1921 |
Source : numéro 54 du Bulletin communiste (deuxième année), 8 décembre 1921. |
Politique générale
Paris n'est pas seulement le chef-lieu du département de la Seine, de même que Périgueux est le chef-lieu du département de la Dordogne : Paris est encore la capitale de la France et c'est pourquoi, depuis Etienne Marcel1, il est si souvent advenu aux autorités parisiennes de sortir de leurs attributions régulières et d'aspirer aux prérogatives plus étendues qui sont celles du gouvernement central. La Révolution du 18 mars2, de glorieuse mémoire, n'a pas fait en somme autre chose ; et nous serions mal fondés, nous qui célébrons chaque année la naissance et la mort de la Commune, à nous élever contre des tentatives qui, par leur répétition même, atteignent pour ainsi dire à la constance des lois historiques.
Je ne suis donc ni particulièrement surpris ni autrement fâché de voir aujourd'hui le Comité exécutif de la Fédération de la Seine morigéner le Comité directeur du Parti qui n'a pas cru devoir instituer devant le congrès de Marseille un débat de politique générale ; non plus que de le voir opposer des thèses de sa façon aux thèses du même Comité directeur ; non plus que de le voir enfin inviter la Fédération à confectionner elle-même une liste de candidats à la direction du Parti et, qui plus est, contraindre ses délégués à Marseille à ne voter que pour cette liste à l'exclusion de toute autre liste.
Je ne puis, dans le cadre exigu d'un article, discuter des contre-thèses de la Fédération de la Seine (ou, plus exactement, de son Comité exécutif) ; tout ce que j'en dirai, est qu'elles ne sauraient être, sans injustice, repoussées en bloc et qu'il y a dans chacune d'elles des principes utiles et des idées opportunes que le congrès de Marseille a le devoir de retenir.
A qui objecterait que le Comité exécutif de la Seine n'avait pas le droit d'opposer ses propres thèses aux thèses du Comité directeur et de forcer par là l'opinion de ses sections, je dirai que je me félicite que le Comité exécutif ait, en l'occurrence, excédé le droit strict ; je me félicite de toutes les initiatives qui peuvent en quelque mesure activer la vie intellectuelle de notre Parti.
Je regrette par contre l'insistance que met la Fédération de la Seine, non pas certes à dresser une liste des militants qui lui paraissent les plus qualifiés pour diriger le Parti Communiste, mais à vouloir contraindre ses délégués à Marseille à ne voter que pour les candidats de son choix. Je ne pense pas que cette insistance puisse avoir d'autre aboutissement que de soulever contre la Seine les susceptibilités des fédérations provinciales, que d'opposer, une fois de plus dans l'histoire, la province à Paris, Paris à la province. La province — y a-t-on suffisamment réfléchi ? — risque de ne voir dans l'initiative de la Seine qu'une tentative de subordonner davantage encore le Comité directeur du Parti — qui n'est déjà composé, à de rares exceptions près, que de militants de la région parisienne — à l'influence de la Fédération de la Seine. Qui vivra verra !...
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Tout n'est pas imaginaire dans le reproche qui est fait par le Comité exécutif de la Seine au Comité directeur du Parti, de n'avoir pas pensé à instituer à Marseille un débat de politique générale.
Il est exact qu'un débat de politique générale est apte, plus que tout autre débat, à dégager du chaos des conceptions particulières les grands mots d'ordre qui, d'un congrès à l'autre, inspirent l'activité multiple du Parti. Est-ce à dire cependant que le Comité directeur soit dans l'impossibilité de répondre à ses détracteurs ? Il peut répondre tout d'abord que la politique générale se déduira aussi bien des débats qui auront lieu à Marseille sur la tactique électorale, sur la question agraire ou sur l'action syndicale que d'un débat spécialement institué à son sujet. Qu'est-ce qu'une politique générale, sinon la totalisation des politiques particulières : électorale, militaire, paysanne, ouvrière, etc..., que le congrès de Marseille a justement pour mandat de définir.
Que peut répondre encore le Comité directeur ? Que la politique générale du communisme a été arrêtée à Tours et qu'elle demeure valable tant qu'elle n'aura pas été abrogée ; la motion de Tours a fixé jusqu'à nouvel avis notre politique générale ; tout au plus peut-on dire qu'elle a besoin, sur tel ou tel point de détail, d'une mise au point qui ne mérite pas un débat prolongé. Le Comité directeur peut répondre enfin que le débat sur la politique générale n'a pas besoin, pour venir à la tribune de Marseille, d'être inscrit à l'ordre du jour. La discussion des rapports du secrétariat, en évoquant dans son ensemble la politique du Comité directeur sortant est parfaitement susceptible de dégager les impératifs généraux auxquels le nouveau Comité directeur devra conformer ses actes.
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Au lieu d'un débat d'ensemble, nécessairement un peu abstrait sur la politique générale, le Comité directeur a préféré instituer une série de débats concrets sur un certain nombre de « politiques » particulières. C'était son droit ; il a hâte de voir le Parti, au lieu de se définir et redéfinir... indéfiniment, se mettre avec résolution à la recherche des moyens de conquérir l'esprit et le cœur des masses. Notre politique générale, Moscou s'est excellemment chargé de l'énoncer, quand il a lancé cette année même les deux mots d'ordre que l'on sait. Premier mot d'ordre : Allez aux masses ! Deuxième mot d'ordre : Ni opportunisme de droite ni inopportunisme de gauche !
Ces deux mots d'ordre, la Fédération de la Seine a bien raison de les reprendre à son compte. Je n'ignore pas que si elle reprend le second, c'est avant tout pour se défendre, elle, de tout inopportunisme de gauche et pour nous inculper, nous, d'opportunisme de droite. Que la Fédération de la Seine soit absolument indemne de tout inopportunisme de gauche, je n'en suis pas entièrement sûr, quand je lis ses motions de tactique électorale qui aboutiraient à des applications telles qu'un franc et carré antiparlementarisme aurait plus de logique. Quant à notre opportunisme de droite, je n'hésite pas à reconnaître que les faits sur ce point donnent parfois raison à la Fédération de la Seine : la discipline dans le Parti, surtout quand elle concerne les élus, est quelque peu inopérante : il n'est que trop vrai, par exemple, que le Parti s'est montré indulgent, au delà des nécessités de la période transitoire que nous traversons, pour « les manifestations réformistes auxquelles se livrent trop souvent des journaux, des élus et des militants du Parti ». Mais l'indulgence a ses limites, ceux qui en ont bénéficié hier auraient tort de la croire éternelle.
Allez aux masses, répète, après Moscou, la Fédération de la Seine ! Mais qu'avons-nous fait qui contrevienne à ce mot d'ordre ? Jamais la propagande n'avait été menée dans le passé avec une telle intensité. Pas un seul membre du Comité directeur qui ne se soit mué cette année en délégué permanent : le rapport de Frossard en fait foi. Nous sommes allés aux masses, ou plutôt nous n'avons cessé de vivre et de combattre au milieu d'elles. Nous avons imposé, dans ce pays pourri de bourgeoisisme, bourré de préjugés démocratiques et de forfanteries chauvines, ce fait nouveau d'un grand parti révolutionnaire n'attendant rien de la légalité et ne croyant qu'à la force organisée des masses.
Nous sommes allés aux masses. Mais le tout n'est pas d'y aller ; le tout est de les conquérir. Les thèses avec lesquelles le Comité directeur se présentera à Marseille n'ont d'autre but que cette conquête des masses par l'idée communiste. C'est à gagner au communisme les travailleurs organisés — cette élite de la classe ouvrière — que tend notre thèse syndicale ; c'est à gagner les paysans au communisme que tend notre thèse agraire ; c'est à gagner les soldats, les femmes, les coopératives, que tendent les autres thèses. Nous n'avons eu qu'une pensée et qui nous a inspirés sans relâche : accroître la force matérielle et l'influence morale du communisme français.
Et quelles qu'aient pu être nos fautes, nos erreurs, nos malchances, c'est d'un cœur parfaitement assuré que nous nous soumettrons demain au jugement de notre Parti.
Notes
1 Etienne Marcel (entre 1302 et 1310-1358), prévôt des marchands de Paris et dirigeant d'un mouvement révolutionnaire bourgeois.