1948 |
L'EMANCIPATION DES TRAVAILLEURS SERA L'ŒUVRE DES TRAVAILLEURS
EUX-MÊMES |
Voix des Travailleurs nº 40
31 mars 1948
"Plan Marshall", "Union occidentale", Etats-Unis d'Europe, telles sont les enseignes "lumineuses" des puissances occidentales qui s'organisent fébrilement pour participer à la 3e guerre mondiale.
"Sans l'aide de l'Amérique, nous sommes voués à la famine et à la décadence définitive ; seuls les dollars de l'oncle Sam peuvent nous tirer de là ; il faut que nous obtenions du Congrès américain que le plan Marshall "d'aide économique à l'Europe" soit appliqué au plus tôt." Ainsi s'exprime la propagande pro-américaine des milieux bancaires et industriels, appuyés d'ailleurs à fond par le gouvernement Schuman, légalement "représentant du peuple français".
Mais qu'un pays comme la France, dont la richesse agricole et industrielle se chiffre, malgré les destructions et les pillages de la guerre, à des mille et mille milliards, soit voué à la misère permanente sans les quelques dizaines de milliards de l'aide américaine, cela constitue, de la part de nos classes dirigeantes, l'aveu le plus significatif de la faillite de leur régime. De même que "l'homme d'affaires" à court d'argent doit se vendre au banquier qui lui en prêtera, le capitalisme français et occidental en faillite ne peut se survivre qu'en subissant les conditions draconiennes du capitalisme encore debout des Etats-Unis.
Car le gouvernement des banquiers des Etats-Unis n'est guère plus généreux que le banquier privé. Au contraire, avec lui, les clauses de rapine économique se triplent de clauses militaires et politiques. Clauses que nous trouvons sous les deux autres enseignes.
Sous le nom d'"Union occidentale", l'Angleterre, la France, la Belgique, la Hollande et le Luxembourg ont signé un "pacte à 5" militaire, soi-disant pour la "défense contre l'agresseur". En fait, il s'agit d'une alliance sous l'égide américaine, contre la Russie. Pratiquement, il servira de prétexte aux cinq gouvernements pour exiger le maximum de sacrifices de "leurs" peuples, et au camp adverse pour en faire autant, naturellement, lui aussi pour se "défendre". C'est ainsi que, pour la France, ce pacte signifie un milliard de francs par jour de dépenses militaires, la durée du service militaire portée à 18 mois, le maintien "sous les drapeaux" des classes libérables et le renforcement sur toute la ligne des mesures réactionnaires en politique intérieure.
Pour aboutir à quoi ? Mais à quoi a servi en 1939 le pacte Staline-Laval de 1935 ? A défendre la Russie et la France contre Hitler. A quoi a servi en 1941 le pacte conclu en 1939 entre Hitler et Staline pour le "maintien de la paix" entre l'Allemagne et la Russie ? A quoi a abouti l'entente entre les "3 grands" ? A quoi aboutit toujours la diplomatie secrète mondiale, sinon à pousser les peuples à se massacrer les uns les autres et à maintenir à ce prix la domination d'une poignée de milliardaires sur tous les peuples du globe ?
Politiquement, l'organisation impérialiste des pays occidentaux se poursuit sous le mot d'ordre alléchant D'ETATS-UNIS D'EUROPE. Mais il suffit de savoir, à ce sujet, que c'est M. Churchill, conservateur-réactionnaire, homme de confiance des banquiers de la City de Londres, qui patronne officiellement cette opération, pour comprendre la signification de CETTE soi-disant "unification" des pays occidentaux. Si elle pouvait aboutir, elle ne pourrait être qu'une entente entre les capitalistes de ces pays pour exploiter en commun les peuples qui essayent d'échapper à l'emprise du capitalisme occidental et non pas une mesure progressive destinée à assurer l'essor économique des travailleurs métropolitains.
Sauver les travailleurs et les paysans pauvres de la misère engendrée par la faillite du capitalisme, seule la classe ouvrière internationale peut en réalité le faire. Car, de toutes les classes de la société, seule la classe ouvrière, dans tous les pays, a des intérêts et des buts identiques : elle seule, par conséquent, peut réaliser l'unification économique de l'Europe et du monde au profit de toute l'humanité et non pas au profit des exploiteurs et des oppresseurs.
Mais, jusqu'à maintenant, le mouvement ouvrier international n'a pas été capable de s'élever à la hauteur de ses tâches historiques. Et c'est sa faiblesse qui permet à toutes sortes de démagogues de tromper les peuples avec des slogans socialistes, seulement en apparence.
Cependant, les formules démagogiques peuvent tromper les gens pour un temps, mais elles ne peuvent remédier en rien à la situation sans issue à laquelle le capitalisme en décadence voue les travailleurs. C'est pourquoi, si faibles que soient encore dans le monde les partisans conscients de la Révolution socialiste mondiale, chaque jour qui passe verra se renforcer la lutte ouvrière pour les Etats-Unis socialistes d'Europe et du monde.
LA VOIX DES TRAVAILLEURS
Une fois de plus le gouvernement annonce qu'il va faire baisser les prix.
En effet, commentent les journaux, "le mouvement revendicatif pourrait s'amplifier si une certaine baisse n'était pas enregistrée".
Ce n'est donc, encore une fois, comme l'expérience Blum, que de la poudre aux yeux, des promesses pour ne pas accorder satisfaction aux revendications ouvrières.
Le gouvernement pense posséder, cette fois-ci, de meilleurs atouts. Beaucoup de journaux, Le Monde entre autres, ont mis en lumière le fait que la chute catastrophique du pouvoir d'achat et le chômage, en empêchant les ouvriers d'acheter, ont déjà arrêté ce mois la hausse des prix. C'est donc pour autant que les ouvriers continueront à ne pas manger, à se serrer la ceinture, qu'une certaine baisse pourra se produire. Les prix ont, en effet, augmenté de 50% depuis le mois de novembre et la sous-consommation provoquée par cette hausse doit inévitablement arrêter la montée des prix pour un certain temps ; autrement dit, toute la politique gouvernementale de baisse est basée sur le : "ne mangez pas !"
Cependant les ouvriers savent que l'amélioration de leur niveau de vie est, à l'heure actuelle, possible. La production industrielle a rattrapé et dépassé son niveau de 1938. Les denrées alimentaires de base existent en abondance. Mais les capitalistes préfèrent affamer "leurs" ouvriers en les faisant travailler à de bas salaires pour pouvoir, par l'exportation, s'ouvrir le plus possible de débouchés. L'automobile française, par exemple, est le meilleur marché à l'Exposition internationale en Suisse, mais inaccessible en France même.
Ce n'est pas la pénurie, comme il le prétend, qui empêche le gouvernement de procéder à l'augmentation du pouvoir d'achat, mais la politique économique des capitalistes qu'il a pour charge d'exécuter. C'est ainsi que, malgré l'abondance, le niveau de vie des ouvriers a été ramené au tiers de ce qu'il était en 1938 et continue à descendre.
La bourgeoisie a réussi à agenouiller les ouvriers. Voilà pourquoi, quels que soient les hommes au gouvernement et la couleur de leur politique, celle-ci est toujours orientée contre les travailleurs et les masses laborieuses. C'est pourquoi aussi cette situation ne pourra changer et les travailleurs ne pourront retrouver leur niveau de vie d'avant guerre qu'au moment où la classe ouvrière se dressera de toute sa taille face à la classe capitaliste et à son gouvernement.
Dans son style particulier, L'Acier commente ainsi le deuxième tour au département 6 : "Comme larrons en foire", les diviseurs firent chorus et bloquèrent tous leurs espoirs sur les candidats du S.D.R. Ils étaient gonflés à bloc et déjà ils vendaient "la peau de l'ours". "Nous aurons plus de cent voix de majorité", jubilaient-ils. La face épanouie, ils se voyaient les grands vainqueurs. Dame, l'union de tous les ennemis du mouvement ouvrier s'était réalisée. "Cette fois-ci c'est dans la poche", disaient-ils. Mais voilà, les travailleurs ont répondu et le résultat est là. Tous les candidats C.G.T. ont été élus, lors de ces élections partielles."
Et ainsi de suite, MAIS DE CHIFFRES POINT ! Le lecteur de L'Acier n'a pas le droit de connaître par combien de voix, sur combien de votants, les candidats C.G.T. ont été élus ; ils n'ont pas le droit de savoir que ces voix représentent seulement 35% des votants du département, ils ne savent pas (s'ils lisent seulement L'Acier) que le S.D.R. en a recueilli autant et que c'est seulement par "droit d'aînesse" que le candidat de la C.G.T. l'a officiellement emporté ! Le lecteur de L'Acier doit être maintenu dans l'ignorance de tout cela, sans quoi il lui viendrait des soupçons quant à la manière dont le "père des peuples" obtient toujours 100% des voix dans son paradis de la démocratie intégrale !
Tout en criant victoire, c'est un fait que L'Acier n'a osé publier aucun chiffre, ni sur le premier tour, ni sur le deuxième.
Car ces chiffres montrent que c'est seulement grâce à un découpage électoral antidémocratique et illégal (et nous poursuivons notre action par devant le juge de paix à ce sujet) que la C.G.T. a des élus aux départements 6 et 18.
En effet, 296 voix au département 6 et 46 voix au département 18 font 342 voix pour la C.G.T. ; tandis que 296 voix au département 6 et 121 voix au minimum au 18 (nombre de signatures recueillies) font 417 voix pour le S.D.R.
Non, messieurs les bourreurs de crâne ! A Collas, c'est toujours le S.D.R. qui réunit le plus grand nombre d'ouvriers. Les chiffres le prouvent, et c'est pourquoi vous le cachez à vos lecteurs.
Après une jonglerie savante avec les chiffres et les textes gouvernementaux, la direction de la Régie Renault a réussi à calculer que les augmentations de salaires consécutives aux grèves de novembre-décembre donnaient pour l'O.S.2 un salaire horaire de 43,90 frs. (3,60 frs. d'augmentation).
Mais ce n'est pas seulement dans les "interprétations" des règlements que la Régie arrive à spolier les travailleurs. Le travail au boni lui fournit une source supplémentaire de profit.
Jusqu'à la fin 1945, chez Renault, contrairement à des boîtes comme Citroën, le boni n'était pas dégressif puisque la paye était établie en fonction du taux minute qui était de 1/60 du taux de base.
Maintenant que les ouvriers ont obtenu (sic) des primes de production, puis de vie chère, ces primes étant "fixes", le boni est devenu dégressif. En effet, si un ouvrier O.S.2 gagne 43 fr.90 de taux de base (60 minutes dans l'heure) en réglant à 85 minutes dans l'heure, il perçoit du boni sur les 43 fr.90 de base. Mais sur les 10 francs de vie chère et les 6 francs de prime de production il ne touche aucun boni.
En travaillant au boni à 85 minutes
dans l'heure (environ 140%) un ouvrier qui fait ses 48 h. par semaine,
soit 192 h. par mois, gagne :
43,90 frs. x 85
192 x ------------------ + 10 + 6 = 149,76 frs.
60
plus indemnité pour heures supplémentaires : 32 heures à 25% soit 624 francs. Au total : 15.600 francs.
Si au lieu de travailler à 85 minutes dans l'heure un ouvrier travaillait normalement à 60 minutes dans l'heure pour faire le même nombre de pièces il devrait travailler 272 heures au lieu de 192 heures. (Pratiquement, en 192 heures de présence un ouvrier fait 272 heures de travail par mois ou 68 heures par semaine).
Mais alors le patron devrait le payer :
272 x (43,90 frs. + 10 + 6) = 16.292 frs.
plus indemnités pour heures supplémentaires
:
32 heures à 25% : 479 frs.
30 heures à 50% : 2 396 frs.
---------
Au total : 19 167 frs.
Pour un même nombre de pièces, en faisant travailler au boni, la direction empoche donc :
19.167 frs. - 15.600 frs.= 3.567 frs. par ouvrier et par mois.
Pour 30.000 ouvriers cela fait 107 millions par mois de gagné rien que par le fait de faire travailler les ouvriers plus vite. Et ceci rien que sur la main-d'œuvre, car il va de soi que la direction gagne encore beaucoup plus sur les frais généraux qui, eux, que l'on travaille vite ou doucement, sont sensiblement les mêmes.
Nous sommes loin du boni progressif que revendiquait la C.G.T. du temps où elle était le champion de la production.
Pierre BOIS
A l'issue de son congrès extraordinaire, la Fédération de l'Education nationale vient de se prononcer pour l'autonomie syndicale par 3.795 voix contre 1.666 et 76 abstentions. Une proposition des partisans de la C.G.T. de laisser à chaque syndiqué la liberté d'adhérer, le cas échéant, à deux centrales syndicales simultanément, a été repoussée. En conséquence de ce vote où les partisans de l'autonomie ont remporté une écrasante majorité, les cégétistes ont décidé de constituer une seconde fédération, adhérente à la C.G.T. Ainsi, dans la Fédération de l'Enseignement, où elle est très nettement en minorité, la C.G.T. prend l'initiative de la scission.
Cette attitude des cégétistes les démasque, eux, comme les véritables scissionnistes, en dépit des hauts cris qu'ils n'ont pas manqué de pousser jusque-là, au nom de l'Unité, chaque fois que dans une entreprise, au sein d'une fédération, un mouvement autonome a pris naissance. Car même quand elle n'a pas pris l'initiative de la scission, c'est toujours la C.G.T. par son attitude antidémocratique et antiouvrière, qui en a été à l'origine.
Ainsi, chez Renault, si le Syndicat démocratique a été créé, fin mai 1947, c'est parce que la section syndicale cégétiste de Boulogne refusa de reconnaître la C.E. du secteur Collas, élue par plus d'un millier d'ouvriers, à la suite de la grève. Sur les 1.200 ouvriers de ce secteur (1.600 à 1.800 avec les collaborateurs), la C.G.T. dans une assemblée générale, réunit 19 personnes et dût désigner d'office les membres de la C.E. !
Et ce sont ces mêmes cégétistes qui, après avoir bafoué la plus élémentaire démocratie, se sont mis ensuite à crier "aux diviseurs" contre les ouvriers qui, pour faire respecter la volonté de la majorité au secteur Collas, ont fondé le Syndicat démocratique Renault.
Si les cégétistes ne prennent pas eux-mêmes l'initiative de la scission, ils obligent les travailleurs, qui ne veulent plus de leurs méthodes, à la prendre. Ils se posent en champions de l'unité syndicale, mais n'hésitent pas à provoquer la scission, même contre la volonté de l'écrasant majorité, comme ils viennent de le faire dans l'Enseignement. Car leur but n'est pas de tenir compte de la volonté des travailleurs, mais d'imposer aux travailleurs leur propre bureaucratie pourrie.
DEBRAYAGES
Plusieurs débrayages ont eu lieu à la Régie Renault. D'abord au département 39, au Bas-Meudon, puis aux fonderies, et enfin au département 30, place Nationale (montage de dynamos, démarreurs, etc...).
L'origine de ces trois conflits vient d'une offensive de la direction contre les temps qui se traduit par une diminution du salaire.
Aujourd'hui, les travailleurs payent le fruit de la politique du "produire". Il y a à peine deux ans, quand le ministre Croizat supprimait le plafond, la C.G.T. invitait les travailleurs à produire, les assurant que les chronos n'avaient pas le droit de venir descendre les temps. Mais aujourd'hui que la bourgeoisie n'a plus besoin de Croizat pour forger des chaînes pour les travailleurs, elle l'a écarté du gouvernement et les chronos reprennent du service.
L'Humanité "appuie" les travailleurs qui sont obligés, par leur action, de réparer la mauvaise politique de Croizat.
La C.G.T. ne considère plus la grève comme l'arme des trusts. Elle la soutient ; mais, comme toujours, elle la détourne de tout objectif sérieux.
L'Humanité, dans son numéro du 27 mars, écrit : "Au département 39, le coefficient passe de 100 à 130% ; au département 46-47, les ouvriers obtiennent l'outillage et le matériel de protection leur permettant de réaliser normalement leur coefficient". Ainsi, les travailleurs luttent par la grève pour obtenir le droit (sic) de réaliser un coefficient d'un tiers supérieur à la moyenne, c'est-à-dire le droit de se crever.
Les travailleurs ont raison de riposter par la seule arme qui soit efficace, la grève. A toute offensive du patronat contre leur standard de vie dans chaque secteur où des attaques contre les temps et les salaires se manifesteront, ils répondront, comme l'ont fait leurs camarades.
Revendiquer d'être payé à 13O% au lieu de 100%, ce n'est pas une revendication sérieuse, car le patron pourra toujours se rétracter dès que la combativité des ouvriers sera tombée et prétendre que le coefficient n'a pas été réalisé.
A bas le salaire au rendement !
LES LARBINS PROPHETES
"Jamais, jusqu'à ce jour, on a donné de tels avantages aux ouvriers ; il n'y a donc aucune raison qu'on les leur accorde jamais", telle était la réflexion faite par le chef du département 46 (fonderie) au sujet de revendications posées par des ouvriers de ce département.
Quelle chose jamais ouïe jusqu'à ce jour, réclamaient donc ces audacieux ? Avaient-ils prémédité le ténébreux dessein de faire ouvrir les coffres-forts et de partager les bénéfices ? Demandaient-ils, comme le permet déjà le progrès technique, de travailler 4 heures par jour au lieu de 10 heures ? Non pas. Il s'agissait de bien plus modestes revendications ; certains ouvriers de ce département travaillent sous des ponts roulants graissés, ne possédant aucun carter de protection. Toute la journée, des gouttes d'huile tombent sur leurs vêtements qui, abîmés, ne peuvent plus être nettoyés. Aussi réclamaient-ils la pose de carters. Par ailleurs, les fondeurs et les ébarbeurs, en travaillant, chassent les poussières sur les autres ouvriers. Et cependant, ces derniers n'ont pas droit à la prime de salubrité. Beaucoup d'ouvriers, également, qui travaillent avec leur propre outillage, ne touchent aucune prime. Les ouvriers du département ne demandaient rien de plus que la satisfaction de ces revendications qui, comme on le voit, n'ont rien de "subversif".
Mais, de mémoire d'homme, a-t-on jamais vu des capitalistes accorder par "bonté d'âme" à leurs ouvriers des conditions de travail tant soit peu acceptables ? Les ouvriers, eux, n'en ont guère le souvenir. Tout au contraire, au mépris de l'hygiène et de la sécurité les plus élémentaires de l'ouvrier, les capitalistes ont réduit à rien les dépenses qui leur sont consacrées, et accroissent ainsi la marge déjà grande de leurs bénéfices. C'est pourquoi ils estiment la base de leur régime ébranlée si les ouvriers essaient d'améliorer tant soit peu ces conditions.
Jusqu'à ce jour, on n'a, en effet, jamais "donné" de tels avantages aux ouvriers. Cependant, ils en ont obtenu de bien plus considérables chaque fois qu'ils ont été en mesure de les imposer par la force au patronat. C'est ainsi qu'avant 1936, les patrons n'avaient encore jamais réduit la durée du travail à 40 heures avec le maintien du salaire de 48 heures, ni consenti à accorder aux ouvriers 15 jours de congés payés, par an ; les contrats collectifs n'existaient pas, et pourtant, ces revendications, bien autrement importantes que les modestes réclamations des ouvriers du département 46 ont été accordées, car les patrons y ont été forcés : il a fallu que les ouvriers, fermement résolus et ayant réalisé l'unité de tous dans la lutte, fassent un seul mouvement comme celui de juin 1936, pour faire céder un patronat qui n'était pas moins décidé à ne rien accorder.
Il est vrai que le patronat n'a jamais "donné" d'avantages aux ouvriers. C'est pourquoi ceux-ci furent toujours obligés d'entrer en lutte pour obtenir quelque chose. C'est pour cela, aussi, que dans tous les cas où les ouvriers se heurtent à leurs exploiteurs, ils ne peuvent obtenir quoique ce soit que dans la mesure où ils se montrent capables de faire l'effort de lutte qu'exige l'atteinte de leur objectif et d'opposer à la volonté du patronat la volonté encore plus puissante des travailleurs.
Que les ouvriers du département 46 passent à l'action et ils démentiront les prophéties des larbins de ces messieurs.
Presque seul de la région parisienne, Citroën embauche des O.S. Dans les bureaux perfectionnés de la rue Balard, la main-d'œuvre afflue, affolant les employés qui doivent choisir pour la maison, et passent leur énervement sur les pauvres bougres sans travail dont voici l'éliminatoire :
– Premier bureau : examen des certificats pour contrôler s'ils sont sérieux.
Première fiche : questionnaire habituel : état civil, connaissances, anciennes maisons, etc...
– Second bureau : ici, l'on dépiste les "escrocs". L'employé prend son rôle au sérieux et joue au petit commissaire : "Tu mens, tu as déjà travaillé ici. Pourquoi mens-tu ?" Ces paroles s'adressent à un ouvrier que le manque de ressources ramène là où il n'aurait jamais remis les pieds.
"Vous n'avez pas votre certificat d'études ?"... sourire ironique. "Vous êtes Espagnol, ne savez pas écrire le français ?" ...Pas de temps à perdre.
Deuxième fiche.
– Troisième bureau : visite médicale. Ici nous sommes du bétail : pesé, palpé, mesuré ; les yeux, les jambes, les mains ; radio, tension, etc. Le tout au rythme accéléré.
Avez-vous des varices, de l'anémie, de mauvais yeux ou autre chose qui ne vous empêche pas de travailler ? Vous êtes refusé. La maison n'emploie que du matériel en bon état (elle se charge de le détériorer).
Troisième fiche.
– Quatrième bureau : il ne reste que très peu de sujets. Ici, c'est la maison qui vous parle : il faut être courageux, pas bavard, enfin un ouvrier modèle.
Etes-vous tout cela ?
Quatrième fiche.
– Cinquième bureau : votre dossier est complet. Vous êtes l'ouvrier idéal des usines Citroën. Il ne vous reste plus qu'à entrer en fonction, quand la maison aura un emploi disponible et vous convoquera.
Mais si vous avez la chance qu'il y en ait un dès maintenant, alors, vous passez à un sixième bureau où l'on vous prend (il ne manquait plus que cela) en photo.
Ainsi, les heures passent dans les salles d'attente, entre chaque bureau. Par un filtrage serré, la maison s'assure le plus de garanties possibles et en profite d'autant plus qu'il y a chômage.
Les tarifs les plus bas, les conditions de travail les plus mauvaises.
A la première occasion, les embauchés prendront leur compte. Et la maison Citroën continuera à embaucher pour le plus grand bien de ses coffres-forts, et au mépris des dommages que cause à la production ce gaspillage de main-d'œuvre.
UNE POSTULANTE
La répression contre les travailleurs indochinois en France continue. La 39° compagnie de travailleurs du Mont-de-Marsan a fait la grève de la faim pour protester contre le "rapatriement" de leurs camarades détenus au camp de Bias. Devant l'obstination des grévistes, la direction de la D.T.I. a proposé aux internés de devenir travailleurs "libres", ou alors de se résigner à l'internement au camp de Bias.
Si le gouvernement français voulait vraiment en faire des travailleurs "libres", il n'aurait pas dissous les deux centres de formation professionnelle de Marseille. Il s'agit, en réalité, d'un prétexte pour interner "légalement" les travailleurs. Car comment ceux-ci, pour la plupart ne parlant pas français, et sans métier, pourraient-ils trouver de l'embauche dans les circonstances présentes ?
Des ouvriers indochinois, dont un délégué syndical, pour avoir diffusé un tract révélant cette situation ont été aussitôt arrêtés.
A Sorgues, les agents de la D.T.I. furent pris, par les travailleurs indochinois, en flagrant délit de pillage. Ceux-ci firent appel au témoignage de la C.G.T. et portèrent plainte contre la D.T.I. En réponse, les C.R.S. (gardes mobiles) encerclèrent le camp et la C.G.T. fut avertie que "cela ne la regardait pas".
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