1947

PRIX : 3 francs – 29 octobre 1947
L'EMANCIPATION DES TRAVAILLEURS SERA L'ŒUVRE DES TRAVAILLEURS EUX-MÊMES
La Voix des Travailleurs – ORGANE DE LUTTE DE CLASSE


La Voix des Travailleurs nº 24

Barta

29 octobre 1947


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A QUI LA FAUTE ?

En attendant de savoir sur quel pied dansera le nouveau gouvernement Daladier, les stratèges atteints de crétinisme parlementaire peuvent se livrer à de savantes combinaisons "pour sauver la démocratie et la République". A ce sujet, grande dispute entre le P.C. et le P.S., chacun se réservant le rôle de sauveur et par conséquent les places. Car, arithmétiquement, on peut démontrer que, d'une part, les voix recueillies par les R.P.F. représentent, en gros, l'ancienne droite coalisée en cette occasion et que, d'autre part, en additionnant le pourcentage des voix P.C.F. et P.S., on peut placer le signe = entre les voix de gauche et les voix de droite !

Mais "il est minuit moins cinq", écrivions-nous à la veille des élections au sujet du danger fasciste que représente le R.P.F.

Et les élections ont révélé précisément toute l'étendue du danger que nous avions signalé : c'est que la propagande R.P.F. a réussi à pénétrer parmi les classes pauvres et même dans certains quartiers prolétariens.

Qui porte la responsabilité de cet état de choses ? Ce sont les bureaucrates du P.C.F. qui, par leurs méthodes sans scrupules, ont complètement désorienté les travailleurs. Comment dresser la classe ouvrière en un seul bloc contre les hommes de main fascistes, quand les dirigeants staliniens eux-mêmes dressent les ouvriers les uns contre les autres pour réduire au silence les opposants et conserver leur monopole ? Comment chasser la presse pourrie bourgeoise et fasciste des usines quand la littérature de ces bonzes est la première à calomnier et à couvrir de boue, à tromper et à abêtir ? Comment les ouvriers pourraient-ils saisir la malfaisance des gens du R.P.F. quand ils voient qu'un mouvement comme celui du Syndicat démocratique est traité par ces flibustiers de "fasciste" ?

C'est donc dans la mesure où les travailleurs nettoieront leur propre maison qu'ils se rendront aptes à résister aux dangers qui assaillent la classe ouvrière de tous côtés.

C'est pourquoi chaque victoire de la démocratie prolétarienne sur les bureaucrates sans scrupules qui étouffent le mouvement ouvrier en prépare une sur les bandes armées de la bourgeoisie qui veulent le détruire.

LA VOIX DES TRAVAILLEURS


LUTTE CONTRE LA GUERRE OU PREPARATION A LA GUERRE

La deuxième guerre mondiale n'est pas terminée depuis deux ans que l'on considère partout la troisième comme proche et inévitable. En fait, pendant ces deux années, l'on n'a cessé un seul instant de dépenser autant d'argent et de gaspiller autant de travail humain pour la guerre qu'au plus fort du dernier conflit. Seul le sang n'a pas coulé autant. C'est probablement pourquoi les combats d'Indochine, d'Indonésie, les répressions de Grèce et de Madagascar, bien qu'ils impliquent de lourds sacrifices pour les nations épuisées, ne sont pas considérés, par les dirigeants du monde capitaliste, comme une guerre. Mais pour le sang on se rattrapera largement à l'éclatement du troisième conflit mondial, les savants ayant calculé qu'environ cinq cent millions d'hommes périront dès les premiers jours.

L'union des trois grands devait conserver la paix au monde, mais aujourd'hui les trois grands vont s'entre-déchirer. A la place des phrases sur la paix d'après la guerre 1914-1918, on prépare aujourd'hui tous les peuples à l'idée de la guerre inévitable.

Le monde est divisé en deux blocs qui rassemblent leurs forces et se cherchent des alliés. C'est ainsi que nous voyons les Etats-Unis imposer leur volonté en échange de leur aide économique partout où ils ne l'imposent pas encore par la force. Ils défendent la liberté et la paix en entretenant des troupes un peu partout sur le globe.

C'est dans ces conditions que l'on a annoncé la formation, à Belgrade, d'une internationale réunissant les partis communistes de neuf pays européens. Le bureau constate dans la résolution inaugurale la scission du monde en deux blocs adverses et le renforcement de l'impérialisme américain, puis déclare "que, dans ces conditions, le camp anti-impérialiste et démocratique se trouve devant la nécessité de s'unir... contre les forces principales du camp impérialiste, contre l'impérialisme américain..." Comme on le voit, le bureau d'information de Belgrade part lui aussi de l'idée de la guerre inévitable : il prétend rassembler les forces démocratiques et anti-impérialistes contre les forces anti-démocratiques et impérialistes seulement pour rendre son camp plus fort. Malgré son déguisement "prolétarien", "ouvrier", "communiste", le bureau de Belgrade n'a rien de commun avec le vieux mouvement ouvrier qui, lui, SE POSAIT POUR TACHE PREMIERE D'EVITER LA GUERRE. C'est pourquoi les Iere, IIe, IIIe Internationales, à leur époque héroïque, groupaient tous les partis ouvriers qui, dans leurs pays, s'opposaient de toutes leurs forces à la politique aventuriste et guerrière de la classe dirigeante : tandis que le bureau de Belgrade, même si la résolution ne l'avouait pas, ne groupe que les partis communistes des pays satellites de Moscou, plus ceux de France et d'Italie, c'est-à-dire les deux pays que Moscou et Washington se disputent le plus à l'heure actuelle pour les intégrer dans leur machine de guerre. Si le bureau de Belgrade avait pour but de lutter véritablement contre la guerre et non pas de faire une politique de blocs, il ne pourrait surtout pas se passer du concours du mouvement ouvrier américain et anglais. Ni le parti communiste anglais, ni le parti communiste américain n'y sont représentés ; or, comment empêcher la bourgeoisie américaine de se lancer dans la guerre sans le concours du prolétariat américain ? Ce que la résolution ne laisse qu'entendre, la composition du bureau de Belgrade le prouve jusqu'à l'évidence : IL NE S'AGIT PAS, DU COTE DE MOSCOU, D'UNE LUTTE CONTRE LA GUERRE, MAIS D'UNE POLITIQUE DE GUERRE, tout comme celle de Washington.

Les travailleurs ne veulent pas être les victimes d'un bloc contre l'autre. Ils veulent combattre la guerre, ils veulent renverser les classes dominantes qui les y mènent. Dans ce but, il faut réunir les énergies de tous ceux, qui, DANS TOUS LES PAYS, s'opposent et luttent contre la guerre, dans une nouvelle internationale ouvrière.

J. RAMBOZ


Devant les menaces de grève, Ramadier capitule

LA CLASSE OUVRIERE FERA ECHEC A LA POLITIQUE DE COURSE ENTRE LES SALAIRES ET LES PRIX

Après avoir cédé sur les revendications des travailleurs du Métro, le gouvernement, pour éviter une nouvelle grève des chemins de fer, vient de céder sur les revendications des cheminots. Déjà, au moment de la grève du Métro, il s'était vu obligé de donner son accord pour l'application des 11% aux ouvriers de l'éclairage et de donner satisfaction aux revendications des travailleurs de la marine après vingt-quatre heures de grève.

Le journal des deux cents familles, Le Monde (25 octobre) écrit avec dépit : "...Les événements de ces derniers jours ont appris aux intéressés que, malgré les affirmations gouvernementales, la grève était payante".

Après des mois d'une montée interrompue, catastrophique des prix, le gouvernement se verra-t-il obligé, pour éviter l'explosion du mécontentement social, "de porter les salaires et les prix à un nouveau palier", c'est-à-dire de réajuster de quelques francs la paye de tous les salariés ?

La C.G.T. vient de poser ses revendications : fixation d'un minimum vital et acompte immédiat de 15%.

Elle établit le chiffre de ce minimum vital à quelque 10.500 francs. Il serait intéressant de savoir comment elle s'y est prise pour le calculer, car déjà l'année dernière, sur la base des prix d'alors, l'étude technique du salaire minimum avait donné le chiffre de 11.000 francs. Le minimum vital du travailleur se rétrécirait-il donc, d'année en année, comme une peau de chagrin ?

Le gouvernement et le patronat eux-mêmes n'envisagent pas de façon différente le "minimum vital" des ouvriers. Les essouffler dans une course incessante pour leur pouvoir d'achat, en établissant avec un toujours plus grand retard le niveau des salaires par rapport au coût de la vie : une échelle mobile à retardement et au profit des capitalistes.

Pendant ce temps, dans la métallurgie, où la C.G.T. a jusqu'à présent si bien su saboter toute action ouvrière, même les 11% des accords C.G.T.-C.N.P.F. du mois de juillet n'ont pas été appliqués dans la plupart des entreprises et, par toutes sortes de manoeuvres, comme la baisse des temps, le patronat arrive encore à diminuer la paye des ouvriers.

La revendication la plus élémentaire des organisations syndicales, dont la tâche est de défendre le niveau d'existence des travailleurs, c'est d'exiger pour les ouvriers un salaire en fonction de son prix de revient. Le salaire de base doit être calculé en fonction du prix des produits essentiels à l'ouvrier pour vivre sans qu'il mette sa santé en danger, et doit être garanti par une vérification et une adaptation mensuelle à l'indice des prix par l'échelle mobile des salaires. Il n'y a aucune raison que les ouvriers tolèrent que leur force de travail soit payée à un prix de plus en plus bas, alors que les capitalistes se font payer tous les produits qui sortent des mains de l'ouvrier au prix fort.

L'expérience des derniers six mois a montré aux travailleurs l'impérieuse nécessité de se regrouper pour imposer au patronat et au gouvernement, avant qu'il ne soit trop tard, des solutions à l'avantage du peuple travailleur, qui fassent échec à leur politique de course entre les salaires et les prix au détriment de la vie et de la santé des gens pauvres.

Déjà, au moment de la grève du Métro, nous écrivions dans La Voix, n° 23 :

"Tous les travailleurs ont, à l'heure actuelle, les mêmes revendications. S'ils mènent simultanément la lutte, ils imposeront les solutions qui, seules, peuvent nous sortir de la situation actuelle :

"– Le contrôle ouvrier sur l'établissement des prix ;

"– Un salaire minimum vital garanti, contre la hausse du coût de la vie, par l'échelle mobile ;

"– Application des quarante heures ;

"– Faire payer les impôts aux riches."

Ce n'est pas dans la passivité mais dans la participation active à la lutte que les travailleurs trouveront une solution. Comme premier pas, il faut qu'ils puissent dès maintenant s'exprimer librement dans des assemblées générales sur les objectifs et les moyens de l'action ouvrière.


MESSIEURS FRACHON ET LEFAUCHEUX S'EN VONT EN GUERRE CONTRE LE S.D.R.

A deux reprises, et à huit jours d'intervalle, M. Frachon s'est livré, dans L'Humanité, à des attaques contre les ouvriers qui, ne voulant plus tolérer l'attitude des dirigeants de la C.G.T., se sont regroupés dans d'autres syndicats.

Dans son article du 18 octobre, il consacre un paragraphe au S.D.R. Il s'en prend à Bois, suppôt de la réaction. Mais laissons-le préciser : "Bois, de chez Renault, dont la direction de l'usine voudrait bien se débarrasser, parce qu'elle estime qu'il est à l'usine POUR D'AUTRES BESOGNES QUE LA CONSTRUCTION DE L'AUTOMOBILE (souligné par nous).

Il a de solides appuis dans un ministère".

Ainsi, d'après MM. Frachon et Lefaucheux, il faut se débarrasser de Bois, parce qu'il ne s'intéresse pas à la "construction de l'automobile".

A les en croire, les ouvriers s'entassent deux fois par jour dans le métro pour venir à l'usine pour L'INTERET qu'ils portent à la fabrication des voitures de luxe ! tout comme les cousettes s'useraient les yeux et les doigts à confectionner des riches toilettes pour le plaisir de les admirer - au cinéma - sur les épaules des riches bourgeoises... Bois et ses camarades du S.D.R., les ingrats, ne goûtent pas les "joies saines du travail".

M. Frachon est-il bête ou hypocrite ? Croit-il réellement que les ouvriers s'échinent dix heures par jour en usine par amour pour la fabrication? Lui et M. Lefaucheux chercheraient en vain parmi les vingt-cinq mille automates de chez Renault, parmi ceux qui, d'un bout à l'autre de l'année, et pendant des années, serrent le même boulon ou tournent la même pièce, un ouvrier qui ait le droit de s'intéresser à son travail. Défense de réfléchir, il faut du rendement !

Il y a longtemps que le système de production capitaliste n'exige plus que des bras obéissants et des cerveaux atrophiés. L'artisan passionné par son travail n'est plus qu'un souvenir, qui sert tout au plus aux moralistes bourgeois genre Frachon, pour nous vanter les miracles de la "conscience professionnelle".

Non, pour le travailleurs – qu'il soit au S.D.R., à la C.G.T. ou non syndiqué – aller à l'usine n'est pas une liberté. Il ne s'y rend pas comme le chercheur à son laboratoire ou l'artiste à son atelier, mais poussé par L'IMPLACABLE NECESSITE DE GAGNER UN MISERABLE MORCEAU DE PAIN !

Mais comment M. Frachon s'en douterait-il ? M. Lefaucheux et lui roulent évidemment en voitures bien suspendues ; mais lui et M. Lefaucheux sont-ils vraiment enthousiasmés par les beautés de la production automobile en régime capitaliste ? Le premier ouvrier venu, sans aucune "éducation", sait (parce qu'une dure expérience le lui a appris) que les capitalistes n'ordonnent la fabrication de tel ou tel produit que pour le profit qu'ils en retirent. Si MM. Frachon et Lefaucheux étaient des véritables producteurs, et non pas des parasites, ils seraient les premiers à dire ces vérités premières.

Car ils sont plutôt hypocrites que bêtes ! Ils savent que Bois, comme tout ouvrier, travaille en usine pour ne pas mourir de faim ; qu'il ne pourra s'intéresser à la construction automobile ou autre avant que la classe ouvrière ait arraché aux capitalistes les moyens de production, et que ces derniers servent à faire le bonheur de tous.

Voilà où le bât les blesse. Comme tous les ouvriers, les animateurs du S.D.R. font leur "production", c'est-à-dire fabriquent, pendant dix heures, le nombre de pièces imposées au travailleur par le capitaliste. Mais ce qu'il leur reste de forces après un travail exténuant, ils l'utilisent pour défendre les droits des travailleurs. Voilà ce que ces messieurs veulent empêcher. M. Lefaucheux craint pour son poste et les profits des actionnaires. M. Frachon ne souffre pas de syndicat d'opposition, car la seule chose qui l'intéresse dans le mouvement ouvrier, c'est d'en conserver le monopole.

Et les faits viennent d'éclairer tout à fait la lanterne de M. Frachon.

Le 21 octobre la direction de la Régie demandait à l'inspecteur du travail, c'est-à-dire au représentant du ministère qui soi-disant protège le S.D.R., le licenciement de dix de ses membres dirigeants, pour faits de grève.

Qu'y s'y opposa ? L'inspection du travail ? Vous n'y êtes pas !

Un délégué cégétiste. On peut déblatérer à longueur de colonnes sur les "suppôts de la réaction" ; quand les faits sont là, il faut prendre position. Il faut jeter le masque. En prenant position contre nos camarades, les dirigeants cégétistes se condamnaient à subir leur sort à plus ou moins longue échéance. Ils créaient un précédent que Lefaucheux n'eût pas manqué d'utiliser contre eux à la première occasion. Devant la véritable réaction, les mensonges de Frachon n'avaient plus de place : il fallut reconnaître le caractère syndical de l'activité des camarades du S.D.R.

Pour se débarrasser de ceux qui le gênent, M. Frachon se sert contre eux des arguments hypocrites de la bourgeoisie, ceux qu'utilisent les réactionnaires les plus rétrogrades : le "respect" que doivent avoir les exploités pour le travail harassant que leur imposent leurs exploiteurs.

Mais justement, pour l'ouvrier exploité, réduit à être moins qu'un outil par le capitaliste, qui, lui, n'a aucun respect pour l'ouvrier, la seule joie, c'est de LUTTER pour mettre fin à cet état de choses.

Voilà pourquoi, en dépit de toutes les attaques et toutes les difficultés, le S.D.R. sera rallié par la majorité des travailleurs de chez Renault, et partout les ouvriers construiront leurs organisations de classe, sans bureaucrates à la Frachon.

A. MATHIEU


LA SEULE METHODE

La grève du métro, malgré les menaces gouvernementales et les mesures policières, s'est terminée à l'avantage des grévistes, qui ont obtenu la satisfaction de leurs revendications. C'est la deuxième fois, depuis la grève générale des cheminots, en juin que l'action généralisée des travailleurs d'une corporation fait capituler le gouvernement.

Cependant l'attitude des organisations syndicales qui ont dirigé la grève, qui a fait l'objet des jugements les plus divers parmi les ouvriers, mérite qu'on y revienne, car des leçons tirées de ce mouvement dépend le sort des luttes à venir.

Le fait que les dirigeants du Syndicat autonome aient été amenés à se comporter en briseurs de grève, en recourant aux gardes-mobiles de Ramadier pour faire marcher les autobus, a été une véritable aubaine pour les chefs cégétistes : ils tiennent enfin les véritables agents du gouvernement, les diviseurs, ils peuvent à loisir crier au voleur...

Heureusement pour la C.G.T., l'existence du Syndicat autonome lui a permis de découvrir les "briseurs de grève" : si on n'avait attendu qu'après son action, la grève elle-même n'aurait peut-être jamais eu lieu. Car ce n'est pas elle qui l'a déclenchée, pas plus qu'elle n'avait déclenché la grève des cheminots, ou la grève de Renault, qui a donné le branle à toute la lutte ouvrière, cette année. Si le comportement des dirigeants autonomes a fourni maintenant à Frachon et Cie l'occasion de s'ériger en accusateurs des agents du gouvernement, cela fait des mois que la classe ouvrière a jugé les chefs cégétistes, qui freinent, dispersent et trahissent son action, comme les meilleurs suppôts du patronat et de l'Etat au sein du mouvement ouvrier.

Le Syndicat autonome du métro, qui a déclenché la grève à la suite du vote des syndiqués, et s'est heurté à l'opposition de la C.G.T., n'a pas su lutter jusqu'au bout et contre le patronat, et contre les manoeuvres de la C.G.T. Ce qui prouve seulement que, comme nous l'écrivions déjà le 12 août dans le numéro 14 de La Voix, au sujet de la création de fédérations autonomes, il ne suffit pas de proclamer son indépendance de la C.G.T. pour être une organisation antipatronale et représenter la fraction la plus active et la plus avancée des ouvriers de l'entreprise ou de la profession.

L'attitude de la C.G.T. dans la grève du métro n'a pas été autre que celle qu'elle avait, été dans la grève Renault (essayant d'abord de la briser, puis la reprenant à son compte pour en limiter les objectifs et empêcher que le mouvement ne s'étende ailleurs). Mais ce qui a fait la différence, c'est que l'opposition violente de la C.G.T. à notre mouvement n'a pas empêché le comité de grève de garder toute son intransigeance vis-à-vis du patronat, et qu'il a ainsi surmonté, au moins en partie, l'attitude de jaune de la C.G.T., en tenant une semaine de plus pour arracher le paiement des heures de grève ; tandis que les dirigeants du Syndicat autonome, pour délimiter leur action de celle de la C.G.T., essayèrent de faire bande à part et de reprendre le travail par-dessus la tête des ouvriers, aussitôt qu'ils furent en possession de quelques promesses gouvernementales. Pour payer la C.G.T. avec la monnaie de sa pièce, ils se sont appuyés sur le gouvernement. Mais cela revenait en réalité à échanger un cheval borgne pour un aveugle. Car on ne combat pas les méthodes de la C.G.T. avec les gardes-mobiles de M. Ramadier.

Quelles qu'aient été les manoeuvres et l'attitude de la C.G.T. elle-même vis-à-vis du gouvernement, qu'elle ait négocié ou non, c'est aux ouvriers, à leur jugement et à leur décision qu'il aurait fallu faire appel et, sous aucun prétexte, se permettre de travailler sous la protection des gardes-mobiles.

Le signe CERTAIN d'une attitude ouvrière, c'est le respect de la démocratie, c'est-à-dire DE LA VOLONTE DE LA MAJORITE DES TRAVAILLEURS, même quand celle-ci se trompe. Car c'est seulement dans l'action et par la démocratie que les travailleurs peuvent apprendre à corriger leurs erreurs.

Pierre BOIS


LE VRAI FLEAU... C'EST LA DOMINATION CAPITALISTE

En Egypte, depuis plusieurs semaines, l'épidémie de choléra fait des ravages foudroyants parmi la population des villes et des campagnes, terrassant chaque jour des milliers d'individus de tout âge. Les moyens scientifiques les plus modernes et les plus efficaces (vaccinations massives, propagation d'antiseptiques par avion sur les agglomérations, etc.) s'avèrent impuissants à circonscrire le fléau. La clé de cette "énigme", tous les journaux l'ont donnée : ce sont les conditions de vie mêmes de la population égyptienne. On comprend, en effet, qu'un peuple qui vit, en grande majorité, dans la pauvreté la plus sordide, le manque complet d'hygiène, travaille quotidiennement 16 et 18 heures, se nourrit de viande un jour (!) par an, de fèves et de pois chiche les autres jours, soit une proie facile pour la maladie.

Cependant, le sort de millions d'Egyptiens que vient de dévoiler, dans toute sa cruauté, l'épidémie de choléra, est celui des centaines de millions d'êtres humains qui peuplent les pays coloniaux et semi-coloniaux, c'est-à-dire les trois cinquièmes de l'humanité. C'est là le résultat auquel ont abouti plusieurs siècles de colonisation capitaliste, soi-disant civilisatrice, dans des pays comme l'Afrique du Nord, l'Inde, la Chine, l'Indochine, Madagascar, etc., qui ne sont pourtant pas dépourvus de ressources aussi bien agricoles que minières. En réalité, le vernis de civilisation, les rares progrès techniques (chemins de fer, hôpitaux, locaux administratifs, etc.), le capitalisme européen ne les a introduit dans ces pays vassaux que dans la mesure où ils favorisaient son exploitation féroce. Pour accroître sans cesse ses ressources et ses débouchés, il a plongé dans la barbarie plus de la moitié de la population du globe, la tenant à l'écart des bienfaits de la science : hygiène, confort, instruction, etc. Les épidémies de choléra, l'analphabétisme, dont l'Europe a perdu le souvenir depuis le moyen âge, sont encore maintenant en plein XX° siècle, l'apanage des pays colonisés par la bourgeoisie "avancée" de France, d'Angleterre, d'Amérique, etc.

Cependant, il y a quelques années encore, grâce à la misère des colonies, la bourgeoisie pouvait maintenir sa domination de classe tout en assurant un bien-être relatif à quelques rares peuples civilisés. Maintenant, comme l'ont prouvé les guerres et les politique actuelle des classes dirigeantes, le régime capitaliste tend à ramener les conditions de vie des peuples métropolitains eux-mêmes au niveau d'il y a plusieurs siècles. La plaie entretenue, par le régime capitaliste, dans les colonies, et que souvent les métropolitains considéraient inguérissable par une sorte de fatalité, cette plaie s'envenime et s'étend, attaquant maintenant l'Europe elle-même.

Aujourd'hui, c'est en Grèce, en Allemagne, en Italie, que se traînent des centaines de milliers d'êtres faméliques, en haillons et sans toit. Mettant cet état de choses sur le compte de la guerre, les rares "privilégiés" (de France et d'Angleterre, par exemple) s'habituent aussi à ce spectacle, produit fatal d'une guerre fatale. Mais de même que la guerre n'aura pas de fin (on prépare déjà la troisième), la plaie de la misère n'aura pas de remède et continuera à s'étendre. Demain, l'humanité entière, malgré tous les moyens scientifiques dont elle dispose pour améliorer son sort, sera jetée à nouveau dans la barbarie, si elle ne parvient pas à se libérer, pendant qu'il en est temps encore, d'un régime pourri, source de tous ses maux.


RENAULT...


DIMINUER LES PRIX SUR LE DOS DES TRAVAILLEURS

M. Lefaucheux ne peut plus y arriver. L'acier augmente et il demande l'autorisation d'augmenter ses prix. En attendant il diminue le prix de revient sur la main-d'oeuvre.

C'est ainsi que sous prétexte d'établir des temps "solides" la plupart des opérations d'usinage des pignons de Juvaquatre ont été réduites.

Il paraît que depuis que l'on fait des Juvas les temps n'ont jamais été pris. En tout cas les temps qui étaient accordés ont permis à la Régie d'accuser un bénéfice déclaré de 67 millions.

Sur une opération, le temps passe de 2'65 à 1'95. L'ouvrier est obligé de faire 410 pièces au lieu de 302. Sur une journée de dix heures la maison "récupère" à l'ouvrier 192,29 frs.

Une autre opération passe de 1'10 à 0'85. Il faut faire 214 pièces en plus. L'ouvrier est frustré de 157,70 frs. en dix heures.

Une autre encore passe de 3' à 2'30. Il faut faire 88 pièces de plus et l'ouvrier est frustré de 176,88 frs. en dix heures.

Résultat, c'est que dans cette chaîne, un ouvrier qui avec l'ancien prix aurait dû toucher de 53 à 55 francs de l'heure a été payé 42 frs.

Un autre, père de trois enfants, a été réglé à 45 francs.

Voilà comment la direction entend diminuer le prix de revient.

(Extrait du Bulletin local du secteur Collas n° 1)


POUR NOS SALAIRES

En réunion, le 24 octobre, le délégué de la C.G.T. nous a dit que son organisation avait revendiqué l'application des 11% sur le salaire réel plus un acompte provisionnel de 15 à 20%. Mais la direction a répondu qu'elle attendait la décision du gouvernement qui lui permettrait d'augmenter ses voitures. Et le délégué de la C.G.T. a conclu : "Nous y veillerons".

Ainsi, la section syndicale (C.G.T.) admet que, pour rajuster nos salaires, il faut que la direction ait l'autorisation d'augmenter ses prix !

Elle prouve ainsi son incapacité de poser le problème des salaires tel qu'il doit l'être pour être résolu. Tel que nous l'avons posé nous-mêmes, le 23 septembre 1947, dans un tract du S.D.R., en fonction du prix des voitures :

– ou bien la direction doit vendre ses voitures en fonction des salaires qu'elle paie aux ouvriers ;

– ou bien, si elle vend ses voitures au prix fort, elle doit payer aussi les salaires au prix fort.


PAS D'INDESIRABLES A LA 4 CV

L'Acier, le journal du P.C.F., protestait, il y a quelque temps, contre la présence de Delnotte, l'aviateur épuré, à la 4 CV. Mais si la direction emploie Delnotte à la 4 CV, elle est beaucoup plus prudente lorsqu'il s'agit d'ouvriers combatifs. C'est ainsi qu'un ouvrier du Département 6, qui avait été désigné pour aller travailler à la 4 CV, a reçu un contre-ordre de la direction. Il demanda des explications au chef de département en précisant : "C'est certainement parce que je suis allé en délégation à la Commission des cantines, il y a quelques semaines, et que nous avons dévoilé quelques scandales des cantines, que l'on m'interdit d'aller à la 4 CV."

Et la réponse du chef de département fut la suivante : "Effectivement, on ne veut pas d'ouvriers récalcitrant à la 4 CV. La direction préfère les concentrer à Collas."

Si le simple fait d'avoir participé à une délégation ayant pour but de réclamer des explications sur l'augmentation des cantines suffit pour qu'un ouvrier soit éloigné de la 4 CV., cela donne un avant-goût de ce que pourra être le travail à la 4 CV d'ici quelque temps.


VRAI OU FAUX

Des bruits circulent dans l'usine selon lesquels sous le couvert d'organiser la production de la 4 CV, on préparerait une production d'armement.

Nous attendons un démenti de la direction.


METHODES FASCISTES

Notre camarade Mion, du secteur Collas (Renault), rentrant chez lui, le soir, s'est vu barrer la route par un énergumène qui lui a "interdit", sous peine de sévices graves, de continuer son "activité de trotskyste" dans l'usine. "En quelle qualité ? -En tant que membre du P.C.F. : je suis communiste !"

Il ne s'agit pas là de l'action isolée d'un excité. En effet, chez Renault, les soi-disant communistes continuent leur campagne d'intimidation contre les ouvriers combatifs, qui ne sont pas dans la ligne. C'est ainsi que, d'un autre côté, notre camarade Jean Bois vient de s'entendre répéter l'avertissement de ne plus avoir à s'occuper de La Voix des travailleurs (sic).

Comment s'étonner, après de tels faits, que des ouvriers votent pour le R.P.F. et ne fassent aucune distinction entre les partis fascistes et les partis soi-disant ouvriers qui utilisent exactement les mêmes méthodes ?

Mais nous saurons nous défendre et expurger le mouvement ouvrier de telles méthodes. Que les nervis du P.C.F. sachent que nous tiendrons personnellement responsables du moindre dommage causé à l'un de nos camarades, non seulement les inconscients qui sont des instruments de ces procédés ignobles, mais aussi ceux qui les dirigent.


A QUOI VISENT LES BRIMADES PATRONALES

A la suite du mouvement Collas, pendant la grève du Métro, six camarades du S.D.R. ont été l'objet d'une demande de licenciement de la part de la direction. En attendant la décision de l'inspecteur du Travail, une mise à pied de deux jours leur a été infligée. Les motifs de cette mise à pied concernaient des faits de grève, notamment l'organisation d'un vote et la participation au bureau de vote.

Or, tant que le droit syndical existe, il est à la fois normal et courant que les organisations syndicales procèdent à la consultation des ouvriers pendant le travail. Mais la direction voudrait en revenir au beau temps d'avant la grève où même la diffusion d'un tract était interdite pendant les heures de travail. Si elle commence à sévir contre l'organisation d'un vote légal pendant les heures de travail, c'est pour en arrive à interdire complètement aux ouvriers le droit à la parole et installer solidement la chiourme sur leur dos. La preuve c'est que depuis le dernier mouvement de grève, on ne peut sortir de Collas sans laissez-passer, alors qu'en principe la circulation des ouvriers dans l'usine est libre.

La déposition de M. Duten devant la commission paritaire, chargée de décider du licenciement de nos camarades, établit nettement qu'il s'agissait d'une attaque contre le S.D.R. pour son activité syndicale et non de fautes professionnelles de nos camarades.

Voici la défense présentée par le délégué ouvrier (représentant de la C.G.T.), figurant au procès-verbal de la réunion : "Quelles que puissent être les conceptions du syndicat autonome de la Régie Renault, (le délégué cégétiste) considère que le droit syndical et la liberté syndicale étant inscrits dans la Constitution, ne peut admettre que les intéressés soient licenciés pour faits de grève."

Le fait que la C.G.T. qui, par ailleurs, s'entend si bien avec la direction, ait vu quel précédent créait contre elle-même cette attaque patronale, ce fait prouve jusqu'où voudrait aller la direction en s'attaquant à l'avant-garde combative de l'usine qu'est le S.D.R. Mais cette fois-ci elle en a été pour ses frais car la commission paritaire, devant les motifs illégaux invoqués par la direction, a été obligée de refuser le licenciement. La commission paritaire a ainsi évité, à la direction, la réponse bien sentie qu'en cas de décision contraire les ouvriers n'auraient pas manqué de lui donner.

Jean BOIS


LE MATERIEL TELEPHONIQUE

Pour ramener au bercail les syndiqués qui la quittent de plus en plus grand nombre, la section syndicale du L.M.T. fait preuve actuellement d'une recrudescence d'activité... pour l'installation de lavabos et de portemanteaux ! Il aurait été souhaitable qu'elle déployât, ces jours derniers, le même zèle à défendre, vis-à-vis de la direction, une ouvrière menacée d'être renvoyée sous prétexte "qu'on avait besoin à sa place de quelqu'un qui travaille et non de quelqu'un qui discute !"

Au lieu de donner à cette brimade contre une ouvrière trop combative la riposte qu'elle méritait, la C.G.T., en la personne d'une déléguée "dévouée", est allée pleurer auprès de la direction pour que "l'indésirable" ne soit pas licenciée mais simplement mutée à la fonction de balayeuse. Ce qui revient, de la part de la C.G.T., à donner son consentement à la direction pour lui permettre de déclasser les ouvriers dorénavant à son gré.

Façon assez particulière pour une organisation syndicale de concevoir son rôle de défenseur des intérêts ouvriers !

En réalité, si la C.G.T. s'agite tant pour une peccadille comme les lavabos ou les portemanteaux, c'est pour dissimuler son manque total de combativité, sa servilité à l'égard du patron et son désintéressement absolu du sort des ouvriers. Mais ceux-ci ne s'y trompent guère et ils viennent, tout récemment encore, de manifester leur méfiance à l'égard de la C.G.T.

Le jeudi 16 octobre, pendant la grève du Métro, au L.M.T. comme dans la plupart des usines, la section syndicale a organisé un vote pour la grève générale. Mais les ouvriers, se souvenant des tournants de la C.G.T. lors de la grève du mois de juin, ont exigé que le vote soit secret. Bien que la plupart aient été partisans d'un mouvement généralisé, la majorité s'est prononcée contre, uniquement pour ne pas faire, à nouveau, le jeu des manoeuvres cégétistes. Les délégués qui, eux, ont la mémoire courte, n'ont rien compris à cette attitude des ouvriers qu'ils ont accusés de ne pas savoir ce qu'ils voulaient. En réalité, les ouvriers savent ce qu'ils veulent : ne plus être à la merci des combines cégétistes, pouvoir s'exprimer et agir librement pour la défense de leurs intérêts.


S.N.C.F. (SUD-EST) – DEMOCRATIE CEGETISTE

A la gare de Lyon, M. Bidault, secrétaire local de la C.G.T., convie périodiquement les cheminots à des réunions dites "syndicales". La dernière en date est un exemple de ce que ces messieurs entendent par syndicalisme. Elle était placée sous le signe des salaires. Mais quel que soit l'ordre du jour, le procédé est toujours le même : deux mots sur la question la plus importante, en l'occurrence le bifteck ; et une longue tirade sur le dévouement des cheminots pour le relèvement du pays - ceci pour endormir l'auditoire - et, par le même orateur et sans transition, un mélange grossier où les trusts et les syndicats d'opposition sont mêlés. Tout ce qui n'est pas C.G.T. est traîné dans la boue.

Car la C.G.T., c'est la démocratie.

La preuve en est donnée à la fin de la réunion. Un membre du bureau sort une résolution de sa poche, "propose" quatre individus nommés d'avance comme délégation, qui porteront la "motion". On vote selon le procédé classique : "Que-ceux-qui-sont-d'accord-le-manifestent-en-levant-la-main. Avis-contraire-y-en-a-pas. Adopté-à-l'unanimité."

Voilà comment ces grands syndicalistes, tout en se moquant des ouvriers, extorquent, une fois tous les quinze jours, leur confiance.


GNOME (KELLERMANN)

Comme la plupart des usines, la section syndicale chez Gnôme (Kellermann) a organisé un vote pour la grève générale, pendant le conflit du Métro, le jeudi 16 octobre. La majorité des ouvriers s'est prononcée pour la grève. Cependant, la C.G.T., qui n'avait pas du tout l'intention d'entrer en lutte, s'est bornée à enregistrer le résultat du vote en persuadant les ouvriers d'attendre, pour prendre une décision, que soit connue celle de l'Union des syndicats de la région parisienne qui devait se réunir le lundi suivant. Mais le lundi, la section syndicale proposait de remettre l'action "à un moment plus opportun" (!) et faisait revenir les ouvriers sur leur premier vote.


CITROEN – CLICHY

Pendant la grève du Métro, l'effervescence était grande parmi les ouvriers de chez Citroën-Clichy. La majorité était pour une grève générale. Cependant, apprenant que la C.G.T. s'apprêtait à organiser un vote, après bien des atermoiements, presque tous les ouvriers se déclarèrent prêts à voter contre une action dirigée par elle. Chez Citroën, comme dans presque toutes les usines, par ce vote, les ouvriers n'ont pas exprimé leur manque de combativité, mais leur défiance vis-à-vis de la direction cégétiste.

Par suite de l'élévation de nos frais, nous sommes obligés, comme l'ont déjà fait tous les quotidiens, d'augmenter le prix de notre journal. A partir du numéro prochain, La Voix sera vendue 4 francs.

 

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