1921 |
Un travail de Boukharine récapitulant les acquis du marxisme. Il servira de manuel de formation de base aux militants communistes durant les années de construction des sections de l'Internationale Communiste. |
La théorie du matérialisme historique
Supplément
Brèves remarques sur le problème de la théorie du matérialisme historique
Une des objections capitales élevées contre le matérialisme historique, est celle de l'essence soi-disant mystique, chez Marx, des forces productives, qui doivent, on ne sait pourquoi, se développer coûte que coûte. Il faut reconnaître que, dans leurs ouvrages, nombre de marxistes « exigent » ce développement. Mais Marx personnellement n'y est pour rien, car il a, à maintes reprises, signalé les cas de « destruction des deux classes en lutte » et, en même temps, de toute la société, partant, de ses forces productives. La question de savoir si la société est destinée à se développer ou à périr, ne peut être résolue de façon abstraite ni dans un sens ni dans l'autre. Elle ne peut l'être que sur la base d'une analyse concrète.
De même, il est démontré empiriquement que les périodes de transition, accompagnées de révolutions, sont liées à une décadence temporaire, plus ou moins prolongée, des forces productives.
Par conséquent, la formulation habituelle des bases théoriques du matérialisme historique qui débute par les mots : « La croissance des forces productives », est trop étroite, car elle n'embrasse ni les époques de décadence, ni les périodes transitoires révolutionnaires.
C'est pourquoi ici encore, en tant que théoricien, j'ai jugé devoir donner l'analyse de la loi de ces phénomènes qui ont joué et jouent un rôle important. Il était d'autant plus nécessaire de le faire, que, sans cette analyse, il est impossible de comprendre la période actuelle. J'ai donc caractérisé sociologiquement, avec précision et dans les cadres généraux de la théorie, ces périodes comme périodes de régression des forces productives sous l'influence des superstructures, avec limitation constante de ce phénomène par l'état antérieur des forces productives ; en d'autres termes, j'ai caractérisé la loi fondamentale de ces périodes comme le processus temporel de la réaction des superstructures (dans les cas de période transitoire jusqu'au moment où s'établit un équilibre social nouveau).
D'autre part, je me suis efforcé de donner la formulation des phases nécessaires dans le processus de la révolution, en m'appuyant en partie, (comme dans l'Économie de la période de transition) sur les observations du camarade Kritzman, à qui revient la priorité de la solution de ce problème. Ainsi, la téléologie a été chassée de son dernier refuge.
Je n'ai mentionné ici que mes principales « innovations ». Je pourrais en énumérer une série d'autres, notamment en ce qui concerne la doctrine des classes, les rapports entre les chefs et le parti, la doctrine de la révolution, etc. Malheureusement, le temps me fait défaut. Je m'excuse donc auprès du lecteur du caractère fragmentaire de ces « brèves remarques ». Comme on a pu le voir, les problèmes qui se posent devant nous sont très complexes. Dans la mesure de mes forces, j'ai tâché de les résoudre. Pour tout homme intelligent et, à plus forte raison, pour tout bolchevik, il est clair que la tendance générale de mes « innovations » est conforme à l'interprétation orthodoxe, révolutionnaire et matérialiste de Marx. J'accepterais avec reconnaissance toute indication utile, car, ici comme dans tout autre domaine, une large collaboration est de rigueur.
« Mais, dira peut-être le lecteur, comment se fait-il qu'aucun de vos critiques n'ait même mentionné tous ces problèmes importants, fondamentaux ? »
« Demandez-le au vent dans les champs », comme disait Knut Hamsun, dans une autre circonstance.