1945 |
Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! LA LUTTE DE CLASSES Organe de l'Union Communiste (IVème Internationale). |
LA LUTTE DE CLASSES nº 54
14 novembre 1945
Après avoir délibéré pour établir un programme gouvernemental, les partis de "gauche" viennent de "s'apercevoir" que celui-ci n'a aucune utilité, étant donné qu'à la suite du référendum, c'est le chef du gouvernement qui doit choisir ses ministres et établir son programme.
Duclos vient de déclarer : "Nous sommes dans une situation telle que le futur chef du gouvernement, s'appuyant sur la loi, peut déclarer : "Je ne parlerai de programme que lorsque j'aurai été élu !" Alors, à quoi bon gagner du temps pour préparer un programme, puisque personne n'est prêt à le recevoir... ?"
Dans un discours à Ivry, le 10 novembre, Thorez complète ces paroles : "Nous regrettons vivement le temps perdu depuis le 21 octobre. Nous regrettons que... le chef du gouvernement d'hier, qui sera, selon toute vraisemblance, le chef du gouvernement de demain, et qui, au surplus, cumule les fonctions de président du gouvernement et de chef de l'Etat, n'ait pas cru devoir engager des conversations avec les représentants qualifiés des grands partis."
Ainsi, les chefs du P.C.F., en "bons républicains", non seulement s'inclinent devant le "Oui-Oui" du référendum, qui, d'après eux-mêmes, était "une manœuvre de la réaction et des trusts contre le peuple", mais encore ils mendient à De Gaulle, représentant bonapartiste des 200 familles, des "conversations".
Malgré le résultat du référendum, les chefs du P.C.F. ont crié "victoire" après les élections, en raison du nombre de leurs députés. Mais, en réalité, le fait NOUVEAU révélé par les élections a été non pas le succès communiste, mais l'apparition d'un grand parti de droite, le M.R.P. En même temps que les ouvriers se montrent de plus en plus décidés à opposer leurs propres partis et leurs propres solutions à la bourgeoisie, la réaction bourgeoise s'est également renforcée, et ce renforcement des tendances extrêmes – prolétarienne et réactionnaire – ne peut que hâter le conflit entre les deux camps. C'est pour retarder à tout prix ce dénouement que les bureaucrates ouvriers se réfugient derrière l'arbitrage de De Gaulle : c'est ce qui explique que les "Oui-Non", aussi bien que les "Oui-Oui", jugent à l'heure actuelle De Gaulle, représentant bonapartiste de la bourgeoisie, comme indispensable, et c'est ce qui permet à De Gaulle de se donner ses allures "désintéressées", sachant d'avance que les Partis lui accorderont le pouvoir arbitraire qu'il a déjà exercé jusqu'à maintenant.
Devant ce fait, toutes les déclarations du P.C.F. sur la nécessité d'un "gouvernement démocratique à majorité socialiste et communiste", sur "l'application du programme du C.N.R.", ne sont que de la poudre aux yeux.
La bourgeoisie ne craint nullement l'action parlementaire et même gouvernementale des Partis se réclamant de la classe ouvrière. La preuve en est l'attitude de la bourgeoisie que Le Monde (10-11) exprime ainsi : "...Les partis de gauche qui forment la majorité , s'ils estiment pouvoir se passer de lui (De Gaulle), ont tout loisir pour former le gouvernement de leur choix et pour faire exécuter leurs décisions par le gouvernement de leur choix. Quel obstacle les arrête ?" L'hypocrisie et l'ironie de cet organe des trusts ne sont pas sans intention. Car l'obstacle en question n'est pas seulement le résultat des élections qui ont plébiscité De Gaulle et ont donné sur le PLAN PARLEMENTAIRE un poids aussi grand au parti de la réaction qu'à chacun des partis de gauche ; c'est aussi, comme l'a montré l'expérience Blum en 36, la faillite inévitable qui guette les Partis appuyés sur des voix ouvrières dans la conduite des affaires gouvernementales bourgeoises (cela même si à la place de la formule gouvernementale de 1936 : "Blum appuyé "sans éclipse" par Thorez" , on a un gouvernement Thorez-Blum).
C'est pour cela que, malgré leurs vantardises, les chefs du P.C.F. ne pourront qu'entrer dans le gouvernement De Gaulle et plier l'échine. Fermant les yeux sur les réalités, Duclos déclare : "Une campagne de presse tente déjà de discréditer l'Assemblée. J'ESPERE que nous FERONS mentir ceux qui nous accusent d'incapacité et QU'IL Y AURA une majorité pour donner la vie au programme du C.N.R." Vains espoirs !
Car si les chefs du P.C.F. voulaient réellement être fidèles au programme qu'ils prétendent défendre, il ne leur resterait qu'à rompre avec De Gaulle, pour s'appuyer sur l'action des masses travailleuses. C'est la seule chose que la bourgeoisie puisse craindre. Le Monde, qui offre si généreusement les fauteuils ministériels aux partis de gauche, révèle justement cette crainte de la bourgeoisie : "Un parti de gouvernement, écrit-il, ne peut davantage, s'il veut obéir aux disciplines les plus élémentaires de la démocratie, songer à faire pression sur la souveraineté populaire (lisez le "Parlement") et sur le gouvernement par des ACTIONS DE MASSE " (24-10).
Ne prenez donc pas prétexte du référendum, messieurs les défenseurs du peuple, pour vous laver les mains ; ne prenez pas prétexte de la "démocratie" pour vous empresser de vous incliner devant De Gaulle, devant les trusts, devant la bourgeoisie. Les ouvriers n'ont-ils donc plus qu'à mourir parce que la bourgeoisie a réussi à vous faire tomber dans le piège du référendum ? Un parti réellement dévoué aux masses travailleuses doit pouvoir sortir du traquenard de De Gaulle !
"Général De Gaulle", devraient dire ceux qui prétendent être du côté du peuple, "puisqu'avec votre plébiscite vous prétendez nous lier les mains, nous ne pouvons pas collaborer avec vous. Car, si au point de vue gouvernemental, le référendum nous ligote, nous pouvons rester libres en nous refusant au piège de votre collaboration ; nous ne voulons pas endosser, devant ceux qui nous ont fait confiance, la responsabilité de vos actes. Nous allons donc nous appuyer ouvertement sur les masses travailleuses pour les guider dans leur lutte contre vous et vos maîtres, les trusts et les banques."
Si, par le suffrage plébiscitaire, la bourgeoisie a pu berner le peuple;, manoeuvrer les partis se réclamant de la classe ouvrière, et renforcer l'Etat bourgeois, un Parti véritablement ouvrier peut recourir au vote des masses travailleuses réunies dans leurs Comités de quartier et d'usine, d'où les réactionnaires, les fascistes et toutes les catégories anti-populaires seraient exclus, et où tous les travailleurs de la ville et des champs décideraient de l'action ouvrière à opposer aux capitalistes et à la réaction. C'est devant un pareil "Parlement ouvrier et paysan; que les Partis se réclamant de la classe ouvrière doivent rendre des comptes !
La riposte des travailleurs aux manoeuvres de la bourgeoisie aboutira inévitablement à la lutte ouvrière comme celle de février 1934 à juin 1936, car seule la grève générale peut leur faire échec. Mais si lors de ce conflit, auquel la bourgeoisie se prépare, les Partis qui se réclament de la classe ouvrière se trouvent dans le gouvernement bourgeois, affameur et répressif, ils ne feraient que faciliter la montée du fascisme et la catastrophe pour la classe ouvrière.
C'est pour cela que les ouvriers doivent résolument être contre le ministérialisme bourgeois des chefs ouvriers, pour l'organisation et l'action indépendante des masses travailleuses, pour la préparation de la lutte ouvrière à travers nos Comités d'action !
LA LUTTE DE CLASSES
LA CLASSE OUVRIERE SANS DIRECTION REVOLUTIONNAIRE
Affublé d'une peau de lion, un personnage d'une pièce de Shakespeare dit aux spectateurs : "...sous cette peau de lion ce n'est que moi, Snug, le menuisier ; car si j'étais venu comme un lion irrité dans ce lieu, ma vie courrait de grands dangers". Le naïf artisan, qui joue pour la première fois la comédie, craint que son déguisement ne le mette en danger !
Les chefs du P.C.F., quoique vieux comédiens nullement naïfs, habitués à tromper le public, montrent cependant la même crainte.
Pendant la campagne électorale, ils avaient – en paroles – revêtu la peau du lion populaire pour combattre le nouveau Bonaparte et le M.R.P., suppôt de la réaction capitaliste.
A peine les élections finies, ils se sont mis à braire, avec leurs "adversaires" de la veille, leur amour pour "du neuf et du raisonnable" cher à De Gaulle, au Monde, au Figaro, et leur reconnaissance au général (dans L'Huma du 4 novembre, les élus staliniens du Conseil général de la Seine "renouvellent l'expression de leur confiance et de leur gratitude au général De Gaulle").
Les chefs du P.C.F. ont une peur mortelle que les masses laborieuses, ayant présents à l'esprit non pas leurs reniements répétés, mais leurs paroles de la veille, les contraignent à lutter effectivement "en lion irrité" contre Badinguet-De Gaulle, contre le M.R.P., pour la refonte de l'économie au service des classes laborieuses, lutte dans laquelle leurs postes, leur tranquillité de bureaucrates engraissés, plus même que leur vie, "courraient de grands dangers" !
Si les craintes de Snug sont imaginaires, celles de Thorez ne sont que trop fondées, car :
– d'une part, la grosse majorité des 5 millions de votants n'ayant pas encore "compris" les manoeuvres des chefs du P.C.F., patiente actuellement, mais entend voir les actes suivre les paroles ;
– d'autre part, un grand nombre d'ouvriers n'ont voté pour le P.C.F. que pour ne pas voter pour le M.R.P. ou le P.S. ; mais ils sont déjà conscients qu'ils sont trahis et cherchent une nouvelle direction prolétarienne.
Cela semble contredit par le fait qu'un Parti qui s'est présenté comme cette nouvelle direction prolétarienne, le Parti Communiste Internationaliste, n'a recueilli que 8.200 voix dans le premier secteur de Paris. Mais ce Parti est apparu plutôt comme du stalinisme inconséquent, que révolutionnaire conséquent. Car, comme le P.C.F., il a participé au plébiscite pétainiste en votant Oui-Non, au lieu d'appeler les ouvriers à le boycotter pour se mobiliser contre le complot de De Gaulle ; comme les chefs du P.C.F., ses dirigeants ont semé les pires illusions au sujet du Parlement bourgeois en faisant croire que cet instrument d'oppression bourgeois peut être transformé en un organe démocratique pour les travailleurs ; tout comme les chefs du P.C.F., ils ont dit aux ouvriers que ceux-ci pouvaient contrôler le Parlement de la bourgeoisie, et comme eux également ils ont réclamé la révocabilité des députés élus par le suffrage universel, alors que des députés révocables à tout instant ne sont possibles que dans un système soviétique, celui des Comités élus par les masses en lutte.
Or, pour dire cela, le "secrétaire général" Thorez a infiniment plus de poids que le "secrétaire général" Demazière , du P.C.I. !
Le peu de voix qui sont allées au P.C.I. ne dément en rien le dégoût de larges masses prolétariennes pour la politique du P.C.F. Cela montre seulement que la classe ouvrière n'a pas encore de nouvelle direction révolutionnaire.
GOUVERNEMENT P.C.F.-P.S.-C.G.T.
Mais l'expérience électorale n'a rien appris au P.C.I.
Son organe La Vérité (le 9-11) appelle à la formation d'un "gouvernement P.C.F., P.S., C.G.T., sans De Gaulle, sans M.R.P., sans Radicaux", car aux dernières élections "le peuple leur a donné le pouvoir, tout le pouvoir". Et La Vérité s'indigne que Thorez et Blum "s'apprêtent à le partager" avec De Gaulle, avec le M.R.P., avec les Radicaux.
Le simple bon sens manque à La Vérité ! Car si on se base sur les dernières élections, le M.R.P. a obtenu presque autant de voix que le P.C.F., et, d'autre part, c'est De Gaulle que le plébiscite a désigné comme futur chef du gouvernement.
Si, pour tout homme doté de bon sens, c'est chose claire, pour nos éminents tacticiens de La Vérité, cela paraît trop simple pour être vrai.
Le P.C.I., voulant à tout prix déguiser de simples élections parlementaires (qui décident seulement "quels seront les représentants des classes possédantes qui représenteront et opprimeront le peuple au Parlement" -Lénine-) en action "révolutionnaire", dit des bêtises : car du résultat des dernières élections on ne peut tirer d'autres conclusions "radicales" que celles de Thorez : "Il faut tenir compte des volontés du peuple qui a voté à gauche, former un gouvernement à majorité socialiste et communiste". Et l'expérience électorale des masses donne raison à Thorez et non à La Vérité.
Le résultat de ces fantaisies est non seulement que les travailleurs n'y comprennent rien, mais, fait aussi grave, elles conduisent aux pires reniements des vérités élémentaires du marxisme : "Le peuple leur a donné le pouvoir (le 21 octobre)" ! Mais pour cela, il faudrait que le peuple possède le pouvoir. Serions-nous déjà, par hasard, sans nous en être aperçus en régime prolétarien ? Comme la bourgeoisie, La Vérité fait passer les élections du 21 octobre pour l'expression de la "souveraineté du peuple" !
En réalité, l'appareil étatique actuel, même coiffé de ministres communistes et socialistes, ne peut fonctionner que contre le peuple : exemple le gouvernement Blum soutenu "sans éclipse" par Thorez.
L'enseignement principal du marxisme est basé sur l'expérience de la Commune de Paris qui a montré que le peuple ne peut pas s'emparer du pouvoir en mettant des préfets et des ministres "socialistes" à la tête des organes bureaucratiques de l'Etat bourgeois. Les révolutions de 1905 et de 1917 en Russie ont fait surgir pour la première fois la nouvelle forme étatique du pouvoir des masses ouvrières : les Comités (Soviets), "un pouvoir nouveau à la fois centralisé et pleinement démocratique, appuyé sur la lutte directe et sur l'immense force des masses travailleuses".
Si "le peuple", en la personne de la classe ouvrière, concentrait ce pouvoir effectif entre ses mains en face de la puissance bourgeoise (police, corps d'officiers, Parlement, Bourse, etc.), si, élus comme gouvernement du pouvoir ouvrier des Comités, les Thorez et les Blum partageaient ce pouvoir ouvrier avec des bourgeois, dans ce cas, leur dire : prenez tout le pouvoir ! ce serait les mettre au pied du mur et démontrer aux ouvriers qu'ils livrent à la bourgeoisie le pouvoir que les ouvriers lui ont arraché. Les ouvriers chercheraient alors des représentants plus décidés, pour maintenir leurs conquêtes et construire la nouvelle société.
Par contre, pousser les Partis se réclamant de la classe ouvrière dans la galère du gouvernement bourgeois, cela ne servirait qu'à répéter l'expérience Blum, qui s'est retournée contre la classe ouvrière au profit de la bourgeoisie.
Si l'on veut lutter pour un gouvernement ouvrier, il ne faut pas mettre les boeufs derrière la charrue, c'est-à-dire les Socialistes, les communistes et la C.G.T. derrière la machine de répression de la bourgeoisie. Car en régime capitaliste, c'est à elle que les masses ont toujours affaire, quel que soit le gouvernement ("le gouvernement passe, la police reste") ; mais il faut mettre les boeufs devant la charrue, c'est-à-dire atteler les Partis ouvriers au nouveau pouvoir des Comités ouvriers. Cela s'appelle Gouvernement des Comités ouvriers et paysans.
Le soi-disant mot-d'ordre "P.C., P.S., C.G.T. au pouvoir" sur la base d'élections contrôlées par la bourgeoisie n'est qu'un coup de sabre dans l'eau.
QUE VEULENT LES OUVRIERS ?
Manier des mots d'ordre sans contrôler les sentiments véritables de la classe ouvrière, faire appel aux étiquettes jaunies du P.C.F., du P.S. et de la C.G.T. pour mobiliser celle-ci, c'est faire montre d'un manque complet de liaison avec les masses ouvrières : les ouvriers n'ont plus confiance ni dans les étiquettes, ni dans les promesses.
Prenons le mot d'ordre de "nationalisation" ; là où on n'a pas expliqué aux ouvriers que les nationalisations actuelles ne sont qu'un mensonge, les ouvriers craignent les "nationalisations", car ils ont constaté que dans les usines "nationalisées", le seul changement, c'est qu'ils ont en plus de la garde-chiourme habituelle les dirigeants syndicaux sur leur dos.
Quant à leur attitude vis-à-vis des Partis, la conclusion la plus répandue est celle-ci : "Tous trahissent ! Ceux qui sont fidèles étant en minorité, trahiront quand ils deviendront eux-mêmes des dirigeants."
Que doit-on répondre, sans aucun embellissement de la vérité, aux travailleurs qui commencent à perdre tout espoir ?
"En effet, il est toujours possible que des députés "ouvriers", une fois élus au Parlement bourgeois, trahissent ceux qui les ont élus. Mais si les travailleurs organisent leur propre "Parlement ouvrier;, c'est-à-dire un Conseil de députés ouvriers, paysans, soldats, d'usine, de quartiers, de village et de régiment, ils peuvent exercer un contrôle permanent sur leurs élus et remplacer immédiatement ceux dont les actes ne correspondent pas à leurs paroles. Les Comités; leur donneraient le moyen non seulement de mettre à l'épreuve les Partis, mais de choisir de nou-veaux représentants qui se révéleraient dans la lutte ouvrière comme les plus clairvoyants et les plus dévoués. Les Comités; aboutiraient ainsi non seulement au contrôle, mais à un renouvellement total du personnel politique ouvrier qui, actuellement, sabote la lutte ouvrière.
Cela signifie-t-il de la part des ouvriers un effort mille fois plus grand que pendant les élections, et de tous les jours ? Oui ! Mais les travailleurs ne peuvent pas renoncer à lutter sans se condamner à une existence de plus en plus misérable. Et ne font-ils pas au service de la bourgeoisie des sacrifices infiniment plus grands que ceux exigés pour leur émancipation politique et sociale ?
Dans cette lutte, la conscience de millions de prolétaires s'élèvera au niveau des tâches à résoudre. Et sur la base de ses conquêtes, le prolétariat soviétique de France et du monde sera définitivement maître de son destin.
Les travailleurs conscients profiteront de toutes les luttes ouvrières pour démontrer ces vérités aux ouvriers et sur la base d'une expérience nouvelle qu'ils feront acquérir à tous les travailleurs ils les conduiront VERS LE GOUVERNEMENT DES COMITES D'OUVRIERS ET DE PAYSANS.
C'était dans l'intérêt des populations d'outre-mer, que les "démocrates-sincères" disaient agir en réclamant le remplacement de la vieille formule de "l'Empire français", par celle de "l'Union Française". Dans celle-ci, c'en aurait été fini de l'asservissement ; l'unique privilège que la France revendiquait encore, c'était de conduire elle-même les colonies à l'indépendance, chaque territoire étant administré non plus pour le seul bénéfice de la métropole, mais d'abord pour son bien propre, etc...
Les événements d'Afrique du Nord et de Syrie ont montré qu'il n'y avait aucune base réelle pour ces formules bâtardes, que l'on qualifierait d'utopies, s'il n'y avait derrière elles une manoeuvre pour maintenir dans le sillage de la France par de belles promesses, les colonies qui veulent la quitter, s'il n'y avait une manoeuvre dictée par la peur de l'impérialisme américain.
Tout ce que ces beaux projets avaient d'hypocrite est apparu brutalement lorsque les Indochinois ont proclamé leur indépendance. Qui, en effet, a été le premier a s'élever violemment contre leurs "prétentions", en exigeant qu'on leur ferme la bouche ? Le colonel Bernard, de Combat, un des "démocrates-sincères" qui avait le plus abondé en phrases mielleuses.
Son exigence proclamée, le colonel se tut et laissa la parole aux canons.
Or, malgré leurs blindés, leurs avions, leurs bombes incendiaires et leurs communiqués victorieux, les soudards de Leclerc piétinent encore après un mois, aux environs de Saïgon, devant la révolte de tout un peuple décidé à mourir plutôt que reprendre les chaînes. Devant un peuple résolu (comme l'a fait l'U.R.S.S. en face de l'agression hitlérienne) à pratiquer la méthode de la terre brûlée derrière lui.
Or, avec les "Alliés", cela ne va pas tout seul. Les complices anglais qui ont d'autres "difficultés" en Orient, n'accordent qu'une aide insuffisante. La Chine qui a saisi le chemin de fer du Yunnan, s'intéresse fort à Haïphong, porte du Yunnan sur la mer. Et les Américains attendent que les capitalistes français soient chassés pour tenter de glisser leurs dollars "pacifiquement".
Alors, le colonel, se souvenant qu'il est, qu'il a toujours été "démocrate", retrouve la parole, change de ton, déclare que "le gouvernement... ne saurait imposer ses volontés par la force", mais préfère ne pas se demander "ce qui se passera si les nationalistes indochinois maintiennent leurs prétentions et refusent les dons que nous leur offrons".
Plutôt que d'évoquer plus longtemps cette éventualité, il reprend son ton mielleux. Ne s'agit-il pas, puisqu'on n'est pas les plus forts, de persuader l'opinion que l'on pourrait réformer le colonialisme, qu'au fond "il s'agit de concilier les conceptions des Indochinois et les nôtres" (c'est-à-dire celles des colonialistes français), de concilier la mort du peuple indochinois et la vie des banques.
Evidemment, il ne saurait être question de reconnaître l'indépendance totale des Indochinois. Comment, en effet, accorder l'indépendance aux colonies, quand on sait qu'elle est subordonnée "à leur degré de maturité politique et de développement économique et social. Dans un pays comme l'Indochine, où la proportion des illettrés dépasse 80%, où, à l'exception de quelques familles qui ont acquis depuis 50 ans d'immenses domaines, la masse de la population n'a que des revenus infimes et succombe sous le poids des impôts et les exigences des usuriers, le suffrage universel ne conduirait qu'à la domination d'une poignée de privilégiés". Ces arguments-là, les Anglais les répètent depuis 400 ans aux Indes, sans que la misère et le nombre d'illettrés aient diminué !
Sans demander au colonel Bernard ce que ses maîtres et lui-même ont donc fait en 60 ans de colonisation, sans lui rappeler la méthode pratiquée pendant cette période et qui consiste à donner la culture et des titres à quelques-uns pour mieux asservir les autres, souvenons-nous d'un peuple dont les revenus étaient infimes, d'un peuple qui était écrasé d'impôts, dominé par de grands seigneurs terriens, d'un peuple composé de 80% d'illettrés. Un peuple qui a pourtant fait, en 1917, la plus grande révolution et qui a conduit l'U.R.S.S. au tout premier rang des grandes nations.
Cependant, le colonel n'exclut pas les possibilités... lointaines ; la main sur le coeur, il se demande "dans quels délais (la France) est disposée à abandonner ses prérogatives que l'avenir même de l'Indochine l'oblige aujourd'hui à maintenir ?"
Mais, nous n'avons pas accordé tant de place au colonel Bernard, à ce valet du capitalisme, pour lui-même, en réalité quantité négligeable. Nous nous sommes étendus sur sa position pour la comparer à la position des Partis ouvriers officiels.
Ces soi-disant adversaires politiques de Combat, qu'ils dénoncent presque chaque jour comme un organe réactionnaire, que proposent-ils donc de révolutionnaire dans leur programme ? Leur solution, c'est presque mot pour mot celle du colonel. (Ce qui implique, ayant le même programme, qu'ils sont d'accord sur les mêmes arguments).
Dans le programme de la délégation des "gauches", ils parlent du "principe d'égalité", "d'élévation du niveau de vie des populations des territoires d'outre-mer", d'"émancipation PROGRESSIVE", de "préparer d'un commun accord une évolution de ces populations vers une très large autonomie".
Ils veulent, eux aussi, faire donner du lait à un bouc, transformer le "mauvais colonialisme" en un "bon colonialisme".
Alors que les peuples coloniaux, dressés contre un ennemi qui est le nôtre, donnent au prolétariat du monde entier un enseignement héroïque, sur ce qu'est la solidarité entre opprimés (25.000 Indochinois faisant sans exception la grève de la faim pour défendre leur délégation ; les tirailleurs du camp d'Arénas (Marseille) se constituant prisonniers de guerre ; les Chinois de Saïgon décrétant une grève de solidarité ; les grèves des dockers en Australie, à Ceylan, etc.), les social-traîtres montrent l'exemple de la capitulation.
Pas un mot pour exiger l'indépendance, pas un mot pour exiger le retrait immédiat du corps expéditionnaire sous peine de déclenchement d'une grève générale ; pas un mot pour appeler à la grève immédiate les travailleurs, les dockers, les marins qui fabriquent, chargent ou transportent le matériel de guerre.
Au lieu d'un seul acte de solidarité réelle, ces capitulards bavardent et... adoptent le programme des agents du capital.
Votre parole est d'or, colonel Bernard ! Vous avez aidé les travailleurs à voir le véritable visage des "gauches" ; vous avez montré, à votre façon, que seule la IVème Internationale mène la lutte jusqu'au bout !
L'arrivée à Sydney d'un paquebot transportant des troupes hollandaises a été marquée par de vifs incidents. Des centaines de personnes, sous la conduite d'éléments communistes, envahirent le quai, huant les soldats qu'ils traitèrent de "fascistes et d'hitlériens".
Dans L'Humanité du 3 novembre, Cachin écrivait : "Les trois Grands se sont entendus à Téhéran, à Yalta, à Potsdam. Ils ont résolu de s'en tenir rigoureusement aux prescriptions de la sécurité collective" (l'entente entre les 3 Grands) qui, d'après lui, "fixe les conditions de la paix durable et indivisible".
Ainsi, les social-chauvins osent propager dans la classe ouvrière des mensonges que même la bourgeoisie n'utilise plus. Car, sur les ruines de la guerre à peine assoupie, et pendant que des conflits sanglants continuent dans toutes les parties du monde, il se prépare ouvertement une nouvelle mêlée mondiale. Molotov lui-même, qui dicte à Cachin sa politique de bourrage de crâne, vient de déclarer : "La course aux armements des grandes puissances – qui a lieu actuellement – n'est pas compatible avec les intérêts de la protection de la paix". C'est de cette course aux armements qu'il est question aussi lorsqu'on parle du "secret de la bombe atomique". En réalité ce secret n'existe pas. "A l'époque actuelle, explique Molotov, il n'y a pas de grand secret qui puisse être gardé par un seul pays ou par un groupe de pays". Mais "garder le secret", cela veut dire en langage clair déclencher ouvertement la course aux armements entre les "Alliés". Churchill précise (Monde du 9-11) que "garder le secret" de la bombe atomique pendant 3 ou 4 ans encore, signifie acquérir une supériorité "en ce qui concerne l'utilisation de cette arme". Or, pour acquérir cette supériorité, les mêmes lois de la guerre que nous avons déjà connues, restent valables. "Chaque arme nouvelle, a déclaré Truman le 23 octobre, donnera probablement naissance à une mesure défensive appropriée. La faculté d'utiliser ces armes nouvelles (y compris la bombe atomique) dépendra toujours d'une armée, d'une marine, d'une aviation puissantes, ainsi que des millions d'hommes nécessaires à leur ravitaillement." La bourgeoisie reconnaît ainsi que l'emploi de la bombe atomique n'abrégera pas la guerre, ne "tiendra en respect" personne, elle ne fera qu'augmenter les horreurs de la guerre.
Nous voyons aujourd'hui que l'effondrement de l'Allemagne et du Japon n'a pas mis fin aux convulsions du monde capitaliste. L'armement jusqu'aux dents "pour maintenir la paix" nous maintient dans "un état cent fois plus près de la vraie guerre impérialiste que de la paix, même versaillaise". (Lutte de Classes – n°46).
Chaque ouvrier peut comprendre maintenant l'avertissement que nous donnait Trotsky dès 1937 : "Abandonnée à sa propre logique, la guerre mondiale serait, dans les conditions actuelles de la technique, une méthode compliquée et très coûteuse de suicide de l'humanité. On pourrait obtenir le même résultat d'une ma-nière bien plus simple, c'est-à-dire en enfermant l'humanité dans une cage de la grandeur d'environ un kilomètre cube et en plongeant cette cage dans un des océans. La technique moderne serait tout à fait à même d'accomplir ce "coup bref et décisif" ; il serait bien moins cher que le programme militaire de l'une quelconque des grandes puissances."
Il n'y a qu'une manière de prévenir la catastrophe, c'est d'étrangler l'impérialisme. Car pour celui-ci, "la guerre n'est pas un accident, elle n'est pas "un péché", ... elle est une étape inévitable du capitalisme, une forme aussi naturelle de la vie capitaliste que la paix." (Lénine).
C'est pour cela que dans la lutte d'émancipation des peuples d'Indochine, des Indes, de l'Indonésie, etc..., et partout où se trouve un opprimé en lutte contre l'impérialisme, c'est notre propre cause qui est en jeu. C'est pour cela que la solidarité internationale la plus étroite dans la lutte de tous les opprimés contre l'impérialisme est notre seul salut.
C'est dans ce but que l'avant-garde consciente du prolétariat a créé la Quatrième Internationale, afin d'avoir non seulement un centre politique mais un véritable état-major de coordination pratique des luttes ouvrières internationales. La faible préparation de ses cadres ne lui a pas permis de jouer ce rôle pendant le deuxième conflit impérialiste mondial. Mais nous devons la rendre à bref délai capable de s'opposer avec succès à un rebondissement de la guerre impérialiste. Le devoir de tous les ouvriers conscients c'est de travailler à cette tâche en construisant le Parti révolutionnaire de la IVème Internationale en France, pour hâter l'heure de la révolution victorieuse dans le monde.
ENTRETIEN AVEC UN OUVRIER COMMUNISTE
Le camarade me demande la raison pour laquelle je ne vais plus au P.C. Il me dit qu'il continue à suivre les cours et qu'il lit en ce moment le Manifeste du P.C.
Je lui demande si, d'après lui, le Manifeste concorde avec la politique suivie par le P.C.F
Il me dit que oui.
Je lui demande qu'il m'explique alors pourquoi Marx dit dans le Manifeste, les prolétaires n'ont pas de patrie, et que Thorez nous dit qu'on en a une ? Qui a raison ? Marx ou Thorez ? Si c'est Thorez, que devient le marxisme ; si c'est Marx, alors que fait Thorez ?
R... me dit que c'est une tactique, les aspirations sont patriotiques, et pour attirer les adhérents, il faut être coulant
Je lui réponds :
1° A quoi serviront à un P.C. des adhérents venus dans cette condition ; si le Parti bouge, ils se détacheront ;
2° Etre coulant au point de renier le marxisme, ce n'est pas être coulant, mais être coulé !
Le camarade me répond que, pour l'Indochine, le Parti a pris position et qu'il est prêt à le faire dans toutes les occasions.
Je lui dis que cette position était plutôt modérée, et que j'avais des doutes sur son efficacité ; que Tillon, qui envoie du matériel en Indochine, semblait avoir pris, lui, une drôle de position.
Le camarade admet que le Parti ne joue pas toujours le rôle qu'il devrait jouer, que certains communistes, une fois au pouvoir, oubliaient qu'ils étaient communistes. Mais que les élections allaient tout changer et que le Parti saura juger la situation.
Je lui dis que pour le referendum, en effet, il a su juger qu'il était plébiscitaire, mais qu'il l'a accepté quand même.
Il me répond qu'en effet il ne comprend pas très bien, mais que des choses peuvent échapper au militant de base, qu'il comprend par la suite.
Je lui dis que les moutons ne se rendent compte que le berger les a conduits à l'abattoir que quand ils y sont.
Il avoue qu'il aime mieux ne pas chercher à comprendre ; il a peur de découvrir de la boue, et qu'il est communiste, qu'il n'y a qu'un Parti communiste, et qu'il ne veut pas faire le jeu des Trotskystes.
Je lui réponds que ce n'est faire le jeu de personne que d'essayer de voir clair dans la politique du Parti dans lequel on milite, et que c'est en ne voulant faire le jeu de personne que l'on fait justement le jeu de quelqu'un.
Le camarade promet de réfléchir à ces questions.
MEETING DU 13 NOVEMBRE A WAGRAM SUR L'INDOCHINE
La Délégation indochinoise avait préparé une résolution définissant le thème fondamental que les orateurs des partis et journaux organisateurs du meeting devaient développer :
1° reconnaissance de l'indépendance totale de l'Indochine ;
2° retrait du corps expéditionnaire.
Mais les organisateurs (P.C.F. compris) n'ont pas accepté. Ils ont imposé à la délégation, qui a dû s'incliner, le thème suivant :
1° application de la charte des Nations Unies ;
2° soutien du plébiscite demandé, il y a un mois, par le président du gouvernement provisoire de la République Viêtnam.
Pendant que le P.C.F. et les "démocrates sincères" bavardaient sur ce thème, les camarades du groupe indochinois La Lutte indiquaient la seule voie effective dans un tract que nous reproduisons ici :
Camarades,
Les organisations ouvrières,
présentes à ce meeting, ont bien agi en exigeant la libération
de nos camarades arrêtés par la police française pour
le "crime" d'avoir expliqué au peuple français la justesse
de la cause pour laquelle lutte le peuple indochinois.
Elles ont bien agi en organisant ce
meeting de protestation contre la répression sauvage que le gouvernement
français poursuit en ce moment contre les travailleurs indochinois.
Mais ce meeting suffit-il à soutenir
notre juste cause ?
Se montrer libéral en ce qui
concerne les Indochinois en France, et souhaiter que le gouvernement français
mène une autre politique en Indochine, en même temps que la répression
se poursuit là-bas de plus en plus féroce, nous ne pouvons
pas regarder cela comme une solidarité réelle vis-à-vis
de nous.
Les organisations ouvrières disposent
de forces énormes : si la répression menée actuellement
est un crime contre la liberté – et c'est un crime ! –, alors ces organisations
doivent empêcher, par des moyens en leur pouvoir, la répression
de se poursuivre : ce que Marty avait fait en 1919 pour la Russie des Soviets,
les partis ouvriers et la C.G.T. doivent le faire pour l'Indochine : donner
l'ordre aux travailleurs, aux marins, aux dockers, d'arrêter tout envoi
d'armes et de troupes à destination de l'Indochine !
Nous ne saurions regarder comme de véritables
amis que les organisations ouvrières françaises dont les actes
sont en accord avec les paroles et qui ne se bornent pas à dénoncer
les excès de la politique colonialiste, mais se prononcent pour l'indépendance
de l'Indochine, car sans cela, les adoucissements demandés seront
des paroles utilisées dans la métropole, tandis qu'à
Saïgon ce seront toujours les Leclerc qui agiront par leurs méthodes.
Que les organisations qui participent
ce soir au meeting se prononcent donc clairement si elles sont pour le retrait
du corps expéditionnaire de l'Indochine, si elles sont pour l'indépendance
de l'Indochine délivrée des colons et des banques, si elles
se solidarisent avec les opprimés d'Indochine par tous les moyens en
leur pou-voir. Car si la C.G.T., le P.C. et le P.S. laissent les dockers charger
les bateaux qui transportent les soldats pour assassiner nos frères,
et ces soldats marchent contre la cause que ces organisations reconnaissent
être celle de la liberté, c'est qu'elles agissent en fait comme
des complices. Les travailleurs français sauront, comme nous, les
juger.
A bas le corps expéditionnaire !
Vive la solidarité entre les exploités et les opprimés de tous les pays contre l'impérialisme !
Le Groupe Indochinois "La Lutte"
C'étaient les ouvriers et les soldats qui avaient fait la Révolution. Ils avaient versé leur sang pour elle. Il fut alors décidé qu'ils se retireraient suivant la coutume pour laisser les affaires aux mains de leurs supérieurs. Le peuple avait enlevé le pouvoir aux tsaristes. Maintenant, c'étaient aux banquiers et aux hommes de loi, aux professeurs et aux politiciens d'entrer en scène pour enlever le pouvoir des mains du peuple.
Ils dirent :
"Peuple, vous avez remporté une glorieuse victoire. Le nouveau devoir maintenant est la formation d'un Etat nouveau, c'est la tâche la plus difficile, mais par bonheur, nous, les gens instruits, nous savons diriger les affaires, nous allons former un Gouvernement Provisoire. Notre responsabilité est lourde, mais en vrais patriotes, nous en acceptons le fardeau. Nobles soldats, retournez aux tranchées. Braves ouvriers, retournez aux machines. Et vous, paysans, retournez à la terre."
Les masses russes étaient à ce moment traitables et raisonnables. Elles laissèrent donc les bourgeois former leur "gouvernement provisoire". Mais si les masses russes n'étaient pas instruites, elles étaient intelligentes. Beaucoup ne savaient ni lire ni écrire, mais beaucoup savaient penser. Aussi, avant de retourner aux tranchées, aux fabriques et à la terre, ils créèrent à leur idée de petites organisations. Pour chaque usine de munitions, les ouvriers choisirent un des leurs en qui ils avaient confiance. Dans les fabriques de chaussures et dans les filatures, ils firent de même. Les briqueteries, les verreries et les autres industries suivirent leur exemple. Ces représentants élus directement par leurs pairs formèrent le Soviet, conseil des Représentants des ouvriers.
Par le même procédé, les armées formèrent des Soviets des Représentants des soldats et les villages des Soviets des Représentants des paysans. Ces représentants étaient élus par professions et corps de métier et non par districts. Les Soviets étaient donc composés, non de politiciens bavards et ignorants, mais d'hommes qui connaissaient leur métier. De mineurs qui savaient ce qu'est une mine, de mécaniciens qui savaient ce qu'est une machine, de paysans qui savaient ce qu'est la terre, de soldats qui savaient ce qu'est la guerre, d'instituteurs qui savaient ce que sont les enfants.
Les Soviets se formèrent dans toute la Russie : dans chaque cité, chaque ville, chaque hameau et chaque régiment. Quelques semaines après l'écroulement de la vieille charpente tsariste un sixième de la surface de la terre était doté de ces nouvelles organisations sociales.
Extrait d'Albert Williams : A travers la Révolution russe (N.R.F.)
"Tel intellectuel, comme tel capitaliste, peut entièrement s'incorporer à la lutte de classe du prolétariat. Dans les cas où cela se produit, l'intellectuel change de caractère. Et dans la suite de notre exposé, il ne s'agira point de ce type d'intellectuels qui, aujourd'hui encore, sont une exception dans leur classe. Dans ce qui va suivre, sauf réserve expresse, j'entendrai par intellectuel uniquement l'intellectuel ordinaire qui se place sur le terrain de la société bourgeoise et est le représentant caractérisé de la classe des intellectuels. Cette classe se trouve dans un certain antagonisme vis-à-vis du prolétariat.
"Cet antagonisme est d'une autre nature que l'antagonisme entre le travail et le capital. L'intellectuel n'est pas un capitaliste. Certes, il mène un train de vie bourgeois et il est obligé de le maintenir à moins de se changer en vagabond ; mais en même temps il est obligé de vendre le produit de son travail, et souvent aussi sa force de travail ; il subit souvent l'exploitation du capitaliste et une certaine dégradation sociale. Ainsi, l'intellectuel ne se trouve dans aucun antagonisme économique vis-à-vis du prolétariat. Mais son niveau d'existence, ses conditions de travail ne sont pas prolétariens, et il résulte de là un certain antagonisme dans l'état d'esprit et dans la manière de penser.
"Un prolétaire n'est rien tant qu'il reste un individu isolé. Toute sa force, toute sa capacité de progrès, tous ses espoirs et ses aspirations, il les puise dans l'organisation, dans l'action commune systématique avec ses camarades. Il se sent grand et vigoureux lorsqu'il fait partie d'un grand et vigoureux organisme. Pour lui, cet organisme est tout : et l'individu isolé est très peu de chose à côté de cet organisme. Le prolétaire lutte avec le plus grand esprit de sacrifice, comme parcelle d'une masse anonyme, sans viser aux avantages personnels, ni à la gloire individuelle ; il accomplit son devoir, quel que soit le poste qu'on lui confie, en se soumettant librement à la discipline qui pénètre tous ses sentiments et toutes ses pensées.
"Il en est tout autrement de l'intellectuel. Celui-ci lutte à l'aide d'arguments, et non par telle application de la force. Son arme, c'est son savoir personnel, ses capacités personnelles, ses convictions personnelles. Il ne peut acquérir une certaine valeur que par ses qualités personnelles. Aussi la liberté entière de manifester sa personnalité lui apparaît-elle comme condition première d'un travail utile. Il se soumet difficilement à un ensemble, en tant que pièce technique de cet ensemble : il se soumet par nécessité, et non de son propre gré. La discipline ne lui paraît nécessaire que pour la masse, et non point pour les âmes élues. Bien entendu, il se range lui-même parmi les élus..."
Cité par Lénine : Un pas en avant, deux pas en arrière
(1904).
Note : Il n'est pas indiqué qu'en l'occurrence Lénine cite
Karl Kautsky (Neue Zeit, 1903).
Cote des actions de la Banque d'Indochine (Bourse de Paris) :
26 mars 1945 : 13.325 francs.
Occupation japonaise, 30 août 1945 : 12.95O francs.
L'A.F.P. a annoncé (28-8) : à Saïgon : "démonstrations massives en faveur de l'indépendance de l'Indochine".
26 septembre 1945 : 13.600 francs.
Trois jours après le coup de force français contre l'administration indochinoise à Saïgon.
8 octobre 1945 : 14.6OO francs.
Leclerc est arrivé le 6 octobre.
1er et 12 novembre 1945 : 10.35O francs.
Le corps expéditionnaire se heurte à une résistance acharnée.
Le Q.G. communiste de Yenan communique que des éléments importants des 30ème et 40ème armées gouvernementales équipées par les Américains ont subi une grave défaite le long du chemin de fer Pékin-Hankéou au nord de la province du Honan et au sud du Hopei.
50.000 soldats environ ont refusé de se battre contre les communistes et se sont rendus, tandis que six généraux déposaient les armes.
Le Monde, 9-11-45.
L'arrivée à Sydney d'un paquebot transportant des troupes hollandaises a été marquée par de vifs incidents. Des centaines de personnes, sous la conduite d'éléments communistes, envahirent le quai, huant les soldats qu'ils traitèrent de "fascistes et d'hitlériens".
Le Pays, 8-11-45.
L'AFRIQUE BOUGE
Parallèlement aux désordres du département de Constantine, parallèlement au conflit d'Indochine, l'agitation règne en Afrique occidentale française. En novembre 1944, l'administration française a dû faire face, pour la première fois, à une révolte au Sénégal. Cette révolte a causé 35 morts à Tiaveré. En septembre 1945, une grève locale au Cameroun se traduit par des désordres : 8 morts. A la même époque on découvrait au Sénégal un vaste projet de soulèvement contre les Européens, qu'on ne réussit à faire avorter qu'in extremis.
France-Soir, 3-11-45.