1957 |
Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! – LA LUTTE de CLASSE n° 11 [a] |
LA LUTTE DE CLASSE
1er avril 1957
C'est sous ce titre que le Populaire du 1er avril affirme que le gouvernement n'hésitera bas à faire acte d'autorité contre "les ennemis de la liberté", est à dire les manifestants qui ont le samedi précédent défilé sur les Champs Elysées en scandant des mots d'ordre visant a l'intensification et l'élargissement de la guerre on Afrique du Nord, ont matraqué ceux qui ne semblaient pas de leur avis, ont brisé les vitres des voitures qui osaient traverser le cortège, et se sont attaqués aux locaux de l'Express et à une permanence socialiste.
Qui croira que cet avertissement aussi solennel qu'inefficace va faire trembler de peur les éléments fascistes qui ont manifesté samedi ?
Car l'avertissement le plus sérieux ce n'est pas celui-là, mais la manifestation elle-même.
Le journal Le Monde écrivait en relatant ces événements que sans surestimer le danger fasciste "il est certain qu'à la faveur, si l'on peut dire, du drame algérien et de ses répercussions intérieures, une certaine extrême droite a repris confiance en elle".
En effet, le gouvernement socialiste n'a pu mener la guerre d'Algérie, qui en favorisant les éléments les plus réactionnaires du pays aussi bien en Algérie qu'en France même. La justification essentielle des socialistes envers leurs troupes est une sorte de politique du moindre mal : les mesures qu'ils prennent sont peut-être dures à supporter par les masses, mais ce serait pire encore si elles étaient prises par un gouvernement de droite. Ils prétendent ainsi concilier l'inconciliable, car cette politique n'est possible que tant que la conduite d' une politique de droite ne rend pas obligatoire une offensive ouverte contre les masses populaires, car c'est alors la politique qui impose les mesures et non les hommes au gouvernement.
Les socialistes peuvent imposer dans la mesure justement où ils ne se déconsidèrent pas trop, certains sacrifices à la population. Mais du fait de leur base électorale et sociale ils ne peuvent cependant aller trop loin dans cette voie.
Or la continuation de la guerre d'Algérie entraînera des sacrifices que la politique socialiste te pourra pas faire accepter, ne pourra même pas tenter, car il faudrait l'imposer par la force à la classe ouvrière. Et les éléments de droite, qui ont pu marcher jusqu'à présent sous le couvert socialiste savent que le P.S. ne peut aller jusqu'au bout. C'est pourquoi ils tentent maintenant de faire pression sur eux.
Ainsi la politique du gouvernement socialiste n'aura servi à rien d'autre qu'à faire la moitié du chemin à la politique réactionnaire.
Le choix reste maintenant le même. Et, malgré tout ce qu'ils peuvent en dire, les ministres socialistes n'arriveront pas à continuer la' guerre en prenant des mesures moins dures pour les masses que n'auraient prises leurs collègues de droite. Ils y sont entraînés par la logique même de la guerre qu'ils ont déclenchée. Toute la question est de savoir quelle atteinte à leurs conditions de vie les masses accepteront sans réagir. Dans ces conditions, si la bourgeoisie continue la guerre, il lui faudra remplacer la persuasion par l'appel aux bandes fascistes pour mater la classe ouvrière.
Le ministère socialiste n'aura servi qu'à mettre les fascistes dans une situation bien plus favorable qu'il y a un an, en cautionnant la politique au nom de laquelle les commandos fascistes descendront dans la rue. Ou bien, si la bourgeoisie accepte pour une raison ou pour une autre, intervention américaine par exemple, de renoncer à l'Algérie, la politique socialiste n'aura servi qu'à faire supporter au pays plus d'une année de guerre, là où la droite n'aurait peut-être rien pu imposer du tout.
L'avertissement de samedi est pour "Le populaire". Les hommes de la droite n'ont aucune reconnaissance pour les transfuges du camp adverse. Les socialistes ont eu beau les avoir bien servis, lorsqu'ils n'auront plus besoin d'eux, les hommes de droite les rejetteront impitoyablement comme les cris antisémites visant Léon Blum des manifestants de samedi le font un peu plus que supposer.
Les 25 mars, à Rome, les représentants de 6 pays (Allemagne, France, Italie, Belgique, Pays-Bas et Luxembourg) ont signé les traités sur l'Euratom et le Marché commun.
Dans notre numéro du 291/57 nous avons montré comment le principe de la communauté européenne que venait de ratifier l'Assemblée Nationale n'était qu'un coup de sabre dans l'eau. La propriété capitaliste restant la base des rapports économiques, les promoteurs du marché commun ont voulu tenter l'impossible : tirer les avantages d'un élargissement du marché à l'échelle d'une fraction de continent, en conservant les profits particuliers de chaque groupe national. La montagne a accouché d'une souris et les frontières ne sont pas prêtes d'être abolies.
Le P.C.F. voit dans la ratification du marché commun un immense danger pour les travailleurs français. Selon lui, ils sont les mieux payés, ils bénéficient de congés plus longs que ceux des autres pays et sont à l'abri du chômage. Et le P.C.F. et la C.G.T. de verser des larmes de crocodile sur l'économie française qui va se trouver en mauvaise posture devant la concurrence étrangère.
Mais les cégétistes n'affirment-ils pas tous les jours que les patrons peuvent payer les augmentations de salaires. Ils pourront donc aussi bien prendre sur leurs profits pour pouvoir baisser leurs prix au niveau des prix européens s'ils n'ont plus les barrières douanières pour se protéger.
Evidemment le marché commun qui est une tentative d'augmentation de la concentration capitaliste peut porter préjudice à la classe ouvrière si celle-ci accepte de supporter tout ou partie des frais de l'opération. Mais cette concentration est indispensable. Le niveau économique n'augmente que par une concentration toujours plus poussée des moyens de production. Le tout est de savoir à qui profitera l'accroissement du potentiel économique. Plutôt que d'organiser la lutte des travailleurs pour la conquête des nouvelles richesses nées de la concentration économique, les "communistes français" préfèrent s'abriter derrière les bonnes barrières douanières de leurs capitalistes nationaux. Pourquoi alors ne pas préconiser, pour détruire les monopoles, le retour au Moyen-Age. Les "communistes français" tentent de semer la panique dans les rangs ouvriers. "Le capitalisme se sert du marché commun pour s'opposer aux revendications actuelles" : Comme si le patronat avait attendu le marché commun pour s'opposer aux revendications ouvrières.
"Le patronat voudrait aller plus loin en égalisant par le bas c'est à dire en ramenant les avantages sociaux au niveau le plus bas". Bien sûr le patronat tentera d'égaliser par le bas, mais c'est aux travailleurs d'imposer que les avantages s'égalisent par le haut. L'attitude capitularde et froussarde des chefs du P.C.F. qui voudraient maintenir artificiellement l'économie française à l'abri ne doit pas épouvanter les travailleurs. Elle est tout simplement une preuve supplémentaire que ces gens là sont impuissants à organiser la lutte. Ils ont vis à vis de la nouvelle perspective économique l'attitude qu'avait, il y a un siècle et plus, l'ouvrier inconscient à l'arrivée d'une nouvelle machine. Comme lui, ils ne voient que le risque du chômage, la perte du droit (sic) au travail. Les travailleurs se laisseront-ils faire comme font semblant de le croire les capitulards du P.C.F.
Les luttes qu'ont menées récemment les travailleurs allemands du Schleswig Holstein (16 semaines de grève), les grèves gigantesques qui ont lieu en Angleterre, la lutte pénible des travailleurs espagnols et, en France, les nombreux mouvements des fonctionnaires, des dockers, des métallos, toutes ces luttes importantes montrent que les travailleurs de tous les pays ne sont pas décidés à subir passivement un renforcement de leur exploitation. Si aujourd'hui les capitalistes essayent d'européaniser leur exploitation il appartient aux travailleurs d'unifier leurs luttes au niveau de l'Europe.
[a] Cette série de La Lutte de Classe, bulletin ronéotypé, a été éditée par le groupe Voix Ouvrière.
Barta collabora à sa rédaction. Les articles qui lui sont attribués avec certitude sont signalés par un [*].