1947 |
Source : Fondation Andreu Nin. Traduit de l'espagnol par nos soins. |
La IV° Internationale en danger
27 juin 1947
Le Comité Exécutif International (CEI) a adopté, dans sa séance plénière de fin mars 1947, des dispositions relatives à l'organisation du Congrès mondial de la IV° Internationale, dont le caractère démocratique, inspiré des vieilles manœuvres staliniennes, présente des symptômes très alarmants.
En effet, le CEI divise le monde en trois catégories : pays de grande, moyenne et petite catégories. Quel critère autorise cette division d'un arbitraire si outrageant ? Personne dans l'Internationale n'a été fichu de l'expliquer. Nous imaginons que le CEI nous dira s'être inspirée de l'exemple des premiers congrès de la défunte Internationale communiste. Mais nous trouvons-nous face à la même situation qu'en 1919, face à une vraie imitation des congrès de l'Internationale communiste? Après le premier congrès la révolution russe venait de triompher, le parti bolchevique disposait de centaines de milliers de membres tandis que, dans le reste du monde, les partis communistes n'étaient que des petits groupes, la plupart comparables aux nôtres actuellement, si bien que les bolcheviques ont diminué le poids de leur parti dans la nouvelle Internationale afin d'éviter que, par le biais d'une démocratie apparente, ils aient automatiquement la majorité contre le reste du monde et imposent leur volonté sans opposition possible. Il s'agissait donc de permettre au monde entier de pouvoir s'exprimer, même si en dehors ou contre le parti russe, c'est-à-dire, d'assurer le libre jeu dans l'Internationale d'une démocratie aussi effective que possible. Est-ce cet objectif que poursuit aujourd'hui le CEI ? Nous affirmons catégoriquement que non et nous allons démontrer que le Secrétariat International (SI) et le CEI, avec la division du monde en trois catégories, poursuivent des fins complètement opposées. Tandis que l'IC s'efforçait de diminuer les partis forts et de renforcer les partis faibles afin d'assurer un maximum de démocratie, notre CEI essaie de renforcer les partis forts et d'affaiblir les partis faibles afin de se maintenir au pouvoir.
Interrogeons-nous à nouveau : sur quel critère se fait cette division du monde ? L'importance numérique des sections ? Evidemment non, puisque l'Allemagne, dont la section vient d'être constituée, figure dans la première catégorie, bien qu'elle soit forcément très faible de par sa formation récente, tandis que l'Italie, dont la section compte presque autant de membres que la France, figure dans la deuxième. Nous dirons la même chose de la section russe - qui doit évidemment être insignifiante - concourant avec n'importe quelle autre section d'un pays "de moyenne importance". Il ne s'agit donc pas de critère numérique qui justifie cette division... Ce n'est pas davantage l'importance révolutionnaire des pays considérés sur le terrain de la lutte de classes mondiale qui a décidé de cette division, puisque ni les Etats-Unis ni l'Angleterre ne paraissent appelés à avoir un rôle déterminant dans la vague révolutionnaire qui s'annonce, tandis que l'Espagne, l'Italie, l'Autriche, la Belgique, la Hollande, la Grèce, l'Indochine, l'Afrique du Nord, l'Indonésie, la Pologne, la Hongrie, etc...., tous exclus de la première catégorie, sont manifestement destinés à représenter un rôle révolutionnaire important dans un futur immédiat.
Une fois écartées ces raisons il ne nous reste que le critère des Trois Grands Trois, qui sans nul doute est celui qui a inspiré cette division du monde. Effectivement, le critère qu'a retenu le CEI pour son élection est seulement l'importance sur le terrain capitaliste mondial.
Ne pas constater ce qui précède signifierait ne faire face qu'à un aspect de la question, son aspect formel, puisque l'adaptation à un tel critère montre une soumission inconsciente à l'idéologie des impérialismes et de la contre-révolution russe, que nous devons combattre sans trêve. À ceci s'ajoute le fait que les questions à débattre dans le Congrès mondial, que le veuillent ou non le SI et le CEI, concernent la politique de nos sections pendant la seconde guerre mondiale et face aux mouvements nationalistes de résistance, au problème de la contre-révolution russe et du stalinisme mondial, à la tactique de la IV° Internationale face au stalinisme et au réformisme (front unique, gouvernement PS-PC-CGT), déjà notre programme de transition avant-guerre. Ainsi, comme par hasard, bon nombre de sections des pays de grande importance, certains soumis à une direction bureaucratique, d'autres désinformés ou mal informés quant aux problèmes à examiner, et ceci grâce au SI qui n'a fait rien pour organiser la discussion, se sont pour le moment déclarés majoritairement en faveur de la position conservatrice du SI et du CEI : 7 pays (de première catégorie) disposeront de 28 délégués, tandis que 26 pays (de seconde et troisième catégories) disposeront de 45 délégués. Autrement dit, 7 pays de "première importance" disposeront de 38.35% des votes du Congrès. Par conséquent, il ne leur manque que neuf délégués pour s'assurer le contrôle du Congrès... Nous voyons ainsi que la décision adoptée par le CEI l'assure forcément et bureaucratiquement de la majorité au Congrès mondial, majorité qui est déjà préparée en éludant la discussion des problèmes majeurs qui se posent à notre Internationale.
[...] Dans les 13 sections d'"importance moyenne" on compte l'Espagne dont l'expérience révolutionnaire (n'a t-elle pas au moins plus de membres que la section russe) est particulièrement valable pour notre époque, puisqu'elle marque un tournant décisif dans l'histoire de la contre-révolution russe et du stalinisme, tandis que l'expérience russe, avec toute son immense valeur, se réfère à une période que précisément la révolution espagnole referme. De la même manière [...] l'Italie, qui offre d'immenses possibilités révolutionnaires, si elle suit une politique perspicace en ce qui concerne les organisations révolutionnaires antistaliniennes (bordiguistes, anarchistes, gauche socialiste) ; la Grèce, dont l'admirable combativité révolutionnaire devrait faire réfléchir le CEI ; la Pologne et d'autres pays occupés par la Russie, que le CEI oublie complètement et qui offrent d'immenses possibilités d'action contre la réaction stalinienne, à condition qu'on ne leur demande pas de défendre l'État "ouvrier dégénéré" qui les opprime.
Enfin nous trouvons l'Indochine, où pendant longtemps on a oublié de soutenir notre section, y compris de demander qui a assassiné à Ta-Thu-Thau pour soutenir, sans aucune critique rigoureuse, le gouvernement stalinien de Ho-Chi-Minh, si chaudement accepté par The Militant et la Vérité.
Nous avons déjà vu que la résolution du CEI a créé une importante majorité en faveur de l'actuelle direction, que les votes des délégués des pays de "peu d'importance" ne pourraient rien y modifier, même s'ils pouvaient envoyer tous les délégués que le CEI leur concède, et même s'ils votaient tous contre la direction actuelle. Mais ce n'est même pas l'hypothèse la plus favorable, puisqu'il est impossible que les sections pauvres d'Amérique latine envoient les 10 ou 12 délégués que leur donne le CEI. D'autre part, l'interdiction de déléguer les mandats ôte dans la pratique à de nombreuses sections la possibilité de se faire entendre et de voter au Congrès, ce qui n'empêche pas le CEI de réclamer par avance l'acceptation des décisions qui seront prises au Congrès mondial, et de vouloir interdire toutes les discussions après ce Congrès. La majorité si astucieusement élaborée par le SI et le CEI se trouve donc renforcée. Bien plus, avec ce système aucune opposition n'entend convaincre au Congrès. Que peut attendre l'Internationale d'une direction qui a pris de telles décisions si ce n'est l'échec idéologique et l'étranglement organique ?
Comme nous l'avons vu, nous assistons à une tentative de manipulation bureaucratique de la direction internationale par des éléments intéressés à étouffer une discussion loyale qui provoquerait sa défaite. Il ne peut pas s'agir d'autre chose. Rappelons, en effet, dans quelles conditions s'est réuni la Pré-conférence d'avril 1946 et les motifs de sa convocation.
Le SI et le CEI qui avaient été désignés lors de la conférence d'urgence de 1940 n'ont eu qu'une existence végétative et une activité organique presque nulle pendant toute la guerre, puisque le fonctionnement de ces organes avait été paralysé par les luttes de personnes et de tendances dans l'atmosphère du SWP. Depuis 1944, le Groupe espagnol au Mexique réclamait la convocation d'un Congrès mondial. Ses réclamations n'ont pas eu d'écho. L'année suivante le CEI a été consultée sur l'opportunité de réunir une Pré-conférence avec des objectifs limités. Cette Pré-conférence a été acceptée, parce qu'était la seule solution possible pour résoudre la situation du SI incapable, en raison de ses divisions internes, d'organiser une discussion réelle, de préparer un véritable Congrès mondial. […] Sitôt réunie, cette Pré-conférence s'est proclamée Conférence [... ] et a lancé un manifeste qui prétendait encadrer la discussion internationale qu'elle avait été chargé d'ouvrir. Puis le SI et le CEI se mirent à menacer d'expulsion et à décréter ce qui émanerait d'une véritable conférence qui disposerait des pleins pouvoirs de l'Internationale, en un mot, à préparer la majorité du futur Congrès mondial, oubliant totalement sa principale mission : organiser loyalement une vaste discussion sur tous les problèmes qui se posent à notre Internationale et au mouvement ouvrier [...]
Nous affirmons que le SI et le CEI veulent préparer leur majorité au Congrès mondial [... ]
Peut-être l'actuelle direction internationale se voit-elle obligée de concéder un certain débat, bien que ce ne soit que pour sauver les apparences. Les minorités auront plus ou moins l'illusion d'une discussion, mais d'ici à la fin d'année, date prévue pour la réunion du Congrès mondial, elles n'auront pas le temps de se développer et de se regrouper puisque le SI et le CEI évitent toute discussion sur les sujets essentiels (...) Depuis longtemps le SI a déclaré que le prochain Congrès mondial devait être avant tout le Congrès des sections sérieuses de l'Internationale. Nous savons maintenant ce qu'il entend par là : les sections qui soutiennent ou acceptent son opportunisme, son conservatisme idéologique et sa bureaucratie organique. [...]
Pour que le Congrès mondial puisse représenter un réel progrès pour la IV° Internationale, il est avant tout nécessaire qu'il soit convoqué dans des conditions telles qu'aucun militant n'ait la moindre raison de penser à une manœuvre de la direction. Les thèses des minorités doivent être connues à égalité de conditions de celles de la majorité et doivent être diffusées par la direction internationale elle-même.
Pour que le Congrès puisse prendre les résolutions dont la révolution socialiste a besoin, il est nécessaire que toutes les minorités puissent être représentées. Par conséquent, nous demandons :
Cet ordre du jour ne sera pas exhaustif. Toute question d'intérêt général que telle ou telle section ou groupe de militants voudrait présenter à l'examen du Congrès sera examinée.
Nous appelons toute l'Internationale à se prononcer sur les propositions précédentes.
Si le congrès mondial se réunit dans les conditions décidées par le CEI, même dans les meilleures conditions sans une discussion préalable rigoureuse des problèmes fondamentaux qui se posent à notre mouvement (voir notre lettre ouverte au PCI français), le Congrès représentera un coup mortel pour la IV° Internationale. La situation exige l'intervention énergique des sections et des militants dans les sections. Il est nécessaire que le CEI annule immédiatement sa résolution, sinon la IV° Internationale serait bureaucratiquement étouffée.