1933

Edité en 1933 Ed. Bureau d'Editions, 132, Faub. Saint-Denis - coll. Episodes et Vies Révolutionnaires - Publié sous les auspices de la Société des Vieux Bolchéviks de Moscou

 

Goloubev

Des grèves à l'insurrection

 

 

XVII. Un " gouvernement " provisoire

Le 5 octobre, un meeting se tint à l'université. J'arrivai alors qu'il battait son plein, la salle était pleine à craquer, une partie des assistants se tenaient debout. Je pénétrai avec peine dans la salle. Alexinski (alors agitateur éminent de la social-démocratie, à présent renégat plein de fiel contre-révolutionnaire) était à la tribune. Il disait entre autres choses que les écoles supérieures étaient fermées pour les réunions ouvrières, que les forces brutales des " Cent-Noirs " s'avançaient déjà vers l'université venant de l'Okhotniy Riad et qu'il fallait agir. Il termina en proposant d'élire un gouvernement provisoire, chargé de s'adresser aux ouvriers ainsi qu'à la population et de les appeler à prendre des mesures. Cette proposition fut acceptée. Comme nous nous attendions à une attaque du dehors, nous nous déclarâmes en état de siège, et nous élûmes un comité révolutionnaire ou " gouvernement " provisoire.

Alexinski et un autre camarade dont j'ai oublié le nom représentaient les bolchéviks. Les autres appartenaient à différents partis. Mais, à peine élu, on n'entendit plus parler de ce comité qui croyait sans doute que son nom seul suffirait à captiver les masses ouvrières et à désemparer l'ennemi.

Afin de protéger le " gouvernement ", les portes de l'université furent barricadées avec les pavés de la rue et de la cour.

Pendant ce temps, on organisa une commission chargée de s'occuper du ravitaillement, une, Croix Rouge, et pour seconder la section de la défense armée de revolvers et de cinq pistolets. On forma des détachements d'hommes armés de barre de fer arrachée aux grilles.

Ces préparatifs amassèrent dans la cour de l'université et dans la rue une foule de curieux. Qu'étaient-ce tous ces gens ? Il eût été difficile de le dire. Aucun moyen de contrôle : ni billets du Parti, ni laisser-passer. Un meeting fut organisé dans la cour même de l'université. Des orateurs prirent la parole au du comité révolutionnaire provisoire. Ils expliquèrent à la foule les raisons qui les avaient amenés à élire un comité révolutionnaire et à dresser des barricades.

Après quoi, ils invitèrent ceux qui ne désiraient pas affronter un danger imminent à se retirer, car ceux qui étaient à l'intérieur de la cour resteraient en danger ; peut-être même y resteraient-ils pendant plusieurs jours. La cour de l'université fut bientôt vide. Les grilles furent fermées, les barricades terminées ; seule la Croix Rouge et les éclaireurs de la section de défense pouvaient circuler.

Après s'être à grands points cousus des croix rouges sur la manche, le groupe de la Croix-Rouge sortit pour enquêter. Résultat inattendu : sans s'éloigner du quartier de l'université, ils recueillirent près de 1 000 roubles pour l'armement du " gouvernement provisoire " encore inexistant !

Cela prouve toute la sympathie que la lutte contre l'autocratie rencontrait dans les larges couches de la population. Evidemment, la situation était alors bien plus favorable pour la lutte contre l'autocratie qu'après la publication du Manifeste.

Mais il y avait pas mal de romantisme et dans le mouvement ouvrier et parmi ses chefs.

Le Comité Révolutionnaire Provisoire nous invita, nous, représentant des organisations de rayons, à nous rendre sans tarder dans nos rayons respectifs pour les informer de la constitution du Comité Révolutionnaire Provisoire, et de la marche des " Cent-Noirs " sur l'université où il s'était barricadé, ainsi que pour appeler les masses ouvrières à se rassembler près de l'université pour lui prêter main-forte.

Je me rendis au comité du rayon Rogojski, je fis le tour des organisations des usines, mais elles m'accueillirent sans élan, prétendant que le temps manquait pour rassembler les ouvriers et que d'ailleurs elles doutaient du succès de notre entreprise. (Il fallait bien l'avouer : n'était-ce pas une chose fantastique que nous avions entreprise à l'université ?).

Et même si nous avions réussi à réunir les ouvriers, il eut été insensé d'exposer aux balles une masse désarmée. Tout ce que nous faire, nous fut-il répondu au rayon, c'est d'envoyer vers l'université les camarades des sections de défense qui désireraient y aller.

Je revins donc à l'université rendre compte des résultats piteux de mes entrevues. Les camarades envoyés dans les autres rayons n'avaient pas mieux réussi : les réponses que nous apportions au gouvernement provisoire étaient toutes les mêmes. La nuit se passa sans incidents. Il y eût pourtant quelques blessures dues à l'inhabilité de nos hommes à manier les armes. Nous étions sans entrain pour la lutte, chacun se sentait isolé de la masse ouvrière. Ce n'était pas encore la guerre et ce n'était plus la paix, et nous n'avions aucune perspective pour le développement de la lutte.

Le 16 au matin, des détachements militaires firent leur apparition en face de l'université et Manioulov, le recteur de l'Université (le premier recteur, élu en vertu de l'autonomie universitaire), nous proposa son aide pour sortir du bâtiment sans encombre. Mais peu nombreux furent ceux disposés à se rendre à son invitation ; nous voulions échapper à la visite et emporter toutes nos armes.

Nous examinâmes notre situation. Qu'attendons-nous ici ? nous demandions-nous. Les ouvriers doivent venir nous libérer avec des drapeaux rouges, répondaient les représentants du " gouvernement provisoire ", tandis que les camarades du rang répondaient : nous avons-nous-mêmes procéder à notre arrestation, à nous de nous libérer ! les ouvriers ne peuvent pas se prêter à toutes les expériences irréfléchies qu'il nous plaît de faire ! Mais il y avait aussi des têtes chaudes qui s'imaginaient que, pris au piège et mal armés comme nous l'étions, nous pouvions résister aux dragons, aux cosaques et à la police qui nous encerclaient.

Après un certain temps, le professeur Manioulov réitéra sa proposition de servir de médiateur entre le gouverneur de la ville et nous. Nous acquiesçâmes, indiquant à quelles conditions nous consentirions à capituler : nous sortirions de l'université si les troupes étaient retirées du quartier, la route libre, si on nous promettait de ne pas nous fouiller et de nous laisser emporter nos armes. Comme garantie, nous voulions que le gouverneur de la ville ou son aide nous accompagne ainsi que le professeur Manioulov. Nos conditions furent acceptées, excepté le point concernant le retrait des troupes. Nous devions par contre cacher nos armes, marché sans drapeau rouge, sans chants, allant par petits groupes, par la Nikitskaïa, pour nous disperser ensuite. Nous consentîmes. Vers deux heures, un premier groupe quitta l'université, le gouverneur adjoint de la ville et Manioulov en tête. La foule s'était massée à la Nikitskaïa, où se tenaient également des troupes, mais il n'y eut ni ovation, ni aucun signe de haine. Ce n'est que vers cinq heures du soir que le dernier groupe quitta l'université ; les conditions avaient été respectées de part et d'autre et les troupes occupèrent le bâtiment.

Cet épisode n'eût pas de suites fâcheuses pour nous et fut bientôt oublié, car des événements plus importants lui succédèrent. Mais les barricades, ces tas de pierres, restèrent pendant longtemps encore dressées dans la cour, témoins du romantisme des premiers pas du mouvement révolutionnaire moscovite. L'attitude du gouvernement à l'égard du " gouvernement provisoire " s'explique, d'après moi, par le fait que le pouvoir nous croyant mieux organisés, resta désemparé.

Ceci montre combien était grand le prestige du Parti révolutionnaire et à quel point était infime l'autorité du tsarisme. Le Parti révolutionnaire jouissait parmi la population d'une très forte autorité et le pouvoir comptait avec lui comme avec la seule organisation capable d'opposer sa puissance à l'autocratie. Même les petit-bourgeois bornés, étrangers à la politique, craignant d'être molestés par le bandes déchaînées des " Cent-Noirs " étaient obligés de soutenir les sections de défense.

Le 18 au matin, les cloches des églises de Moscou, au nombre de 40 fois 40, se mirent en branle. Les popes célébrèrent un service d'actions de grâce. Dans les séances solennelles et les banquets que tinrent alors en signe de réjouissances le conseil municipal, le zemstvo, les industriels, les corporations de savants, etc.… on entendit des protestations de fidélité au régime : " Le tsar a prêté l'oreille à notre sage requête, il a enfin accordé à son peuple la Constitution si longtemps attendue ", disaient les idéologues bourgeois. La bourgeoisie voyait dans cet acte le triomphe du bon sens, qui devait prévenir la révolution imminente.

Seule la classe ouvrière gardait le silence. Elle ne se réjouissait pas et accordant peu de fois aux promesses du tsar, et considérait le Manifeste comme une manœuvre dont usait l'autocratie, pour détacher la bourgeoisie libérale du mouvement révolutionnaire, afin d'écraser ensuite plus aisément la classe ouvrière isolée. C'est de cette manière que le Manifeste tsariste fut interprété par l'organisation bolchévik de Moscou.

Le même jour, profitant de la joyeuse humeur de la bourgeoisie et de la perplexité des agents du pouvoir, les ouvriers descendirent dans la rue. S'emparant de drapeaux tricolores qui donnaient à la ville une note claire et gaie, ils en arrachèrent les bandes bleues et blanches ne gardant que le rouge, bannière révolutionnaire avec laquelle ils se rendirent, les uns à la prison de Boutirki, les autres, à la prison de Taganka, pour libérer les détenus politiques.

Cette atmosphère de gaîté ne fut pas de longue durée. Dès le premier jour, le Manifeste fut rougi du sang des révolutionnaires : nous apprîmes qu'à Pétersbourg des troupes avaient fait feu sur des ouvriers rassemblés, et qu'à Moscou un social-démocrate (bolchévik) le camarade Bauman avait été tué par les " Cent-Noirs ".

J'assistais, à l'Institut Technique, à une réunion d'ouvrier de petites entreprises qui venaient de partir en grève, lorsqu'on y amena Bauman, le crâne fracassé.

Sa dépouille y resta jusqu'au moment de l'inhumation.

Le Comité de Moscou s'occupa de son enterrement. Il décida d'user des libertés proclamées par le Manifeste, et demanda au gouverneur de la ville l'autorisation d'enterrer le révolutionnaire victime des " Cent-Noirs " ; il fixa la date de l'enterrement au 20 octobre à 11 heures du matin. Conformément aux directives du Comité de Moscou, les ouvriers de tous les rayons devaient se réunir à l'Institut Technique.

Le 20 octobre, dès dix heures du matin, des colonnes d'ouvriers s'avancèrent, drapeaux en tête, vers le lieu de rendez-vous. Venant des différents rayons, ils emplirent la cour de l'Institut, les rues qui y aboutissaient et les ruelles environnantes, et ils affluaient toujours. Craignant la provocation, nous décidâmes d'enlever le corps sans attendre les ouvriers des autres rayons. Les nombreux délégués des différentes organisations, portant gerbes et couronnes, marchaient en tête du cortège funèbre. Suivaient, en colonne, les sections de défense.

Ainsi s'avançait le cortège fermé par les drapeaux qui s'agitaient comme autant de langues de feu. Il s'ébranla à midi aux accents d'une marche funèbre. Des chants de combats partis de nombreuses poitrines passaient sur les assistants en une puissante vague révolutionnaire.

Par son caractère imposant, par sa portée révolutionnaire, cette manifestation dépassa toutes les manifestations prolétariennes qui eurent lieu en Russie jusqu'en 1917. Si la journée du 9 janvier marqua la fin de la foi aveugle dans le tsar et le début de la révolution, la démonstration du 20 octobre fut un appel à l'insurrection armée.

Tant que le cortège se déroula à travers la ville, il ne se passa rien d'extraordinaire, mais au-delà de la barrière de la Pressnia, des symptômes inquiétants se manifestèrent : des groupes d'hommes suspects, à l'aspect hostile.

Une sombre nuit d'automne descendait sur la terre : nous arrivâmes aux grilles du cimetière à la lueur des torches. Des détachements de policiers et de gendarmes nous y attendaient barrant la route à la manifestation. Après des pourparlers, ils consentirent à laisser pénétrer dans le cimetière la délégation portant les couronnes mortuaires, trois cents personnes environ. Nous étions remplis d'inquiétude. Après que les derniers discours furent prononcés et que le cercueil, descendu dans la fosse, eut été recouvert des dernières pelletées de terre, notre inquiétude s'atténua : tout s'était bien passé. Il ne restait plus qu'à ramener les drapeaux rouges à l'université où ils devaient rester.

Après avoir repassé la barrière de Pressnia, nous sentant hors de danger, nous nous dispersâmes, allant chacun vers notre logis. Un groupe de deux cents camarades se dirigea vers l'université. Les forces cachées de l'autocratie n'attendaient que ce moment-là pour marquer du sang ouvrier cette journée impressionnante. Au coin de la Nikitskaïa et de la Mokhovaïa, le petit groupe des manifestants fut accueilli par une grêle de balles : les cosaques et les " Cent-Noirs " tiraient du manège.

Il y eut quatre morts et beaucoup de blessés : on l'apprit le lendemain matin.

L'autocratie n'avait pas osé attaquer la manifestation au grand jour : celle-ci était trop puissante, tant par le nombre des personnes et leur bonne organisation que par la profonde sympathie qu'elle avait trouvée parmi toute la population de Moscou.

De nouveau, la question des funérailles de ceux que venait d'abattre l'ignominieuse main de l'autocratie se posait devant le Parti… Ces funérailles seraient-elles encore plus grandioses, plus imposantes que celles de Bauman ou bien viendraient-elles affaiblir l'impression reçue hier ? Ce qui devrait suivre une manifestation de cette envergure, c'est l'insurrection armée. Aussi fut-il décidé de n'organiser aucune manifestation massive. Seule une délégation de différents rayons participerait aux funérailles.

La manifestation et la mort de nouveaux camarades tombés sous les balles des cosaques et des " Cent-Noirs " tirèrent de leur torpeur les couches les plus arriérées du prolétariat moscovite ; elles prouvèrent que c'est seulement les armes à la main que les ouvriers peuvent conquérir le droit de citoyens. Aucune promesse du tsar ou de la bourgeoisie ne pouvait les délivrer du joug, ni briser leurs chaînes séculaires.

Cet état d'esprit rendit plus aisée notre activité révolutionnaire dans les rayons. Les ouvriers vinrent d'eux-mêmes assister à nos réunions et y manifestèrent leur initiative.

Ils se rendaient compte que le Parti est le défenseur de leurs intérêts.

Nous, social-démocrates bolcheviks, étions seuls à travailler dans le rayon de Rogojsk. Les autres partis n'y avaient pas de représentants. Une fois seulement des socialistes révolutionnaires assistèrent à une réunion d'ouvriers de chez Goujon. Mais leur intervention isolée n'eut évidemment aucune importance. Une autre fois, un menchevik prit part à une réunion d'ouvriers de chez Goubkine Kouznetsov, un peu avant les journées de décembre. Il parla des syndicats.

Les agitateurs et propagandistes les plus imminents du Comité de Moscou intervenaient surtout dans les rayons où les autres partis avaient également leurs défenseurs. Ce n'était pas le cas du rayon de Rogojsk, personne n'entravait notre travail d'organisation. Mais cette situation privilégiée avait également son côté négatif : les questions, au lieu d'être préalablement étudiées dans un cercle, étaient directement présentées dans les grandes réunions, ce qui était néfaste au point de vue théorique. Le niveau d'éducation des ouvriers était insuffisant, ils étaient incapables de démêler les questions complexes et se laissaient guider avant tout par leur instinct de classe, sans se baser sur une solide éducation théorique.

On respirait une atmosphère de lutte. On était à la veille de grands événements politiques.

Le manifeste du 17 octobre marqua un tournant décisif dans le rôle historique que joua la bourgeoisie dans le mouvement de libération ; abandonnant le mouvement révolutionnaire et la révolution, elle se groupa en partis politiques légaux.

Les événements se déroulaient avec une telle rapidité que nous n'avions pas le temps de nous en apercevoir, ni de réagir.

Le glissement des couches bourgeoises dans le camp de la réaction se réalisa à ce moment (15 novembre). Les rapports des forces des classes en lutte se déterminaient. L'autocratie gagnait la bourgeoisie, la classe ouvrière conquérait les travailleurs jusque là hésitants. Les couches libérales intermédiaires disparaissaient au cours du processus de la lutte.

La tâche primordiale de notre travail, c'était de mobiliser les masses ouvrières contre l'autocratie et de démasquer la bourgeoisie passée au camp de la contre-révolution, après le Manifeste du 17 octobre. L'organisation de Moscou accorda aux partis bourgeois une importance toute spéciale, car elle s'était assignée comme but d'attirer à la révolution les groupes petit bourgeois et intellectuels, le syndicat des cheminots (dirigé par des fonctionnaires indécis) les syndicats des aide-chirurgiens, des employés de commerce, des instituteurs, les organisations d'étudiants, d'employés des postes et télégraphes. Toutes ces catégories restèrent avec nous jusqu'au moment de l'insurrection armée, grâce à l'énergie dont fit preuve le Comité de Moscou. Nous continuâmes à développer une agitation ouverte au sein des masses ; mais nous manquions d'ouvriers suffisamment préparés au point de vue théorique. Pour notre travail d'organisation, nous nous conformions aux règles de l'illégalité, nous avions nos surnoms, nos lieux de rendez-vous changeaient chaque jour, les comités d'usine se réunissaient au domicile d'un ouvrier, les comités de rayons chez les intellectuels.

Dans la lutte politique, notre tactique restait, comme auparavant, défensive. Une vague révolutionnaire spontanée nous entraîna, mais nous n'avions ni la force, ni le temps, ni le savoir-faire, et l'expérience nous manquait pour nous rendre compte du rapport exact des forces sociales et politiques et pour pouvoir passer à l'offensive, à l'insurrection, à la prise du pouvoir, en tirant parti du désarroi du pouvoir tsariste et de l'appui actif des larges masses, en révisant notre tactique défensive, avant l'attaque du pouvoir tsariste.

L'idée de la prise du pouvoir ne possédait pas encore suffisamment, les chefs eux-mêmes de l'organisation de Moscou, bien que le mot d'ordre de l'insurrection armée fut répété partout. En effet, que nous prenions la parole aux réunions, que nous écrivions un journal, que nous imprimions des tracts, toujours nous finissions par un appel à l'insurrection armée. Mais c'était un mot d'ordre d'agitation plutôt que d'organisation ; il ne possédait pas le sens réel qu'il aurait dû avoir, il n'inspirait pas encore aux masses la foi puissante indispensable.

Bien qu'il y eût de l'effervescence parmi les soldats, la plupart d'entre eux restaient hésitants. Et si le mécontentement était grand parmi les paysans, ils n'étaient pas organisés. Les cheminots, les employés des postes et télégraphes, etc.…, se joignirent au mouvement révolutionnaire du prolétariat industriel.

Le moment vint où la réaction et la révolution devaient s'affronter. Le pouvoir tsariste s'était renforcé dans l'intervalle, grâce à la bourgeoisie qui avait passé de son côté. Aussi, profitant de l'indécision des organisations révolutionnaires et de l'affaiblissement du prolétariat, il entreprit une attaque sur tout le front. Le Comité Exécutif du Soviet de Pétersbourg fut arrêté le 3 décembre ; le 12, le nouveau Soviet fut dissous. Le 22 novembre à Moscou, se constitua le Soviet des députés ouvriers, il ne tint que cinq réunions les 22 et 28 novembre, les 4, 6 et 15 décembre, et fit paraître quelques numéros des Izvestia. Le menchevik Krouglov, ouvrier typographe en était le président. Son remplaçant, Cher, était également menchevik.

Le Soviet de Moscou ne joua aucun rôle important dans la lutte révolutionnaire, sauf lorsqu'il publia dans les Izvestia du 4 décembre un appel aux ouvriers, les exhortant à être prêts à la lutte armée et quand, le 6 décembre, conformément à la décision de la conférence des social-démocrates (bolcheviks) du 5 décembre, il proclama la grève générale à Moscou, à partir du 7décembre, à midi.

A Moscou, c'était le comité des social-démocrates (bolcheviks) qui avait assumé la direction du mouvement. Notre organisation se divisait alors en dix rayons, l'organisation militaire et l'organisation des droujine, jouissaient des mêmes droits que ces rayons.

En septembre déjà, la question des droujine, s'était posée devant l'organisation de Moscou. On y avait songé pour prémunir tout d'abord les meetings contre les attaques des " Cent-Noirs " et de la police, pour protéger les locaux des entreprises urbaines, car on craignait les provocations de la police.

En novembre, dans plusieurs entreprises et fabriques, l'administration, répondant à la demande des ouvriers, organisa l'auto-défense ouvrière, pour échapper aux attaques des " Cent-Noirs " allumeurs d'incendie, briseurs de vitres, etc.… Les ouvriers furent ainsi munis d'excellentes armes à feu aux frais de l'entreprise, et des dizaines d'ouvriers furent armés de façon semi-légale sous les yeux de la police. C'est ainsi que des droujines furent organisées chez les Schmidt, à la Presnia, chez Mamontov, Prokhorov, Tsindel, Sitine ; dans notre rayon, nous avions des armes à notre disposition à la fabrique Goubkine-Kouznetsov, aux usines Hakental, Parenoud, etc.…

Une agitation largement menée, la presse du Parti et surtout la vie elle-même, rendaient l'atmosphère politique de plus en plus tendue dans les milieux ouvriers. La lutte semblait inévitable et toute proche. Des armes étaient devenues indispensables. On réclamait de toutes parts des revolvers, et notre organisation était incapable de satisfaire à tant de demandes. Certains camarades allèrent jusqu'à vendre leurs manteaux pour pouvoir s'acheter une arme. Ils se rendaient hors de la ville pour apprendre à tirer.

Un organisateur de détachements de combat envoyé par le Comité de Moscou arriva dans notre rayon. Des droujines bien organisées et disciplinées grandirent - garde rouge de 1905 - L'élan des ouvriers vers les droujines étaient si puissant que nous fûmes obligés, de crainte de voir se relâcher notre travail d'organisation et d'agitation, d'en défendre l'accès à certains camarades qui nous étaient indispensables pour mener à bien ce travail. Mais il leur arrivait de suivre leurs camarades hors de la ville pour prendre part aux exercices de tir.

En décembre, notre rayon comptait cent cinquante hommes munis d'armes à feu. Ces droujines comprenaient des camarades du Parti, mais elles comptaient également des sans-parti.

Le Comité du rayon invita les ouvriers organisés à s'occuper des soldats. Ils entrèrent donc en relation avec ces derniers ; nos tracts et brochures pénétrèrent dans les casernes : l'agitation parmi les soldats commençait.

Le pouvoir tsariste abandonna alors la diplomatie et passa à l'offensive. Il s'appliqua à liquider les organisations ouvrières, étouffant les soulèvements et prenant des mesures radicales. Plusieurs villes furent déclarées en état de siège, la liberté de la presse fut suspendue, les journaux révolutionnaires interdits, les syndicats fermés. Après le Soviet de Pétersbourg, d'autres Soviets furent dissous. Le même sort attendait celui de Moscou. La vague révolutionnaire s'étendit jusqu'à la garnison de Moscou. Les revendications partielles devinrent insuffisantes. Le mouvement prit, par endroits, un caractère nettement révolutionnaire. Les sapeurs du régiment de Rostov, se mutinèrent ; ils chassèrent les officiers, élirent des délégués au Soviet, démontèrent leurs fusils.

A cette époque le Comité de Moscou du P.O.S.D.R. examina l'idée d'un front uni des prolétaires et des soldats ; les ouvriers fraternisèrent avec les soldats et les amenèrent à leurs meetings, manifestèrent devant les casernes.

Les casernes des troupes révoltées étaient encerclées par des cosaques et des dragons, les réservistes furent démobilisés, - le nombre des soldats mutinés diminua d'autant. Les pouvoirs acceptèrent une partie des revendications matérielles des soldats, émoussant ainsi leur esprit révolutionnaire.

Bien que les conditions fussent défavorables pour une lutte décisive contre l'ennemi qui venait de remporter victoire sur victoire (écrasement des mutineries dans la flotte et dans l'armée, arrestation du Soviet de Pétersbourg, etc.), le prolétariat moscovite décida de répondre au défi que lui lançait l'autocratie.

Le 4 décembre, le Soviet de Moscou exhorta le prolétariat à se préparer pour l'insurrection armée ainsi que l'avait fait le Manifeste du Soviet de Pétersbourg, deux jours auparavant. Durant plusieurs jours, du 4 au 7 décembre, les ouvriers de Moscou se préparèrent à l'insurrection ; ils remuèrent l'opinion publique, firent de l'agitation, se procurèrent des armes, s'exercèrent au tir, entrèrent dans les droujines. Le 5 décembre au soir, le Comité de Moscou du P.O.S.D.R. convoqua une conférence du Parti à l'institut Fidler. Un délégué du Comité parla des événements se déroulant dans le pays, de la perte des anciennes conquêtes révolutionnaires, des événements tout récents qui s'étaient déroulés à Pétersbourg et de l'état d'esprit des ouvriers pétersbourgeois. Cet état d'esprit, disait-il, n'est pas encourageant. Il montra que l'atmosphère révolutionnaire s'y atténuait, que les forces des ouvriers s'étaient usées au cours d'une longue lutte ; et il proposa à la conférence d'attendre des nouvelles de Pétersbourg, qui indiqueraient comment les ouvriers avaient réagi lors de l'arrestation du Comité Exécutif.

Le représentant de l'organisation des cheminots déclara qu'au cas où la conférence décréterait la grève générale, ils pourraient arrêter tous les chemins de fer, empêchant ainsi les troupes envoyées pour étouffer l'insurrection d'arriver à Moscou. Il ajouta que sur les vingt-neuf lignes qu'il y avait, il pouvait répondre de vingt-cinq.

Le représentant de l'organisation militaire déclara que la garnison de Moscou ne se joindrait pas aux ouvriers insurgés, l'autocratie ayant réussi à la satisfaire en donnant suite à ses revendications partielles, tandis que les régiments qui s'étaient fait remarquer par leur esprit révolutionnaire étaient enfermés dans les casernes et gardés par d'autres troupes. Il est pourtant permis de croire, ajouta-t-il, que la garnison de Moscou restera neutre et que, si elle ne se joint pas aux insurgés, du moins elle ne marchera pas contre eux, exception faite pour quelques détachements de cosaques. Le représentant du Comité Central du P.O.S.D.R. se prononça pour la grève générale ; il ne faisait là qu'exprimer son avis comme membre du Parti sans donner de directive au nom du Comité Central. Le Comité de Moscou nous informa que les autres partis étaient, eux aussi, en séance et qu'il y avait tout lieu de croire que la conférence des socialistes-révolutionnaires se prononcerait pour la grève générale, ajoutant que le Comité Régional du P.O.S.D.R. se rallierait à la décision de la conférence de Moscou.


Les délégués des comités de fabriques et d'usines prirent la parole l'un après l'autre, déclarant que les ouvriers s'armaient et qu'ils réclamaient presque unanimement une grève politique générale, devant nécessairement se transformer en insurrection armée. Ils estimaient que l'élan révolutionnaire ne s'était pas amorti au sein des troupes, qu'une grève générale le ranimerait, et qu'une partie de la garnison se joindrait peut-être aux insurgés.

Malgré les informations de Pétersbourg, qui n'étaient pas de nature à lui donner pleine assurance, le prolétariat de Moscou décida de raviver le feu révolutionnaire allumé par les ouvriers pétersbourgeois et de commencer l'insurrection.

Les ouvriers, en préconisant la grève générale, comprenaient qu'il ne s'agissait pas de revendications économiques, mais d'une lutte à mort contre l'autocratie, pour la conquête du pouvoir. Pour nous, militants actifs de l'organisation, il était clair que cette grève se transformerait nécessairement en un combat armé contre le gouvernement, mais nous n'étions point persuadés que les autres rayons industriels nous soutiendraient en l'occurrence et nous ne savions quelle attitude les troupes prendraient à notre égard. Le Comité de Moscou ne proposa aucun plan à la conférence sur la façon d'occuper les institutions d'Etat, arrêter les représentants du pouvoir, où fallait-il diriger la masse des ouvriers en grève ? etc. La conférence était moins apte encore à élaborer des directives de ce genre. Pour donner une idée de la façon dont nous nous représentions alors une insurrection armée, il suffit de dire ici que le Comité de Moscou lui-même croyait que l'insurrection commencerait par des collisions entre les ouvriers et les troupes du gouvernement lors des meetings ou des manifestations. A la fin de la conférence tout le comité de rayon de Rogojsk se retira chez Finikov, mécontent de la décision prise ; nous y passâmes toute la nuit, essayant d'élaborer un plan d'action. Mais comment agir ? Nous nous demandions quel serait le point de départ de l'insurrection, comment elle commencerait. Nous décidâmes d'attendre les directives du Comité de Moscou, et nous nous préoccupâmes d'une autre question : que faire en attendant l'insurrection et au moment même du soulèvement ? Il nous était aisé, avec l'aide des grévistes, d'arrêter les petites entreprises les plus retardataires, d'être constamment en contact avec les masses ouvrières, afin qu'elles soient prêtes à répondre à l'appel de Comité de Moscou, les convoquant à un point ou à un autre de la ville. C'est pourquoi nous décidâmes de tenir chaque jour des réunions générales, des réunions de délégués ouvriers. En outre, nous organisâmes un service d'éclaireurs chargés de surveiller les échelons de soldats arrivant du front d'Extrême Orient par les chemins de fer de Koursk et de Nijegorod, après la fin des hostilités russo-japonaises et de la défaite de l'armée tsariste.

Nous décidâmes également de surveiller les mouvements de troupes, les détachements de police et les " Cent-Noirs ".

Nous choisîmes donc des éclaireurs dont quelques-uns étaient armés de revolvers. Un centre fut établi pour recueillir les renseignements ; j'étais chargé de sa direction. Des étudiants assuraient la liaison avec Moscou. Le 6 décembre, le Soviet des députés ouvriers de Moscou fut convoqué. Outre les social-démocrates bolcheviks, les partis socialiste-révolutionnaire, social-démocrate menchevik, le syndicat des pharmaciens et celui des typographes, etc.…, se prononcèrent pour l'insurrection armée. Il faut noter ici que les syndicats se préparaient à cette insurrection de la même manière que les partis politiques et qu'ils possédaient, eux aussi, leurs droujines. Les délégués du Soviet des députés ouvriers de Moscou décidèrent de fixer la grève générale au 7 décembre à midi.

Cette décision n'était pas indispensable, mais elle fut le signal de l'insurrection pour la classe ouvrière du pays tout entier. La plupart des villes et des rayons industriels se rallièrent à la décision du Soviet de Moscou. Un Comité fédéral fut élu par tous les partis socialistes ; c'est à lui qu'incombait la direction du soulèvement.

Le congrès des délégués cheminots qui se tenait le même jour à Moscou se prononça lui aussi, pour la grève politique générale. Et ainsi, il n'y eut pas une seule organisation qui ne saluât l'insurrection armée !

Le 7 décembre nous nous rendîmes à notre club de l'usine de Goujon. Le premier numéro des Izvestia Moskovskovo sovieta Raabotchikh deputatov était diffusé dans le rayon. En première page, la décision du Soviet se détachait en gros caractères : Aujourd'hui, 7 décembre à partir de midi, grève générale politique à Moscou. Cette grève doit se transformer en insurrection armée. Cette décision était signée par le Comité fédéral, représentant tous les partis révolutionnaires.

Les branches d'industrie qui devaient continuer le travail y étaient mentionnées, c'étaient le service des eaux, la canalisation, les boulangeries (ne cuire que du pain noir), les chemins de fer (seulement les lignes empruntées par les soldats rentrant du front et celles pouvant servir à la révolution).

Depuis la veille déjà, les ouvriers étaient informés de ce qui allait se passer et ils accueillirent, pleins d'enthousiasme, la décision su Soviet. On s'arrachait les Izvestia.

A 11 heures, les ouvriers de chez Goujon organisèrent une manifestation qui défila par les rues. Pas une seule entreprise qui n'eût décidé la grève. A midi, la vie de presque toutes les entreprises de Moscou s'éteignit.

Sur la place de Taganka et à la barrière Pokrovsk, les " Cent-Noirs " voulurent se ruer sur les ouvriers, mais quelques coups de feu tirés par les droujines de chez Goujon les dispersèrent rapidement. Ce que voyant, les gosses prirent plaisir à effrayer la police et les " Cent-Noirs " en criant : " Voilà ceux de chez Goujon " et riaient à les voir se disperser et se réfugier dans les cours. Lorsque les ateliers du chemin de fer Moscou-Koursk cessèrent le travail, une compagnie du régiment Samoguidski menaça de faire feu sur les ouvriers, ceux-ci en dissuadèrent les soldats qui, malgré les cris des officiers, refusèrent de tirer. Je ne me rappelle pas qu'il y ait eu ce jour-là d'autres attaques de la police. Au contraire, dès le premier jour, les ouvriers désarmèrent les gendarmes après la fin de la manifestation. A trois ou quatre, l'un d'eux étant armé, ils s'approchaient du gendarme, lui prenaient son revolver et se dirigeaient vers le poste suivant. Deux jours plus tard, tous les gendarmes avaient l'étui du revolver vide, mais, peu après, chaque poste fut de nouveau occupé par trois ou quatre gendarmes bien armés.

Les ouvriers cherchaient également des armes en dehors de leur rayon. Ils apportèrent par exemple des revolvers provenant d'un magasin d'armes qu'ils avaient pillé à Moscou.

Dans les gares où s'arrêtaient les convois venant d'Extrême Orient, les ouvriers désarmaient les officiers rentrant de Mandchourie, qui s'y opposaient à peine, d'ailleurs. Parfois, à la demande des officiers, les ouvriers leur écrivaient une déclaration de ce genre : " Je, soussigné, m'engage à rendre le revolver Nº… lorsque je n'en aurai plus besoin. "

Pendant les trois premiers jours on respirait une atmosphère de fête : les soldats avaient une attitude amicale vis-à-vis des grévistes. Si, sur l'ordre de leurs officiers, ils venaient troubler un meeting ou une manifestation, les ouvriers s'approchaient d'eux, leur parlaient familièrement, cherchant à les convaincre : " Camarades soldats, disaient-ils, nous nous sommes insurgés pour la défense d'intérêts qui nous sont communs ; comme nous, vous vivez mal, unissons-nous plutôt, etc.… " Ils conversaient ensemble et les soldats s'en allaient sans tenir compte des cris des officiers.

Dès les premiers jours, nous comprîmes que tant que les soldats ne seraient pas avec nous, nous ne pourrions pas vaincre l'ennemi. C'est pourquoi, dès le début, ce fut entre le pouvoir tsariste et nous, ouvriers révoltés, à qui gagnerait le soldat. Les premiers jours de la grève déjà, les ouvriers adoptèrent la résolution de ménager les soldats en cas de collision : " Quiconque fait feu sur un soldat est ennemi de la révolution et sera fusillé. Si les soldats, répondant à l'ordre de leurs officiers, attaquent les ouvriers, tuer d'abord les officiers et faire tout ce qui est possible pour gagner la masse des soldats ".

La première et l'unique directive du Comité de Moscou à ce propos fut reçue le 8 décembre. Elle recommandait aux ouvriers et aux droujines de ne jamais tirer les premiers s'il se produisait une bagarre avec les soldats, et, au cas où ils seraient obligés d'avoir recours aux armes, de s'en servir contre les officiers, tandis qu'ils s'adresseraient aux soldats et s'efforceraient de les gagner à leur cause, ou en tout cas tâcheraient d'obtenir qu'ils restent neutres. Jusqu'au 9 décembre, cette neutralité fut gardée, même par les cosaques : il y eut des casques : il y eut des cas où ils refusèrent de tirer sur les ouvriers ; il était bien difficile d'obtenir la neutralité des dragons, qui firent preuve de beaucoup de férocité pendant les journées de décembre.

Le 9 décembre, le Comité organisa un meeting populaire au Théâtre de l'Aquarium ; les représentants des rayons y assistèrent ainsi que les droujines, beaucoup de membres du Parti et des sympathisants.

Bientôt le meeting fut cerné par les troupes qui firent des sommations. Les dirigeants ne voulaient pas tomber aux mains de la police mais, à la vue des armes, ce fut la panique. On criait, on se bousculait. Il fallut se rendre, car il eût été insensé de vouloir résister à une pareille foule. Certains ouvriers purent cacher ou emporter les fusils, mais la plupart d'entre eux durent les abandonner.

La nouvelle se répandit par toute la ville avec la rapidité de l'éclair. L'atmosphère changea aussitôt. La gaîté fit place à une inquiétude nerveuse, la bonhomie se transforma en courroux.

Chacun se rendit compte que l'insurrection armée commençait pour de bon. Au cœur de la ville, des canons furent braqués sur les places, le bruit courut que, sur la Tverskaïa, une batterie tirait de la maison du gouverneur général (à présent Soviet de Moscou) sur les barricades élevées à la Strastnaïa, et qu'il en était de même dans d'autres endroits.

Les cosaques avaient ouvert sur des ouvriers qui élevaient des barricades, un feu de salve qui avaient un grand nombre de tués et de blessés, ils devenaient ainsi l'objet des malédictions de la foule.

Le 10 décembre, Moscou avait complètement changé d'aspect. Elle avait perdu sa tranquillité, son calme semblait une ville assiégée. Les forces latentes du prolétariat se réveillaient ; elles entrèrent en action et creusa des tranchées ; scies, haches, leviers se mirent à l'œuvre, faisant des remparts avec les poteaux télégraphiques, dressant des barricades aux endroits dangereux. Les abords des quartiers généraux étaient gardés. Chacun se dépensait sans compter. Un espoir de combat animait non seulement les ouvriers et leurs familles, mais encore leurs voisins, les petits bourgeois.

Le 10 décembre, des instructions techniques étaient affichées. Elles indiquaient la tactique à suivre socialement par les droujines, elles recommandaient de ne pas agir en masse, mais par petits groupes de trois ou quatre, ces groupes devaient être nombreux et il serait aisé d'attaquer et d'échapper rapidement à l'ennemi.

La police - une centaine de cosaques - tuer........ milliers d'ouvriers ; opposez-leur deux ou trois droujines.
- Il est plus facile de tuer quand on tire dans le tas que lorsqu'on vise un seul homme, surtout s'il fait feu lui-même tout-à-coup, pour disparaître ensuite on ne sait où.
- Ne pas occuper les places fortifiées : les troupes pourront toujours s'en emparer, ou, en tout cas, sauront ……….. vos fortifications au moyen de l'artillerie.
- Que nos forteresses soient aux passages et à tous les endroits d'où il est aisé de tirer et de s'enfuir. Si elle veut s'emparer de la place, cela lui coûtera gros, et on ne retrouvera plus personne.

Cette règle était importante pour les droujines peu nombreuses et mal armées, les premières escarmouches le prouvèrent.

Et si, durant les premiers jours, la foule se tint derrière les cinq barricades, elle se dispersa après les premiers coups de feu. C'est des cours voisines qu'elle défendit les barricades, barrant la route à la cavalerie.

Le 10 ou le 11 décembre, lorsque je sortis, le matin, de l'école de Tagane, où j'avais passé la nuit, un tableau inattendu s'offrit à ma vue. La foule, parmi laquelle se tenaient nos militants du rayon, munie de scies, de haches et de leviers, était occupée à abattre les poteaux télégraphiques, avec lesquels elle barrait le chemin. Ne comprenant rien à ce spectacle, je m'approchai des ouvriers et leur demandai :

- Que faîtes-vous là ?

- Il faut, me répondirent-ils, barrer la route aux bachi-bouzoucks (c'est ainsi qu'ils appelaient les cosaques et les dragons). C'est une gent dangereuse lorsqu'elle fond sur vous au galop. Nous leur préparons des lacets. Nos obstacles entraveront leur course et nous les abattrons à coups de revolver.

Je me joignis aux " sapeurs " de l'armée prolétarienne.

Les barricades s'élevaient ; nous y entassions toute sorte de vieilleries qu'on sortait des cours ; les grandes portes étaient enlevées, et les concierges étaient dans l'impossibilité d'obéir à l'ordre du gouverneur de la ville de " tenir les portes fermées ". Après avoir dressé des barricades aux ponts Erasnokholmsk et Iapuzkov, et dans la ruelle Zolotorojski, nous nous dirigeâmes vers la voie du chemin de fer ; nous poussâmes les wagons jusqu'aux ponts de fer, sous lesquels passaient des rues, et nous basculâmes dans ces rues cinq à dix wagons sous chaque pont. D'énormes barricades furent dressées sur les chaussées Vladimirskoïé et Nijegorodskoïé. Leurs lourdes masses évoquèrent longtemps encore l'insurrection après qu'elle eut été réprimée.

Les masses ouvrières se préparèrent de leur propre initiative et sans avoir reçu aucun plan d'action, à rencontrer l'ennemi dans le rayon. Mais l'adversaire ne se montrait pas : la police se tenait coite et on ne voyait pas un seul soldat. Une fois, sous un pont à Zolotorojski, un fort détachement de police attaquait les droujines retranchées derrière la barricade. Ils blessèrent un ouvrier qui, par hasard, passait-là, et les autres tuèrent leur commissaire. Ce fut tout. Une autrefois, les dragons qui montaient la garde près de l'usine Goujon, ouvrirent un feu de salve blessant un de nos camarades. Mais la nuit suivante, ils quittèrent l'usine.

Quelques jours plus tard, vers le 13 décembre, nous nous demandions : " Que faire maintenant ". Les barricades étaient prêtes, nous étions maîtres de plusieurs postes de police. Encore une fois que faire ? Nous n'en savions rien.

Nous nous mîmes à la recherche des armes que pouvaient contenir les postes de police. Nous n'y trouvâmes que des sabres que les ouvriers brisèrent aussitôt.

La population nous exprimait sa sympathie, mais l'ennemi que nous devions combattre n'arrivait toujours pas. Les meetings ne satisfaisaient plus personne. Une partie des droujines, n'ayant plus rien à faire, et quelques ouvriers pleins d'activité partir pour la ville à la rencontre des événements et décidés à se battre sur d'autres barricades. Une partie des ouvriers qui possédaient leur lopin de terre au village se rendirent dans leurs localités respectives, leur besace sur l'épaule.

Et nous étions à nous demander : " Où donc diriger l'énergie des masses ? Nous n'avions aucun lien avec le centre ; les ouvriers que nous y envoyions ne nous revenaient pas. Nous ignorions ce qui se passait dans les autres rayons et ce qu'il convenait de faire. La Commission exécutive du Comité de Moscou élue au début de la grève pour diriger l'insurrection armée, ne nous informait de rien, elle non plus. Deux membres du Comité de Moscou travaillaient avec nous, il est vrai, mais ils n'avaient aucune liaison avec le Comité ni avec la commission. C'étaient nos droujines qui, prenant part aux combats se déroulant dans le centre, nous informaient jusqu'à un certain point de ce qui s'y passait. Ils nous apprirent que des batailles acharnées s'y livraient entre les droujines et les troupes. Ils nous narraient les prodiges de vaillance des étudiants caucasiens réunis en droujine et qui sans perdre un seul homme, dispersaient les détachements de dragons et de cosaques comptant cent hommes et plus, enlevaient aux soldats leurs canons et leurs mitrailleuses. Ils ne disaient rien d'eux-mêmes, mais, à en croire les trophées qu'ils ramenaient avec eux, carabines, revolvers, etc.…, arrachés à l'ennemi, ils devaient avoir fait, eux aussi, preuve d'une grande hardiesse, d'une belle décision. Ils avaient descendu dix gendarmes à Katernoï. Ailleurs, ils avaient attiré des cosaques dans une cour, et les avaient criblés de balles. Ils se plaignaient, disant que les balles étaient rares et qu'ils étaient obligés de les économiser.

Ce sont là quelques unes des informations qui nous parvenaient. Elles avaient toutes le même caractère et l'on pouvait en déduire que d'importants contingents militaires étaient concentrés au cœur de la ville, que les rapports avec les soldats se tendaient, que de nouvelles troupes étaient dirigées sur la ville (les dragons de Tver) hostiles aux insurgés, qu'il serait vain de compter plus longtemps sur la neutralité des soldats, et surtout de croire que la garnison de Moscou pourrait se joindre aux insurgés. Car si, tout d'abord, elle avait été hésitante, elle ne se distinguait plus, à présent, des troupes nouvellement arrivées, à l'esprit réactionnaire. Les soldats faisaient feu au hasard, dans les rues, leurs balles meurtrières tuaient aveuglément n'importe qui parmi la population pouvait amener une réaction contre nous.

L'espoir de voir triompher l'insurrection faiblit de plus en plus. Aucun plan d'action, chaque centaine, chaque dizaine de droujinikis et même chaque droujiniki agissait à sa guise. La guerre de partisans entre soldats et ouvriers terrorisait les soldats ; la haine grandissait. Les principaux coupables, ceux qui obligeaient les soldats à tirer sur le peuple, étaient tranquillement installés dans leurs salons et se frottaient les mains d'aise en songeant qu'ils avaient pu exciter les soldats contre les ouvriers.

Nous tentions de nous mettre en liaison avec le Centre, d'obtenir une convocation du Comité de Moscou et de décider de ce qu'il y avait de lieu de faire car il était impossible de continuer à vivre ainsi.

Quelques camarades se mirent à la recherche de la Commission exécutive. Ils rentrèrent le soir, nous informant qu'elle était arrêtée, et qu'ils n'avaient pas pu trouver la nouvelle. Il était difficile de circuler par la ville : on fouillait les passants, des balles sifflaient dans toutes les directions. Les dragons de Tver arrivés, prêtaient main forte aux gendarmes, aux dragons et aux cosaques. Notre droujine se battait contre eux.

Kolodeznikov Taratouta, qui devait plus tard devenir secrétaire du Comité de Moscou, m'apprit que de nouvelles troupes étaient arrivées dans la ville, que le chemin de fer Nikolaïevski nous avait trompé, que le régiment Semenov était attendu de Pétersbourg, qu'il avait vu le représentant du C.C., Kiadov.

L'avis de Kiadov, que Kolodeznikov partageait aussi, c'est qu'il fallait au plus tôt plier bagage, sauver les vies humaines et les armes.

Il m'en coûtait de ne rapporter que ces seules nouvelles à mon rayon où, à mon retour, la bataille n'était pas encore commencée. Il n'y avait eu que quelques escarmouches. L'adversaire se dérobait attendant le moment où serait décidé le sort de l'insurrection, et où nous, les révolutionnaires, serions obligés de nous cacher. Voyant que la bataille se déroulait en dehors de notre rayon, que le sort de l'insurrection se jouait au centre de la Tverskaïa, et surtout à la Pressnia, nous y envoyâmes nos derniers droujinikis.

C'était au moment de l'arrivée des soldats du régiment Semenov, au début de la répression. Et un dernier problème se posa : Que faire au cas où la révolte serait écrasée ? Liquider l'insurrection et sauver nos combattants ? Nous ne pouvions pas laisser à nos vainqueurs ce dernier triomphe : fusiller nos drouijinikis et les ouvriers révolutionnaires qui avaient fait preuve d'activité. Aussi, quand ce fut le moment, les armes furent-elles cachées et nos camarades les plus compromis, munis d'argent et de passeports que nous leur avions procurés, quittèrent Moscou.

Dans la soirée du 16 décembre, le régiment Semenov arriva à Moscou et le 17 au matin il commença de concert avec la garnison de Moscou, à bombarder la Pressnia. De nombreux obus transformèrent la Pressnia et les rayons avoisinants en un immense brasier. Et pour mettre le comble à tant d'horreurs, les bourreaux soumirent la population ouvrière à une véritable torture. Ils furent incapables, faisant même passer les jeunes gens et les enfants entre des files de soldats qui les fouettaient.

Pourquoi donc les grands événements des journées de décembre 1905 se déroulèrent-ils précisément à la Pressnia ? C'est que, au fur et à mesure que les troupes envahissaient la ville, les droujines qui se tenaient sur la défensive, étaient pressées par les troupes vers ce rayon.

Les principales forces des droujines étaient concentrées là. Prématurément la puissante droujine du chemin de fer de Kazane quitta les rangs ; celle de Zamoskvorétchié ne fut pas employée aussi utilement qu'elle eût pu l'être. C'est pourquoi, dès les 14 et 15 décembre, toutes les forces se trouvèrent concentrées au réfectoire de Prokhorov.

La bourgeoisie " amoureuse de la liberté ", avec Golovine, président de la IIe Douma d'Etat, organisa des banquets de reconnaissance en l'honneur des vainqueurs qui l'avaient délivrée de la révolution.

Quel est le nombre de ceux qui périrent pendant les journées de décembre ? Personne ne pourrait le dire exactement, mais les enquêteurs officiels l'évaluèrent à plusieurs miliers.

A un quart de siècle de distance, en jetant un regard en arrière sur l'insurrection de décembre, nous devons reconnaître qu'il y eut, de notre part, bien des lacunes et des erreurs dont nous étions parfois responsables ou qui se produisirent indépendamment de nous. Tout d'abord, il faut rappeler ce mot d'ordre stupide et équivoque avec lequel nous nous adressions aux soldats : " Restez neutres ". Les troupes qui sympathisèrent avec nous hésitèrent et se contentèrent de rester neutres attendant un tournant de la révolution ; alors que nous nous disions qu'un tournant ne serait possible que si nous remportions la victoire. Or, la victoire est chose impossible si la révolution ne dispose que de quelques centaines de droujinikis, armés de mauvais revolvers, alors que la réaction commande aux troupes. Les soldats qui sympathisaient avec les insurgés, se conformant à notre mot d'ordre erroné restèrent neutres. Ensuite, dès le début de la grève, on sentit l'absence d'une direction centralisée qui, après l'arrestation de la commission, fit tout à fait défaut. Pas de mots d'ordre généraux, l'attention ne fut pas concentrée sur l'appareil du pouvoir ; chaque rayon suivait sa propre initiative ou attendait des directives qui ne venaient pas. Les organisations militaires et de combat n'avaient, elles non plus, aucune direction.

Les chefs étaient isolés et n'avaient aucune liaison entre eux.

La décision concernant l'insurrection, comme en témoignent les militants actifs de l'état-major de l'organisation de combat, les prit à l'improviste, ils n'étaient pas préparés pour reprendre la direction de l'action.

La première collision des ouvriers avec les troupes, lors du meeting qui se tint au Théâtre de l'Aquarium, avait déjà montré quelle serait l'issue de cette lutte inégale.

Cette lutte affaiblit prématurément les droujines et leur défaite provoqua un revirement dans l'état d'esprit des soldats, en faveur de la réaction. C'est précisément à partir de ce moment que les soldats commencèrent à écraser les masses populaires.

L'arrivée des dragons de Tver, notamment du régiment de Semonov marqua le passage définitif des masses des soldats à la réaction. Elle eut, sur la garnison de Moscou, une influence décisive : les soldats restés neutres ou enfermés dans les casernes pour y purger leur peine passèrent du côté de la réaction. Jusqu'au moment du déclenchement de la grève il est clair, pour les organisations professionnelles et celles du Parti, que les ouvriers du chemin de fer Nikolaïaevski ne pourraient pas, de leur propre chef, arrêter la circulation des trains.

Sachant tout cela, nous ne prîmes pas les mesures en temps opportun, nous ne vînmes pas en aide aux ouvriers. Le pouvoir sut profiter de nos fautes, il confia aux troupes du gouvernement le soin de régler la circulation des chemins de fer et l'activité des ouvriers se trouva paralysée.

Nous savions parfaitement que si les trains continuaient à circuler, ils serviraient à transporter des troupes, qu'il devenait dès lors impossible d'envisager le passage de la garnison de Moscou à la révolution et que notre perte devenait inéluctable.

Les chefs de l'insurrection, tout en se rendant parfaitement compte de tout cela, ne prenait néanmoins aucune mesure. Si nous ne pouvions réussir à arrêter la circulation, nous devions tout au moins prendre certaines mesures : faire sauter des ponts ou déboulonner des rails ; nous n'en fîmes rien.

Le 16 décembre, les ouvriers de Tver déboulonnèrent les rails du chemin de fer Nikolaïevski, mais trop tard ! Ils n'avaient pas été exactement informés de l'heure du passage du train qui transportait des troupes venant de Pétersbourg. Si le régiment Semenov n'avait pas pu arriver jusqu'à Moscou, il n'y aurait pas eu tant de morts, et, chose bien plus importante, la situation eût pu changer à notre avantage.

La garnison de Moscou qui devait marcher contre nous était hésitante. A plusieurs reprises, les troupes refusèrent de tirer sur les ouvriers (régiment d'Astrakan, de Donski, etc.) tandis que le régiment Postov, celui des sapeurs, etc.) étaient consignés dans les casernes. Nous aurions pu, sinon vaincre, tout au moins retarder notre ruine. Un premier succès de notre part eût peut-être décidé certaines troupes à passer dans nos rangs (avec un autre mot d'ordre que " rester neutres ", c'est évident !), événement qui eût certainement réagi sur l'état d'esprit des autres troupes, et servi de signal pour un revirement dans tous le pays.

Le prolétariat se trouva isolé. Les paysans, dans leurs capotes grises, étaient entièrement acquis à l'adversaire et parfois, dans le meilleur des cas, restaient neutres ; on ne pouvait espérer la victoire dans de telles conditions, ne possédant que mille à mille cinq cents droujinikis armés de revolvers et éparpillés dans différents rayons, sans plan général, sans direction, et qui ne pouvaient être que des tirailleurs
Devant combattre selon leur inspiration. Ne disposant que de ces forces, notre tactique fut défensive, nous nous bornâmes à des actes de partisans, qui caractérisèrent les journées de décembre, alors que toute insurrection prolétarienne ne peut être couronnée de succès que si elle est offensive, que si elle s'empare de tous les centres du gouvernement, que si elle est une insurrection de masse.

J'ajouterai à cette courte analyse critique de l'insurrection armée à Moscou que j'estime que si la révolution de 1905 échoua, c'est avant tout à cause de l'absence d'une alliance ouverte entre le prolétariat et la paysannerie, à cause du manque d'organisation de tout le prolétariat.

C'est aussi parce que l'expérience de la lutte révolutionnaire était encore bien pauvre avant l'insurrection armée. Mais je ne suis enclin ni à idéaliser, ni à condamner nos organisations du Parti qui dirigèrent cette insurrection.

Si nous avons commis des erreurs et des fautes, ce ne sont pas celles dont nous accusèrent les mencheviks, par la voix de leur chef, Plékhanov, condamnant notre lutte révolutionnaire par cette phrase : " Il ne fallait pas prendre les armes ! "

Cette phrase exprime la protestation de toute la IIe Internationale. Nos erreurs et nos luttes sont tout autres : nous qui dirigions les luttes locales, nous n'avons pas su, à la minute propice, faire preuve d'assez de décision, nous n'étions pas suffisamment pénétrés de ce principe que Lénine donna à la lutte révolutionnaire au IIIe congrès du P.O.S.D.R., en mars 1905, lorsqu'il prédit la marche de la révolution qui dépassait déjà les formes de la révolution bourgeoise :
" Lénine disait que la classe ouvrière lutterait les armes à la main pour la dictature du prolétariat et de la paysannerie. "

En conformité avec ces conceptions, des résolutions correspondantes furent adoptées par le IIIe congrès concernant l'insurrection armée, la participation au gouvernement provisoire, etc.

Mais les erreurs commises en 1905 furent une leçon pour nous, collectivité révolutionnaire de combat.

LA REVOLUTION, C'EST L'ŒUVRE DES MASSES…

 

 

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