1948 |
L'EMANCIPATION DES TRAVAILLEURS SERA L'ŒUVRE DES TRAVAILLEURS
EUX-MÊMES |
Voix des Travailleurs nº 42
14 avril 1948
L'attention générale est retenue ces jours-ci par les élections qui vont avoir lieu le 18 avril, en Italie. Car, selon les augures, ces élections doivent décider, non seulement du destin de l'Italie, mais aussi de celui de l'Europe et, partant, du monde. Et, en effet, une avance stalinienne au-delà du "rideau de fer" modifierait profondément le rapport de forces entre Moscou et Washington.
Les commentaires vont leur train, les prévisions intéressées abondent et les paris sont engagés. De Gasperi ou Togliatti ? Rome conservera-t-elle son pape, sa police mussolinienne et son corps des officiers monarchistes ou bien s'agenouillera-t-elle devant le potentat du Kremlin, sa Guépéou et ses maréchaux ? L'Italie restera-t-elle dans le giron des "démocraties", sous la protection des porte-avions américains ou sera-t-elle submergée par l'occupation russe ?
Mais l'importance même de l'enjeu démontre l'impossibilité que tout cela soit décidé par de simples élections. Où et quand des changements aussi considérables ont-ils eu lieu à la suite d'une consultation électorale ? Nulle part et jamais. Deux exemples suffiront pour s'en convaincre.
En 1936, à la victoire électorale du Front populaire espagnol, Franco riposta par un coup d'Etat militaire. Et avec la complicité et l'appui des impérialistes français, allemands et anglais (Blum, Hitler et Chamberlain) et grâce à l'attitude criminelle des bureaucrates moscovites vis-à-vis des ouvriers espagnols, il obtint par les armes ce que lui avait refusé le vote.
Il y a quelques semaines à peine, en Tchécoslovaquie, les représentants de Moscou, protégés par l'occupation stalinienne, se sont assurés une majorité écrasante aux prochaines élections par un coup d'Etat préventif. Cependant, toutes les consultations précédentes les avaient maintenus en minorité...
Supposons donc un instant que Togliatti l'emporte dimanche prochain. De Gasperi s'inclinerait-il ? Céderait-il pacifiquement le pouvoir, et avec lui, le sort de l'Italie, au P.C. italien ?
La réponse à cette question ne fait pas l'ombre d'un doute. Précédant les élections, un grand déploiement de forces militaires a déjà eu lieu à Rome. "C'est à coup sûr le défilé le plus imposant auquel les Italiens aient assisté depuis la parade monstre organisée en 1936 (par Mussolini n.d.l.r.) en l'honneur du Führer", commente Le Monde, cependant peu suspect de malveillance vis-à-vis du catholique de Gasperi ! Les partisans de celui-ci peuvent ainsi acquérir la certitude que, quoi qu'il arrive, ils peuvent compter sur la force de l'Etat.
"Les élections démocratiques" trancheront si peu la question du pouvoir et du bloc des puissances auquel doit appartenir l'Italie, que la presse française favorable à Togliatti, insiste, elle aussi, sur le caractère "agissant" des masses qui soutiennent ce dernier.
En fait, ces élections ne feront que révéler, d'une façon très approximative, le rapport des forces entre les deux antagonistes et fournir au gagnant une justification légale à ses agissements ultérieurs.
Il est clair, au contraire, que si face à de Gasperi, maître de la police, de l'armée, de la justice, de la flotte, des églises et appuyé par l'impérialisme américain (dont les soldats peuvent légalement débarquer à la première alerte dans la péninsule), Togliatti ne comptait pas environ 2 millions d'inscrits dans son parti, ne disposait pas de nombreuses complicités dans l'administration et ne bénéficiait pas de l'appui direct de Moscou (dont il est voisin par la Yougoslavie), il ne serait même pas question du tout d'élections démocratiques dimanche prochain. Comme les partisans de Bénès, en Tchécoslovaquie, ou comme les partisans de Messali Hadj, en Algérie, les partisans de Togliatti seraient réduits à l'impuissance avant même les élections. Celles-ci ne seraient plus qu'un plébiscite du parti gouvernemental.
Mais, avec l'appui américain aux gaspéristes, et l'appui russe aux togliattistes, les élections, quel que soit leur résultat, mèneront l'Italie, à plus ou moins bref délai, sur le chemin de la Grèce. La guerre civile, latente jusqu'à maintenant en raison d'un équilibre temporaire des forces, prendra une ampleur croissante du fait que le "vaincu" du 18 avril voudra prendre sa revanche par d'autres moyens, tandis que le "vainqueur" mettra à profit sa victoire électorale pour essayer d'écraser complètement son adversaire.
Il n'y a pas de compromis possible. Le peuple italien, si éprouvé depuis la première guerre impérialiste, est menacé une fois de plus de devenir la proie de luttes sanglantes pour savoir quel maître étranger l'exploitera et l'opprimera.
Mais la classe ouvrière italienne, aguerrie par sa lutte contre Mussolini, qu'elle a renversé par ses propres moyens, et qui compte dans ses rangs d'innombrables combattants hardis, a également son mot à dire. Non pas aux élections, car les partis ouvriers indépendants sont faibles, mais dans la lutte de tous les jours. Et, en fin de compte, c'est cela qui décide vraiment du destin final d'un peuple.
Bientôt se lèveront, en Italie, les rangs serrés des combattants de la révolution socialiste mondiale contre les banquiers de New-York et les satrapes de Moscou car bientôt l'Italie n'aura plus le choix qu'entre deux genres d'esclavage et de mort !
LA VOIX DES TRAVAILLEURS
Réuni à la Mutualité, le congrès Force Ouvrière a entendu déverser à la tribune toutes sortes de "professions de foi", en particulier l'apolitisme. En fait, F.O. elle-même n'est que l'appendice syndical de la Troisième Force et de son gouvernement.
Ainsi, chaque centrale syndicale, C.G.T., F.O., C.F.T.C., C.N.T., ne représente plus qu'une organisation de tendance. Fini le vieux syndicalisme démocratique qui permettait la cohabitation de toutes en une seule C.G.T.
Depuis la "libération", l'unité syndicale n'était qu'un front unique réunissant les bureaucrates frachonistes et jouhaussistes contre les travailleurs sur la base du "produire" au profit des capitalistes. Mais cette situation ne tarda pas à provoquer finalement une grave scission entre les bonzes au sommet et la base ouvrière réduite au silence ou rejetée dans l'antisyndicalisme.
Mais le mouvement gréviste, à partir d'avril 1947, et les changements survenus dans la situation internationale, ont provoqué la séparation entre les deux fractions. L'une avec Frachon, entendait continuer à servir la nouvelle politique de Moscou, et l'autre, avex Jouhaux, entendait rester toujours au service des capitalistes, qui espèrent renflouer leur régime grâce au plan Marshall et à une exploitation renforcée des ouvriers.
L'unité syndicale n'a pas été davantage sauvée sur la base de l'autonomiste. L'expérience de la Fédération de l'Enseignement, dont la majorité voulait sauvegarder l'unité en rompant à la fois avec les centrales jouhaussiste et frachoniste, est concluante. Les minoritaires cégétiste et F.O. ne se sont pas soumis à la majorité bien que celle-ci permette la libre expression des tendances ; ils ont provoqué la scission au profit de leurs bureaucraties respectives. Toujours de par la volonté des bureaucrates, l'unité a été mise en échec dans ce cas également.
Par conséquent, tant que les vieilles organisations bureaucratiques conserveront encore quelque influence sur des secteurs importants de la classe ouvrière, l'unité ne sera plus possible.
Seuls les révolutionnaires prolétariens peuvent sauvegarder l'unité syndicale de la classe ouvrière, car n'étant au service que des travailleurs, ils peuvent seuls en accepter toutes les décisions. Ils ne craignent pas, eux, de rester en minorité, car leurs positions sont toutes dictées uniquement par le mouvement de la classe ouvrière vers son émancipation.
Dans cette voie, s'il peut arriver que les travailleurs se trompent et les mettent en minorité, comme il s'agit de leur propre sort, leur propre expérience doit, tôt ou tard, les ramener dans la voie indiquée par les révolutionnaires. Tandis que les bureaucrates, eux, ne peuvent en aucun cas et d'aucune façon, supporter la démocratie, car autrement leur politique de trahison serait facilement tenue en échec par les ouvriers conscients.
Mais si aujourd'hui les révolutionnaires prolétariens ne peuvent pas empêcher les bureaucrates de provoquer la scission de la classe ouvrière, ils peuvent, par contre, par leur attitude unitaire, faire en sorte que cette scission ne soit pas un obstacle à l'union des ouvriers chaque fois qu'ils ont à riposter à une attaque patronale.
C'est dans ce sens que, par exemple, les dirigeants du S.D.R. orientent tous leurs efforts pour aboutir au front unique de tous les travailleurs, quelles que soient leur tendance et leur organisation.
En partant d'en bas, et par la victoire totale des éléments révolutionnaires sur les vieilles bureaucraties, l'unité syndicale, c'est-à-dire la cohabitation fraternelle de tous les ouvriers dans une seule organisation démocratique, sera demain une réalité.
Les grèves partielles continuent à la R.N.U.R. Après le Bas-Meudon, les fonderies, les dynamos, c'est maintenant la 4 CV et les presses de la tôlerie qui sont entrées en action. Partout c'est le même motif qui pousse les ouvriers à se défendre par la grève contre l'offensive patronale de diminution des temps.
A la 4 CV, la direction invoque l'emploi des machines neuves pour supprimer les primes et imposer des temps ridicules. De plus, des "erreurs" considérables dans les payes aiguisent encore le mécontentement des travailleurs.
A la tôlerie, on a diminué les temps dans de telles proportions que les ouvrières qui travaillent sur les presses, malgré une cadence infernale, ont été réglées à 62 fr. de l'heure. Certaines même ont été réglées au boni coulé, c'est-à-dire 59 fr. de l'heure.
Ce que les ouvriers conscients avaient prévu, dès le début du travail au rendement à outrance et de la suppression du plafond, se produit aujourd'hui : les ouvriers n'en peuvent plus.
Malgré cette situation, il n'est pas de jour que la C.G.T. n'annonce une grande "victoire".
Grande victoire, quand les ouvriers obtiennent d'être réglés à 130%, c'est-à-dire à 73 francs de l'heure. Par rapport à un ouvrier réglé au boni coulé, être réglé à 130% cela représente une augmentation (?) de 14 francs de l'heure. Mais cela est encore nettement inférieur à ce que gagnent en général les ouvriers de l'usine, car, en moyenne, ils règlent à 85 minutes, soit environ 78 ou 80 francs de l'heure pour un OS2.
Grande victoire aussi, quand les ouvriers obtiennent des conditions de travail (outils, etc.) telles qu'aux fonderies, qui leur permettent de régler à une coefficient de production plus élevé !
Car, dans les divers mouvements qui ont lieu actuellement dans l'usine, les responsables cégétistes revendiquent le droit (sic) de régler à un coefficient de production élevé ou, ce qui revient au même, le droit de se crever au travail. De même que le bulletin cégétiste, publié au secteur Collas au mois de mars, revendiquait pour les ouvriers, le droit (resic) de travailler le samedi.
Tant que les travailleurs doivent faire des heures supplémentaires et travailler le samedi, tant qu'ils doivent faire en une heure le travail de 85 minutes, ou en 9 heures et demie le travail de 13 heures et demie pour gagner un salaire de misère, peut-on parler de victoires ouvrières ?
Pour pouvoir réellement se défendre contre les attaques permanentes de la direction sur les temps, il faut que les organisations syndicales combattent la division entretenue par le patronat. Contre la pagaïe des coefficients, primes, etc., pour que les ouvriers puissent voir clair dans leurs payes, elles doivent réclamer l'unification des salaires !
Elles doivent mettre en question le système même du travail au rendement, qui fait que plus l'ouvrier travaille, plus il est volé !
Il faut exiger de la direction, à l'occasion de chaque mouvement, que satisfaction soit accordée aux cahiers de revendication locaux.
Dans les nouvelles grèves qu'ont engagées les ouvriers pour se défendre, il ne faut pas que leur action soit menée pour rien !
P. BOIS
Au moment où nous mettons sous presse, d'autres départements de l'usine sont entrés en grève (forges, chauffeurs, grosses presses).
Comme toujours, les délégués cégétistes engagent des pourparlers avec la direction, sans consulter les ouvriers sur les revendications à présenter. Les ouvriers des presses au département 30 ont repris le travail sans connaître le résultat de leur action.
Pour que les mouvements engagés ne se soldent pas par des résultats minimes, ou même trompeurs, le S.D.R. a lancé un appel aux ouvriers pour qu'ils veillent aux revendications mises en avant et contrôlent les pourparlers engagés par les délégués.
Les ouvriers ne renoncent pas à la revendication du paiement des heures de grève
Dans différents départements en grève, les ouvriers ont demandé aux délégués ce que devenait la revendication du paiement des heures de grève.
C'est chez Renault, dans la grève d'avril 1947, que cette revendication fut mise en avant par le comité de grève et arrachée pour la première fois. Elle a été, depuis, posée dans toutes les luttes grévistes.
Mais aux questions des ouvriers, les délégués cégétistes ont répondu : "Obtenons déjà nos revendication, on verra après pour le paiement des heures de grève".
C'est seulement si elle est posée pendant le mouvement, en même temps que les autres revendications, pour obliger le patron à capituler plus vite que la revendication du paiement des heures de grève a un sens.
La C.G.T. la ravale au rang d'une faveur à obtenir du bon vouloir de la direction après la grève ; c'est comme cela qu'elle a obtenu au département 30 le paiement aux ouvriers... d'une heure de nettoyage.
Il faut exiger que sur tous les cahiers de revendications figure le paiement des heures de grève. Les ouvriers ne se mettent pas en grève pour leur plaisir, mais parce que les attaques patronales les y obligent. Etant donné les bas salaires qu'il paie aux ouvriers, le patronat doit seul supporter les frais de la lutte à laquelle il les accule.
Les ouvriers ne doivent pas soulager le patronat de la frayeur que lui avait déjà causé cette revendication.
L'avocat de la Régie Renault vient de déposer, par devant le juge de paix, ses conclusions concernant la contestation élevée par le S.D.R. au sujet des dernières élections de délégués aux département 6 et 18.
Il commence naturellement par contester au S.D.R. jusqu'au droit de "tester en justice", mais finit par proposer qu'on ne statue point sur les irrégularités commises le 24 février (premier tour) et le 9 mars (deuxième tour, jusqu'aux élections qui doivent avoir lieu, dans toute l'usine, au mois de juin.
M. l'avocat de la Régie, c'est-à-dire M. Lefaucheux, est bon prince ! La Régie a recours à toutes sortes de procédés irréguliers pour priver les ouvriers du 6 et du 18 d'avoir comme délégués des membres du S.D.R. Mais qu'à cela ne tienne : "L'irrégularité constatée ne change le résultat que pour le délégué titulaire" dit-il en substance. "Laissons donc les choses en l'état" conclut-il. Ca ne fait ni chaud ni froid à M. l'avocat si avec une majorité relative (6 et 18 réunis) le S.D.R. n'a cependant aucun élu.
"Laissons les choses en l'état", cela ferait très bien l'affaire de M. Lefaucheux. Car la jurisprudence en matière de représentativité est formelle : "Quelle que soit son importance sur le plan national, le caractère représentatif d'une organisation doit s'apprécier dans le cadre de l'entreprise et même séparément pour chaque catégorie de personnel, à l'intérieur de l'entreprise", a statué par exemple le juge de paix du 9° arrondissement de Lyon, le 15 juillet 1947. Il s'agissait d'une contestation élevée par la C.G.T. contre la représentativité de la C.F.T.C. dans l'usine, et ce point de vue fut admis ; la C.F.T.C. fut déclarée non représentative. On mesure par là l'arbitraire complet dont ont fait preuve l'Inspecteur du Travail et M. Lefaucheux en proclamant, chez Renault, F.O. et C.F.T.C. "représentatives", alors que le S.D.R. s'est vu privé de ce droit. Car aux 6 et 18, les deux premières organisations sont complètement inexistantes, et dans les autres départements pas très fortes ! Les élections du 24 février et du 9 mars en ont fourni la preuve.
Pour sa part, le S.D.R. ne conteste à personne le droit de faire acte de candidature, puisqu'il lutte pour la suppression des obstacles que la législation bourgeoise dresse contre les ouvriers du rang, afin de les maintenir sous la tutelle des bureaucrates de toute sorte.
Mais il poursuivra jusqu'au bout l'action commencée, pour obtenir que la direction, qui ne respecte pas la démocratie ouvrière, soit au moins obligée de respecter les règlements dans le cadre desquels les travailleurs sont admis, par leurs maîtres bourgeois, à choisir leurs propres représentants.
Pierre FAYNSILBERG.
DEBRAYAGES à la Tôlerie
Jeudi dernier, à 14 heures, après avoir touché la paye, les ouvriers sur presses du département 38 ont arrêté le travail pour protester contre les écarts importants entre les salaires dûs aux temps trop courts. Pour un travail des plus pénibles, des plus sales, des plus dangereux de l'usine, certains ouvriers touchaient 58 francs de l'heure !
Seuls les ouvriers hors série, travaillant à l'heure, continuèrent à faire tourner leurs presses, au nombre de 3 ou 4. Une bagarre s'en suivit, entre grévistes et non grévistes. L'un des grévistes, la bouche en sang, fut menacé par un chef, "au nom de la liberté du travail", de ne pas faire long feu dans l'usine.
Le jeudi, le chef du département 38 est passé pour demander aux ouvrières si elles voulaient reprendre le travail. Les ouvrières, indignées, ont refusé unanimement : "Nous ne réclamons rien d'impossible, nous ne céderons pas."
Si les ouvrières font grève, c'est parce qu'elles ne gagnent pas assez. Mais beaucoup ignorent les revendications posées. On sait, en gros, que la C.G.T. réclame la révision des temps, le rajustement et l'augmentation du taux minute, une prime d'insécurité. Mais la C.G.T. n'a fait ni réunion, ni compte rendu pour mettre les ouvrières au courant et les consulter.
AU DEPARTEMENT 76 (4 CV)
Au département 76 (4CV), après une grève d'une demi-journée dans certains ateliers, les ouvriers ont obtenu :
1. Que le coefficient passe de 130 à 134% ;
2. Que les heures supplémentaires, supprimées à cause du lundi de Pâques, soient remboursées intégralement ;
3. Que la demi-heure de casse-croûte du samedi soit payée ;
4. Que les ouvriers qui ne touchaient pas, jusque là, de prime d'huile, la touchent désormais avec appel depuis décembre.
La production devant augmenter au cours des mois à venir, le chef de département a promis que la prime à la production augmenterait en proportion.
Tout ceci s'est passé en dehors des ouvriers. Les délégués cégétistes et le chef de département ont discuté pendant une heure et demie dans les bureaux. Le délégué cégétiste a prétendu que s'il ne faisait pas de compte rendu aux ouvriers, c'est parce qu'il avait peur de se faire mettre à la porte !
S'il a peur de la direction, pourquoi donc s'est-il fait élire délégué ?
NOUS NE MARCHERONS PAS A COUPS DE KLAXON
Ce n'est pas suffisant que, pour un salaire de famine, on exige des ouvriers 13 h.30 de travail en 9 H.30 de présence, puisqu'ils règlent à 140%. La direction de la Régie vient de faire connaître ses "ordres" au département 6, atelier 344 : "Ceux qui quitteront leur machine avant le coup de klaxon seront mis à la disposition du personnel". Mais pourquoi, alors, ne pas attacher tout simplement l'ouvrier à sa machine, le matin à 7 h.30 précises et le libérer le soir à 18 heures précises ? Il n'y aurait même plus besoin de klaxon.
C'est à chaque nouvelle brimade, chaque nouvelle vexation que veut leur infliger la direction, que les ouvriers peuvent apprécier dans quelle mesure, depuis la grève de mai 1947, ils avaient réussi à assouplir le "règlement" et à imposer le respect de leur dignité et de leur indépendance.
Par ses coups de klaxon et autres brimades, la direction vise à enlever à l'ouvrier tout sentiment d'indépendance et, bien lui montrer que, pendant neuf heures et demie et pas une minute de moins, il doit subir son esclavage.
Les chefs d'équipe, les contremaîtres, auront-ils assez peu de dignité pour essayer de faire respecter ces "ordres" ?
Les ouvriers du 344 sont, en tout cas, décidés à ne pas se laisser marcher sur les pieds.
A QUAND LES REVELATIONS DU COMITE D'ENTREPRISE ?
Les représentants "ouvriers" aux Comités d'entreprise, qui s'occupent d'"œuvres sociales", vont, paraît-il maintenant, s'occuper de dénoncer les profits capitalistes et mettre le patronat au pied du mur pour faire baisser les prix.
Si, dans chaque usine, dans chaque entreprise, une véritable campagne pour l'abolition du secret commercial et l'ouverture des livres de comptes était menée, ses effets ne manqueraient pas de se faire sentir. Ne fût-ce que pour faire connaître aux ouvriers leur véritable situation.
Ainsi, chez Renault, pour un fait aussi minime que la cantine, grâce à la campagne menée par le S.D.R. en août dernier, il s'est révélé que le "déficit" (qui servait à justifier la mauvaise qualité et le prix élevé) n'était qu'un vol patronal.
Dans la grève de mai, le Comité de grève avait défendu, en même temps que la garantie des salaires par l'échelle mobile, le contrôle ouvrier sur les livres de compte capitalistes.
Mais, à ce moment-là, la C.G.T. était contre l'échelle mobile et le contrôle ouvrier. Elle revendiquait des "primes à la production".
"Pourquoi les capitalistes peuvent-ils fixer et imposer un niveau de vie à l'ouvrier, alors que celui-ci n'a aucun droit de regard sur les capitalistes, leur gestion de l'économie, leurs gaspillages et leurs dépenses inouïes", écrivait La Voix du 20 août 1947 - au moment du scandale de la cantine.
Au mois de septembre suivant, alors que le gouvernement refusait aux ouvriers 11% d'augmentation et accordait aux capitalistes des hausses de prix - chez Renault, 28% sur le prix de l'automobile - le S.D.R. proposait au Comité d'entreprise une action pour imposer "l'ouverture des livres de comptes de la Régie pour faire baisser les prix des voitures", en même temps que pour arracher l'augmentation des salaires.
"... Attaquer la vie chère DES DEUX COTES A LA FOIS, en luttant pour le rajustement des salaires au niveau du prix de la vie et pour le contrôle des livres de comptes de la Régie (il faut, en effet, obtenir dans CHAQUE entreprise une baisse effective qui se répercutera sur l'ensemble des prix)..." écrivait La Voix du 10 septembre 1947.
"Retournez à vos machines, voilà ce qui fera baisser les prix", répondirent les "responsables" cégétistes du Comité d'entreprise à la délégation du S.D.R.
Nous attendons aujourd'hui, pour pouvoir apprécier la valeur du nouveau tournant cégétiste, que le Comité d'entreprise dévoile aux ouvriers ce qu'il sait sur la marche de la Régie.
Mais, c'est pour qu'ils disent aux ouvriers "retournez à vos machines", que le patronat avait créé les "Comités d'entreprise". Il n'y aurait peut-être pas de place pour eux dans ces organes créés pour la collaboration de classes, s'ils y faisaient un travail antipatronal.
Est-ce la crainte de perdre leur place qui fait que les délégués cégétistes au Comité d'entreprise de la Régie se taisent toujours ? Ou le nouveau tournant n'est-il qu'un épouvantail pour les patrons "pro-américains" (sic !) ou même un simple alibi pour masquer l'incapacité des frachonistes à défendre réellement les travailleurs ?
Malgré la crise sévissant actuellement dans les corporations du bâtiment et du bois, dont les ouvriers ne trouvent plus de travail, malgré la fermeture des bureaux d'embauche de nombreuses entreprises - les statistiques officielles affirment qu'il n'y a pas de chômage en France.
Nous avons eu l'occasion de jeter un coup d'œil sur l'aspect que revêt le chômage à Calais. Ce qui se passe dans cette ville révèle, mieux que toute statistique officielle, non seulement l'étendue du mal, mais surtout la gravité de la situation qu'il provoque pour les couches laborieuses.
Calais, bombardée pendant la guerre, détruite en grande partie, et dont la reconstruction est entièrement délaissée, compte aujourd'hui 50.000 habitants. Il y existe officiellement 600 chômeurs qui perçoivent de la caisse de chômage une allocation journalière de 111 francs. Mais leur nombre est, en réalité, beaucoup plus élevé. En effet, de nombreux ouvriers sans travail n'ont pas droit à indemnité, dès lors que le salaire du ou des autres membres de la famille permet au budget familial quotidien de dépasser la somme de 136 francs !
Après quoi, la commune, considérant son devoir accompli, ne demande plus aux chômeurs, officiels ou autres, que de tuer patiemment et le temps et la faim, en attendant l'emploi problématique.
Aussi, nombreux parmi ceux-ci sont réduits au vol. Il ne se passe guère de jour sans que figurent dans les rubriques des faits divers des journaux, les noms de chômeurs condamnés pour vol. Chaque jour, l'inspecteur du Travail relève la liste des délinquants et ceux-ci sont immédiatement rayés du chômage pour n'avoir pas su trouver le secret de subsister avec de l'eau fraîche et du pain gris.
Leur peine purgée, leur condamnation notée sur leur casier judiciaire, il n'est pas question pour eux, bien entendu, de trouver facilement du travail. A nouveau et bien plus qu'auparavant, le vol devient pour eux le moyen de subsister.
Ainsi, malgré le mensonge officiel, non seulement le chômage existe, mais son existence entraîne des conséquences plus graves qu'avant la guerre. De moins, avant 1939, l'allocation de chômage permettait-elle au travailleur de ne pas mourir de faim, alors qu'aujourd'hui, c'est l'ouvrier qui travaille qui gagne à peine un peu plus que le chômeur d'avant guerre !
C'est pourquoi, pour lutter contre les conséquences néfastes du chômage pour la société tout entière, ce n'est pas seulement la classe ouvrière, mais toute la population qui doit appuyer la revendication de l'échelle mobile des heures de travail, c'est-à-dire leur égale répartition entre tous ou le paiement de tous les chômeurs à 75% du salaire de l'ouvrier qui travaille.
A en croire les membres de base de la C.G.T., celle-ci n'a jamais été pour la politique du produire.
La loi Croizat sur le travail au rendement ? Mal appliquée !
Le rôle de chiourme que jouaient les délégués pour intensifier la production ? Mal interprété !
Mais, ce faisant, en essayant de couvrir la politique de la C.G.T., ces militants de base ne font que blanchir les Frachon, Thorez, Croizat, pour mieux leur permettre, demain, de recommencer. Car, en ce qui les concerne eux-mêmes, ils continuent à trimer sur la machine et subissent les conséquences de la politique des bureaucrates syndicaux au même titre que les autres ouvriers.
A vouloir couvrir la politique antiouvrière des dirigeants, ils se font complices de leur propre esclavage.
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Rendez-vous de 18h à 20h : café-tabac «Le Terminus»
angle r. Collas av. Edouard Vaillant. M° Pont-de Sèvres