1950 |
Prolétaires de tous
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2 mars 1950
Lentement, mais sûrement, la grève pour les 3.000 fr. gagne tous les jours des secteurs nouveaux. Déjà le langage patronal et gouvernemental a quelque peu changé. Les 5% qui devaient être le plafond maximum d'augmentation, et encore seulement dans certaines branches et selon la volonté du patron, sont devenus un minimum. Certains patrons de petite et moyenne importance ont même accordé les 3.000 fr. par mois et pour tous. Ces premiers résultats prouvent que les travailleurs et les organisations qui étaient partisans de la grève aient raison contre les hésitants.
Cependant le mouvement gréviste est arrivé à son tournant décisif. Les travailleurs de chez Ford à Poissy ou de chez Renault à Boulogne-Billancourt sont en grève depuis plus de 8 jours et, malgré son extension, la grève n'a pas encore atteint une étendue suffisante pour acculer l'Etat-patron et les patrons à capituler. Le rythme lent de la grève et son échec partiel dans des usines importantes comme Citroën ou Panhard ne provient pas d'un manque de volonté de lutte de la part des travailleurs. Il est le résultat inévitable de la rivalité d'intérêts qui oppose les dirigeants des différentes organisations syndicales qui retardent l'action des travailleurs en tirant à hue et à dia. C'est ainsi que dans le métro le referendum organisé par toutes les organisations syndicales a donné une écrasante majorité pour la grève, mais l'opposition du Syndicat des Conducteurs, dont la direction est réactionnaire, a retardé son déclenchement. Dans les mines, nous apprend-on, ce n'est que le mardi 28 février que F.O. a accepté d rencontrer la C.G.T. pour "envisager" l'action, tandis que la C.F.T.C. n'a pas encore donné sa réponse. Dans les services publics parisiens, la C.F.T.C. et F.O. ont refusé de participer au referendum : mais le chiffre de 75% en faveur de la grève, malgré cette double abstention, confirme que ce n'est pas du côté des ouvriers qu'il faut chercher la responsabilité de l'inaction présente de la majorité des travailleurs.
Donc, si son extension est lente, la grève ne piétinera pas. L'entrée en lutte de nouvelles couches décisives de travailleurs (métro, mines, électricité, gaz, etc.) est inévitable. A leur suite, les travailleurs de la métallurgie, qui n'ont pas encore cessé le travail, rentreront eux aussi dans le mouvement. IL FAUT DONC QUE LES TRAVAILLEURS DEJA EN LUTTE TIENNENT BON A TOUT PRIX. Tenir, voilà la consigne du moment.
Et les travailleurs en grève tiendront bon parce qu'ils savent qu'il n'y a pas d'autre voie, parce que dès le début, ils savaient qu'ils s'engageaient dans une lutte prolongée qui ne leur épargnerait pas les souffrances.
Pour tenir, les travailleurs doivent préserver leur unité. A la base, les travailleurs de toutes tendances unis dans la lutte ne doivent pas se laisser diviser par les divisions de leurs dirigeants. Les travailleurs peuvent gagner la bataille des 3.000 francs et ils la gagneront. Le front des ouvriers aura raison de la coalition patronale avec l'Etat-patron.
LA LUTTE
C'est naturellement des chefs socialistes qu'il s'agit. Tels ils étaient au gouvernement, tels on les retrouve hors du gouvernement. Pas un groupe, pas une voix, au Conseil National de Puteaux (26-27 février), pour dire quelque chose qui vaille d'être dit, qui dise autre chose que les habituels lieux communs par lesquels les social-démocrates essaient toujours de couvrir leur nullité, leur nudité idéologique et leur trahison des intérêts ouvriers. Evidemment, on ne pouvait s'attendre à de véritables manifestations de clairvoyance et de force de la part de leaders qui ont rarement mené une lutte ailleurs que dans les fauteuils ministériels et qui sont complètement aveulis par leurs éternelles compromissions. Mais il y a des situations dans lesquelles même de tels dirigeants sont obligés d'adopter, et adoptent quelquefois, une meilleure attitude. C'est ainsi que, menacés d'être chassés du gouvernement par la formation d'une majorité de droite excluant les députés socialistes et pressés par leur propre base, tels chefs socialistes avaient pris "l'héroïque" décision de s'en aller tout seuls... A un moment où les grèves déferlent et où Bidault s'apprête à étrangler les libertés ouvrières, les leaders socialistes pouvaient persévérer dans leur "hardiesse", devaient ne pas retomber dans leur ornière de stratèges ministériels. Mais il n'en a rien été. Le Conseil national de Puteaux, exclusivement consacré au "mode de scrutin en vue des élections" et à la "tactique de la participation ministérielle", montre que les dirigeants socialistes sont absolument incapables, en 1950, de retrouver les élans qui animèrent parfois le parti socialiste entre 1934 et 36. Les résolutions adoptées ne contiennent rien qui puisse ouvrir une voie nouvelle aux masses travailleuses, rien qui puisse assurer leur défense contre l'offensive de misère et de totalitarisme des capitalistes.
Pas une directive, pas un mot d'encouragement, pas une expression de solidarité, pas même une allusion aux luttes ouvrières en cours, aux travailleurs en grève !
Avec une pareille attitude, les dirigeants socialistes peuvent ensuite affirmer tant qu'ils voudront qu'ils ne collaboreraient qu'à un gouvernement qui "travaillerait à affermir la situation économique et financière sans reculer devant les résistances de puissances capitalistes" et qui n'oublierait pas que "l'intérêt général de la nation dépend de la réalisation chaque jour plus complète des aspirations du monde du travail". Personne ne les prendra au sérieux.
Chacun sait qu'en juin 36, bien qu'il y ait eu un gouvernement Blum soutenu "sans éclipse" par Thorez - gouvernement de Front populaire se réclamant exactement des mêmes principes – il a fallu que des millions de travailleurs occupent les usines pour que les capitalistes soient obligés de reculer et que "les aspirations du monde du travail" soient satisfaites. Qui ne voit que l'attitude de l'actuel gouvernement ou de son successeur éventuel vis-à-vis de la classe ouvrière dépend exclusivement de l'issue de la bataille gréviste en cours et non pas de pieuses résolutions ? Ne levant pas le petit doigt pour aider les travailleurs en lutte, les dirigeants socialistes fournissent la preuve que leur départ du gouvernement ainsi que leurs résolutions ne sont que manoeuvres pour redorer leur blason aux yeux des masses. Ils voudraient retrouver quelque popularité qui les rendrait indispensables aux autres "partis républicains" (sic), le M.R.P., les radicaux, les indépendants, dans les coalitions gouvernementales.
Mais il ne semble pas que les chefs socialistes soient eux-mêmes très convaincus de pouvoir se réhabiliter. Cela exigerait de leur part une politique active de défense des travailleurs, politique qu'ils sont incapables de mener. Ce manque de confiance en eux-mêmes se voit très bien dans le choix du mode de scrutin qu'ils voudraient voir adopter par l'Assemblée en vue des élections. Le scrutin le plus démocratique, en régime capitaliste, c'est en effet le scrutin proportionnel intégral. Or, sous prétexte qu'il ne se trouve pas une majorité dans le Parlement actuel pour voter la proportionnelle intégrale – L'Humanité prouve au contraire qu'avec les députés socialistes, P.C.F. et certains M.R.P., cette majorité existe – les dirigeants socialistes ont résolu de soutenir le mode de scrutin majoritaire, c'est-à-dire le système le plus réactionnaire. Avec ce mode d'élections, un parti réunissant 49% des voix peut n'avoir aucun représentant devant une coalition groupant 51 pour cent des voix ; avec ce système, un parti peut recueillir des millions de voix et n'avoir que quelques députés ! Il serait déjà plus démocratique de laisser subsister le mode actuel de scrutin basé sur la proportionnelle relative. Si les chefs socialistes, sans aucun pudeur et sous d'aussi mauvais prétextes (manque d'une majorité pour voter un système plus équitable), renoncent à leur propre tradition pour adopter ce mode de scrutin, c'est parce que ce système obligerait tous les autres partis, pour faire pièce au P.C.F., à se coaliser avec eux aux élections, à leur accorder une place indépendamment de leur plus ou moins grande influence. En se déclarant partisans d'un tel système, les chefs socialistes fournissent eux-mêmes la meilleure preuve qu'ils ne comptent plus sur leur propre force, mais uniquement sur des compromis pourris et des combinaisons électorales avec les autres partis contre le P.C.F. Les chefs socialistes n'ont plus d'autre but que de s'assurer une survivance honteuse. Mais les dirigeants socialistes se trompent complètement dans leurs calculs lorsqu'ils croient avoir tout résolu et assuré leur avenir en n'endossant officiellement la responsabilité ni des actes gouvernementaux, ni des luttes ouvrières, en tirant leur épingle du jeu. Ils se trompent lorsqu'ils pensent que l'orage passera et qu'ils reprendront tranquillement leur place dans les fauteuils ministériels. Ils se trompent parce qu'ils comptent sans la classe ouvrière, d'un côté, et parce qu'ils ne veulent pas voir le danger totalitaire, d'un autre côté.
Si la classe ouvrière se bat et gagne la lutte sans eux, elle ne leur témoignera qu'un total mépris et les rejettera complètement. Si, au contraire, la classe ouvrière subissait une défaite faute de véritables dirigeants, alors De Gaulle ne sera pas plus tendre envers les chefs socialistes que Mussolini et Hitler ne l'ont été pour leurs confrères italiens et allemands.
Les militants honnêtes et les travailleurs socialistes, par contre, aperçoivent ce danger. C'est pourquoi, dans les luttes actuelles, on les retrouve dans un coude à coude fraternel avec tous les autres militants de la classe ouvrière, quelle que soit leur tendance. Qui des militants honnêtes ou des chefs aveulis aura le dernier mot dans le P.S. ? Voilà qui décidera du sort final de la S.F.I.O.
A. MATHIEU
Fondé en octobre 1942
Rédaction et Administration : écrire à J. Ramboz
7, impasse du Rouet,Paris (14ème)