1947 |
PRIX : 3 francs – 20 AOÛT 1947 |
La Voix des Travailleurs Renault nº 15
20 août 1947
On a fait beaucoup de bruit, dans la presse et à la radio, autour du plan de détresse anglais. Et pour cause : on tenait à nous montrer que nous n'étions pas les seuls à être malheureux. Maintenant, en effet, l'Angleterre a son "plan de détresse" comme la France a déjà son "plan de relèvement".
Et quelles sont les mesures essentielles par lesquelles le gouvernement anglais entend sortir de ses difficultés économiques pour revenir à la belle époque de l'abondance et de la prospérité ? Les mêmes que celles qui doivent "relever" l'économie française délabrée. Aux mêmes maux, mêmes remèdes :
1° Augmentation de la durée de la journée de travail ; quoiqu'on sache parfaitement que plus les heures sont longues plus le rendement de l'ouvrier diminue.
2° Réduction des importations de denrées alimentaires, c'est-à-dire qu'il faudra se serrer la ceinture, manger moins en travaillant plus.
3° Accroissement des exportations : par exemple, l'Angleterre exportera désormais 4 autos, au lieu de 3, sur 5 fabriquées en tout. "Nous n'avons plus de dollars, donc nous sommes obligés d'exporter davantage pour nous en procurer."
4° Enfin la seule mesure qui ne lèse pas les petits : réduction des crédits militaires, principale source des dépenses de l'Etat (entretien des troupes d'occupation en Allemagne, Grèce, Palestine, etc...)
Malheureusement, en Angleterre comme en France, si les premières mesures sont entrées sans retard en vigueur, les auteurs du plan se sont aperçus, par contre, qu'il était impossible de comprimer le budget militaire. Et la 4e mesure, là-bas, comme ici, restera à l'état de projet comme témoin des voeux pieux de nos gouvernants.
Mais aussi excellent que soit le plan de détresse par ce qu'il contient, il l'est encore bien plus, comme plan de relèvement, par ce qu'il ne contient pas : pas d'impôt sur les gros revenus, pas de suppression de la rente versée aux gros actionnaires des industries nationalisées, pas de licenciements parmi les gros budgétivores militaires et civils, aucune mesure de contrainte sur les avoirs des capitalistes à l'étranger, aucune mesure de contrôle sur leur trafic international. On sait par exemple que les capitalistes français possèdent à Londres 50 milliards et, aux chiffres près, la réciproque est vraie.
Pendant la guerre, les capitalistes, en fabriquant des canons, se sont enrichis, tandis qu'ils ont vidé le peuple de sa substance et dilapidé le capital national. Aujourd'hui, ce qu'ils cherchent, ce n'est pas à reconstruire ce qu'ils ont détruit, mais à retrouver leurs marchés extérieurs en luttant de vitesse avec leurs concurrents. De là, leur souci d'exporter à tout prix, au détriment de tous les besoins de consommation de la population, et par une surexploitation accrue de la main-d'oeuvre.
Un tel plan mérite, en effet, le nom sincère que lui ont donné les Anglais. C'est bien un "plan de détresse"... de détresse du peuple. On peut, évidemment, l'appeler aussi "plan de relèvement"... de relèvement des capitalistes. En définitive, il n'a de plan que le nom, car tout ce qu'il contient de concret, c'est la recherche de mesures pour appauvrir encore le peuple au bénéfice du capital financier, tandis que les représentants de celui-ci au gouvernement s'évertuent à faire accepter ces mesures au peuple en les lui présentant sous des "attraits" divers.
Tel le prestidigitateur qui vous fait voir blanc ce qui est noir et noir ce qui est blanc. Mais la lutte sociale de ces derniers temps, en Angleterre comme en France, a déjà montré que la classe ouvrière saura déjouer ce que ces messieurs appellent "plans", mais qui ne sont que des complots d'une poignée d'exploiteurs contre leurs peuples.
La Commission exécutive du syndicat démocratique Renault vient de diffuser un tract intitulé : "Pourquoi l'augmentation des cantine ?" Il y est dévoilé que :
En raison de l'augmentation des prix depuis 1945, la participation des ouvriers aux frais a été augmentée de 20 à 36 francs, alors que la direction a maintenu sa participation à 20 francs, malgré l'augmentation du prix de vente de ses voitures.
Mais ce n'est pas tout : la direction loue la cantine aux ouvriers et cette location a été relevée deux fois sous prétexte de revalorisation des valeurs immobilières. Le service des cantines paie aussi les frais d'amortissement du matériel et les locaux (ce qui revient à dire qu'à un moment donné les cantines et le matériel auront été entièrement payés par les ouvriers, néanmoins ces locaux et ce matériel resteront propriété de la Régie). La Régie facture, en outre, au prix fort tout ce qu'elle fournit au service des cantines : celui-ci paie à la Régie, pour un ouvrier de l'A.O.C., pour la pose d'un tuyau par exemple, 250 francs de l'heure, alors qu'on sait que cet ouvrier reçoit au grand maximum 90 francs.
Ainsi, à part les 20 francs que la Régie débourse et qu'elle récupère largement par le paiement des locaux, tous les frais sont supportés par les ouvriers.
En conséquence de ces révélations, le tract du S.D.R. conclut en demandant une diminution du prix de la cantine et un meilleur ravitaillement (ce qui a été jugé possible par le responsable de la cantine), en exigeant de la direction une augmentation de sa subvention de 10 francs par repas, une diminution des frais d'entretien et la suppression de la location des locaux.
Les ouvriers ne seraient pas tributaires de la soupe populaire s'ils avaient un salaire suffisant ; ce qui les oblige à manger à la cantine, ce n'est pas le manque de denrées sur le marché, mais leur salaire insuffisant pour les acheter. Au moyen de la cantine le patron complète notre sous-salaire par une prestation en nature : il a tout intérêt à donner une subvention à "l'oeuvre sociale" qu'est la cantine qui bénéficie, par ailleurs, de bons spéciaux de l'exemption des impôts, du chiffre d'affaires à payer, etc. Mais alors que, dans ces conditions, les ouvriers devraient avoir au moins un repas convenable à un prix modique, il n'en est rien ; car le patron les vole sur cette partie du salaire comme il les vole sur le reste, et n'hésite pas à leur servir une soupe populaire à un prix élevé, pour se soustraire lui-même à la subvention qu'il doit.
C'est là sa nature. Mais les ouvriers sont dans leur droit d'exiger que le patron paie sa subvention à la cantine comme une chose qui leur est due, parce que partie de leur salaire.
Et, après tout, les ouvriers ne sont pas obligés d'accepter indéfiniment qu'une partie de leur salaire leur soit donnée sous forme de patates, ou autres denrées de plus ou moins bonne qualité. Si le patron a tout intérêt à maintenir "les oeuvres sociales" pour masquer le fait qu'il nous paye un sous-salaire, notre intérêt à nous, pour ne pas tomber victimes de ses combines, c'est d'exiger l'augmentation de notre salaire de base, c'est-à-dire le paiement intégral d'un salaire vital, autrement dit qui représente la valeur de ce qu'il faut pour vivre.
Les ouvriers n'entendent pas les oeuvres sociales sous forme de paternalisme et d'aide aux pauvres. Ils sont pour l'organisation de cantines, crèches, coopératives, etc., qui peuvent faciliter leur vie, mais à condition que celles-ci soient à l'abri des escroqueries patronales.
par Pierre BOIS
Nous relatons par ailleurs les révélations du S.D.R. au sujet de l'augmentation du prix de la cantine. Ainsi le "déficit" par lequel cette augmentation a été justifiée vient tout simplement des combines de la direction patronale qui grugeait les ouvriers jusque sur leur maigre pitance quotidienne. Or, le degré de misère des travailleurs peut être constaté par le fait qu'une différence de quelques francs posait l'obligation pour bien des ouvriers de réduire leur repas d'un plat !
Mais si dans une question relativement secondaire comme celle de la cantine, le patronat procède par le vol et la tromperie, quels procédés sont les siens, et de quelle envergure, dans les sphères plus importantes de l'économie ! Qu'en est-il, au juste, du "déficit" par lequel le patronat justifie le refus d'un salaire décent ? Qu'en est-il de "notre besoin de devises" par lequel on explique l'exportation des produits essentiels dont on prive la population ? La réalité n'a rien de commun avec ces prétextes.
Ainsi, par exemple, dans le n° 13 de La Voix, nous avons relaté comment les capitalistes refusent d'un côté l'échelle mobile des salaires, mais appliquent de l'autre, l'échelle mobile des prix et des bénéfices, qui les met à l'abri de l'inflation.
On sait aussi que les bénéfices avoués des capitalistes ne correspondent pas à leurs revenus réels ; leur bénéfice net n'est déclaré qu'après l'amortissement des machines et des matières premières, la déduction des jetons de présence, des tantièmes, du capital de réserve, de la distribution camouflée de bénéfices sous forme d'actions gratuites, les augmentations de capital sous forme d'investissements, le paiement des dividendes sur le capital que portent les actions, alors que celui-ci a déjà depuis longtemps été restitué aux actionnaires, etc.
On sait généralement que les capitalistes sont les "naufrageurs du franc" par l'exportation de leurs avoirs à l'étranger, par leurs combines internationales entre trusts et banques. On sait qu'ils sont, par leurs spéculations, les responsables de la hausse des prix, etc.
Les ouvriers et la population pauvre savent en général que les capitalistes procèdent par le vol et la tromperie. Mais que serait-ce si, dans chaque entreprise, dans chaque banque, les ouvriers et les employés connaissaient exactement les chiffres, les procédés, la portée de ces vols !
Le fait que dans la question de la cantine on peut opposer, aux faux prétextes du patronat, la réalité des chiffres, cela nous donne beaucoup plus de force pour nous défendre. On pourrait mieux encore lutter pour la défense de nos salaires, si on pouvait, chiffres en main, montrer à toute la population où se cache l'argent dû à nos salaires, à la subsistance de nos familles, et quel triste usage il en est fait.
A l'heure actuelle, où toute la production capitaliste est basée sur la spéculation et la surexploitation de la main-d'oeuvre, c'est une question vitale pour les travailleurs de pouvoir, pour s'en défendre, les dévoiler à la population.
Tout ce qui concerne les revenus et le mode de vie des travailleurs, du matin au soir et tous les jours, est parfaitement connu et porté sur statistiques. Pourquoi les affaires des capitalistes, dont dépend le fonctionnement de toute l'économie, ne sont-elles connues que d'eux-mêmes ? Pourquoi les capitalistes peuvent-ils fixer et imposer un niveau de vie à l'ouvrier, alors que celui-ci n'a aucun droit de regard sur les capitalistes, leur gestion anarchique de l'économie, leurs gaspillages et leurs dépenses inouïes ?
Mais, objecteront des camarades, s'il a été facile de mettre le nez dans les livres de la cantine, c'est autre chose de mettre le nez dans la cuisine même des profits capitalistes ! C'est peut-être plus difficile ; cependant c'est réalisable de la même façon.
Les capitalistes se chargent d'encaisser les bénéfices ; mais c'est toute une armée de comptables, experts, statisticiens, employés, etc., qui tient les livres de compte et fait les calculs. Ainsi, pour la cantine, les chiffres du vol patronal étaient connus depuis des mois. Mais pour qu'ils soient dévoilés, il a fallu que les ouvriers se mettent en branle, montent en délégations, fassent pression, exigent les chiffres. Techniquement, le Comité d'entreprise savait tout, mais c'est la pression des ouvriers qui l'a déterminé à les dire. Nous demandons au Comité d'entreprise, qui affirme connaître bien d'autres choses encore, qu'il les rende publiques et les fasse connaître aux ouvriers de l'usine.
Rappelons-nous la panique jetée parmi les "grossistes" au moment où les postiers, rompant le "secret", ont ouvert et publié les télégrammes poussant à la hausse - ou la peur bleue des banquiers lorsque les employés du Trésor, en grève, menacèrent de dévoiler les scandales.
Le journal parlé de la radio mène une enquête sur les nationalisations. Mercredi 13 août, était interviewé M. Plois, directeur général adjoint de la Régie Renault.
Il commença par affirmer que le président-directeur, M. Lefaucheux, avait toutes les prérogatives et toutes les responsabilités d'un chef d'entreprise privée (ce n'est pas ce que M. Lefaucheux a l'habitude de nous dire, quand nous lui présentons nos revendications) et que le conseil d'administration fonctionnait comme celui d'une entreprise privée.
Puis M. Plois s'étendit fort longtemps sur les avantages que les ouvriers de la Régie avaient retiré de la nationalisation. Il parla de la cantine, "gérée par un membre ouvrier du Comité d'entreprise", où 26.000 repas sont servis chaque jour, passant sous silence, comme il se doit, le prix et la qualité des repas servis. Il s'étendit largement aussi sur le "ravitaillement familial", fournissant aux ouvriers des pommes de terre, des produits alimentaires, des textiles, des meubles, du bois de chauffage, oubliant, là aussi, de préciser le cours de marché noir auquel ces objets sont vendus. Il cita la crèche, les colonies de vacances ; parla de "l'amélioration de la condition des vieux travailleurs", des "suggestions des ouvriers retenues et primées", des primes à l'ancienneté, des primes progressives de production ; tout cela naturellement sans donner de chiffre exact.
A l'entendre, la Régie Renault serait le paradis des ouvriers, et la Direction n'aurait pour tout souci que le bien-être du personnel !
Aux questions concernant les rapports de la Régie avec l'Etat, M. Plois répondit que "la Régie se contente de ses seules ressources. Elle ne reçoit aucune subvention de l'Etat et paie des impôts comme une maison privée".
La façon dont la nationalisation a été effectuée fut complètement passée sous silence. Seulement, la veille, un responsable des "Charbonnages de France" (les houillères nationalisées), avait été, lui, beaucoup plus loquace. Il avait expliqué que les anciens actionnaires des houillères avaient reçu des obligations au prorata de leurs actions ; que le montant de ces obligations avait été fixé par rapport à la valeur des actions cotées en Bourse en 1938, "portée à un coefficient fixé par la loi" (l'échelle mobile joue automatiquement pour ces messieurs...) ; enfin que ces obligations rapportaient un intérêt de 3% plus 0,25% sur les bénéfices d'exploitation.
Pourquoi cette transformation des actions en obligations ? Quelle est la différence ?
L'actionnaire qui achète une "action" achète une part de la propriété de l'entreprise. Il a droit à une partie correspondante des bénéfices, sous forme de dividende. Mais si l'usine est en déficit, il ne touche rien, et doit même, dans certains cas, renoncer à son capital. L'obligataire qui prend une "obligation" est considéré comme prêtant de l'argent à l'entreprise. En tant que prêteur, il a droit aux intérêts de son capital, même en cas de déficit. Transformer les actions en obligations, c'est assurer aux anciens actionnaires une rente fixe, là où, dans la plupart des cas, ils ne pouvaient plus espérer conserver leurs dividendes. Par exemple, il est de notoriété que le gaz et l'électricité étaient en déficit depuis des années. La nationalisation est donc une opération fructueuse pour ces trusts, dont les membres continuent ainsi à toucher de coquets bénéfices.
Cela est si vrai que, le lendemain 14 août, M. Veuille, président du Conseil national des assurances nationalisées, affirmait à son tour au micro : "Nous fonctionnons exactement comme le secteur privé. Mais le paiement des intérêts aux anciens actionnaires est garanti par l'Etat. En cas de déficit, l'Etat doit pourvoir à ce paiement". Entendez par là : tant que nous faisons des bénéfices, nous sommes "indépendants" de l'Etat, mais s'il y a du déficit, alors la nationalisation joue : c'est l'Etat - c'est-à-dire les contribuables - qui paie aux actionnaires de quoi continuer à vivre en parasites.
Ce que M. Plois appelle "l'indépendance de la Régie vis-à-vis de l'Etat", c'est simplement le fait que chez Renault on n'a pas encore eu besoin de faire appel de cette manière aux caisses de l'Etat (les "bénéfices" ayant été rendus possibles grâce au financement, par l'Etat, de la reconstruction de l'usine).
Voilà ce que sont les nationalisations : la sauvegarde des intérêts des capitalistes dans les secteurs où par leurs propres moyens ils ne peuvent plus réaliser de profits.
LUCIENNE
Le plan Monnet avait prévu le prolongement du temps de travail. Tous les prédécesseurs de Ramadier et Schuman, chaque fois qu'ils voulaient indiquer une solution au marasme économique, disaient : "Il faut travailler plus, allonger la journée de travail".
M. Léon Blum avait réalisé ce tour de force de force de transformer la semaine de quarante heures en quarante-huit heures sans en changer le nom. Il restait une dernière étape à franchir : supprimer même cette limitation à la journée de travail.
La C.G.T. s'est chargée de cette dernière formalité, lors de son agenouillement – le dernier en date – à la conférence C.G.T.-C.N.P.F. Après le bavardage rituel sur la France à relever, sur la classe ouvrière soucieuse de ses responsabilités, la semaine de quarante heures a été solennellement enterrée. Légalement, on sera bientôt tenus de faire quarante-huit heures. Mais les limites légales ne constituant en fin de compte que le niveau au-dessous duquel on ne peut descendre, ces quarante-huit heures pourraient fort bien se transformer à brève échéance en soixante heures.
C'est du reste ainsi que nos négociateurs l'entendent. N'ayant pas voulu augmenter les salaires dans des proportions convenables, ils veulent bien donner une compensation aux ouvriers : vous n'aurez pas de gros salaires, seulement, vous pourrez faire des heures.
Or, pour nous, que représente ce surcroît de travail ? Un surcroît de fatigue et de misère. Mais, pour le patron, c'est du surprofit. Dans le système capitaliste, tout travail salarié contient une part de travail non payé que le patron empoche sous forme de plus-value (bénéfices). Et c'est justement l'augmentation du travail non payé que recherche le patron en augmentant la journée de travail et l'intensité du travail de chaque ouvrier. Un plus grand nombre d'heures de travail, s'il signifie accroissement de profits, n'a donc rien à avoir avec une plus grande masse de produits et à meilleur marché pour la population ; preuve que depuis trois ans le niveau de vie des ouvriers baisse au lieu d'augmenter avec la production.
Plus l'ouvrier travaille, plus il se fatigue et moins il a de bien-être. En obligeant les ouvriers à user leur substance toujours plus vite, les capitalistes mangent le blé en herbe en gaspillant sans vergogne la source première d'énergie, la main-d'oeuvre. Si on veut accroître notre bien-être, on ne peut le faire qu'au détriment des bénéfices capitalistes, et cela on ne peut donc le faire qu'en luttant pour la réduction du temps de travail, avec un salaire vital : UN SALAIRE DECENT POUR UN TRAVAIL DECENT !
Mais pour la bourgeoisie, l'allongement de la journée de travail constitue en outre un facteur précieux de "paix sociale" au sens où l'entendent les bourgeois : réarmer idéologiquement et pratiquement en vue de la prochaine guerre.
C'est ainsi que Daladier-Reynaud forgeaient "l'acier victorieux" en 1939-1940, imposant aux ouvriers des journées de onze et douze heures de travail forcé dans les bagnes capitalistes. C'est ainsi qu'Hitler a consolidé sa domination sur les ouvriers allemands et préparé sa guerre.
Accepter un accroissement de la journée de travail, c'est d'avance souscrire à la misère et à la guerre.
DURIEUX
MISERE DES OUVRIERS
A l'atelier 31, un ouvrier était absent lorsqu'on a distribué l'acompte de 1.000 francs, ayant dû conduire un de ses enfants à l'hôpital pour une fracture du bras. Depuis, il est monté cinq fois au bureau et n'a toujours pas touché la prime. On lui a donné un acompte de 1.000 francs, mais on lui retient sur sa paye, et on lui doit toujours les 1.000 francs.
Cet ouvrier n'a plus d'argent, et le jeudi 14 août il est venu travailler avec un casse-croûte, n'ayant pas d'argent pour manger à la cantine.
– Ca m'ennuie, disait-il, d'être toujours obligé de pleurer pour réclamer mes sous, alors j'aime mieux me contenter d'un casse-croûte. Voilà comment on voudrait humilier les ouvriers en les traitant comme des mendiants quand ils réclament les quelques sous qu'ils ont eu tant de mal à gagner.
LES VIEUX TRAVAILLEURS A L'HONNEUR
A l'atelier 344, un vieil ouvrier de l'usine a pris quinze jours de congé supplémentaire. Devant cette "indiscipline", le contremaître s'est exprimé ainsi : "Si lundi le "vieux" n'est pas là, je n'en veux plus dans la chaîne, il sera muté".
Voilà comment on traite ceux qui ont donné toute leur vie de labeur au patronat.
AU DEPARTEMENT 6
Depuis dix-huit mois que ça durait, la direction a enfin fait mettre des vasistas qui donnent de l'air et de la lumière.
Au lieu de mettre des carreaux ordinaires, qui auraient coûté moins cher à la Régie, qui se prétend en déficit, on a mis du verre dépoli, ce qui a pour conséquence de priver les ouvriers qui travaillent dans ce secteur de la vue agréable des coteaux boisés de Sèvres et de Meudon.
C'est que, bien sûr, il ne faut pas distraire les ouvriers de leur travail. Et en sortant le soir à 6 ou 7 heures, après neuf heures de travail, il ne leur reste plus grand temps pour jouir de la lumière du jour.
LES PRIMES D'INSALUBRITE
Pour masquer certaines conditions de travail par trop lamentables, le patronat a coutume d'allouer des primes d'insalubrité et comme tout ce qu'il "donne", encore faut-il les lui arracher.
Autrefois, le principe de ces primes était qu'elles permettaient l'achat de certaines denrées qui atténuaient les préjudices professionnels. C'est ainsi, par exemple, qu'un rectifieur ou un soudeur au plomb avait droit à une quantité de lait donnée.
En 1936, les ouvriers obtinrent des primes d'huile, dites de "nettoyage". Aujourd'hui, si une machine est particulièrement dangereuse, ou si un travail très malsain, si l'ouvrier réclame, dans le meilleur des cas, il obtient deux ou trois francs de l'heure, souvent moins. Mais ce système tend à se retourner de plus en plus contre les ouvriers, le patron se contentant d'accorder des primes par-ci, par-là, moyennant lesquelles il astreint son personnel à des conditions de travail de plus en plus insalubres et dangereuses.
Pour nous, ouvriers, ces primes n'empêchent pas les machines de nous couper les doigts, ou nos poumons de se ronger. La prime n'est nullement un remède. Ce doit être un moyen de pression sur le patron, car, pour lui, seuls les chiffres comptent. Si nous exigeons des primes qui lui reviennent plus cher que la mise au point de moyens de protection efficaces, il sera contraint de mettre en place ces moyens. Mais si, au contraire, nous tolérons un franc de prime en compensation de conditions de travail répugnantes, c'est faire bon marché de notre existence.
UNITE D'ACTION
"Vous êtes de diviseurs !" C'est par cette phrase que le Comité d'entreprise a accueilli les camarades du S.D.R. qui venaient pour leur enquête sur la cantine.
– Mais, répondit un camarade à ces messieurs, si nous n'avions pas été là, vous seriez encore dans votre lit.
En effet, les chiffres et les combines que le S.D.R. vient de révéler étaient connus des membres cégétistes du comité d'entreprise depuis le mois de février. Cependant, avant que le S.D.R. n'ait agi, ils se gardaient bien de les porter à la connaissance des ouvriers. C'est seulement après que le S.D.R. ait revendiqué la diminution des prix de la cantine, que la C.G.T. a repris à son tour cette revendication.
Ce qui intéresse les ouvriers, dans cette affaire, ce n'est donc pas de savoir les épithètes que lancent les bureaucrates cégétistes, mais qui a agi et ce que chacun a fait.
L'unité cesse d'être un vain mot, seulement quand tout le monde agit pour défendre une même cause. Elle n'est pas dans les paroles. Or si le S.D.R., en agissant pour la cantine, a obligé la C.G.T. à en faire autant sous peine de se discréditer, n'a-t-il pas réalisé, en même temps, l'unité ?
On aurait pu rester longtemps encore tous "unis" derrière la C.G.T., sans que, pour cela, quoi que ce soit change dans l'usine. Mais les ouvriers conscients, qui, en s'organisant indépendamment, sont passés à l'action sans se soucier des accusations des bonzes, avec confiance dans la force des ouvriers et en se mettant à l'apprentissage de leurs tâches syndicales, sont, eux, les véritables réalisateurs de l'unité dans l'action de défense des revendications ouvrières - comme l'ont été les camarades du S.D.R. depuis le début de son existence.
Les bonzes syndicaux qui détestent avant tout l'action ouvrière, traitent du reste de diviseurs même les ouvriers qui sont à l'intérieur de la C.G.T., pour peu qu'ils défendent une position différente de la leur. C'est pour cela que les ouvriers ne se laisseront pas embarrasser par des formules. Mais le meilleur moyen de distinguer le vrai du faux, c'est de défendre contre le patronat et ses valets ceux d'entre nous qui se mettent en avant pour la défense de nos intérêts à tous.
AVERTISSEMENT
A LA DIRECTION
PAS DE BRIMADES !
Après avoir passé un mauvais moment pendant la grève, la direction, comme après toute lutte gréviste, essaie, par la méthode des brimades de se débarrasser des ouvriers les plus combatifs, de décourager les autres, de semer la zizanie, pour ramener le beau temps où elle pouvait disposer des ouvriers comme elle voulait.
Les exemples se multiplient.
Dernièrement, la direction a donné des ordres aux chefs de départements pour défalquer les heures à des ouvriers du 6 et du 18 qui étaient montés en délégation à la direction et à la commission des cantines, bien qu'on sache que l'ensemble des ouvriers de ces départements ne reconnaisse pas les délégués officiels, qui eux bénéficient d'heures payées. Des camarades, malgré leur absence, ont réalisé leur production. Néanmoins on leur a retiré les heures de déplacement. Le même procédé a été appliqué aux ouvriers qui étaient montés à la direction pour réclamer leur paye qu'on voulait leur donner en retard.
Aux fonderies, un ouvrier combatif, qui avait pris son congé une semaine plus tôt que les autres, a été muté à l'usine O, puis de là on parle de le muter à nouveau dans le but de le lasser et le voir prendre son compte. On pourrait donner d'autres exemples encore...
La direction patronale supporte mal que les ouvriers, par la grève, aient conquis la liberté de leurs mouvements et relevé la tête, que maîtrise et chronométreurs ne puissent plus agir à leur guise, que les ouvriers discutent entre eux, vendent et diffusent ouvertement leur presse dans l'usine, alors qu'avant la grève, dans une atmosphère de règlements policiers, la diffusion d'un tract était motif de mise à la porte, comme cela s'est passé au mois de mars 1946 pour un camarade que des "délégués" avaient "surpris" à distribuer un tract.
Il est donc normal que la direction veuille "reprendre du poil de la bête". Mais le pourra-t-elle ? Cela ne dépend pas que d'elle. Ainsi, pendant la grève, elle se serait bien passée de venir demander la "permission" aux ouvriers de laisser passer les wagons dans les départements en grève, ou de se déranger en la personne de M. Lefaucheux pour nous "prier" de reprendre le travail. Mais elle n'avait pas le choix, car les ouvriers ne se laissaient pas faire. Se laisseront-ils faire aujourd'hui ? Il ne dépend que de nous de ne pas tolérer les brimades et de ne pas laisser le rapport de forces pencher à nouveau en faveur du patronat.
Car son intention n'est pas seulement de mettre un tel ou un tel à la porte pour être "tranquille". L'expérience nous enseigne que l'appétit du patronat n'est jamais assouvi et que s'il ne rencontre pas de résistance, cela commence par des brimades individuelles pour finir par des brimades générales, du genre de l'interdiction de parler pendant le travail, qui existait bien, avant 36, dans les usines.
A quelques mois seulement de notre grève, les ouvriers qui ont tenu tête au patronat et l'ont fait capituler sur le payement des heures de grève, qui ont mis en échec l'appareil de répression gouvernemental, qui ont donné le signal de l'ébranlement général, et qui pour cela ont soutenu de dures privations, ne sont pas disposés à capituler aujourd'hui et à laisser brimer les meilleurs d'entre eux, pour que le patronat puisse nous ramener à sa merci. Tous les ouvriers de notre usine feront bloc autour de ceux d'entre nous que la direction patronale veut brimer ; et celle-ci apprendra bientôt ce que peut lui coûter une telle politique !
Jean BOIS
AU L.M.T. augmentation de la cantine
Au L.M.T. le prix de la cantine passe de 32 fr. 50 à 48 fr.
La commission de gestion du C.E. explique que cette augmentation découle du nouveau prix des marchandises. La subvention de la direction étant la même depuis 1944, pour un nombre grandissant de rationnaires, il y a impossibilité de maintenir l'ancien prix.
Aucun changement n'était donc possible quant à l'amélioration du menu, ce que nous avons pu constater après quatre jours de saucisses et légumes cuits à l'eau.
Ainsi avec le même salaire, nous devons payer le même repas 15 fr. plus cher, alors que la direction, qui refuse de nous augmenter et empoche sur les marchandises que nous produisons les augmentations, diminue de ce fait sa subvention.
Comme nous l'avons déjà signalé, nous n'arrivons pas à couvrir les frais du journal. Tout camarade peut le vérifier : puisque nous sommes pour le contrôle ouvrier, nous tenons les factures à la disposition de tous les camarades. Le véritable moyen de couvrir nos frais est d'intensifier la vente du journal dans l'usine et en dehors, grâce à l'effort de nos vendeurs et à l'accroissement du nombre de nos liaisons dans toutes les usines. Mais, en attendant, que chacun fasse un effort immédiat. Nous avons déjà lancé des listes de souscriptions qui ne sont pas rentrées. Nous savons qu'en ce moment, juste après les vacances, les bourses sont plutôt plates. Mais réparti sur des centaines de camarades, cet effort est minime pour chacun (ne ferait-il que payer le journal 5 francs au lieu de 3 francs), et il suffirait à combler le déficit. |
Souscriptions Nous remercions nos camarades indochinois du camp de Mazargues pour leur souscription de 400 francs |
BIBLIOTHEQUE
A chaque permanence, nous tenons à la disposition des camarades qui désirent lire chez eux, une collection de livres d'éducation (philosophiques, économiques, politiques) et de romans.
ABONNEMENTS
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