoire du Parti Travailliste anglais, les votes écrasants pour les socialistes et les staliniens en France, en Belgique, en Italie, le soutien donné par la masse à l'E.A.M. en Grèce, etc.... ne peuvent être compris que sous ce jour.
Entre temps, la vague montante de grèves qui, en Europe et, en Extrême-Orient, emporte pays après pays, pour atteindre, son point culminant en Amérique même, la citadelle du capitalisme mondial, et s'étendre dans ses semi-colonies de l'Amérique du Sud, témoigne par sa persistance, par son haut degré de combativité comme par ses mots d'ordre avancés (échelle mobile des salaires, ouverture des livres de, comptes des grandes entreprises, etc ... ) d'une conscience croissante des ouvriers de leur situation intolérable. La constitution de milices ouvrières, de comités d'usines en Italie, en France, en Belgique, qui commença pendant la première période de la fin de la guerre et qui est pour l'instant brisée par la connivence des staliniens et des réformistes avec la bourgeoisie, est une signe clair d'une préparation à l'action révolutionnaire.
Si ces éléments d'une préparation à l'action révolutionnaire ne sont pas encore mûrs en Europe à l'heure actuelle cela provient dans une large mesure de l'effondrement physique sans précédent de l'Allemagne. L'éclatement de la révolution allemande était attendu comme le signal de l'intensification de la lutte révolutionnaire sur tout le continent. La criminelle campagne de chauvinisme déchaînée durant la guerre par le Kremlin contre le peuple allemand, y compris la classe ouvrière ‑ et soutenue par les partis traîtres réformistes et staliniens dans tous les pays « démocratiques » ‑ a servi à désorienter les masses allemandes dans le cours des événements militaires catastrophiques et à paralyser leur action quand la débâcle du régime nazi s'est précipitée. Au même moment, les Trois Grands s'entendirent pour prévenir l'éclatement de la révolution par des destructions physiques bien concentrées et telles qu'on n'en vit jamais dans l'histoire (sur une échelle beaucoup plus vaste que les bombardements contre l'insurrection de Turin et de Milan, après la chute du fascisme).
Avant que la classe ouvrière allemande, la plus puissante de l'Europe et celle qui a les plus anciennes traditions révolutionnaires, puisse reprendre le chemin de la révolution, ce qu'elle fera sans aucun doute, il faut que soient remplies des prémices physiques : rétablissement d'un minimum d'alimentation, de logements, de communications et le retour des millions de jeunes gens prisonniers dans les camps. Mais l'absence d'un éclatement immédiat de la révolution en Allemagne a seulement retardé le rythme de son développement; elle n'en a pas le moins du, monde modifié l'orientation.
En dépit de ce fait, du désarmement des milices ouvrières, de l'écrasement de l'insurrection armée des masses en Grèce, nous n'avons pas assisté à un retour vers la réaction. Aucune de ces défaites n'a été décisive. Au contraire toutes les tentatives de la réaction pour se consolider (à travers la monarchie en Grèce, Italie, Belgique, à travers l'établissement d'un pouvoir exécutif autoritaire en France) ont rencontré, la plus vive résistance de la part des masses et ont aussi échoué dans leurs desseins.
D'autre part, les ouvriers ne se limitent pas à combattre toutes ces tentatives réactionnaires. Ils passent à l'offensive par des grèves contre le blocage des salaires dirigées contre les régimes bourgeois auxquels participent leurs « propres » partis, transforment objectivement chaque grève en une action qui pose la question du pouvoir d'Etat.
Tandis que les développements révolutionnaires en Europe présentent un rythme ralenti, ils prennent ailleurs une allure plus rapide. Les vagues de grèves et de manifestations de soldats aux U.S.A. prouvent un développement rapide de la conscience révolutionnaire des masses américaines, beaucoup plus arriérées à ce point de vue que celles de l'Europe dans le passé. Mais ce qui est d'une importance encore plus grande, c'est l’actuelle maturation de la lutte révolutionnaire aux colonies. Commençant par des insurrections tenaces contre les impérialismes anglais, français et hollandais en Indonésie et en Indochine, par une révolte naissante même contre l'hypocrite impérialisme américain « libérateur » dans les Philippines, la vague des luttes en Extrême‑Orient a pénétré dans les masses indiennes, où de grandes grèves politiques et des mutineries ouvrent le prélude à l'éclatement d'insurrections nationales ayant pour but de rejeter toute domination impérialiste. L'effet s'en fera sûrement sentir en Chine et plus tard au Japon. De même, dans le Proche‑Orient, les incessantes démonstrations et les grèves des masses égyptiennes annoncent le soulèvement révolutionnaire des masses dans tous les pays arabes.
Ainsi, la situation mondiale présente tous les symptômes prouvant, qu'elle remplit les trois premières conditions pour la victoire de la révolution prolétarienne, posées dans le manifeste de 1940. Qu'en est‑il pour la quatrième? Y a‑t‑il « un programme clair et une direction ferme de l'avant‑garde prolétarienne » ?
En d'autres termes, la question revient à ceci: dans une situation qui, sans doute aucun, est plus favorable que jamais à la révolution, à la fois à cause du caractère profond de la crise et de son extension universelle, le parti nécessaire pour conduire une révolution à la victoire existe‑t‑il ? Autrement dit, réussirons‑nous à transformer la minorité révolutionnaire actuelle en partis de masse de la classe ouvrière ? Ou bien les vieux partis, les réformistes et les staliniens, seront‑ils une fois de plus capables de trahir la révolution.
Pour répondre à cette question, il faut la poser correctement. La situation actuelle n'est pas une situation de crise conjoncturelle. Il ne s'agit pas d'un soulèvement isolé, dans un pays donné. Il s'agit de toute une période révolutionnaire à l'échelle mondiale. Le monde capitaliste n'a pas d'autre issue qu'une agonie prolongée. Dans une semblable période, les programmes des vieux partis - les socialistes et les staliniens ‑ ne peuvent avoir la moindre valeur pour les masses. C'est pourquoi ils seront obligés d'entrer en conflit avec celles‑ci. Par ailleurs, notre programme est édifié précisément pour cette période. Dans l'époque de troubles où nous vivrons notre programme a déjà trouvé, et continuera à trouver un écho grandissant.
Il y a seulement quelques années, des sceptiques et des dilettantes tournaient en ridicule le programme de transition de la IV° Internationale. Aujourd'hui ses mots d'ordre essentiels ‑ échelle mobile des salaires et des heures de travail, nationalisation sans indemnité ni rachat, ouverture des livres de comptes des grandes entreprises au contrôle ouvrier, milices ouvrières, gouvernement ouvrier et paysan ‑commencent à trouver un écho chez des millions de travailleurs dans toutes les parties du monde. Le programme est clair. L'écho grandissant qu'il trouve montre quelles grandes possibilités s'ouvrent pour la construction de partis de masse de la IV° Internationale.
Cependant, la construction de partis de masse, même dans les situations les plus favorables, est un processus qui comporte de grandes difficultés. Il faut savoir dominer tout un ensemble de problèmes organisationnels compliqués. Il faut établir la confiance dans les rapports entre la direction et le parti, le parti et les masses. Ce processus se développe inégalement partout. Sans aucun doute, il y aura encore des situations où l'absence de développement en temps voulu d'un parti de masse ou d'une direction révolutionnaire entraînera une défaite partielle. Mais c'est précisément parce qu'une époque tout entière est en question que de telles défaites sont partielles, que la tâche de construire rapidement des partis de masse est constamment posée à nouveau devant nous, et que les possibilités en augmentent. Voilà la perspective sur laquelle travaillent les jeunes partis de la IV° Internationale.
Une direction révolutionnaire solide se forge d'abord dans la défense du programme. Si le programme de la IV° Internationale commence aujourd'hui à pénétrer parmi des millions d'hommes, s'il commence à se vérifier dans l’épreuve de l'action, cela est du, d'abord et avant tout, à la capacité des jeunes partis de cadres de l'Internationale à résister fermement à tous les obstacles placés sur leur route.
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