1947 |
Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! – LA LUTTE de CLASSES – Organe de l'Union Communiste (Trotskyste) n° 84 – 5ème année – bimensuel (B.I.) le n° 3 francs |
LA LUTTE DE CLASSES nº 84
15 février 1947
Benoît Frachon a écrit une série d'articles leaders dans L'Humanité en faveur du MINIMUM VITAL. Mais comme Benoît Frachon est le représentant officiel de la C.G.T., il est nécessaire d'examiner de près ses arguments ; personne n'ignore, en effet, qu'il est certaines façons de défendre une cause qui peuvent lui être davantage nuisibles que favorables.
Tout d'abord, pourquoi la revendication du minimum vital ?
Avant la guerre, grâce à la surexploitation des colonies, la majorité de la classe ouvrière et des classes laborieuses en général pouvait non seulement manger à sa faim, s'habiller, s'acheter quelques produits de "luxe", mais pouvait dans une certaine mesure épargner, mettre de côté pour les "vieux jours". En un mot, la majorité de la classe ouvrière possédait non seulement le minimum vital, mais dans une très faible mesure, quelques miettes de superflu -bien entendu, PAR RAPPORT AUX NECESSITES IMMEDIATES, NULLEMENT PAR RAPPORT A LA PUISSANCE TECHNIQUE ACQUISE PAR L'HOMME SUR LA NATURE. De ce dernier point de vue, le prolétaire avait tout un monde à gagner.
La deuxième guerre impérialiste mondiale, en ruinant presque tous les pays, sauf les Etats-Unis, a condamné même la classe ouvrière des pays autrefois "riches" à la sous-alimentation, donc à la ruine physique et intellectuelle.
LE MINIMUM VITAL exprime la volonté de la classe ouvrière de recevoir en échange d'un labeur qui crée toutes les richesses, et dont le fruit est dissipé par ceux qui ne travaillent pas, "UN SALAIRE QUI LUI PERMETTE AU MOINS DE NE PAS AVOIR LA SENSATION DE LA FAIM, DU DENUEMENT, DE NE PAS TOMBER MALADE, DE SE SENTIR HOMME, NE FUT-CE QU'UN JOUR PAR SEMAINE" (Lutte de Classes, n°83).
Or, Frachon dit : "...L'ANALYSE TECHNIQUE DU PROBLEME NOUS AVAIT DONNE LE CHIFFRE DE 103.000 FRANCS QUE NOUS AVONS RAMENE A 84.000 EN TENANT COMPTE DES SACRIFICES QUE CHACUN DOIT FAIRE POUR LA RECONSTRUCTION." En réalité, sous couleur de défendre le minimum vital, pour lequel luttent actuellement TOUTES les catégories de salariés, Frachon, représentant officiel de la C.G.T., le condamne formellement.
Si TECHNIQUEMENT (c'est-à-dire EN CALCULANT LA QUANTITE DE BIENS NECESSAIRES A LA REPRODUCTION NORMALE DE LA FORCE DE TRAVAIL DE L'OUVRIER) les dirigeants syndicaux reconnaissent que c'est 103.000 francs qui constituent le minimum vital, sur la base de l'indice des prix en novembre, réduire ce chiffre de 20% en dessous, à 84.000 francs, c'est donner un contenu PATRONAL à la notion du minimum vital.
Par minimum vital, en effet, le patronat entend non pas la reproduction intégrale de la force de travail dépensée par l'ouvrier, mais ce qu'il faut à l'ouvrier pour qu'il ne meure pas : EN CE SENS, ON PEUT DIRE QU'IL Y A LE MINIMUM VITAL DANS LES PRISONS ET DANS LES BAGNES, où les condamnés accomplissent leur temps de peine. Et un ouvrier d'usine peut aussi "vivre" AU DETRIMENT DE SA SUBSTANCE, et mourir non pas à 75 ou 80 ans comme les représentants bien nourris de la bourgeoisie, mais à 40 ou 50 ans. Le minimum vital conçu de cette manière n'est plus un minimum déterminé scientifiquement, mais, comme le dit Frachon, d'après les "SACRIFICES QUE CHACUN DOIT FAIRE POUR LA RECONSTRUCTION".
Pour Frachon, qui écrit : "NOUS NE SOMMES PAS ASSEZ SOTS POUR TRAITER DES RAPPORTS DE CLASSES DE LA MEME FAÇON QU'ON LES TRAITAIT IL Y A UN SIECLE" -il n'y aurait donc plus d'exploiteurs et d'exploités. Nous faisons tous partie d'une seule grande famille (les 200 familles probablement), où les riches ne doivent pas être trop égoïstes, ni les pauvres trop exigeants. Frachon donne l'exemple -lui qui a accès auprès des riches et de la richesse- et sacrifie, dans la revendication officielle de la C.G.T., SANS AVOIR CONSULTE D'AUCUNE FAÇON LA MASSE DES OUVRIERS, 20% DE CE QUI EST VITAL AUX TRAVAILLEURS POUR VIVRE.
Mais sur quoi se sont basés Frachon et ses complices, pour estimer à 20% le sacrifice de substance vitale que les travailleurs doivent faire aux parents riches, les 200 familles ? Pourquoi ceux-ci ne traiteraient-ils pas cette revendication de démagogique, puisque le critère scientifique a disparu ? Pourquoi n'exigeraient-ils pas 25, 30% ? Frachon leur en donne le droit. Il suffit qu'ils démontrent qu'ils "NE PEUVENT PAS", qu'ils sont en train de "BAISSER LES PRIX" (sic) etc...
Quels sacrifices peuvent faire les patrons qui vivent de l'exploitation des ouvriers, et dont la ri-chesse n'est pas le fruit de l'épargne, du travail et du mérite personnels, MAIS DU TRAVAIL NON PAYE SOUSTRAIT AUX OUVRIERS ? C'EST DE LEUR IMPOSER LE MINIMUM VITAL DES OUVRIERS, EN REDUISANT LEUR MARGE DE BENEFICES.
Frachon n'est pas "ASSEZ SOT" pour traiter des rapports de classes de la même façon qu'il y a un siècle, c'est-à-dire au temps de Marx, et de la libre concurrence. Mais il est trop pourri pour poser les problèmes comme on doit les poser à l'époque impérialiste, où les grands trusts et monopoles écrasent les travailleurs, et imposent une lutte de classe cent fois plus intense. Il se réfugie, lui, dans le "socialisme", D'AVANT MARX, et au lieu de représenter la classe ouvrière révolutionnaire, il se fait "L'AVOCAT DES PAUVRES" auprès des classes dominantes. Il est ainsi leur serviteur ; car quel est le socialiste, l'ouvrier éduqué, qui ne sache que, si la classe ouvrière n'a pas réussi à renverser les capitalistes et à s'émanciper, c'est parce qu'elle s'est heurtée non seulement à la force organisée de la classe capitaliste, mais aux préjugés inculqués par celle-ci aux ouvriers ?
La fable des "sacrifices communs" des milliardaires parasites et du travailleur-producteur vaut-elle mieux que celle qui fait croire à tant d'ouvriers arriérés que sans les riches il n'y aurait ni travail ni pain ?
Frachon ne répond aux arguments des patrons sur les "revendications qui mettent en danger le relèvement économique" que par le pauvre argument des "sacrifices communs". Mais pour cela les ouvriers n'ont pas besoin de représentants syndicaux, n'importe quel bourgeois "éclairé" peut en dire autant.
En réalité, l'argumentation de Frachon met en danger le minimum vital parce qu'elle cache ce qu'il y a d'essentiel dans cette revendication non seulement pour les travailleurs, MAIS POUR TOUTES LES COUCHES SOCIALES.
Car, quel est l'élément essentiel de la reconstruction si ce n'est la main-d'oeuvre ? Même des économistes bourgeois sont obligés, quand ils veulent poser sérieusement le problème, de reconnaître que... "DE TOUS LES FACTEURS DE LA PRODUCTION, LE PLUS IMPORTANT N'EST-IL PAS LE FACTEUR HUMAIN, MEME A S'EN TENIR AU POINT DE VUE STRICTEMENT ECONOMIQUE ?" (Monde, 29-12-46). Et quels sont les problèmes de la main-d'oeuvre, si ce n'est ceux du logement, de la nourriture, de la qualification, c'est-à-dire en fin de compte le problème du minimum vital ? Peut-on transformer des ouvriers sous-alimentés en ouvriers qualifiés ? Le problème de la main-d'oeuvre, dont l'économie souffre, n'est pas numérique, puisqu'à côté du manque de main-d'oeuvre subsiste le chômage et tant d'inutiles.
La classe ouvrière n'a pas besoin d'un "avocat des pauvres" ; elle ne mendie pas un morceau de pain ; elle REVENDIQUE, parce que de ses revendications et de son sort dépend le sort de toute la société.
La gravité de la crise charbonnière qui vient d'affecter sérieusement en Angleterre le fonctionnement des industries, et fait subir des restrictions à environ 25 millions d'habitants -on compte 4 ou 5 millions de chômeurs- dévoile l'impudence sans borne de ceux qui, pour cacher leurs responsabilités et la véritable origine de la stagnation économique en France, attribuent celle-ci à la "politique anglaise qui nous prive du charbon de la Ruhr".
Combien il est commode de donner le change aux classes laborieuses qui ont tant souffert de la guerre et qui ne voient pas d'amélioration à la situation, par ce prétexte facile : les Anglais qui occupent la Ruhr ne nous donnent pas le charbon indispensable à notre économie. Voilà ce qui nous paralyse.
Mais voilà que l'Angleterre, qui contrôle ce fameux charbon, et qui est elle-même grande productrice de charbon, se trouve aussi paralysée.
En fait, le monde entier souffre de cette crise économique. Si en Angleterre et aux Etats-Unis (bien qu'ici ce soit d'une autre façon), elle est encore au stade des "restrictions", ailleurs elle produit la mort par le froid et la famine.
"Par manque de charbon, le dernier haut-fourneau a été éteint à la fin de la semaine dernière", en Autriche. "La pénurie de charbon cause une épidémie d'influenza", en Pologne (productrice de charbon). "En raison de la grave pénurie de charbon, plus de 80% des usines du Wurtemberg-Bade (Allemagne) ont reçu l'ordre de fermer à partir du 10 février" (malgré le charbon de la Ruhr !). "En plein coeur de l'Europe occidentale, 20 à 30 millions d'êtres humains dépérissent sous nos yeux", déclare un M. Richard Law. Et ailleurs ? En Espagne, en Italie, en Europe centrale et orientale ? Une mortalité de 100% pour les bébés sévit dans certaines régions de la Roumanie, productrice de blé et frappée par la famine. Les sources de la richesse sont partout taries.
L'impudence des classes dirigeantes qui veulent cacher leurs responsabilités dans la situation effroyable où se trouvent aujourd'hui les peuples est sans borne, car, malgré les catastrophes provoquées par leur politique chauvine, partout elles s'efforcent de maintenir leur domination par une politique qui place le bien-être d'un peuple donné dans l'exploitation d'un autre peuple.
Pendant la guerre de 14-18, la "grande idée" de la bourgeoisie française était : "le Boche paiera". Après la défaite de l'Allemagne en 1945, un autre représentant de la "grandeur" de la bourgeoisie, De Gaulle, revendiqua le détachement de la région industrielle de la Ruhr, de l'Allemagne. C'est ce changement sur la carte de l'Europe que les représentants de la bourgeoisie assignaient au peuple laborieux de France comme but de ses efforts et de ses souffrances, de son sang versé depuis six ans !
C'est là toute la science politique de la bourgeoisie qui en réalité défend ainsi ses privilèges de classe et sa part dans le partage des richesses du globe, sans aucun autre avantage pour la classe ouvrière que de donner son sang et sa sueur pour la grandeur de la bourgeoisie.
M. Courtade, de L'Humanité, qui, dans son rôle d'endormeur et d'empoisonneur de la conscience des travailleurs en France, fait partie du choeur des journalistes revendiquant "notre part dans le charbon de la Ruhr", sait cependant mettre le doigt sur la plaie... quand il s'agit de l'Angleterre (du "bloc occidental"). En quelques phrases, tout est dit :
"Enfin et surtout, la crise qui bouleverse la Grande-Bretagne est la démonstration la plus éclatante qu'il est vain de prétendre mener de front une politique intérieure progressiste et une politique extérieure impérialiste.
"Si l'Angleterre a été incapable d'effectuer à temps et d'une façon satisfaisante la "reconversion", c'est-à-dire le passage de l'industrie de guerre à l'industrie de paix, la faute en revient principalement à M. Bevin.
"La Grande-Bretagne ne pouvait à la fois maintenir 1.500.000 hommes sous les drapeaux et reconstruire ses usines, moderniser un matériel vétuste, augmenter ses exportations.
"Bevin espérait escamoter la difficulté avec l'aide des Américains, mais il s'est aperçu trop tard que le "libéralisme" économique des Etats-Unis était une légende et qu'à ce régime l'Angleterre devenait de plus en plus tributaire de l'Amérique." (Humanité du 12-2-47).
Malheureusement, en ce qui concerne la France, Courtade reste frappé de cécité ; pour lui probablement, la bourgeoisie française ne mène pas une politique impérialiste, elle n'a pas de troupes mobilisées et un budget extraordinaire d'inflation, elle ne mène pas de guerre en Indochine (avec le ministre de la Défense Nationale Billoux et le vice-président Thorez). Si elle n'effectue pas la "reconversion" et ne reconstruit pas des usines et des maisons... c'est parce que les Anglais ne nous donnent pas le charbon de la Ruhr.
Mais avant que les capitalistes qui prétendent exploiter l'Allemagne pour leurs intérêts privés ne se l'approprient, il faudrait qu'il existe, ce charbon, et que sa production ne soit pas handicapée, comme en Angleterre, par le manque de main-d'oeuvre, le manque de machines, la politique impérialiste. Ainsi, le gouvernement français, qui réclame le charbon de la Ruhr, veut retenir sous une forme ou sous une autre les prisonniers allemands dans les mines françaises ; mais les ouvriers qui travailleront ici ne peuvent pas travailler en même temps en Allemagne.
La guerre et le capitalisme ont tari les richesses et désorganisé l'économie. Pour panser les blessures de la guerre, les peuples ont besoin d'une politique démocratique qui n'est pas et ne peut être celle des dirigeants actuels, de quelque pays que ce soit.
Car pour relever la production et les peuples de tous les pays de leurs ruines, il faut arrêter les fabrications de guerre, produire selon les besoins des masses, retirer les troupes d'occupation et les corps expéditionnaires, démobiliser les hommes, libérer les prisonniers, établir des échanges démocratiques entre les peuples.
Et c'est parce que cette politique ne peut se faire qu'à condition de renverser la bourgeoisie, que ses bourreurs de crâne essaient de nous en détourner en nous jetant en pâture "le Boche" et en criant : "Il nous faut le charbon de la Ruhr."
GAUTHIER
L'attitude "antifasciste" des impérialistes "démocratiques" vis-à-vis de Hitler en 1938 -la période de Munich- est suffisamment connue par les travailleurs. Munich, c'était un essai d'entente avec Hitler – si seulement les intérêts impérialistes de la France et de l'Angleterre avaient pu se concilier avec ceux de l'Allemagne. Dans le but de cette entente, les gouvernements français et anglais participèrent à l'anéantissement de la Tchécoslovaquie.
Mais grâce à la propagande stalinienne, la majorité des travailleurs ignore que, dès 1933, Trotsky avait préconisé une guerre révolutionnaire de l'U.R.S.S. contre Hitler, appuyée sur le prolétariat mondial. Dans cette phase antérieure, après la prise du pouvoir, Hitler encore faible, avait besoin, pour consolider son pouvoir contre les travailleurs allemands et pour procéder au réarmement, d'un délai de quelques années. L'article de L. Trotsky que nous reproduisons ici, écrit en 1933, démasquait justement au monde, et avant tout à la classe ouvrière, les plans de Hitler et les raisons de son pacifisme, étape de préparation à la guerre.
Hitler le Pacifiste de L. Trotsky. Publié à l'origine dans La Vérité (organe de la Ligue communiste internationaliste) du 8 décembre 1933.
Du point de vue diplomatique, la situation de 1933 n'est en aucune façon semblable à la situation actuelle. Hitler vaincu, c'est l'antagonisme entre les Etats-Unis et l'Angleterre d'une part, et l'U.R.S.S. d'autre part, qui domine la politique mondiale.
Mais actuellement l'impérialisme américain utilise lui aussi la phraséologie pacifiste pour camoufler son véritable visage. Ce "pacifisme" n'est pas dû, comme celui de Hitler en 1933, à la faiblesse de l'impérialisme américain, pour gagner du temps ; il doit au contraire cacher au monde l'imminence de la guerre, résultant de l'immensité même de l'effort d'armement que poursuit le profiteur américain de la guerre de 1939-45.
Il y a à peine quelques mois, au moment des expériences de Bikini, de l'envoi des bateaux de guerre en Méditerranée, le langage soudainement brutal de la diplomatie des Etats-Unis, avait suscité la méfiance et l'inquiétude des masses populaires de tous les pays. C'est pour cela qu'aujourd'hui l'avant-scène est à nouveau occupée par des conférences de paix, des déclarations d'entente et d'amitié. L'impérialisme américain a repris son masque habituel de "grande puissance pacifique" qui ne fera la guerre que pour mieux "préserver la paix"...
La Rédaction
A propos de la grève des employés de la presse, M. Bourdan, ministre de l'Information, dit dans un communiqué : "...le gouvernement ne saurait envisager présentement de modifier sa politique des salaires et des prix. Les seules dérogations possibles concernent les rajustements prévus par l'arrêté du 25 juillet 1946 et le relèvement de certains salaires anormalement bas. "
Aux ouvriers en lutte pour le minimum vital, aux employés, aux fonctionnaires en grève pour reconquérir un niveau de vie plus digne, la bourgeoisie répond : "Sion vous accorde le minimum vital, il faudra augmenter tout le monde pour maintenir la hiérarchie des salaires. C'est impossible. Seuls certains salaires anormalement bas pourront être relevés. "
Mais alors, faut-il considérer comme "salaires anormalement bas" l'indemnité des parlementaires - qui vient d'être portée à 640.000 fr. - ou le traitement des hauts fonctionnaires qui, à un salaire de 500.000 fr. ajoutent maintenant un acompte provisionnel de 180.000 francs ?
Le prétexte invoqué pour refuser toute augmentation à la grande masse des salariés est ainsi réduit à néant par ceux-là mêmes qui le mettent en avant. "L'éventail des salaires commence à se rouvrir", constate Le Monde. Au profit de qui ? Certes pas pour l'ouvrier qualifié, l'employé ou le technicien à 11.000 francs par mois. Alors que tous les salariés voient leurs conditions d'existence se réduire à un niveau de misère plus ou moins grande, le fossé se creuse tous les jours plus profond entre eux et les gros serviteurs de la bourgeoisie.
C'est cela que Le Monde appelle "rouvrir l'éventail". Sur la base de l'inflation, la véritable hiérarchie commence maintenant très haut. Et cette hiérarchie, la bourgeoisie la maintient elle-même avec beaucoup de soin et de souci.
Pour toutes les autres catégories anciennement "privilégiées" de la classe ouvrière et les petits fonctionnaires, elle est plutôt illusoire, parce qu'aucune catégorie n'arrive à joindre les deux bouts. Et même sous des dehors de défense d'avantages professionnels, il n'y a maintenant que la lutte pour le salaire vital pour toutes les catégories. C'est une seule et même lutte pour tous.
Car la hiérarchie des salaires établie aujourd'hui au sein de la classe ouvrière n'est plus qu'une hiérarchie de la misère. Malgré la "baisse", l'inflation suit son cours (400 milliards de déficit dans le nouveau budget) pour rejeter sur le dos des masses, de tous les travailleurs, les conséquences de la guerre et de la concurrence capitaliste.
Le problème fondamental est donc celui du pouvoir d'achat des masses vis-à-vis de celui de la bourgeoisie, des riches. Pour que les techniciens, ou d'autres catégories "privilégiées" de la hiérarchie des salaires puissent avoir un salaire justifié par leur qualification technique et que celui-ci soit réel, il faut assurer le pouvoir d'achat des masses contre celui de la bourgeoisie : c'est-à-dire conquérir dans une lutte d'ensemble le salaire minimum vital garanti par l'échelle mobile.
Du moment qu'au-dessus de leurs différences de catégories, la même question se pose pour tous les salariés, l'efficacité du résultat ne peut être que dans l'unification de toutes leurs luttes.
Pourquoi alors les dirigeants syndicaux veulentils laisser un caractère corporatif à des luttes qui n'ont rien de corporatif ? Pourquoi ne font-ils pas appel aux autres catégories ? Chaque catégorie de syndiqués mène la bagarre pour soi-même (rotativistes, fonctionnaires, cheminots, dockers, etc.) pour des revendications diverses, alors que simultanément et pour tous se pose le même problème.
Les luttes menées isolément condamnent la classe ouvrière à l'éparpillement de son énergie, alors que l'heure est au combat simultané et unifié. Pour les travailleurs de chaque usine et de chaque corporation, le gage d'un résultat favorable à leurs revendications est de frapper ensemble sur le même clou, en même temps. Lors de chaque mouvement, c'est dans ce sens qu'il faut agir et faire pression sur les dirigeants syndicaux, c'est-à-dire : populariser ce mouvement, et en lui donnant un objectif commun à tous, faire appel à la solidarité de tous les travailleurs.
Un correspondant du Monde en Espagne essaie "d'éclairer certains aspects" de la situation actuelle de l'Espagne "vus du côté espagnol, par le peuple espagnol". Et il est amené à caractériser ainsi cette situation : "Ce qui manifeste d'ailleurs le plus l'inégalité propre à la situation actuelle, c'est que l'insuffisance du ravitaillement officiel affame les uns tout en laissant les autres - les privilégiés de la fortune - se partager dans le luxe les produits dont la masse est sevrée."
Après nous avoir longuement et clairement expliqué, à l'aide d'un exemple, que "ce dont le peuple s'irrite le plus, c'est que cette huile, dont l'Espagne fut de tout temps si grande productrice, aille à l'étranger, - il ajoute que - comme les fruits de cet échange n'arrivent évidemment jamais sur la table de l'ouvrier, cet ouvrier reste fermé à toute compréhension des besoins de son pays en devises étrangères. Surtout lorsqu'il soupçonne, à tort ou à raison, que ces devises servent à l'usage exclusif de mystérieux privilégiés". (Le Monde, 5-2).
De son côté, L'Humanité ne se montre ni moins objective, ni moins pessimiste vis-à-vis de l'Angleterre qui se heurte, elle aussi, à de terribles difficultés économiques : "Aucun plan d'ensemble n'a été appliqué pour organiser la production suivant les besoins du pays ; les "nationalisations" elles-mêmes laissent fort à désirer".
Mais dès qu'il s'agit de la France, les mêmes événements n'ont plus du tout le même sens. Par exemple, si l'ouvrier français n'a ni beurre ni vin sur sa table, il faut qu'il comprenne que ces deux denrées ont été exportées pour fournir des devises à la nation (sic), pour relever le franc... et autres attrape-nigauds de ce genre. "Se serrer la ceinture" toujours davantage, c'est "sa part de sacrifices". Il n'a pas à considérer ceux qui vivent dans l'opulence. Il n'a qu'à faire son devoir de bon Français pour relever son pays. Et ceux qui prétendent le contraire sont des démagogues.
C'est ainsi que la bourgeoisie s'exprime quand il s'agit du peuple qu'elle opprime directement pour la satisfaction de ses besoins personnels. Ce qu'elle fait, c'est bien, c'est juste, du moment que cela sert ses intérêts. Mais qu'en pensent les travailleurs ?
DAN
Une armée de techniciens et de journalistes est actuellement à l'oeuvre pour donner des solutions aux nombreux problèmes économiques. On pourrait penser qu'ils sont en train de calculer les besoins en chaussures, vêtements, logements, etc..., de la population - qu'ils établissent combien d'usines devront fabriquer des chaussures, combien fabriqueront des machines agricoles, combien fabriqueront des casseroles, etc..., suivant les besoins de la consommation. Mais pas du tout ! Les savants calculs de ces messieurs ont seulement pour but d'apprendre aux travailleurs l'art de "se serrer la ceinture" et de les persuader que toute revendication de leur part serait pure folie et ne provoquerait que des catastrophes. Il ne faut pas se lancer dans des "cercles infernaux" ; il faut croire en la "mystique" ; et pour pouvoir "espérer", il faut aujourd'hui être sobre et avoir l'esprit de "sacrifices"...
Quelle dérision dans un régime où luxe et spéculation s'étalent au grand jour ! Mais ces messieurs sont au service du grand capital spécialement pour remplir cette tâche, comme le disait déjà Marx : "Les représentants scientifiques de la richesse, les économistes, ont propagé dans ces deux pays (France et Angleterre) une compréhension très détaillée de la misère physique et morale de la pauvreté. En échange, ils ont prouvé qu'il faut admettre cette misère, parce qu'on ne peut pas changer l'état de choses actuel. Et, dans leur sollicitude, ils ont même calculé dans quelle proportion la pauvreté doit décimer les siens, dans leur propre intérêt et dans l'intérêt de la richesse."
Or, en 1947, alors que l'économie planifiée a déjà fait ses preuves en U.R.S.S., alors que l'énergie atomique ouvre à l'homme des possibilités techniques extraordinaires, alors que l'humanité entière pourrait vivre dans l'abondance et le confort, une minorité de capitalistes est en train de calculer combien d'individus elle doit sacrifier pour maintenir son standard de vie, relativement élevé par rapport à celui de la majorité, mais bas par rapport au niveau que celui-ci pourrait atteindre pour tout l'humanité.
LA LUTTE POUR LA DEMOCRATIE
(extrait de La Voix des Travailleurs chez Renault)
La semaine dernière, des ouvriers du secteur Collas ont lancé une liste de pétition pour protester contre la mauvaise répartition de la prime de production, dont la conclusion était : qu'ils mandataient les délégués ouvriers pour intervenir auprès du Comité d'entreprise. Dès le second jour, dans le secteur Collas seul, cette liste recueillait 850 signatures. D'autres listes sont encore en circulation, ce qui signifie que cette protestation recueillait l'approbation de la grosse majorité des ouvriers. En effet, qui n'a pas été indigné de ce que ce soit toujours les mêmes qui profitent des augmentations, qui n'a pas été indigné de ce que ce soit les IMPRODUCTIFS qui reçoivent la plus grosse part de la prime de PRODUCTION.
Néanmoins, un fait aussi minime que la protestation des ouvriers contre une décision de leurs responsables, prise sans les consulter, a donné lieu à des incidents et à des conflits à première vue surprenants. C'est ainsi que des responsables syndicaux ont tenté de faire disparaître des listes et ont menacé de représailles des camarades qui les faisaient circuler. Le motif invoqué en général fut qu'en se montrant hostile aux décisions des dirigeants, on semait la division. A-t-on oui ou non le droit d'avoir une opinion à soi et de l'exprimer ?
Nous, en tant qu'ouvriers, nous avons décidé de discuter, au moyen de ce bulletin, quelle est l'attitude qu'on doit avoir ; nous voulons opposer la conception de la majorité des ouvriers prise sur le vif, à ceux qui prétendent avoir le secret du "bon point de vue", et qui n'hésitent pas, pour faire triompher ce point de vue, MEME QUAND IL EST EN CONTRADICTION AVEC L'OPINION DE LA MAJORITE DES OUVRIERS, à employer des procédés répugnants.
Un groupe d'ouvriers de la RNUR.
L'attitude anti-démocratique des responsables a été mise en échec par la solidarité des ouvriers qui ont imposé la circulation des listes, en défendant leurs camarades qui en avaient pris l'initiative ; devant cette détermination, certains responsables se sont solidarisés avec les ouvriers et des collecteurs ont décidé de ne plus collecter le timbre si aucune suite n'était donnée à cette pétition qui exprimait le sentiment de la majorité.
CHEZ BLOCH
A la suite d'une réunion syndicale qui avait eu lieu avant Noël, il avait été décidé que des délégués iraient à la direction demander une augmentation de 12 francs de l'heure. La direction remettait la réponse de semaine en semaine. Si bien que le 29 janvier, les ouvriers débrayèrent de 9 heures à 11 heures, et le soir à 17 heures ils obtenaient 8 francs de l'heure.
Un débrayage de deux heures a fait plier la direction de chez Bloch. Messieurs les dirigeants ouvriers viendront-ils nous
dire qu'actuellement toute grève fait le jeu du patron ?
L'OPINION DES OUVRIERES SUR LA GUERRE D'INDOCHINE.
DISCUSSION A L'USINE ALSTHOM
On a embauché dans l'usine deux jeunes ouvrières qui arrivent d'Indochine où leur père était colon et qui ont perdu tous leurs biens. Il n'est question que des horreurs commises par les Vietnamiens chez qui elles étaient prisonnières
Première ouvrière : – C'est horrible. Je n'aurais pas cru tout cela. Ainsi, ils massacrent tout le monde ?
Seconde ouvrière à l'une des "rescapées" : – Mais si c'est vrai qu'ils massacrent tout le monde, comment se fait-il que vous soyez ici saines et sauves ?
La "rescapée" : – Euh... nous avons été obligées de partir après qu'ils nous eurent relâchées. Ici, nous n'avons rien. Il faudrait que les Français envoient des avions en Indochine. C'est de cela qu'ils ont peur. Il ne part pas assez de soldats (une pause)... Nous pourrions retrouver nos biens. La vie était si belle, là-bas, avant !
Première ouvrière : – Mais, ces Vietnamiens, ce sont des rebelles ?
La "rescapée" : – Oui, avec des Japonais.
Première ouvrière : – Mais alors, les vrais indochinois ?
La "rescapée" : – Mais les Indochinois, ce sont les Vietnamiens. Ils sont tous rebelles.
Première ouvrière : – Alors, ils veulent tous qu'on s'en aille... C'est leur pays. Pourquoi y rester ?
Seconde ouvrière : – Parce qu'il y a des Français qui possèdent, là-bas, des fortunes, des biens, comme elle dit, et qui les perdraient si "on" s'en allait. C'est pour eux, pour sauver leurs "biens" qu'ils demandent aux jeunes ouvriers d'aller se faire tuer.
La "rescapée" : – Ce sont nos colonies. Nous les avons conquises. Nous les garderons.
Seconde ouvrière : – Nous ? Seulement, il n'y aura que vous qui en profiterez.
Troisième ouvrière : – En tout cas, moi, mon fiancé part. Je m'en fiche pas mal de l'Indochine. Pour ce que cela nous rapporte, ils feraient mieux de laisser les indochinois faire ce qu'ils veulent dans leur pays.