1932-1933

"Il arrive (...) que la philosophie de la praxis tende à devenir une idéologie au sens défavorable du mot, c'est-à-dire un système dogmatique de véri­tés absolues et éternelles ; en particulier quand (...) elle est confondue avec le matérialisme vulgaire, avec la métaphysique de la « matière » qui ne peut pas ne pas être éternelle et absolue."

Une édition électronique réalisée à partir du livre d’Antonio Gramsci, Textes. Édition réalisée par André Tosel. Une traduction de Jean Bramon, Gilbert Moget, Armand Monjo, François Ricci et André Tosel. Paris : Éditions sociales, 1983, 388 pages. Introduction et choix des textes par André Tosel. Une publication effectuée en collaboration avec la bibliothèque de sciences sociales de l'Université de Québec.


La philosophie de la praxis face à la réduction mécaniste du matérialisme historique
L'anti-Boukharine (cahier 11)

Antonio Gramsci


4. Problèmes pour l'étude de la philosophie de la praxis

Régularité et nécessité

Comment est né chez le fondateur de la philosophie de la praxis le concept de régularité et de nécessité dans le développement historique ? Il ne semble pas qu'on puisse penser qu'il a été emprunté aux sciences naturelles, mais il semble au contraire qu'on doive penser à une élaboration de concepts nés sur le terrain de l'économie politique, et en particulier suivant la forme et la méthodologie que la science écono­mique avait reçues de David Ricardo. Concept et fait du « marché déterminé, c'est-à-dire notation scientifique que des forces déterminées », décisives et permanentes ont fait leur apparition dans l'histoire, forces qui opèrent apparemment avec un certain « auto­matisme », lequel autorise, dans une certaine mesure, une « possibilité de prévi­sion » et une certitude pour le futur, en ce qui concerne les initiatives individuelles qui épousent ces forces après les avoir bien saisies et en avoir fait scientifiquement le relevé. « Marché déterminé » revient donc à dire « rapport déterminé de forces socia­les dans une structure déterminée de l'appareil de production », rapport garanti (c'est-à-dire rendu permanent) par une superstructure déterminée, politique, morale, juri­di­que. Après avoir fait le relevé de ces forces décisives et permanentes et de leur auto­matisme spontané (c'est-à-dire de leur relative indépendance par rapport aux volontés individuelles et aux interventions arbitraires des gouvernements) le savant a, comme hypothèse, rendu absolu l'automatisme lui-même, il a isolé les faits purement écono­miques des combinaisons plus ou moins importantes dans lesquelles ils se présentent dans la réalité, il a établi des rapports de cause à effet, de prémisse à conséquence et a fourni ainsi un schéma abstrait d'une certaine société économique (à cette construc­tion scientifique réaliste et concrète est venue par la suite se surimposer une nouvelle abstraction plus généralisée de « l'homme » en tant que tel, « ahistori­que », générique, abstraction qui est apparue comme la « véritable » science économique).

Étant donné les conditions où est née l'économie classique, pour qu'on puisse par­ler d'une nouvelle « science » ou d'une manière nouvelle d'envisager la science écono­mique (ce qui revient au même) il faudrait avoir démontré qu'on a relevé de nouveaux rapports de forces, de nouvelles conditions, de nouvelles prémisses, qu'en somme s'est trouvé « déterminé » un nouveau marché possédant en propre un nouvel « auto­ma­tisme », nouveau phénoménisme qui se présente comme quelque chose d'« objec­tif », comparable à l'automatisme des faits naturels. L'économie classique a donné lieu à une « critique de l'économie politique », mais il ne semble pas que soit jusqu'ici possible une nouvelle science ou une nouvelle manière de poser le problème scienti­fique. La « critique » de l'économie politique part du concept de l'historicité du « Mar­ché déterminé » et de son « automatisme », alors que les économistes purs con­çoi­­vent ces éléments comme « éternels », « naturels » ; la critique analyse d'une ma­nière réaliste les rapports des forces qui déterminent le marché, en approfondit les contradictions, évalue les possibilités de modifications qui sont liées à l'apparition de nouveaux éléments et à leur renforcement et met en avant la « caducité » de la science criti­quée et son « remplacement possible » ; elle étudie cette dernière comme vie, mais aussi comme mort, et trouve dans sa constitution intime les éléments qui en produiront la dissolution et le dépassement inévitables, et elle présente l'« héritier » qui sera présomptif tant qu'il n'aura pas donné de preuve manifeste de sa vitalité, etc.

Que dans la vie économique moderne l'élément « arbitraire », répondant soit à des initiatives individuelles, soit à celles de consortium ou à celles de l'État, ait pris une importance qu'il n'avait pas auparavant et qu'il ait profondément troublé l'automa­tisme traditionnel, c'est là un fait qui ne justifie pas par lui-même qu'on envisage un ensemble de nouveaux problèmes scientifiques, justement parce que ces interventions sont « arbitraires », de mesure différente, imprévisibles. Il peut justifier l'affirmation que la vie économique est modifiée, qu'il existe une « crise », mais cela est évident ; il n'est pas dit d'autre part que le vieil automatisme ait disparu, simplement il a lieu à une échelle plus grande qu'auparavant, pour les grands phénomènes économiques, tandis que les faits particuliers sont « affolés ».

C'est de ces considérations qu'il est nécessaire de partir pour établir ce que signifient « régularité », « loi », « automatisme » dans les faits historiques. Il ne s'agit pas de « découvrir » une loi métaphysique de « déterminisme », ni même d'établir une loi « générale » de causalité. Il s'agit de relever la façon dont, au cours du développe­ment de l'histoire, se constituent des forces relativement « permanentes », qui opèrent avec une certaine régularité, avec un certain automatisme. La loi des grands nombres elle-même, encore qu'elle soit très utile comme terme de comparaison, ne peut être prise comme la « loi » des faits historiques. Pour établir l'origine historique de cet élément de la philosophie de la praxis (élément qui n'est, somme toute, rien de moins que sa façon à elle de concevoir l'« immanence »), il faudra étudier comment David Ricardo a posé les lois économiques. Il s'agit de voir que l'importance de Ricardo dans la fondation de la philosophie de la praxis n'est pas due seulement au concept de la « valeur » en économie, mais qu'elle a aussi son aspect « philosophique », car Ricardo a suggéré une manière de penser et de saisir la vie et l'histoire. La méthode du « étant donné que » de la prémisse qui donne une certaine conséquence, semble devoir être identifiée comme un des points de départ (des stimulants intellectuels) des expériences philosophiques des fondateurs de la philosophie de la praxis. Il faut voir si Ricardo a jamais été étudié de ce point de vue.1

Il apparaît donc que le concept de « nécessité » historique est étroitement lié à ce­lui de « régularité », de « rationalité ». La « nécessité » au sens « spéculatif abs­trait » et au sens « historique concret » : il existe une nécessité quand il existe une pré­misse efficiente et active, dont la conscience qu'en ont les hommes est devenue agis­sante en posant des fins concrètes à la conscience collective, et en constituant un ensemble de convictions et de croyances qui devient un agent aussi puissant que les « croyances populaires ». Dans la prémisse doivent être contenues, déjà développées ou en voie de développement, les conditions matérielles nécessaires et suffisantes à la réalisation de l'élan de volonté collective, mais il est clair que de cette prémisse « maté­rielle », calculable quantitativement, ne peut pas être disjoint un certain niveau de culture, c'est-à-dire un ensemble d'actes intellectuels et de ces derniers (comme leur produit et leur conséquence) un certain ensemble de passions et de sentiments impérieux, doués d'assez de force pour pousser à une action « à tout prix ».

Comme on l'a dit, ce n'est que par cette voie qu'on peut arriver à une conception conforme à l'Histoire (et non spéculative-abstraite) de la « rationalité » dans l'Histoire (et par conséquent de l' « irrationalité »).


(M.S. pp. 93-102 et G.q. 11, § 53, pp. 1477-1481.)

[1932-1933]

Philosophie spéculative

Il ne faut pas se cacher les difficultés que présentent d'une part la discussion et la critique du caractère « spéculatif » de certains systèmes philosophiques, d'autre part la « négation » théorique de la « forme spéculative » des conceptions philosophiques.

Questions qui se posent : 1. L'élément « spéculatif » est-il propre à toute philo­sophie, est-il la forme même que doit prendre toute construction théorique en tant que telle, c'est-à-dire le mot « spéculation » est-il synonyme de philosophie et de théorie ? 2. Ou bien faut-il poser un problème « historique » : le problème est-il seulement un problème historique et non théorique en ce sens que toute conception du monde, parvenue à une phase historique déterminée, prend une forme « spéculative » qui représente son apogée et le début de sa dissolution ? Analogie et connexion avec le développement de l'État qui, de la phase « économique-corporative » passe à la phase « hégé­monique » (de consentement actif). On peut dire que toute culture a son moment spéculatif et religieux qui coïncide avec la période de complète hégémonie du groupe social qu'elle exprime, et qui coïncide peut-être exactement avec le mo­ment où l'hégémonie réelle se désagrège à la base, molécule par molécule ; mais alors le système de pensée, pour cette raison précisément (pour réagir contre la désagréga­tion) se perfectionne dogmatiquement, devient une « foi » transcendantale : aussi observe-t-on que toute époque dite de décadence (dans laquelle se produit une désagrégation du vieux monde) est caractérisée par une pensée raffinée et hautement « spéculative ».

C'est pourquoi la critique doit résoudre la spéculation dans ses termes réels d'idéologie politique, d'instrument d'action pratique ; mais la critique elle-même aura sa phase spéculative, qui en marquera l'apogée. La question est la suivante : savoir si cet apogée ne peut être le point de départ d'une phase historique d'un type nouveau, où les éléments du rapport nécessité-liberté s'étant fondus organiquement, il n'y aura plus de contradictions sociales et la seule dialectique sera la dialectique idéale, celle des concepts et non plus celle des forces historiques.

Dans le passage sur le « matérialisme français au XVIIIe siècle » (la Sainte Famille)2, il est fait une allusion assez claire à la genèse de la philosophie de la praxis : elle est le « matérialisme » perfectionné par le travail de la philosophie spécu­lative elle-même et qui s'est fondu avec l'humanisme. Il est vrai qu'avec ces perfec­tion­nements de l'ancien matérialisme, il ne reste que le réalisme philosophique.

Autre point à méditer : rechercher si la conception de l' « esprit », selon la philo­sophie spéculative, n'est pas une remise à jour du vieux concept de « nature humai­ne » propre à la transcendance et au matérialisme vulgaire, en d'autres termes, se deman­der s'il y a vraiment, dans la conception de l' « esprit », autre chose que le vieux « Saint-Esprit » dissimulé sous les spéculations. On pourrait alors dire que l'idéalisme est intrinsèquement théologique.


(M.S., pp. 42-44 et G.q. 11, § 53, pp. 1481-1483.)

[1935]

Philosophie « créative »

Qu'est-ce que la philosophie ? Une activité purement réceptive ou tout au plus ordinatrice, ou bien une activité absolument créative ? Il faut définir ce qu'on entend par « réceptif », « ordonnateur », « créatif ». « Réceptif » implique la certitude d'un monde éternel, absolument immuable, qui existe « en général », objectivement, dans le sens vulgaire du terme. « Ordonnateur » est proche de « réceptif » : bien qu'il im­pli­que une activité de la pensée, cette activité est limitée et étroite. Mais que signifie « créatif » ? Ce mot indiquera-t-il que le monde extérieur est créé par la pensée ? Mais par quelle pensée et la pensée de qui ? On peut tomber dans le solipsisme3 et en fait toute forme d'idéalisme tombe nécessairement dans le solipsisme. Pour échapper au solipsisme et en même temps aux conceptions mécanistes qui sont implicitement contenues dans la conception qui fait de la pensée une activité réceptive et ordon­natrice, il faut poser la question « en termes historicistes », et en même temps placer à la base de la philo­sophie la « volonté » (en dernière analyse l'activité pratique ou politique), mais une volonté rationnelle, non arbitraire, qui se réalise dans la mesure où elle correspond à des nécessités historiques objectives, c'est-à-dire dans la mesure où elle est l'Histoire universelle elle-même, dans le moment de sa réalisation progres­sive ; si cette volonté est représentée à l'origine par un seul individu, sa rationalité est prouvée par le fait qu'elle est accueillie par un grand nombre, et accueillie en per­manence, c'est-à-dire qu'elle devient une culture, un « bon sens », une conception du monde, avec une éthi­que conforme à sa structure. Jusqu'à la philosophie classique allemande, la philoso­phie fut conçue comme activité réceptive, tout au plus ordon­natrice, c'est-à-dire con­çue comme connaissance d'un mécanisme fonctionnant objec­ti­vement en dehors de l'homme. La philosophie classique allemande introduisit le con­cept de « créativité » [creatività], mais dans un sens idéaliste et spéculatif. Il sem­ble que seule la philoso­phie de la praxis ait fait faire un pas en avant à la pensée, sur la base de la philosophie classique allemande, en évitant toute tendance au solipsisme, en « historisant » la pensée dans la mesure où elle l'assume comme conception du monde, comme « bon sens » répandu dans le plus grand nombre (et une telle diffusion ne serait justement pas pensable sans la rationalité et l'historicité) et répandu de telle sorte qu'il peut se convertir en norme active de conduite. Créative est à entendre donc au sens « relatif » d'une pensée qui modifie la manière de sentir du plus grand nombre, et donc, la réalité elle-même qui ne peut être pensée sans ce plus grand nom­bre. Créative également en ce sens qu'elle enseigne qu'il n'existe pas une « réalité » qui serait par soi, en soi, et pour soi, mais une réalité en rapport historique avec les hommes qui la modifient, etc.


(M.S., pp. 22-23 et G.q. 11, § 59, pp. 1485-1486.)

[1935]

Questions de méthode

Si on veut étudier la naissance d'une conception du monde qui n'a jamais été exposée systématiquement par son fondateur (et dont la cohérence essentielle est à rechercher non pas dans chacun des textes ou dans une série de textes, mais dans tout le développement du travail intellectuel diversifié où les éléments de la conception sont implicites), il faut faire, au préalable, un travail philologique minutieux et mené avec le plus grand scrupule d'exactitude, d'honnêteté scientifique, de loyauté intellec­tuelle, d'absence de tout préjugé, de tout apriorisme et de tout parti pris. Il faut, avant tout, reconstruire le processus de développement intellectuel du penseur considéré4, pour identifier les éléments devenus stables et « permanents », c'est-à-dire ceux qui ont été assumés comme pensée propre, différente du « matériel » précédemment étudié et supérieure à ce matériel qui a servi de stimulant ; seuls ces éléments sont des moments essentiels du processus de développement. Cette sélection peut être faite pour des périodes plus ou moins longues, en suivant le développement intrinsèque de la pensée, et non d'après des informations extérieures (qui peuvent toutefois être utili­sées) et cette sélection mettra en évidence une série de « mises au rebut », autrement dit un triage des doctrines et des théories partielles pour lesquelles le penseur peut avoir eu, à certains moments, une sympathie, jusqu'à les avoir acceptées provi­soi­rement et s'en être servi pour son travail critique ou de création historique et scientifique.

Tout chercheur pourra confirmer cette observation commune, vécue comme expé­ri­en­ce personnelle, à savoir que toute nouvelle théorie étudiée avec une « fureur héroïque5 » (c'est-à-dire quand on étudie non pas par simple curiosité extérieure, mais poussé par un intérêt profond) pendant un certain temps, et surtout si on est jeune, attire par elle-même, s'empare de toute la personnalité, et se trouve limitée par la théorie suivante, jusqu'à ce que s'établisse un équilibre critique et qu'on étudie en profondeur, mais sans se rendre immédiatement à la séduction du système et de l'auteur étudié. Cette série d'observations valent d'autant plus que le penseur consi­déré6 possède un tempérament plutôt impétueux, un caractère polémique et qu'il manque de l'esprit de système, qu'il s'agit d'une personnalité chez qui l'activité théori­que et l'activité pratique sont indissolublement mêlées, d'une intelligence en conti­nuelle création et en perpétuel mouvement, qui sent vigoureusement l'autocritique de la façon la plus impitoyable et la plus conséquente.

Ces prémisses étant établies, le travail doit suivre les directions suivantes : 1. la reconstruction de la biographie, non seulement en ce qui concerne l'activité pratique, mais surtout pour l'activité intellectuelle ; 2. le registre de toutes les œuvres, même les plus négligeables, dans l'ordre chronologique, avec divisions répondant à des raisons intrinsèques : de formation intellectuelle, de maturité, de possession et d'application de la nouvelle méthode de penser et de concevoir la vie et le monde. La recherche du leitmotiv, du rythme de la pensée en développement, doit être plus importante que telle ou telle affirmation casuelle et les aphorismes détachés du contexte.

Ce travail préliminaire rend possible toute recherche ultérieure. Parmi les œuvres du penseur considéré, il faut également distinguer entre celles que le penseur a menées à terme et publiées, et celles qui sont restées inédites, parce que inachevées et publiées par quelque ami ou disciple, non sans révisions, remaniements, coupures, etc., ou alors non sans une intervention active de l'éditeur. Il est évident que le conte­nu de ces oeuvres posthumes doit être intégré avec une grande discrétion, une grande prudence, parce qu'il ne peut être considéré comme définitif, mais seulement comme un matériel encore en élaboration, encore provisoire7 ; il n'est pas exclu que ces œuvres, surtout si elles étaient en élaboration depuis longtemps et que l'auteur ne se décidait jamais à les achever, fussent totalement ou en partie répudiées par l'auteur et considérées comme insuffisantes.

Dans le cas spécifique du fondateur de la philosophie de la praxis, on peut distinguer dans son œuvre écrite les sections suivantes : 1. travaux publiés sous la responsabilité directe de l'auteur : il faut ranger parmi ceux-ci, en règle générale, non seulement les ouvrages donnés matériellement aux presses, mais ceux qui ont été « publiés » ou mis en circulation d'une manière quelconque par l'auteur, comme les let­tres, les circulaires, etc. (un exemple typique : les Gloses marginales au programme de Gotha8 et la correspondance) ; 2. les œuvres qui n'ont pas été imprimées sous la responsabilité directe de l'auteur, mais par d'autres, posthumes; pour commencer, de ces dernières, il serait bon d'avoir le texte restitué, ce qui est déjà en voie d'être réalisé, ou il faudrait tout au moins avoir une minutieuse description du texte original, établie avec des critères scientifiques.

L'une et l'autre sections devraient être reconstruites par périodes chronologiques-critiques, de façon à pouvoir établir des comparaisons valables et non purement méca­niques et arbitraires.

Il faudrait étudier et analyser de très près le travail d'élaboration accompli par l'auteur sur le matériel de base des œuvres qu'il a lui-même données aux presses : cette étude donnerait pour le moins des indices et des critères permettant d'évaluer critiquement dans quelle mesure on peut se fier aux textes des œuvres posthumes compilées par une autre personne. Plus le matériel préparatoire des œuvres éditées par l'auteur s'éloigne du texte définitif rédigé par l'auteur lui-même, moins on peut se fier à la rédaction que fait un autre écrivain à partir d'un matériel du même genre. Une œuvre ne peut jamais être identifiée avec le matériel brut rassemblé pour sa compi­lation : le choix définitif, la disposition des éléments qui la composent, le poids plus ou moins grand donné à l'un ou l'autre des éléments rassemblés pendant la période préparatoire, sont justement ce qui constitue l'œuvre effective.

Il en est de même pour l'étude de la Correspondance qui doit être faite avec certaines précautions : une affirmation tranchée formulée dans une lettre ne serait peut-être pas répétée dans un livre. La vivacité du style dans les lettres, encore que d'un point de vue artistique, elle obtienne plus d'effets que le style plus mesuré et pondéré d'un livre, conduit parfois à quelque déficience d'argumentation ; dans les lettres comme dans les discours, comme dans les conversations, se révèlent beaucoup plus souvent des erreurs logiques; la pensée gagne en rapidité aux dépens de sa solidité.

Ce n'est qu'en second lieu, quand on étudie une pensée originale et innovatrice, que vient la contribution d'autres personnes à sa documentation. C'est ainsi, au moins en principe, comme méthode, que doit être posée la question des rapports d'homo­généité entre les deux fondateurs de la philosophie de la praxis. L'affirmation de l'un et de l'autre sur leur accord réciproque ne vaut que pour tel sujet donné. Même le fait que l'un ait écrit quelques chapitres pour un livre écrit par l'autre, n'est pas une raison péremptoire pour que le livre tout entier soit considéré comme le résultat d'un accord parfait.9 Il ne faut pas sous-estimer la contribution du second, mais il ne faut pas non plus identifier le second au premier, pas plus qu'il ne faut penser que tout ce que le second a attribué au premier soit absolument authentique et sans infiltrations. Il est certain que le second a donné la preuve d'un désintéressement et, d'une absence de vanité personnelle uniques dans l'histoire de la littérature, mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit, pas davantage de mettre en doute l'honnêteté scientifique absolue du second. Il s'agit de ceci : que le second n'est pas le premier et que si on veut connaître le premier, il faut le chercher surtout dans ses œuvres authentiques, publiées sous sa responsabilité directe.

De ces observations découlent plusieurs avertissements de méthode et quelques indications pour des recherches collatérales. Par exemple, quelle valeur a le livre de Rodolfo Mondolfo sur le matérialisme historique de F. E.10, édité par Formiggini en 1912 ? Sorel dans une lettre à Croce11 met en doute qu'on puisse étudier un sujet de cette sorte, étant donné la faible capacité de pensée originale de Engels et répète souvent qu'il faut ne pas confondre entre les deux fondateurs de la philosophie de la praxis. Mis à part le problème posé par Sorel, il semble bien que, par le fait même (qu'on suppose) qu'on affirme une faible capacité de recherche théorique chez le second des deux amis (tout au moins qu'il aurait une position subalterne par rapport au premier) il soit indispensable de rechercher à qui revient la pensée originale, etc. En réalité, une recherche systématique de ce genre (excepté le livre de Mondolfo) n'a jamais été faite dans le monde de la culture ; bien mieux les exposés du second, dont certains sont relativement systématiques, sont désormais élevés au premier plan, comme source authentique et même comme unique source authentique. C'est pour­quoi le volume de Mondolfo parait très utile, au moins pour la direction qu'il indique.


(M.S., pp. 76-79 et G.q. 16, § 2, pp. 1841-1844.)

[1933-1934]

Comment poser le problème

Production de nouvelles Weltanschauungen12, qui féconde et alimente la culture d'une époque historique et production dont l'orientation philosophique suit les Weltanschauungen originelles. Marx est un créateur de Weltanschauung mais quelle est la position de Ilitch ? Est-elle purement subordonnée et subalterne ? L'explication est dans le marxisme - science et action lui-même.

Le passage de l'utopie à la science et de la science à l'action. La fondation d'une classe dirigeante (c'est-à-dire d'un État) équivaut à la création d'une Weltanschauung. Quant à la formule : le prolétariat allemand est l'héritier de la philosophie classique allemande13, comment faut-il l'entendre ? Marx ne voulait-il pas indiquer le rôle histo­ri­que de sa philosophie devenue théorie d'une classe appelée à devenir État ? Pour Ilitch, la chose est réellement arrivée sur un territoire déterminé. J'ai fait allusion ailleurs à l'importance philosophique du concept et du fait de l'hégémonie, dûs à Ilitch. L'hégémonie réalisée signifie la critique réelle d'une philosophie, sa dialectique réelle. Comparer ce qu'écrit Graziadei14 dans l'introduction à Prezzo e soprap­prezzo15 : il pose Marx comme une unité dans une série de grands savants. Erreur fonda­mentale : aucun des autres n'a produit une conception du monde originale et intégrale. Marx ouvre, sur le plan intellectuel, le début d'un âge qui durera probable­ment des siècles, c'est-à-dire jusqu'à la disparition de la société politique et à l'avè­nement de la Société « réglée ». Ce n'est qu'alors que sa conception du monde sera dépassée (conception de la nécessité, dépassée par la conception de la liberté).

Mettre en parallèle Marx et Ilitch pour établir une hiérarchie est stupide et oiseux : ils expriment deux phases : science-action qui sont homogènes et hétérogènes en même temps.

C'est ainsi qu'historiquement serait absurde un parallèle entre le Christ et saint Paul : le Christ : Weltanschauung; saint Paul, organisateur, action, expansion de la Weltanschauung; ils sont tous les deux nécessaires dans la même mesure et ils sont donc de la même nature historique. Le christianisme pourrait s'appeler historique­ment : christianisme-paulinisme et cette expression serait la plus exacte (c'est seule­ment la croyance dans la divinité du Christ qui en a exclu la possibilité, mais cette croyance n'est elle-même qu'un élément historique et non théorique).


(M.S., pp. 75-76 et G.q. 7, § 33, pp. 881-882.)

Historicité de la philosophie de la praxis

Que la philosophie de la praxis se conçoive elle-même dans une perspective histo­rique, c'est-à-dire comme une phase transitoire de la pensée philosophique, est non seulement implicitement contenu dans le système tout entier, mais est dit explici­tement dans la thèse bien connue16 qui affirme que le développement historique sera, à un certain point, caractérisé par le passage du règne de la nécessité à celui de la liberté. Toutes les philosophies (les systèmes philosophiques) qui ont existé jusqu'ici, ont été la manifestation des contradictions intimes qui ont déchiré la société. Mais chaque système philosophique considéré en lui-même n'a pas été l'expression con­sciente de ces contradictions, puisqu'une telle expression ne pouvait être donnée que par l'ensemble des systèmes qui luttaient entre eux. Chaque philosophe est, et ne peut pas ne pas être convaincu d'exprimer l'unité de l'esprit humain, c'est-à-dire l'unité de l'histoire et de la nature ; et en fait, si une telle conviction n'existait pas, les hommes n'agiraient pas, ne créeraient pas de nouvelle histoire, les philosophies ne pourraient devenir « idéo­logie », ne pourraient prendre dans la pratique cette dureté de granit, fanatique, des « croyances populaires » dont l'énergie équivaut à celle des « forces matérielles ».

Hegel représente, dans l'histoire de la pensée philosophique, une œuvre à part, puis­que, dans son système, d'une manière ou d'une autre, même dans sa forme de « roman philosophique », on réussit à comprendre ce qu'est la réalité, ce qui veut dire qu'on a dans un même système et chez un seul philosophe, cette conscience des con­tradictions qui auparavant ne pouvait naître que de l'ensemble des systèmes, de l'en­sem­ble des philosophes, qui polémiquaient entre eux et montraient les contra­dictions qui les opposaient.

En un certain sens donc, la philosophie de la praxis est une réforme et un déve­loppement de la philosophie de Hegel, c'est une philosophie libérée (ou qui cherche à se libérer) de tout élément idéologique unilatéral et fanatique, c'est la pleine con­science des contradictions, où le philosophe lui-même, individu ou groupe social tout entier, non seulement comprend les contradictions, mais se pose lui-même comme élément de la contradiction, élève cet élément à un principe de connaissance et par conséquent d'action. L' « homme en général », de quelque manière qu'il se présente, est nié et tous les concepts dogmatiquement « unitaires » sont bafoués et détruits en tant qu'expression du concept d'« homme en général » ou de « nature humaine » immanente dans chaque être humain.

Mais si la philosophie de la praxis est, elle aussi, une expression des contradic­tions historiques, et qu'elle en est même l'expression la plus complète parce que con­sciente, cela signifie qu'elle est, elle aussi, liée à la « nécessité » et non à la « liberté », qui n'existe pas et ne peut encore exister historiquement. Si donc on démontre que les contradictions disparaîtront, on démontre implicitement que disparaîtra, c'est-à-dire que sera dépassée la philo­sophie de la praxis elle-même : dans le règne de la « liber­té », la pensée, les idées ne pourront plus naître sur le terrain des contradictions et de la nécessité de lutter. Actuellement, le philosophe (de la praxis) ne peut que formuler cette affirmation générique, et ne peut aller au-delà : il ne peut en effet s'évader de l'actuel terrain des contradictions, il ne peut affirmer, autrement que d'une manière générique, un monde d'où auraient disparu les contradictions, sans créer immédiate­ment une utopie.

Cela ne signifie pas que l'utopie ne puisse avoir une valeur philosophique, car elle a une valeur politique, et toute politique est implicitement une philosophie, encore qu'à l'état de fragments et d'ébauche. C'est en ce sens que la religion est la plus gigan­tesque utopie, c'est-à-dire la plus gigantesque « métaphysique », qui ait apparu dans l'Histoire, car elle est la tentative la plus grandiose de concilier sous une forme mythologique les contradictions réelles de la vie historique : elle affirme en effet que les hommes ont la même « nature », qu'existe l'homme en général, en tant que créé par Dieu, fils de Dieu, et partant frère des autres hommes, égal aux autres hommes, libre parmi les autres hommes et comme les autres hommes, et qu'il peut se concevoir tel en se voyant lui-même en Dieu, « autoconscience » de l'humanité ; mais elle affirme aussi que tout cela n'est pas de ce monde, mais sera réalisé dans un. autre monde (- utopique -). Ainsi fermentent parmi les hommes les idées d'égalité, de fra­ter­nité, de liberté, parmi ces couches d'hommes qui ne se voient ni les égaux ni les frères des autres hommes, ni libres par rapport à eux. C'est ainsi qu'il est arrivé que dans toute agitation radicale des foules, d'une façon ou d'une autre, sous des formes et des idéologies déterminées, ont été posées ces revendications.

Ici s'insère un élément qu'on doit à Vilici17 : dans le Programme d'avril 191718, dans le paragraphe consacré à l'école unitaire et plus précisément dans la note expli­cative de ce paragraphe (cf. l'édition de Genève de 1918), il est rappelé que le chimiste et pédagogue Lavoisier, guillotiné sous la Terreur, avait soutenu justement le concept de l'école unitaire, et cela en rapport avec les sentiments populaires du temps, qui voyaient dans le mouvement démocratique de 1789 une réalité en développement et pas seulement une idéologie-instrument de gouvernement, et en tiraient des consé­quences égalitaires concrètes. Chez Lavoisier, il s'agissait d'un élément utopique (élément qui apparaît plus ou moins dans tous les courants culturels qui présupposent l'unicité de « nature » de l'homme), qui avait toutefois pour Vilici la valeur démons­trative-théorique d'un principe politique.

Si la philosophie de la praxis affirme théoriquement que toute « vérité » qu'on croit éternelle et absolue a eu des origines pratiques et a représenté une valeur « pro­vi­soire » (historicité de toute conception du monde et de la vie), il est très difficile de faire comprendre « pratiquement » qu'une telle interprétation est valable également pour la philosophie de la praxis elle-même, sans ébranler ces convictions qui sont nécessaires à l'action. C'est d'ailleurs là une difficulté qui se présente pour toute philosophie historiciste : c'est d'elle qu'abusent les polémistes à bon marché (particu­liè­rement les catholiques) pour opposer dans le même individu le « savant » et le « démagogue », le philosophe à l'homme d'action, etc. et pour en déduire que l'histori­cisme conduit nécessairement au scepticisme moral et à la dépravation. C'est de cette difficulté que naissent de nombreux drames de conscience chez les petits hommes, et chez les grands, les attitudes « olympiennes » à la Wolfgang Goethe.

Voilà pourquoi la proposition du passage du règne de la nécessité au règne de la liberté doit être analysée et élaborée avec beaucoup de finesse et de délicatesse.

Il arrive aussi, pour la même raison que la philosophie de la praxis tende à devenir une idéologie au sens défavorable du mot, c'est-à-dire un système dogmatique de véri­tés absolues et éternelles ; en particulier quand, - comme dans le Manuel popu­laire19, elle est confondue avec le matérialisme vulgaire, avec la métaphysique de la « matière » qui ne peut pas ne pas être éternelle et absolue.

Il faut dire aussi que le passage de la nécessité à la liberté se fait par la société des hommes et non par la nature (encore qu'il soit susceptible d'avoir des conséquences sur l'intuition de la nature, sur les opinions scientifiques, etc.). On peut même aller jusqu'à affirmer que, tandis que tout le système de la philosophie de la praxis peut devenir caduc dans un monde unifié, de nombreuses conceptions idéalistes, ou tout au moins certains aspects leur appartenant, qui sont utopiques pendant le règne de la né­ces­sité, pourraient devenir « vérités » après le passage, etc. On ne peut parler d' « es­prit » quand la société est regroupée, sans nécessairement conclure qu'il s'agit d'...esprit de corps (chose qu'on reconnaît implicitement quand, comme le fait Gentile dans son volume sur le modernisme20 on dit sur les traces de Schopenhauer, que la religion est la philosophie des foules, alors que la philosophie est la religion des hommes les plus choisis, c'est-à-dire des grands intellectuels), mais on pourra en parier quand aura eu lieu l'unification, etc.


(M.S. pp. 93-96 et G.q. 11, § 62, pp. 1487-1490.)

[1932-1933]

Les parties constitutives de la philosophie de la praxis

Un exposé systématique de la philosophie de la praxis ne peut négliger aucune des parties constitutives de la doctrine de son fondateur. Mais en quel sens faut-il enten­dre cette affirmation ? L'exposé doit traiter toute la partie philosophique géné­rale, il doit donc développer d'une manière cohérente tous les concepts généraux d'une méthodologie de l'Histoire et de la politique, et également de l'art, de l'écono­mie, de l'éthique et doit trouver dans la construction d'ensemble, une place pour une théorie des sciences naturelles. Selon une conception très répandue, la philosophie de la praxis est une pure philosophie, la science de la dialectique, et les autres parties sont l'économie et la politique, ce qui fait dire que la doctrine est formée de trois parties constitutives, qui sont en même temps le couronnement et le dépassement du degré le plus élevé auquel était arrivé, vers 1848, la science des nations les plus avancées d'Europe : la philosophie classique allemande, l'économie classique anglai­se, l'activité et la science politiques françaises. Cette conception, qui est davantage une recherche générique des sources historiques qu'une classification qui naîtrait du cœur même de la doctrine, il est impossible de l'opposer comme schème définitif à tout autre organisation de la doctrine qui serait plus près de la réalité. On posera la question de savoir si la philosophie de la praxis n'est pas justement spécifiquement une théorie de l'histoire et la réponse est affirmative mais ce n'est pas pour autant qu'on peut détacher de l'histoire la politique et l'économie, même dans leurs phases spécialisées, de science et d'art de la politique, de science et de politique économi­ques. En d'autres termes, après s'être acquitté dans la partie philosophique générale, - qui est la philosophie de la praxis proprement dite : la science de la dialectique ou gnoséologie, dans laquelle les concepts généraux d'histoire, de politique et d'écono­mie se nouent en une unité organique, - de la tâche principale, il est utile, dans un manuel populaire, de donner les notions générales de chaque moment ou partie cons­titutive, même en tant que science indépendante et distincte. Si on veut bien regarder de près, on voit que dans le Manuel populaire on fait à ces différents points une allusion, mais par hasard, et non avec un souci de cohérence, d'une manière chaotique et indistincte, parce que l'auteur est dépourvu de tout concept clair et précis de ce qu'est la philo­sophie de la praxis elle-même.


(M.S. 128 et G.q. 11, § 33, pp. 1447-1448.)

[1932-1933]

Philosophie - politique - économie

Si ces trois activités sont les éléments constitutifs nécessaires d'une même concep­tion du monde, il doit nécessairement exister, dans leurs principes théoriques, une convertibilité de l'une à l'autre, une traduction réciproque, chacune dans son propre langage spécifique, de chaque élément constitutif : l'un est implicitement contenu dans l'autre et tous ensemble, ils forment un cercle homogène.21

De ces propositions (qui doivent être élaborées), découlent pour l'historien de la culture et des idées, quelques critères de recherche et quelques règles critiques de haute signification. Il peut arriver qu'une grande personnalité exprime sa pensée la plus féconde non dans cette partie de son œuvre, où l'on s'attendrait le plus « logique­ment » à la trouver, du point de vue d'une classification extérieure, mais dans une autre partie qui à première vue, peut être jugée sans rapport profond avec l'œuvre. Un homme politique écrit un livre de philosophie : il se peut qu'il faille au contraire rechercher sa « vraie » philosophie dans ses écrits politiques. Dans toute personnalité, il y a une activité dominante et prédominante : c'est dans cette activité qu'il faut re­cher­cher sa pensée, implicite la plupart du temps et parfois en contradiction avec la pensée exprimée ex-professo22. Il est vrai que dans un tel critère de jugement histo­rique sont contenus bien des dangers de dilettantisme, et que dans sa mise en applica­tion, il faut prendre de grandes précautions, mais cela n'empêche pas que ce critère soit fécond de vérités.

En réalité le « philosophe » occasionnel réussit plus difficilement à faire abstrac­tion des courants qui dominent son temps, des interprétations devenues dogmatiques d'une certaine conception du monde, etc. ; alors qu'au contraire, comme savant de la politique, il se sent libre de ces idola23 du temps et du groupe, il affronte plus immé­diatement et avec toute son originalité la conception même ; il pénètre dans son intimité et la développe d'une manière vitale. A ce propos, se trouve encore utile et féconde la pensée de Rosa Luxemburg sur l'impossibilité d'affronter certaines ques­tions de la philosophie de la praxis, dans la mesure où celles-ci ne sont pas encore devenues actuelles pour le cours de l'histoire générale ou de celle d'un groupement social donné. A la phase économique-corporative, à la phase de lutte pour la conquête de l'hégémonie dans la société civile, à la phase de l'État, correspondent des activités intellectuelles déterminées qui ne sauraient admettre des improvisations ou des anticipations arbitraires. Au cours de la période de lutte pour l'hégémonie, c'est la scien­ce de la politique qui se développe ; la phase de l'État, elle, exige que toutes les superstructures se développent, sous peine de voir l'État se dissoudre.


M.S. pp. 92-93 et G.q. 11, § 65, pp. 1492-1493.)

[1932-1933]

Le terme de « catharsis »24

On peut employer le terme de « catharsis » pour indiquer le passage du moment purement économique (ou égoïste-passionnel) au moment éthique-politique25, c'est-à-dire à l'élaboration supérieure de la structure en superstructure dans la con­science des hommes. Cela signifie aussi le passage de l'« objectif au subjectif » ou de la « néces­sité à la liberté ». La structure, de force extérieure qui écrase l'homme, l'assi­mile à elle et le rend passif, se transforme en moyen de liberté, en instrument pour créer une nouvelle forme éthique-politique, et génératrice de nouvelles initiatives. La déter­mi­nation du moment « cathartique » devient ainsi, à mon avis, le point de départ de toute la philosophie de la praxis ; le processus cathartique coïncide avec la chaîne de synthèses auxquelles a donné lieu le développement dialectique.26


(M.S., p. 40 et G.q. 10-11, § 6, p. 1244.)

[1935]

Passage du savoir au comprendre, au sentir, et vice versa, du sentir au comprendre, au savoir

L'élément populaire « sent », mais ne comprend pas ou ne sait pas toujours ; l'élé­ment intellectuel « sait », mais ne comprend pas ou surtout ne « sent » pas toujours. Aux deux extrêmes, on trouve donc le pédant et le philistin d'une part, la passion aveugle et le sectarisme d'autre part. Non pas que le pédant ne puisse être passionné, bien au contraire ; le pédantisme passionné est aussi ridicule et dangereux que le sectarisme et la démagogie les plus effrénés. L'erreur de l'intellectuel consiste à croire qu'on peut savoir sans comprendre et surtout sans sentir et sans être passionné (non seulement du savoir en soi, mais de l'objet du savoir) c'est-à-dire à croire que l'intellectuel peut être un véritable intellectuel (et pas simplement un pédant) s'il est distinct et détaché du peuple-nation, s'il ne sent pas les passions élémentaires du peuple, les comprenant, les expliquant et les justifiant dans la situation historique déterminée, en les rattachant dialectiquement aux lois de l'histoire, à une conception du monde supérieure, élaborée suivant une méthode scientifique et cohérente, le « savoir » ; on ne fait pas de politique-histoire sans cette passion, c'est-à-dire sans cette connexion sentimentale entre intellectuels et peuple-nation. En l'absence d'un tel lien, les rapports de l'intellectuel avec le peuple-nation se réduisent à des rapports d'ordre purement bureaucratique, formel ; les intellectuels deviennent une caste ou un sacerdoce (qu'on baptise centralisme organique).

Si le rapport entre intellectuels et peuple-nation, entre dirigeants et dirigés - entre gouvernants et gouvernés - est défini par une adhésion organique dans laquelle le sentiment-passion devient compréhension et par conséquent savoir (non pas mécani­quement, mais d'une manière vivante), on a alors, et seulement à cette condition, un rapport qui est de représentation et c'est alors qu'a lieu l'échange d'éléments indivi­duels entre gouvernés et gouvernants, entre dirigés et dirigeants, c'est-à-dire que se réalise la vie d'ensemble qui seule est la force sociale; c'est alors que se crée le « bloc historique ».

De Man « étudie » les sentiments populaires, il ne tente pas de les faire siens, pour les guider et les conduire à la catharsis d'une civilisation moderne : sa position est celle du fervent de folklore qui a continuellement peur de voir la modernisation lui détruire l'objet de sa science. En revanche, il y a dans son livre le reflet pédant d'une exigence réelle : que les sentiments populaires soient connus et étudiés tels qu'ils se présentent objectivement au lieu d'être considérés comme quelque chose de négli­geable et d'inerte dans le mouvement historique.


(M.S., pp. 114-115, et G.q. 11, § 67, pp. 1505-1506.)

[1932-1933]

Philosophie de la praxis et réforme intellectuelle et morale

La philosophie de la praxis a été un moment de la culture moderne ; dans une certaine mesure, elle en a déterminé et fécondé quelques courants. L'étude de ce fait, très important et significatif, a été négligé ou est franchement ignoré par ceux qu'on est convenu d'appeler les orthodoxes et pour la raison suivante : à savoir que la combinaison la plus digne d'intérêt a eu lieu entre la philosophie de la praxis et diverses tendances idéalistes, ce qui, aux orthodoxes en question, liés essentiellement au courant de culture particulier du dernier quart du siècle passé (positivisme, scien­tisme) a semblé un contresens sinon une astuce de charlatan (il y a toutefois dans l'essai de Plékhanov sur les Problèmes fondamentaux quelques allusions à ce fait, mais le problème n'est qu'effleuré et sans aucune tentative d'explication critique). Aussi semble-t-il nécessaire de redonner toute sa valeur à la manière dont Antonio Labriola tenta de poser le problème.

Il est arrivé ceci : la philosophie de la praxis a subi réellement une double révi­sion, c'est-à-dire qu'elle a été l'objet d'une double combinaison philosophique. D'une part, certains de ses éléments, d'une manière explicite ou implicite, ont été absorbés et incorporés par certains courants idéalistes (il suffit de citer Croce, Gentile, Sorel, Bergson lui-même, le pragmatisme) ; de l'autre, les « orthodoxes », préoccupés de trouver une philosophie qui fût, selon leur point de vue très étroit, plus compréhen­sive qu'une « simple interprétation de l'histoire », ont cru être orthodoxes, en l'identi­fiant fondamentalement au matérialisme traditionnel. Un autre courant est revenu au kantisme (et on peut citer, en dehors de Max Adler, viennois, les deux professeurs italiens Alfredo Poggi et Aldechi Baratono). En général, on peut observer que les courants qui ont tenté des combinaisons de la philosophie de la praxis avec des tendances idéalistes sont en très grande partie composés d'intellectuels « purs », alors que le courant qui a constitué l'orthodoxie était composé de personnalités intellec­tuelles qui se consacraient plus nettement à l'activité pratique et étaient, par consé­quent, davantage liées (par des liens plus ou moins intrinsèques) aux grandes masses populaires (ce qui n'a d'ailleurs pas empêché la majeure partie d'entre eux de faire des culbutes d'une importance historique-politique non négligeable).

Cette distinction a une grande portée. Les intellectuels « purs », comme élabo­rateurs des plus larges idéologies des classes dominantes, comme leaders des groupes intellectuels de leur pays, devaient nécessairement se servir au moins de certains éléments de la philosophie de la praxis, pour fortifier leurs conceptions et modérer l'envahissant philosophisme spéculatif par le réalisme historiciste de la nouvelle théorie, pour doter de nouvelles armes l'arsenal du groupe social auquel ils étaient liés. D'autre part, la tendance orthodoxe se trouvait lutter avec l'idéologie la plus répandue dans les masses populaires, la transcendance religieuse, et s'imaginait que pour la surmonter, il suffisait du plus fruste, du plus banal matérialisme qui était lui aussi une stratification non négligeable du sens commun, maintenue vivante plus qu'on ne le croyait, plus qu'on ne le croit, par la religion elle-même qui a dans le peuple son expression triviale et basse, fondée sur la superstition et la sorcellerie, où la matière a un rôle qui n'est pas mince.

Labriola se distingue des uns et des autres par son affirmation (pas toujours sûre, à vrai dire) que la philosophie de la praxis est une philosophie indépendante et originale qui porte en elle les éléments d'un développement ultérieur, lui permettant de devenir, d'interprétation de l'histoire, philosophie générale. C'est précisément dans ce sens qu'il faut travailler, en développant la position de Labriola, dont les livres de Rodolfo Mondolfo ne semblent pas (tout au moins par le souvenir que j'en ai) un développement cohérent.

Pourquoi la philosophie de la praxis a-t-elle eu ce destin de servir à former des combinaisons, fondant ses éléments principaux soit avec l'idéalisme, soit avec le matérialisme philosophique ? Le travail de recherche est forcément complexe et délicat : il demande beaucoup de finesse dans l'analyse et une grande sobriété intel­lec­tuelle. Car il est très facile de se laisser prendre par les ressemblances extérieures et de ne pas voir les ressemblances cachées et les liens nécessaires mais camouflés. L'identification des concepts que la philosophie de la praxis a « cédé » aux philo­sophies traditionnelles, grâce à quoi ces dernières ont retrouvé pour un temps un air de jeunesse, doit être faite avec une grande prudence critique, et signifie ni plus ni moins que faire l'histoire de la culture moderne postérieure à l'activité des fondateurs de la philosophie de la praxis. (...)

La philosophie de la praxis avait deux tâches : combattre les idéologies modernes dans leur forme la plus raffinée, afin de pouvoir constituer son propre groupe d'intel­lectuels indépendants, et éduquer les masses populaires, dont la culture était médié­vale. Cette seconde tâche, qui était fondamentale, étant donné le caractère de la nouvelle philosophie, a absorbé toutes ses forces, non seulement quantitativement mais aussi qualitativement; pour des raisons « didactiques », la nouvelle philosophie, en se combinant s'est changée en une forme de culture qui était un peu supérieure à la culture populaire moyenne (laquelle était très basse), mais absolument inadéquate pour combattre les idéologies des classes cultivées, alors que la nouvelle philosophie était précisément née pour dépasser la plus haute manifestation culturelle du temps, la philosophie classique allemande, et pour susciter un groupe d'intellectuels apparte­nant en propre au nouveau groupe social auquel appartenait la conception du monde. D'autre part la culture moderne, idéaliste en particulier, ne réussit pas à élaborer une culture populaire, elle ne réussit pas à donner un contenu moral et scientifique à ses propres programmes scolaires, qui restent des schèmes abstraits et théoriques ; elle reste la culture d'une aristocratie intellectuelle restreinte, qui parfois a prise sur la jeunesse, dans la seule mesure où elle devient politique immédiate et occasionnelle. (...)

La philosophie de la praxis présuppose tout ce passé culturel, la Renaissance et la Réforme, la philosophie allemande et la Révolution française, le calvinisme et l'éco­nomie classique anglaise, le libéralisme laïc et l'historicisme qui est à la base de toute la conception moderne de la vie. La philosophie de la praxis est le couronne­ment de tout ce mouvement de réforme intellectuelle et morale, dialectisé dans l'op­po­sition culture populaire et haute culture. Elle correspond à une synthèse. Réforme protes­tante plus Révolution française : c'est une philosophie qui est aussi une politi­que et une politique qui est aussi une philosophie. Elle en est aujourd'hui encore à sa phase populaire : susciter un groupe d'intellectuels indépendants n'est pas chose facile, et exige un long processus, avec des actions et des réactions, des adhésions et des disso­lutions et de nouvelles formations très nombreuses et complexes. Elle est la conception d'un groupe social subalterne, sans initiative historique, qui s'élargit continuellement, mais non organiquement, et sans pouvoir dépasser un certain niveau qualitatif qui est toujours en deçà de la possession de l'État, de l'exercice réel de l'hégémonie sur la société tout entière, lequel seul permet un certain équilibre organique dans le développement du groupe intellectuel. La philosophie de la praxis est devenue elle aussi « préjugé » et « superstition » : telle qu'elle est, elle représente l'aspect populaire de l'historicisme moderne, mais elle contient en elle un principe de dépassement de cet historicisme. Dans l'histoire de la culture, qui est beaucoup plus large que l'histoire de la philosophie, chaque fois que la culture populaire a affleuré, parce qu'on traversait une phase de bouleversement et que de la gangue populaire on sélectionnait le métal d'une nouvelle classe, on a eu une floraison de « matérialisme » ; en revanche, au même moment, les classes traditionnelles s'agrippaient au spiritua­lisme. Hegel, à cheval sur la Révolution française et sur la Restauration, a uni dialectiquement les deux moments de la pensée, matérialisme et spiritualisme, mais la synthèse fut « un homme qui marche sur la tête ». Les continuateurs d'Hegel ont détruit cette unité et on en est revenu aux systèmes matérialistes d'une part, aux systè­mes spiritualistes d'autre part. La philosophie de la praxis a revécu dans son fondateur toute cette expérience, Hegel, Feuerbach, matérialisme français, pour reconstruire la synthèse de l'unité dialectique : « L'homme qui marche sur ses jambes ». Le déchi­rement qui avait eu lieu pour l'hégélianisme s'est répété pour la philoso­phie de la praxis, c'est-à-dire que de l'unité dialectique on est revenu d'une part au matérialisme philosophie, alors que de l'autre la haute culture idéaliste moderne a cherché à incorporer les éléments de la philosophie de la praxis qui lui étaient indispensables pour trouver quelque nouvel élixir.

« Politiquement » la conception matérialiste est proche du peuple, du sens com­mun ; elle est étroitement liée à bon nombre de croyances et de préjugés, à presque toutes les superstitions populaires (sorcellerie, esprits, etc.) C'est ce qu'on voit dans le catholicisme populaire et particulièrement dans l'orthodoxie byzantine. La religion populaire est grossièrement matérialiste, toutefois la religion officielle des intellec­tuels cherche à empêcher que se forment deux religions distinctes, deux couches séparées, afin de ne pas se détacher des masses, pour ne pas se présenter officielle­ment telle qu'elle est en réalité, une idéologie de groupes restreints. Mais de ce point de vue, il ne faut pas risquer une confusion entre l'attitude de la philosophie de la praxis et celle du catholicisme. Alors que la première maintient un contact dynamique avec les nouvelles couches des masses et tend à les élever à une vie culturelle supé­rieure, le second tend à maintenir un contact purement mécanique, une unité exté­rieure fondée surtout sur la liturgie et sur le culte qui frappent davantage les foules par leur aspect spectaculaire. Bien des tentatives hérétiques furent des manifestations de forces populaires visant à réformer l’Église et à la rapprocher du peuple, en élevant le peuple. L'Église a souvent réagi avec une grande violence, elle a créé la Compagnie de Jésus, elle s'est cuirassée des décisions du Concile de Trente, bien qu'elle ait orga­nisé un merveilleux mécanisme de sélection « démocratique » de ses intellec­tuels, mais en tant qu'individus isolés, non comme expression représentative de grou­pes populaires. (...)

Quelque chose d'analogue est arrivé jusqu'ici à la philosophie de la praxis ; les grands intellectuels qui s'étaient formés sur son terrain, en dehors du fait qu'ils étaient peu nombreux, n'étaient pas liés au peuple, ne sortirent pas du peuple, mais furent l'expression de classes intermédiaires traditionnelles, auxquelles ils revinrent dans les grands « tournants » de l'Histoire ; d'autres restèrent, mais pour soumettre la nouvelle conception à une révision systématique, et non pour en assurer le développement autonome. L'affirmation que la philosophie de la praxis est une conception nouvelle, indépendante, originale, tout en étant un moment du développement historique mon­dial, est l'affirmation de l'indépendance et de l'origina­lité d'une nouvelle culture en incubation, qui se développera avec le développement des rapports sociaux. Ce qui tour à tour existe c'est une combinaison variable d'ancien et de nouveau, un équilibre momentané des rapports culturels correspondant à l'équi­li­bre des rapports sociaux. Ce n'est qu'après la création de l'État, que le problème culturel s'impose dans toute sa complexité et qu'il tend vers une solution cohérente. Dans tous les cas, l'attitude qui précède la formation de l'État est nécessairement critique polémique et ne peut jamais être dogmatique, elle doit être une attitude romantique, mais d'un romantisme qui aspire consciemment à son classicisme composé.


(M.S. pp. 81-89 et G.q. 16, § 9, pp. 1854-1864.)

[1933]

Notes

1 Il faut voir également le concept philosophique de « hasard » et de « loi », le concept d'une « rationalité » ou d'une « providence » qui conduisent au téléologisme transcendantal sinon transcendant, et le concept de « hasard » tel que l'entend le matérialisme métaphysique « qui pose le monde au hasard ». (Note de Gramsci.) [Cette dernière expression est empruntée à Dante et concerne Empédocle (Divine Comédie, Enfer, IV, p. 136).]

2 [La métaphysique] « succombera à jamais devant le matérialisme désormais achevé par le travail de la spéculation elle-même et coïncidant avec l'humanisme. Or, si Feuerbach a représenté, dans le domaine de la théorie, le matérialisme coïncidant avec l'humanisme, ce sont le socialisme et le communisme français et anglais qui l'ont représenté, dans le domaine de la pratique. » (La Sainte Famille, MARX-ENGELS, Éditions sociales, 1972, p. 152.)

3 Le solipsiste affirme que les choses n'existent que lorsqu'il les pense. Voir les pages sur « la réalité du monde extérieur ».

4 Karl Marx.

5 L'expression vient du dernier ouvrage de Giordano Bruno, mélange de vers et de prose, où le grand philosophe italien qui sera brûlé vif à Rome en 1600, exalte la passion qui anime l'homme dans sa quête de la vérité. Voir : De gl'heroici furori (Des fureurs héroïques.) texte établi et traduit par P. Henri Michel (texte italien et traduction française en regard), Paris, Les Belles-Lettres, 1954.

6 Karl Marx.

7 Il faut se souvenir de ces réflexions quand on étudie l'œuvre de Gramsci, d'autant plus qu'il travaillait en prison, dans les conditions que l'on sait. Voir plus loin la définition de l’œuvre effective, qu'on peut entendre comme un avertissement de Gramsci concernant son propre travail.

8 « Gloses marginales au programme du Parti ouvrier allemand », voir : K. MARX et F. ENGELS, Critique des programmes de Gotha et d'Erfurt, Ed. soc., 1972, pp. 22-50.

9 Gramsci fait allusion à l'Anti-Dühring de Engels, dont Marx a encouragé la rédaction et pour lequel il a rédigé le chapitre X sur l'histoire critique de la seconde partie Économie politique. On n'a pas de jugement de Marx sur l'ouvrage d'Engels.

10 Friedrich Engels.

11 La Critica de B. Croce commence en 1927 la publication des lettres de Sorel à Croce.

12 Weltanschauung : mot allemand : conception du monde.

13 Cf. Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande (fin), op. cit.

14 Graziadei est en retard par rapport à Mgr Olgiati qui, dans son volume sur Marx, ne trouve pas d'autre comparaison possible qu'avec Jésus, comparaison qui, pour un prélat, est réellement le comble de la concession, car il croit à la nature divine du Christ (Note de Gramsci).

15 Prezzo e soprapprezzo, nell'economia capitalistica, critica alla teoria del valore di Carlo Marx, Milano, éd. Avanti, 1923 et Torino, Bocca, 1924; trad. française par G. Bourgin : Le Prix et le sur-prix dans l'économie capitaliste, Paris, Rieder, 1923.

16 Voir notamment Révolution prolétarienne, Anti-Dühring, 1971, pp. 319-321.

17 Lénine.

18 Il s'agit du projet de réélaboration du programme du Parti bolchevik présenté par Lénine à la VIIe Conférence du Parti en avril 1917. Le nouveau programme fut ensuite approuvé par le VIlle Congrès du Parti en mars 1919. Le paragraphe du projet de Lénine auquel Gramsci se réfère est : « L'instruction gratuite et obligatoire, générale et polytechnique (qui donne une connaissance théorique et pratique de toutes les branches principales de la production) pour tous les jeunes gens des deux sexes jusqu'à 16 ans; un lien étroit entre l'enseignement et le travail social productif... »

19 Voir plus haut la critique du Manuel Populaire de Boukharine.

20 G. GENTILE : Il modernismo e i rapporti tra religione e filosofia, Bari, Laterza, 1909. (Note de Gramsci.)

21 Cf. Les notes précédentes sur les possibilités de traduction réciproque des langages scientifiques. (Note de Gramsci.)

22 Exprimé par une déclaration nette et consciente.

23 Préjugés d'un groupe ou d'une époque.

24 Catharsis : d'un mot grec qui signifie purgation, purification.

25 Moment éthico-politique : terminologie dérivée du système de Croce selon qui les catégories de « logique » et d' « Éthique » sont des catégories « universelles » subsumant les catégories « particu­lières d'Esthétique » et d' « Économie ». Gramsci fait de temps en temps un usage instrumental de cette classification notamment pour le passage du particulier (« économique » ou « corporatif ») à l'universel (« hégémonique »); mais il faut noter que la politique joue, pour Gramsci, un rôle beaucoup plus important que pour Croce; il renverse le système des catégories crociennes selon lequel la Politique est ou bien ravalée au niveau de la passion individuelle ou bien subsumée sous la catégorie d'Éthique.

26 Rappeler les deux points entre lesquels oscille ce processus aucune société ne se propose de tâches pour la solution desquelles n'existent pas déjà ou ne sont pas sur le point de surgir les conditions nécessaires et suffisantes ; aucune société ne périt avant d'avoir exprimé tout son contenu poten­tiel. [Cf. Préface à Contribution à la critique de l'économie politique, Ed. sociales, 1957.] (Note de Gramsci.)


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