1945 |
Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! LA LUTTE de CLASSES Organe de l'Union Communiste (IVème Internationale) n°56 - 4ème année |
LA LUTTE DE CLASSES nº 56
24 décembre 1945
"Par suite de la politique (anti-ouvrière) menée par la bourgeoisie, les grèves, les protestations, etc..., sont tout à fait inévitables dans la situation actuelle et leur importance ne fera que croître...", écrivions-nous le 24 octobre ("Le combat qui approche").
La grève générale d'une heure des employés des Services publics, qui vient d'avoir lieu, a confirmé que pour la défense de leurs conditions de vie les ouvriers n'ont pas d'autres moyens que leur action directe.
Il aura fallu cette action et cette décision des travailleurs, pour que les dirigeants qui pendant de longs mois se sont tus, se mettent à dénoncer la politique de la bourgeoisie au sujet des salaires. Au grand meeting du Vélodrome d'Hiver le 12 décembre, ils ont déclaré que la politique financière actuelle du gouvernement cherche à frapper uniquement les masses travailleuses et que des dizaines et des centaines de milliards sont dépensés pour l'appareil de répression, la haute bureaucratie, les subventions et l'armement. Ils ont rappelé que les prix ont officiellement augmenté de 50% depuis mars 1945, date depuis laquelle les salaires sont bloqués, et que les petits fonctionnaires ne peuvent plus supporter leurs conditions de vie actuelles.
Mais la reconnaissance de ces faits de la part des dirigeants syndicaux n'avait pas pour but de justifier la grève et de lui acquérir la solidarité active de toute la classe ouvrière ; ils ajoutaient au contraire qu'il fallait avant tout éviter la généralisation du mouvement, car "ce sont nos adversaires qui s'en réjouiraient".
Mais si les dirigeants syndicaux sont ennemis de la grève, ils ne se sont donc posés en défenseurs des ouvriers des Services publics que pour mieux briser leur action !
Car la politique de ces dirigeants qui font la grève tout en étant contre elle, qui la présentent comme une "catastrophe", qui ne voient rien d'autre à préconiser que "l'effort de production", qui en face de la hausse des prix organisée par les capitalistes n'osent pas mettre en avant l'échelle mobile des salaires, mais invoquent en vain la stabilisation" – la politique de ces dirigeants permet au gouvernement de rejeter les petites concessions de salaire qu'il s'apprête à faire sur le dos des masses, d'en prendre prétexte pour de nouvelles hausses de prix (celle des chemins de fer était projetée de longue date), et D'AGGRAVER AINSI LA SITUATION MEME QUI A AMENE LA GREVE.
Démoralisés par la baisse continuelle des salaires, les conditions de travail qui empirent tous les jours, la recrudescence du chômage, les ouvriers entendent avec stupéfaction les prétendus socialistes et communistes leur demander d'attendre... les prochaines élections, les dernières n'ayant pas été suffisamment réussies... Et en attendant ?
"Le premier problème est de produire, c'est lui qui déterminera la solution de tous les autres. Nous avons à faire preuve de discipline, de patience et d'obstination. En travaillant ferme nous préparerons les conditions d'une remise en route définitive de notre économie, qui est loin d'être battue internationalement sur tous les terrains. Dans le domaine de la construction automobile, par exemple, nous avons encore notre mot à dire".
Ce n'est pas De Gaulle, ni Pleven qui le dit, c'est Marcel Paul, dans L'Humanité du 6-2-45.
L'exportation de l'automobile, voilà le remède du "communiste" Marcel Paul devenu ministre à la crise économique.
Le malheur pour lui, c'est qu'en Angleterre aussi le ministre du Commerce a déclaré "que le marché intérieur devait être sacrifié au profit du commerce extérieur... A l'avenir nous devrons vendre sur les marchés 50% au moins de notre production automobile". (Tribune Economique, 23-11-45).
Ainsi, tout le labeur à bas prix des ouvriers n'est pas destiné à la reconstruction, mais à soutenir la concurrence capitaliste. Il n'y a pas, dans ces conditions, d'amélioration possible à la situation des masses ouvrières en Europe. Dans la concurrence capitaliste acharnée qui se livre en même temps que se prépare la nouvelle guerre, les ouvriers seront sacrifiés économiquement, comme ils le furent physiquement pendant la guerre.
Les prétendus "socialistes" et "communistes" se font les instruments de cette politique criminelle, parce que coupés et éloignés des masses, la lutte ouvrière leur est devenue étrangère et leur fait peur.
Ainsi, ils ont repris à leur compte contre la grève générale les plus plats arguments dont se sert depuis toujours la bourgeoisie.
Premièrement, disent-ils, la grève générale affamerait le pays. Comme si une grève générale était destinée à être éternelle, et non pas à être organisée de manière à briser la résistance des capitalistes.
Deuxièmement, cela provoquerait la riposte de la réaction. Comme si la réaction ne se renforce pas tous les jours, comme si tout le "pétainisme" ne subsistait pas et qu'un des objectifs de l'action directe n'était précisément pas de briser la réaction.
Mais tous ces "arguments" ne peuvent rien contre le fait que la lutte des petits fonctionnaires contre la misère a dû prendre la forme d'une grève générale. C'est pour cela que nous sommes en droit de répéter les conclusions de notre article du 24-10 :
"Pour ne pas se laisser battre dispersés, il faut unifier les mouvements ouvriers en une puissante grève générale..."
Mais il faut éviter que cette grève générale ait le sort de celle de 1936. Car si le grandiose mouvement gréviste de 1936 a finalement échoué, c'est parce que les ouvriers ont laissé à l'Etat bourgeois la sauvegarde des conquêtes arrachées aux capitalistes, au lieu de dresser des organismes propres à garantir la classe ouvrière contre le retour offensif inévitable de la bourgeoisie. Il faut être capable de dresser à tout moment le puissant barrage des masses travailleuses, de les remobiliser, de les ramener à la lutte : il faut pour cela que les ouvriers se soudent entre eux, créent des organismes de liaison et de défense (comités, piquets de grève) et que ces organes prennent un caractère permanent, persistent, s'unifient.
Les ouvriers communistes, socialistes et de toute autre tendance doivent comprendre la responsabilité qui leur incombe : pas d'incurie là où se joue notre sort !
Il faut que la classe ouvrière sache viser loin : elle trouvera l'appui nécessaire pour son action dans "l'atmosphère de révolution ouvrière qui règne à l'heure actuelle dans tous les pays, dans la sympathie que lui accordent les classes "moyennes" et paysannes écrasées par le capitalisme français et qui cherchent une issue. Si elles ne trouvent pas cette issue dans l'action de la classe ouvrière, elles la chercheront du côté du fascisme. Tous debout pour préparer le combat !
"Nous nous demandons pourquoi Léon Blum et ses amis parlent tellement de socialisme et de mesures socialistes prétendument instituées aujourd'hui. Que voulez-vous ? Si nous étions en régime capitaliste, si l'Etat était un Etat bourgeois, il serait difficile de justifier devant les travailleurs le contrôle donné à cet Etat sur leurs partis et leurs syndicats. (L'Huma, 8-12-45).
C'est ainsi que Hervé explique, dans L'Humanité, le zèle de Léon Blum à parler de "socialisme d'Etat" seul moyen de couvrir le projet constitutionnel pétainiste que le P.S. et le M.R.P. sont en train d'élaborer.
Mais Hervé lui-même n'est qu'un parfait jésuite. La même mesure de l'Etat capitaliste (les nationalisations) que Blum baptise "socialisme", L'Humanité l'appelle "une grande mesure démocratique" (4-12-45).
C'est là toute la différence entre Blum et Hervé. Que ce soit au nom du "socialisme" ou de la "démocratie", les actes des Blum et des Thorez sont identiques : ils justifient et font accepter au peuple les mesures de l'Etat capitaliste, ils collaborent ensemble au gouvernement de cet Etat, etc...
Dans la pratique, Hervé n'est pas plus démocrate que Blum n'est socialiste.
Ainsi, il explique, comme le ferait un démocrate, qu'avec le système du M.R.P. "on ne voit pas pourquoi demain le mariage et la procréation ne seraient pas rendus obligatoires sous peine d'emprisonnement".
Mais la procréation obligatoire, sous sa forme principale, existe déjà : ELLE CONSISTE DANS LA PUNITION, PAR L'EMPRISONNEMENT, DE L'AVORTEMENT. L'abolition de cette mesure est un des principaux objectifs démocratiques que la classe ouvrière veut voir réaliser. Hervé sait nous décrire les conséquences extrêmes du système M.R.P. au sujet de la procréation obligatoire, mais son Parti SOUTIENT la répression de l'avortement par le Gouvernement, répression qui écrase la femme travailleuse et qui n'atteint pas la bourgeoise.
Aussi éloignés des masses travailleuses que leurs concurrents électoraux de la S.F.I.O., les chefs staliniens ne peuvent plus s'en distinguer et sauver leur influence politique sur les ouvriers qu'en jouant sur les mots, à la manière des jésuites.
Hervé dénonce "la majorité socialiste-M.R.P." qui "s'apprête à instituer en France une constitution d'un type néofasciste clérical qui ressemblerait à celle du Portugal de Salazar."
Mais il tait pudiquement le fait que ces messieurs chargés de la constitution accomplissent en réalité le testament politique de PETAIN qui avait dit à son procès : "la France (l'Etat bourgeois) ne pourra construire utilement que sur les bases que j'ai jetées".
Hervé rejette sur la majorité Socialiste-M.R.P. la responsabilité de la construction totalitaire en préparation : "Nous ne nous prononçons pas sur les intentions, mais nous avons vu dans le passé des irresponsables associés à des malins remettre aux ennemis de la République l'instrument nécessaire à son étranglement".
Mais la majorité réactionnaire socialiste-M.R.P. ne fait que traduire en langage juridique une réalité déjà existante, à savoir, l'écrasement des classes laborieuses par l'Etat bureaucratico-policier de la bourgeoisie : or, qui a aidé le plus cet Etat, ébranlé par la guerre et l'occupation, à en sortir indemne et à s'imposer à nouveau au peuple ? N'est-ce pas le gracié Thorez ? N'est-ce pas lui qui a fait ouvertement, cyniquement, l'apologie de la police ("une seule police !") substance de tout Etat capitaliste actuel, qui ne peut plus subsister sans envahir la société ENTIERE ? Thorez a aidé à restaurer la police bourgeoise et Hervé s'indigne seulement contre ceux qui la consacrent juridiquement : n'est-ce pas là du jésuitisme ?
"Est-ce donc que la liberté paraît tellement dangereuse pour les privilèges et les oppressions, que l'on ne veut même plus des institutions parlementaires, des formes de démocratie qui étaient devenues pour la France comme son visage même ?", etc..., demande Hervé, le 13-12...
Mais, c'est depuis le 6 février 1934 que la bourgeoisie et son Etat luttent avec acharnement pour détruire la forme parlementaire de leur domination, forme qui les obligeaient à céder des miettes de libertés aux masses et des salaires élevés à certaines couches ouvrières privilégiées. Poser une telle question en 1945, sous De Gaulle, après Doumergue, Daladier et Pétain, c'est être un innocent... ou un jésuite.
Le jésuitisme des chefs staliniens a une raison profonde, sociale.
Défendre aujourd'hui la démocratie,
les libertés concrètes pour les travailleurs (libre droit d'association,
de réunion, de presse, de grève), ce n'est plus possible que
par l'organisation autonome des travailleurs face à l'Etat bourgeois
; aucun Parlement basé sur le suffrage universel n'est plus capable
d'atténuer l'oppression étatique bourgeoise ; il faut donc donner
à la démocratie des formes nouvelles,
DES FORMES PROLETARIENNES.
Pour cela il faut autre chose que de voter Oui-Non ou voter tout court :
il faut engager une lutte directe, de tous les jours, contre la bourgeoisie
et son Etat, lutte appuyée sur la force organisée des masses
travailleuses (partis ouvriers, C.G.T., unis dans la milice ouvrière
et les comités d'usine et de quartier).
Cette lutte, les chefs staliniens, comme leurs collègues blumistes, sont absolument incapables de la mener.
"Ils savent parfaitement bien", disait des chefs staliniens La Lutte de Classes avant le référendum (le 3 septembre 45), que pour assurer la défense des libertés des travailleurs, paysans, petits producteurs contre la classe capitaliste qui dispose à son gré de l'Etat (police, corps d'officiers, administration) et de bandes fascistes armées, pour vaincre le sabotage économique par lequel celui-ci a réduit le peuple à sa merci, et pour empêcher la spéculation et la corruption bourgeoises d'étouffer les masses, les votes d'une Assemblée quelle qu'elle soit ne valent rien. Il faut aux masses écraser par la force les bandes fascistes et briser l'appareil étatique de la bourgeoisie, il leur faut mettre en prison les requins capitalistes et pendre quelques gros trafiquants pour l'exemple, en un mot il faut qu'elles exercent leur dictature à l'égard de la bourgeoisie. Ils savent parfaitement bien qu'il n'y a pas de milieu entre la liberté des travailleurs et des petites gens et celle de la bourgeoisie et de ses serviteurs.
Si la bourgeoisie est "libre", sa liberté réduit en esclavage et affame les travailleurs... C'est parce qu'ils sont incapables de s'appuyer sur l'énergie et l'action directe des masses, c'est parce qu'ils ne veulent pas organiser et armer les ouvriers contre la bourgeoisie et les bandes fascistes, c'est parce qu'ils ne veulent pas organiser le contrôle ouvrier sur la production, en un mot parce qu'ils ont renoncé à la révolution socialiste, que les chefs staliniens sont incapables de lutter réellement pour les libertés des ouvriers et des paysans. Voilà le secret de leurs capitulations renouvelées. VOILA LE SECRET DE LEUR JESUITISME, pouvons-nous ajouter maintenant.
Les Hervé, autant que les Blum, en collaborant au gouvernement de l'Etat bourgeois, trahissent non seulement le socialisme, mais avant tout la lutte pour les libertés démocratiques des masses.
C'est pourquoi les Hervé, plus encore que les Blum, sont le chancre du mouvement ouvrier. Si Hervé ne faisait pas de la démagogie "démocratique", Blum ne pourrait pas faire de la démagogie "socialiste", ou il la ferait sans aucun succès ! Mais il peut la faire parce que son "adversaire" Hervé est un JESUITE BUREAUCRATE, qui se rappelle des principes non pas pour guider sa propre action mais uniquement pour contredire ses concurrents politiques bourgeois.
C'est dans la défense de leurs salaires et pour l'amélioration du régime de bagne qui règne dans les usines que les ouvriers apprennent en ce moment à distinguer entre les vrais et les faux socialistes, entre les démocrates-prolétariens et les jésuites. Et leur sympathie croissante va vers les internationalistes, se détournant de plus en plus des social-chauvins.
Quand la voix des démocrates prolétariens sera plus forte que celle des jésuites "ouvriers", alors l'élan démocratique des classes opprimées nous permettra de briser l'Etat-Cagoule de la bourgeoisie et de sauter du règne de la contrainte capitaliste dans le règne de la liberté prolétarienne !
"Au moment même où naguère les armées de Hitler rompaient notre front, on savait que l'enjeu n'était pas seulement la perte de telles ou telles colonies, mais l'indépendance nationale. En remportant la victoire, côte à côte avec nos Alliés, nous avons finalement sauvé l'indépendance dans l'un et l'autre sens" (celle de la France et la domination de celle-ci sur les colonies) – a réaffirmé De Gaulle dans son discours du 10 décembre.
De Gaulle se vante d'avoir conquis l'indépendance du peuple français parce qu'il n'y a plus de Kommandantur à Paris, et qu'il a, lui, des troupes qui occupent les colonies et l'Allemagne...
Mais si les dirigeants de l'Allemagne vaincue n'ont plus les moyens militaires pour asservir le peuple français, une pression, sinon aussi immédiatement barbare, en tout cas aussi efficace, ne s'appesantit-elle pas en ce moment sur la France ?
Pas plus tard qu'il y a quelques semaines, les maîtres actuels de la Ruhr allemande, les capitalistes anglais, n'ont-ils pas montré comment, de Londres, ils tiennent à la gorge 40 millions d'habitants français par le simple arrêt des envois de charbon ? Et les capitalistes américains ne tiennent-ils pas, eux aussi, entre leurs mains rapaces, toute la vie économique de la France, dont la stagnation continue à atteindre les travailleurs français dans leur substance vitale ?
De Gaulle ose parler d'indépendance au moment même où les dirigeants anglais déclarent que "ne pas accepter le prêt américain, c'est SE RESOUDRE A LA FAMINE" !
Même un enfant comprend que par un prêt accordé dans de telles conditions le gouvernement américain obtient un moyen formidable de contrôle économique et politique – sur un peuple aussi avancé que le peuple anglais !
De son côté, l'occupation de l'Allemagne et des colonies n'accroît nullement l'indépendance de la France. Au contraire, dans les nouvelles conditions créées par la guerre impérialiste, elle est un facteur de dépendance. L'occupation de l'Allemagne par les Anglais et les Américains (sans laquelle il n'y aurait pas d'occupation française) oblige la France de servir de "tête de pont" militaire : des troupes anglaises et américaines souveraines stationnent en France.
Et l'occupation des colonies ? L'exemple de la Hollande, tombée politiquement sous la domination anglaise pour rétablir une partie de ses rapines coloniales, montre que ce n'est pas là un facteur d'indépendance. Or, le gouvernement de De Gaulle ne peut plus rétablir ses rapines en Indochine et ailleurs qu'avec l'aide de l'Angleterre.
L'Humanité elle-même, qui depuis juin 1941 a adopté le point de vue de De Gaulle au sujet de "l'indépendance, côte à côte avec nos Alliés", doit reconnaître que "la liberté de la France appauvrie n'est plus entière" (le 23 décembre, au sujet de la monnaie française). Du fait de la guerre et de l'occupation, explique-t-elle. Mais la guerre elle-même et l'occupation ne sont-elles pas le résultat du fait que :
"Luttant pour l'asservissement et l'oppression des peuples coloniaux, les groupes des pays capitalistes qui se disputent la proie, font régner entre eux les lois du brigandage pur et simple : les plus petits sont à la merci des plus grands et le plus souvent ce sont eux qui font les frais des arrangements entre les plus puissants. Alors les engagements les plus "sacrés" sont foulés aux pieds, et le véritable visage impérialiste se dévoile, quel que soit le masque dont il a coutume de se parer" ? (Lutte de Classes, 12 déc. 43).
A présent, chacun peut toucher du doigt comment l'interdépendance économique absolue de tous les pays du monde remet directement entre les mains des capitalistes, au pays le plus riche, les Etats-Unis, le sort de tous les peuples soumis à l'exploitation capitaliste.
La seule "indépendance" que possède De Gaulle, c'est la possibilité qu'ont quelques pays capitalistes plus faibles de se vendre au plus fort, en tant que force militaire mercenaire, c'est-à-dire de choisir, non pas entre plusieurs formes de développement économique et culturel de la France, mais entre plusieurs genres de mort.
"Le peuple français, disait La Lutte de Classes, le 12 décembre 43, se sent humilié de voir comment son destin se décide suivant des intérêts qui n'ont rien à voir avec ses propres aspirations d'égalité et de démocratie... Mais par là il paie lui-même l'oppression dans laquelle il permet à ses capitalistes de maintenir les peuples coloniaux d'Afrique et d'Asie. Tant que le prolétariat français ne conduira pas le peuple dans la voie socialiste, en rejetant dans les paroles et dans les actes, l'exploitation d'esclaves coloniaux par l'impérialisme français, ni les humiliations, ni les souffrances, ni les déceptions amères ne lui seront épargnées. "Démocratie", "droits des peuples", "égalité entre grandes et petites nations", tout cela n'est que mensonge en régime capitaliste. Seul le socialisme, par la transformation de l'économie privée en économie planifiée, abolira, en même temps que l'exploitation de classe, l'exploitation des peuples l'un par l'autre et donnera une base réelle à la démocratie et aux droits des peuples.
Quand il dit : "la France est morte", le maréchal Smuts est persuadé que l'impérialisme survivra à cette guerre et dans ce cas il ne se trompe pas sur ce qu'il appelle le "rapport de forces", c'est-à-dire la domination des Etats-Unis et de l'Angleterre sur le monde. Par contre, la Quatrième Internationale est persuadée que les masses exploitées, qui n'ont pas pu empêcher les impérialistes de déclencher la deuxième guerre mondiale, ne resteront pas toujours passives et, par le renversement de la bourgeoisie, créeront, elles, le "rapport de forces" décisif. Ce jour-là le prolétariat français replacera le peuple français à la place d'honneur qu'il doit occuper dans la grande famille des nations du globe, place d'honneur qui lui reviendra par sa contribution importante à la libération définitive du genre humain, à l'établissement de la société socialiste !"
Nous reproduisons ci-dessous un tract diffusé par des camarades indochinois :
La répression s'abat à l'heure présente sur l'ensemble des tirailleurs indochinois encasernés en France. Travailleurs français, vous vous êtes sans doute demandé la raison des mesures terroristes des hommes des trusts ? Quel est donc le crime des tirailleurs qu'on désarme, qu'on emprisonne par centaines, qu'on charge à la baïonnette et qu'on fusille ?
Ils ont débarqué en France il y a six ans, venus des coins les plus reculés d'Indochine. On les a armés et poussés au front comme du bétail. Pourquoi se battaient-ils ? On exigeait seulement d'eux qu'ils se fassent tuer. Les survivants ont connu les stalags et le travail sans salaire dans l'organisation Todt.
Sortis des stalags, nous n'avons pas eu les mêmes droits que les autres prisonniers (pas de prime de libération, par exemple). Nous avons demandé au gouvernement de nous démobiliser (ayant connu sept ans de caserne, certains d'entre nous huit et neuf ans de service militaire) et de nous orienter vers les centres de formation et de rééducation professionnels.
On nous a en réponse enrégimentés à nouveau, même les malades, nous faisant travailler pour les patrons français (dans les forêts, salineries, etc...), avec un salaire de 2 frs. par jour. Bien plus on veut nous forcer à entrer dans le corps expéditionnaire pour aller combattre nos frères au pays.
Nous avons demandé au Général Leclerc de nous épargner pareille besogne : on nous a mis dans des camps disciplinaires à Entraigues (Vaucluse), en nous enlevant tous nos effets et en nous privant de nourriture.
Tout cela pour n'avoir pas voulu être infâmes en faisant la guerre à nos familles.
Le 18 octobre dernier, nous avons fait, avec nos compatriotes travailleurs, la grève de la faim pour protester contre l'embarquement de force de nos camarades à Marseille, contre la guerre en Indochine et contre l'arrestation arbitraire des membres de la délégation générale des Indochinois (notre organisation représentative en France). Partout nous avons rencontré la sympathie des travailleurs français – tandis que les officiers colonialistes arrêtent plus de 300 des nôtres et jettent sur nous, désarmés, les gardes-mobiles armés de baïonnettes, comme à Agen où une trentaine d'anciens prisonniers de guerre indochinois furent grièvement blessés.
Les tirailleurs répartis dans les régions de Strasbourg, Mulhouse, Aix-en-Provence, Agen, La Rochelle, Arles, Montpellier ont rendu leurs galons aux bourreaux et gardes-chiourme, demandant la libération de tous leurs camarades arrêtés. Ou alors que l'on interne comme prisonniers de guerre, les 8.000 tirailleurs indochinois !
Car ils estiment que leurs camarades n'ont fait que leur devoir. Ils vous demandent de les soutenir. Ce n'est pas dans des pays éloignés et étrangers que se passent ces choses, c'est ici, en France même.
Par leurs mesures terroristes, les colonialistes veulent faire de nous une machine à répression, bonne contre quiconque ; demain, on tentera d'utiliser contre vous ces tirailleurs : en les défendant aujourd'hui, vous vous défendez vous-mêmes.
Montrez en nous soutenant par tous les moyens en votre pouvoir, que vous n'aiderez pas les crimes des colonialistes et des hommes des trusts. Partout localement, syndicalement et politiquement, aidez-nous à obtenir sans attendre :
LA LIBERATION
DE TOUS LES TIRAILLEURS ARRETES.
LA DEMOBILISATION ET LA TRANSFORMATION EN
TRAVAILLEURS DE TOUS LES TIRAILLEURS.
L'OCTROI AUX TIRAILLEURS DES MEMES AVANTAGES
QUE CEUX AUXQUELS ONT DROIT LES AUTRES PRISONNIERS DE GUERRE, LEUR INSCRIPTION
DANS LES CENTRES DE REEDUCATION ET D'APPRENTISSAGE PROFESSIONNELS.
Les Tirailleurs Indochinois en France
Nous reproduisons ci-dessous le tract diffusé par notre organisation dans une usine parisienne au sujet de l'attitude des chefs staliniens à l'égard des vendeurs de notre presse.
Il révèle que maintenant, non seulement leurs méthodes de gangsters rencontrent une ferme opposition de la part de militants révolutionnaires, mais également une opposition croissante de la part des travailleurs.
Camarades,
Suivant aveuglément les directives de leur Parti, des ouvriers inconscients avaient molesté devant l'usine... un ouvrier et une camarade femme qui vendaient La Lutte de Classes (IVème Internationale) et avaient essayé de leur arracher les journaux pour empêcher la vente. Un ouvrier qui avait acheté le journal fut pris à partie par plusieurs et frappé.
Ayant décidé, devant un tel comportement, un retour pour une vente le lendemain, cette vente s'est effectuée, malgré ceux qui parmi les membres du Parti stalinien acceptent de faire la besogne des fascistes, et qui n'ont pas osé intervenir malgré leur nombre, se doutant que cette fois ils n'auraient plus à faire seulement à une femme et à un camarade.
Ils ont reculé, mais voulant venger leur défaite, s'en sont pris à certains ouvriers isolés qui avaient acheté le journal ; on nous signale qu'un travailleur a été attaqué par quatre individus à la sortie de l'usine le soir même.
Menant une politique de capitulation à l'égard de la bourgeoisie, le Parti stalinien ne peut plus recourir qu'à ces méthodes indignes, pour essayer d'empêcher que les ouvriers entendent les critiques des tendances ouvrières révolutionnaires, et puissent juger qui représente la continuité de la politique de Lénine.
Peut-on croire ces gens-là quand ils disent qu'ils veulent empêcher notre vente parce que ce que nous disons est contre la classe ouvrière ? Est-ce qu'ils s'attaquent aux vendeurs de L'Aube et de L'Epoque ? L'Aube, organe du M.R.P. qui, pendant toute la campagne électorale était dénoncé par L'Huma comme la pire menace fasciste.
Croient-ils donc ces inconscients que ce qu'ils n'osent pas faire vis-à-vis des fascistes et des bourgeois, ils peuvent le faire impunément vis-à-vis d'ouvriers avancés sous des prétextes mensongers ?
Croient-ils donc que la classe ouvrière leur permettra longtemps, à eux qui en paroles prêchent l'unité, d'utiliser contre d'autres ouvriers des méthodes de gangstérisme ? Pensent-ils donc que des ouvriers prêts à mourir au service de leur classe vont reculer devant des énergumènes ?
Lorsque des jaunes ne veulent pas se soumettre à la discipline ouvrière, dans une grève, les ouvriers se chargent de les rappeler à l'ordre. Ne doivent-ils pas avec autant de raison rappeler à l'ordre ceux qui sabotent la démocratie prolétarienne.
Camarades militants et sympathisants du P.C.F., nous savons que la plupart d'entre vous repoussent de telles méthodes. C'est pourquoi nous vous demandons, ainsi qu'à tous les travailleurs, de ne pas vous laisser diviser et démoraliser par des méthodes fascistes que veulent introduire au sein de la classe ouvrière, des ralliés de la dernière heure et qui n'ont du communisme que l'étiquette.
Vive la Démocratie prolétarienne !
Union Communiste (IVème Internationale)
Lisez La Lutte de Classes. 11-12-45.
Après la diffusion de ce tract une nouvelle vente s'est déroulée sans incidents.
Dans d'autres endroits également, l'attitude des travailleurs et des propres membres du P.C.F. empêche les énergumènes staliniens d'utiliser la méthode favorite des "six-févriéristes" : le matraquage des ouvriers révolutionnaires.
Cette lutte pour la démocratie, nous sommes fermement décidés à la mener jusqu'au bout.
L'Union Communiste
Un communiqué de la C.G.T. dit au sujet
de la "nationalisation" du crédit par Pleven-De Gaulle :
"On ne saurait dire que le crédit est nationalisé
quand seulement quatre grands établissements de dépôts
sont nationalisés."
Par ailleurs le caractère purement capitaliste et anti-populaire des prétendues nationalisations se fait maintenant jour à travers tous les commentaires à leur sujet. C'est ainsi que Pleven déclare que "les banques d'affaires doivent rester indépendantes de l'Etat pour pouvoir continuer à exercer leurs activités principales, notamment à l'étranger" (c'est-à-dire leurs spéculations internationales).
La direction des quatre banques "nationalisées" reste aux mains des "inspecteurs des finances" (ce sont le directeur général de la Caisse Nationale du Crédit Agricole, le directeur du Crédit National, etc...). Pleven lui-même n'est-il pas un inspecteur des finances mandaté du Grand Capital !
Quant à leur nouvelle organisation, elle n'est, suivant un journal d'affaires, que "la consécration de la structure que ces institutions s'étaient elles-mêmes donnée" en tant que créditeurs de l'Etat, institutions de financement des émissions du Trésor. C'est-à-dire que les nouvelles mesures de contrôle bureaucratique et réactionnaire sont nécessaires pour faire face aux énormes dépenses anti-populaires de l'armement et des subventions. Car la guerre et la désorganisation économique ont poussé le capitalisme de monopoles dans la voie du capitalisme monopoleur d'Etat, c'est-à-dire de la protection militaire et étatique des capitalistes. Mais l'Etat lui-même est l'organisation de la classe dominante.
C'est pour cela que les pires charlatans sont ceux qui sèment l'illusion que d'une façon ou d'une autre ce sont l'Etat et son gouvernement actuels qui pourraient, ne fût-ce que graduellement, procéder à la mise au service du peuple des richesses et des moyens de production accaparés par les monopoleurs capitalistes ; ce sont ceux qui ne lient pas la question des nationalisations à la question du passage du pouvoir étatique des mains des exploiteurs aux mains des travailleurs (et qui en arrivent ainsi à faire passer un capitalisme monopoleur d'Etat – "bagne militaire pour les ouvriers" – comme une "étape progressive" et même du "socialisme", exactement à la manière de Hitler ou de Déat).
Car si un contrôle est nécessaire dans la désorganisation économique et financière actuelle, toute la question est de savoir quelle classe est contrôlée et quelle classe contrôle.
"Pour combattre sérieusement la désorganisation dans les finances et le krach financier certain, il n'est pas d'autre moyen que de rompre révolutionnairement avec les intérêts du capital et d'organiser un contrôle véritablement démocratique, c'est-à-dire "par en bas", contrôle des ouvriers et des paysans pauvres sur les capitalistes" : c'est ainsi que s'exprime Lénine dans la brochure La catastrophe imminente et les moyens de la conjurer, qui traite de la question des nationalisations du point de vue des masses laborieuses.
Or, il n'est actuellement pas dit le moindre mot, il n'est pas fait la moindre tentative dans ce sens. C'est un "oubli" tout à fait délibéré. Car pour établir un véritable contrôle de l'économie par en bas, il faudrait briser la résistance des capitalistes à travers l'action et la lutte ouvrière. C'est ainsi que la grève des fonctionnaires pouvait avoir pour objectif l'institution d'un contrôle sur les Banques par les petits employés et l'ouverture des livres de compte, comme l'ont exigé récemment les grévistes américains de la part du trust de la "General Motors".
Mais les dirigeants actuels de la classe ouvrière sont contre la lutte gréviste et pour la collaboration avec les Inspecteurs des finances. Il s'ensuit que dans leur bouche les nationalisations ne sont que tromperie. Comme le disait déjà le programme de la IVème Internationale au sujet des "nationalisations" de 1937 : "nous prévenons les masses contre les charlatans du Front populaire qui, proposant la nationalisation en paroles, restent en faits les agents du Capital".
Lors de chaque grève et action ouvrière importantes, les travailleurs doivent donc tendre à établir leur propre contrôle sur la production et la comptabilité, et poser comme un de leurs principaux objectifs le contrôle ouvrier à travers des Comités d'usine élus, seul moyen pour aboutir à de véritables nationalisations en faveur du peuple.
– Le camarade me dit que le Parti Socialiste discrédite le socialisme en faisant croire aux ouvriers que les mesures de nationalisation du gouvernement sont du socialisme ; le véritable socialisme serait la nationalisation de toutes les Banques.
– Je lui fais remarquer que cela ne serait pas du socialisme, mais seulement une mesure vers le socialisme.
– Le camarade me dit que la nationalisation des usines aussi est insuffisante et qu'on devrait la généraliser.
– Je lui demande s'il trouve que ces nationalisations devraient être faites de la même manière qu'elles se font maintenant ?
– Il me répond qu'il ne faut pas être trop exigeant, que le fait de nationaliser est déjà un pas en avant, très important, obtenu grâce à l'action efficace des représentants ouvriers qui veillent à ce qu'elles soient le plus possible conformes aux intérêts du pays.
– Je lui dis que ce que le pays réclame ce n'est pas la nationalisation en paroles, mais en faits, c'est-à-dire la confiscation au profit de la nation, et non la reprise des entreprises en continuant à payer des intérêts aux actionnaires.
– Il me répond que dans les usines nationalisées les ouvriers ne se trouveront plus en face du sabotage de la production et qu'au moins ici le mot d'ordre de la production pourra être appliqué.
– Je lui demande qu'est-ce qui empêcherait le directeur d'une usine nationalisée de saboter si c'est ça l'intérêt des capitalistes ?
– Naturellement, me dit le camarade, un tas de difficultés surgissent qu'il faut résoudre. Les capitalistes sont forts, mais ils tremblent quand même en ce moment.
– Je lui fais remarquer qu'au gouvernement se trouvent également des M.R.P. représentants de la droite et s'il y avait quelque chose à redouter, on les entendrait brailler. Or, ils se taisent et même ils approuvent.
– Le camarade réfléchit, puis il me dit : la France a voté, il se trouve qu'il y a au gouvernement des représentants de la bourgeoisie, nous devons les accepter si nous voulons avoir un gouvernement à l'image de la nation ; le vote a montré nettement une tendance à gauche, mais nous ne sommes pas en régime socialiste, nos représentants font ce qu'ils peuvent et nous devons les aider en signalant les abus.
– Je lui demande pourquoi alors ne forment-ils pas des Comités d'usine,
qui exerceraient justement ce contrôle ?
Le camarade ne répond pas. Alors j'ajoute : tu me disais que le gouvernement
devait être à l'image de la nation ; puisque tu es au P.C. tu
dois savoir que cette image est celle de la lutte de classes. Or, au gouvernement
tout le monde a l'air de bien s'entendre.
– Le camarade se met à rire et me dit qu'il ne voit pas Pleven et Thorez en venir aux mains ! Puis il ajoute : pourquoi ne viens-tu pas au P.C., tu pourrais t'expliquer, nous manquons de jeunes qui cherchent à discuter.
– Je lui réponds que malheureusement c'est parce que j'y suis déjà allé que je n'y retourne plus et que ce que j'y ai entendu n'a fait que confirmer mes doutes.
Article paru dans La Lutte de Classes du 11 juillet 1945 (N° 49) sous le titre "Les deux bouts d'un même bâton."
News Chronicle rappelle la destruction des villages de Bekassi près de Batavia et le Tabang, à Sumatra, où plus de mille maisons indigènes ont été incendiées.
Aujourd'hui, écrit le rédacteur en chef du News Chronicle, de semblables violences sont appliquées en Indochine française, où le village de Basna, à cent kilomètres au nord de la gare de Dalat, a été bombardé par des "Spitfire", à la demande "pressante" du général Leclerc. (Huma, 16-12-45).