Selon la légende stalinienne, le Parti bolchevik, à de rares exceptions près, a toujours suivi la volonté de Lénine. Le parti aurait été pratiquement monolithique. En fait, rien n'est plus éloigné de la vérité. De façon répétée, Lénine a dû batailler pour obtenir l'accord de ses camarades.
1976 |
Lénine (volume 2)
Tout le pouvoir aux soviets
Chapitre 18 — Le prolétariat peut exercer le pouvoir d'Etat
En complément à L'Etat et la révolution , Lénine écrivit une autre brochure importante intitulée Les bolcheviks garderont-ils le pouvoir ? Elle fut rédigée entre la fin septembre et le 1er octobre, et son but principal était de dénoncer le très ancien préjugé selon lequel les masses des exploités et des opprimés étaient trop ignorantes pour pouvoir exercer le pouvoir politique, et que l'appareil d'Etat était un instrument trop compliqué pour être manié par de simples mortels.
Alors que L'Etat et la révolution traite du problème en termes généraux, cette seconde brochure est beaucoup plus concernée par la question immédiate de la prise du pouvoir en Russie en octobre 1917.
… le prolétariat « ne pourra pas assimiler la technique de l'appareil d'Etat »... [cet argument] mérite le plus d'attention... parce qu'il soulève un des problèmes les plus sérieux, les plus ardus qui s'ouvriront au prolétariat victorieux. Il ne fait pas de doute que ces problèmes sont très ardus, mais si nous, qui nous disons socialistes, nous ne soulignions cette difficulté que pour nous dérober à l'accomplissement de ces tâches, la différence qui nous distingue des serviteurs de la bourgeoisie serait en faite réduite à zéro. La difficulté des problèmes qui se posent à la révolution prolétarienne doit inciter les partisans du prolétariat à étudier avec encore plus d'attention et de façon plus concrète les moyens de les résoudre.1
Les obstacles n'étaient pas une excuse pour s'enfuir, mais des inconvénients à surmonter.
C'était vrai que le prolétariat rencontrerait une résistance des capitalistes aussi bien que de la haute fonction publique. « Il faudra briser cette résistance ».
Nous pouvons bien le faire, puisqu'il s'agit de briser la résistance d'une minorité infime de la population, littéralement d'une poignée d'hommes, dont chacun sera, de la part des associations d'employés, des syndicats, des coopératives de consommation, des soviets l'objet d'une surveillance telle que [tout le monde] sera cerné comme les Français à Sedan. Nous savons les noms de ces [personnes] ; il suffit de prendre les listes des directeurs, des membres des conseils d'administration, des gros actionnaires, etc. Ils sont quelques centaines, tout au plus quelques milliers dans toute la Russie ; auprès de chacun d'eux, l'Etat prolétarien, disposant de l'appareil des soviets, des associations d'employés, etc., peut préposer une dizaine, une centaine de contrôleurs, si bien même que, au lieu d'avoir à « briser leur résistance », on réussira peut-être, grâce au contrôle ouvrier (sur les capitalistes) à rendre toute résistance impossible.
Ce n'est pas dans la confiscation des biens des capitalistes que sera en effet le « nœud » de l'affaire, mais ce sera précisément dans le contrôle national, universel, exercé par les ouvriers sur les capitalistes et sur leurs partisans éventuels. La seule confiscation ne servira à rien, car elle ne comporte aucun élément d'organisation, rien qui contrôle la justesse de la répartition. Nous remplacerons facilement la confiscation par la levée d'un impôt équitable..., mais à la condition d'exclure toute possibilité de se dérober au contrôle, de cacher la vérité, de tourner la loi. Or, cette possibilité, seul le contrôle ouvrier de l'Etat ouvrier peut l'écarter...
Nous ne devons pas seulement « épouvanter » les capitalistes, c'est-à-dire leur faire sentir la toute-puissance de l'Etat prolétarien et leur faire oublier l'idée d'une résistance active contre lui. Nous devons briser aussi leur résistance passive, incontestablement plus dangereuse et plus nuisible encore. Nous ne devons pas seulement briser toute résistance, quelle qu'elle soit. Nous devons encore obliger les gens à travailler dans le cadre de la nouvelle organisation de l'Etat. Il ne suffit pas de « flanquer à la porte » les capitalistes, il faut (après avoir flanqué à la porte les « récalcitrants », bons à rien et incurables) les mettre au service du nouvel Etat. Ceci concerne autant que les capitalistes une certaine couche des dirigeants intellectuels bourgeois, des employés, etc...
« Celui qui ne travaille pas ne mange pas », telle est la règle fondamentale, la règle première, essentielle que peuvent appliquer et qu'appliqueront les soviets de députés ouvriers, quand ils accèderont au pouvoir.2
Un autre argument auquel Lénine fait face est celui qui consiste à dire que la classe ouvrière ne saura pas faire fonctionner l'appareil d'Etat. A cela il répond :
La Russie a été dirigée, depuis la révolution de 1905, par 130.000 propriétaires fonciers, qui ont usé de violences incessantes contre 150 millions d'hommes, et leur ont imposé des vexations sans bornes ; l'énorme majorité de ces hommes, contraints de travailler comme des galériens, étaient réduits à un régime de famine.
Et les 240.000 membres du Parti bolchevik ne pourront, prétend-on, diriger la Russie, la diriger dans l'intérêt des pauvres et contre les riches. Ces 240.000 hommes ont dès maintenant l'appui apporté par les suffrages d'un million d'adultes pour le moins ; car tel est bien le rapport numérique entre les effectifs du parti et les suffrages qu'il recueille, d'après l'expérience de l'Europe et celle de la Russie, ne fût-ce, par exemple, qu'aux élections d'août à la Douma de Pétrograd. Nous avons donc déjà un « appareil d'Etat » d'un million d'hommes dévoués à l'Etat socialiste par conviction et non pas pour recevoir le 20 du mois la forte somme.
Bien plus, nous avons un « moyen merveilleux » pour décupler tout de suite, d'un seul coup, notre appareil d'Etat, moyen dont jamais n'a disposé aucun Etat capitaliste et dont il ne peut pas disposer. Ce moyen merveilleux, c'est l'accession des travailleurs, l'accession des classes pauvres au travail quotidien de la gestion de l'Etat.
Pour montrer combien il est facile d'appliquer ce moyen merveilleux, combien son action est infaillible, prenons l'exemple le plus simple et le plus concret possible.
L'Etat capitaliste expulse une famille d'ouvriers qui a perdu le chef de la famille et ne paie pas son loyer. L'huissier apparaît flanqué d'un commissaire de police, de tout un peloton d'agents. Dans un quartier ouvrier, pour procéder à une expulsion, il faut un détachement de cosaques. Pourquoi ? Parce que l'huissier et le « commissaire » refusent de s'y rendre sans une très forte protection armée. Ils savent que le spectacle de l'expulsion provoque une telle fureur parmi toute la population voisine, provoque chez des milliers et des milliers de gens à peu près réduits au désespoir une telle haine des capitalistes et de l'Etat capitaliste, qu'ils risquent, eux et leurs agents, d'être à tout instant écharpés par la foule. Il faut de grandes forces militaires, il faut amener dans une grande ville plusieurs régiments recrutés absolument dans une région éloignée, afin que les soldats soient étrangers à la vie des classes pauvres de la ville, afin que les soldats ne puissent être atteints par la « contagion » du socialisme.
L'Etat prolétarien doit installer de force une famille extrêmement nécessiteuse dans l'appartement d'un riche. Notre détachement de milice ouvrière se compose, par exemple, de 15 hommes : deux matelots, deux soldats, deux ouvriers conscients (à supposer que l'un des deux seulement soit membre de notre parti ou sympathisant), puis d'un intellectuel et de 8 personnes appartenant à la catégorie des travailleurs pauvres (dont au moins 5 femmes, femmes de ménage, ouvriers non qualifiés, etc.). Notre détachement se présente chez le riche, visite l'appartement, y trouve cinq pièces pour deux hommes et deux femmes. « Vous vous serrerez dans deux pièces, citoyens, pour cet hiver et vous en aménagerez deux pour qu'on y installe deux familles qui habitent dans des sous-sols. En attendant que nous ayons construit, avec le concours d'ingénieurs (vous êtes ingénieur, je crois ?) des appartements convenables pour tous, il faudra absolument que vous vous serriez un peu. Votre téléphone servira à dix ménages. Cela économisera cent heures de travail, de courses dans les boutiques, etc. En outre, il y a dans votre famille deux personnes sans profession à peu près inoccupées, mais capables d'exécuter un travail facile, une citoyenne de 55 ans et un citoyen de 14 ans. Ils seront de service trois heures par jour pour veiller à la juste répartition des produits alimentaires entre les 10 familles et pour tenir les écritures nécessaires. Le citoyen étudiant qui se trouve dans notre détachement va vous copier à deux exemplaires le texte de cet ordre du gouvernement et vous aurez l'obligation de nous remettre un reçu par lequel vous vous engagez à l'exécuter ponctuellement. »
Telles pourraient être, à mon avis, illustrées par des exemples concrets, les différences entre l'ancien appareil d'Etat et l'ancien Etat bourgeois et le nouvel appareil d'Etat et le nouvel Etat socialiste.
Nous ne sommes pas des utopistes. Nous savons que le premier manœuvre ou la première cuisinière venue ne sont pas sur-le-champ capables de participer à la gestion de l'Etat. Sur ce point, nous sommes d'accord avec les cadets et avec Brechkovskaïa, et avec Tsérételli. Mais ce qui nous distingue de ces citoyens, c'est que nous exigeons la rupture immédiate avec le préjugé selon lequel seuls seraient en état de gérer l'Etat, d'accomplir le travail courant, quotidien de direction les fonctionnaires riches ou issus de familles riches. Nous exigeons que l'apprentissage en matière de gestion de l'Etat soit fait par les ouvriers conscients et les soldats, et que l'on commence sans tarder, c'est-à-dire qu'on commence sans tarder à faire participer à cet apprentissage tous les travailleurs, tous les citoyens pauvres.3
Quelle confiance avait Lénine dans le pouvoir potentiel et l'initiative des masses opprimées! Malgré tout, les bolcheviks étaient réalistes, et savaient que les travailleurs feraient des erreurs.
Il va de soi que les erreurs sont inévitables quand ce nouvel appareil fera ses premiers pas... Peut-il exister une autre voie pour apprendre au peuple à se diriger lui-même, pour lui éviter les fautes, que la voie de la pratique, que la mise en œuvre immédiate de la véritable administration du peuple par lui-même ? L'essentiel aujourd'hui, c'est de rompre avec le préjugé des intellectuels bourgeois d'après lequel seuls des fonctionnaires spéciaux, qui dépendent entièrement du capital par toute leur position sociale, peuvent diriger l'Etat... L'essentiel, c'est d'inspirer aux opprimés et aux travailleurs la confiance dans leur propre force, de leur montrer par la pratique qu'ils peuvent et doivent entreprendre eux-mêmes la répartition équitable, strictement réglementée, organisée du pain, de toutes les denrées alimentaires, du lait des vêtements, des logements, etc., dans l'intérêt des classes pauvres. Sans cela, la Russie ne sera sauvée ni de la faillite, ni de la destruction ; alors que si en tous lieux on remet consciencieusement, hardiment l'administration aux mains des prolétaires et des semi-prolétaires, cela suscitera dans les masses un si grand enthousiasme révolutionnaire dont l'histoire n'a pas d'exemple ; cela accroîtra dans de telles proportions les forces du peuple dans la lutte contre les fléaux, que beaucoup de choses qui paraissent impossibles à nos forces restreintes, vieillies, bureaucratiques, deviendront réalisables pour les forces d'une masse de plusieurs millions qui se mettra à travailler pour elle-même, et non pas pour le capitaliste, pas pour le fils à papa, pas pour le fonctionnaire, pas sous la trique.4
[Un autre] argument consiste à dire que les bolcheviks ne garderont pas le pouvoir, car « la situation est exceptionnellement complexe »...
Oh, les sages! Ils sont disposés peut-être à se réconcilier avec la révolution, pourvu qu'il n'y ait pas de « situation exceptionnellement complexe ».
Il n'existe pas de ces révolutions et il n'y a que lamentations réactionnaires d'intellectuels bourgeois dans les soupirs de ceux qui aspirent à une telle révolution. Même si une révolution commence dans des conditions en apparence peu compliquées, elle suscite toujours au cours de son développement des circonstances exceptionnellement complexes. Car une révolution vraiment profonde, « populaire », selon l'expression de Marx, est un processus incroyablement complexe et douloureux ; c'est l'agonie d'un vieux régime social et la naissance d'un nouveau ; des dizaines de millions d'hommes naissent d'une vie nouvelle...
Dans cet... argument il n'y a rien à examiner, puisqu'il ne renferme nulle idée, ni économique, ni politique, ni d'aucune sorte. On n'y trouve que les lamentations d'hommes que la révolution attriste et terrifie...
[J'ai eu] une conversation avec un riche ingénieur peu de temps avant les journées de juillet. Cet ingénieur avait été à un moment donné un révolutionnaire ; il avait été membre du parti social-démocrate et même du parti bolchevik. Aujourd'hui, il n'est plus que terreur, que haine contre les ouvriers déchaînés et indomptables. Si encore, dit-il (lui qui est un homme cultivé, qui a été à l'étranger), c'étaient des ouvriers comme le sont les ouvriers allemands ; je comprends, certes, qu'en général la révolution sociale est inévitable ; mais chez nous, avec l'abaissement du niveau des ouvriers que la guerre a causé... ce n'est pas une révolution, c'est un abîme.
Il serait prêt à reconnaître la révolution sociale, si l'histoire y conduisait avec autant de calme, de tranquillité, de régularité, d'exactitude, qu'un express allemand entre en gare. Très digne, le conducteur ouvre les portières des wagons et annonce : « Terminus : Révolution sociale. Alle aussteigen (tout le monde descend)! » Alors pourquoi ne passerait-il pas de la situation d'ingénieur sous le règne des Tit Titytch à la situation d'ingénieur sous le règne des organisations ouvrières.
Cet homme a vu des grèves. Il sait quelle tempête de passions déchaîne toujours, même dans les périodes les plus calmes, la plus ordinaire des grèves. Il comprend, bien sûr, combien de millions de fois plus forte cette tempête doit être, quand la lutte de classe a soulevé tous les travailleurs d'un immense pays, quand la guerre et l'exploitation ont conduit au bord du désespoir des millions d'hommes que les propriétaires faisaient souffrir depuis des siècles, que les capitalistes et les fonctionnaires du tsar dépouillaient et brimaient depuis des dizaines d'années. Tout cela il le comprend « en théorie », il ne le reconnaît que du bout des lèvres, il est simplement épouvanté par la « situation exceptionnellement complexe ».5
La révolution, pour Lénine, est le drame dans lequel les masses entrent sur la scène de l'histoire au moyen de leurs actes indépendants, défiant toutes les normes établies. C'est une époque dans laquelle tout le monde veut savoir, apprendre, décider... Comme l'a si bien décrit John Reed :
Dans toutes les villes, grandes et petites, sur le front, chaque fraction politique avait son journal — quelquefois elle en avait même plusieurs. Des pamphlets, par centaines de mille, étaient distribués par des milliers d'organisations et répandus dans les armées, dans les villages, les usines, les rues. La soif d'instruction, si longtemps réprimée, avec la révolution prit la forme d'un véritable délire. Du seul Institut Smolny, pendant les six premiers mois, sortaient chaque jour des trains et des voitures chargés de littérature pour saturer le pays. La Russie, insatiable, absorbait toute matière imprimée comme le sable chaud absorbe de l'eau. Et ce n'était point des fables, de l'histoire falsifiée, de la religion diluée et des romans corrupteurs à bon marché — mais les théories sociales et économiques, de la philosophie, les œuvres de Tolstoï, de Gogol et Gorky...
Ensuite vinrent les discours, à côté desquels « le torrent d'éloquence française » de Carlyle n'est qu'un simple murmure. Les conférences, les débats, les discours aux théâtres, aux cirques, dans les écoles, dans les clubs, dans les lieux de réunion des Soviets, dans les sièges des syndicats, dans les casernes... Les meetings dans les tranchées, sur les places publiques des villages, dans les usines... Quel spectacle magnifique de voir l'Usine de Poutilov verser ses quarante mille ouvriers pour entendre les socialistes démocrates, les socialistes-révolutionnaires, les anarchistes ou qui que ce soit, pourvu qu'ils aient quelque chose à dire. Pendant des mois entiers, à Petrograd et dans toute la Russie, chaque coin de rue était devenu une tribune publique. Dans les trains, dans les tramways, partout éclataient des débats improvisés....6
L'intelligence des masses était attelée à leur courage. Leur enthousiasme était accompagné par une action vigoureuse. La révolution, écrit Reed, « n'était pas venue comme ils l'attendaient, ni comme l'intelligentsia la souhaitait ; mais elle était venue – rude, forte, exaspérée par les formules, méprisant le sentimentalisme ; réelle. »7
Comme porte-drapeau et symbole de l'intelligentsia qui pendant des années avait appelé de ses vœux la révolution, et qui ne supporta pas celle qui se produisit dans la réalité, personne ne surpassa Gorky, pendant de nombreuses années l'ami de Lénine. Celui-ci représentait tout ce contre quoi Lénine argumentait dans la brochure dont nous parlons. Il ne voyait pas la révolution, mais une explosion d' « anarchisme zoologique, » soulevée par l'appel « volez les voleurs! » Le 20 avril, il écrivait dans Novaïa Jizn :
La politique est le terreau sur lequel le chardon de l'hostilité venimeuse, des soupçons mauvais, des mensonges éhontés, de la calomnie, de l'ambition morbide et du mépris de l'individu croît rapidement et profusément. Nommez tout ce qui est mauvais dans l'humain, et c'est précisément sur le terrain de la lutte politique que tout cela pousse avec une vivacité et une abondance particulières.8
Le 6 mai, Gorky citait en l'approuvant une lettre qu'il avait reçue :
N'est-on pas terrifié lorsqu'on voit comment des mains sales et des intérêts matériels saisissent la grande bannière sacrée du socialisme... ? La paysannerie, avide de propriété, recevra la terre et s'en retournera, ayant déchiré pour en faire des jambières le drapeau de Jéliabov et de Brechkovskaïa ... Les soldats se saisissent avec alacrité de la bannière de la « paix dans le monde entier » ; mais ils souhaitent la paix non pas au nom de l'idée de démocratie internationale, mais pour leurs petits intérêts égoïstes : la préservation de la vie et l'espoir de prospérité personnelle.9
Voilà quelle était sa réaction aux Journées de Juillet :
Les répugnantes scènes de folie qui saisirent Pétrograd le jour du 4 juillet resteront dans ma mémoire pour le reste de ma vie.
Là, hérissé de fusils et de mitrailleuses, un camion passe comme un porc enragé,est plein à craquer des représentants bigarrés de l' « armée révolutionnaire ».10
Et ce qu'il avait à dire sur le « rôle des léninistes » :
Je déteste et j'abhorre les gens qui excitent les bas instincts des masses, quel que soient les noms que ces gens portent et aussi considérables soient les services qu'ils aient rendu à la Russie dans le passé.11
La préparation des bolcheviks à l'insurrection lui inspirait ces sentiments :
Tous les bas instincts de la foule irritée par le délabrement de la vie et par les mensonges et la fange de la politique vont s'enflammer et se mettre à fumer, en semant leur poison de méchanceté, de haine et de vengeance ; les gens vont s'entretuer les uns les autres, incapables de retenir leur propre stupidité bestiale.12
C'est le mépris essentiellement aristocratique des « masses obscures » qui est exprimé par ce « boutefeu », membre depuis vingt ans du mouvement révolutionnaire !
La brochure de Lénine Les bolcheviks garderont-ils le pouvoir ? était une réponse aux Gorky de son temps. C'était une déclaration concentrée et concise d'optimisme révolutionnaire, de confiance dans les capacités créatives du prolétariat organisé, dans la chaleureuse humanité et le courage des millions d'êtres qui depuis des siècles avaient vu leurs personnalités niées et qui maintenant se levaient et combattaient.
Notes
6 John Reed, Dix jours qui ébranlèrent le monde .
7 John Reed, Ten days that shook the world .
8 Maxime Gorky, Несвоевременные Мысли .