1882 |
Extrait d'un article de Jules Guesde dans L’Egalité n°4 (1er janvier 1882) |
Pour la seconde fois, le journal Le Prolétaire [hebdomadaire des possibilistes] prend à parti des hommes de L’Egalité en les qualifiant d’autoritaires. Le mot, ainsi répété, vaut la peine d’être relevé, moins comme protestation que comme explication.
Si c’est être autoritaire, en effet, que de ne pas vouloir comme certains orateurs de Montmartre “la liberté pour les capitalistes comme pour les travailleurs”, – alors oui, nous sommes autoritaires.
Nous ne voulons pas plus, à L’Egalité, respecter la liberté patronale que nous n’aurions respecté en 1871 l’autonomie de la Banque de France.
Contre la classe exploiteuse, contre la bourgeoisie qu’il s’agit d’exproprier, nous voulons agir autoritairement, c’est-à-dire révolutionnairement : parce que la liberté ouvrière est à ce prix.
Si c’est être autoritaire que de poursuivre la constitution du parti ouvrier, dont tous les membres s’inclinent devant l’autorité de nos congrès et dont l’autonomie individuelle soit subordonnée à la volonté générale traduite en résolutions et en programme, – oui encore, sur ce terrain et dans ce sens, nous sommes autoritaires, parce que nous sommes disciplinés, et que la discipline nous apparaît comme la condition indispensable de toute lutte et de tout triomphe.
Mais si l’on entend par autoritaires des hommes qui pensent, s’ils ne le disent : “le parti ouvrier, c’est moi”, et qui agissent en conséquence, mettent sous leurs pieds, dans l’intérêt de leur candidature présente ou future, notre Congrès de Marseille qui se prononçait pour la rentrée à la collectivité de tous les moyens de production obtenue révolutionnairement, notre Congrès du Havre qui dans l’unité d’un programme communiste ou collectiviste groupait non seulement tous les prolétaires de France mais le prolétariat de tous les pays, et notre Congrès de Reims qui maintenait ce programme “en vigueur” ; – alors ce n’est pas dans nos rangs qu’il faut chercher un autoritarisme que nous combattons à outrance comme la perte du parti.
Cet autoritarisme qui voudrait des groupes isolés, d’autant plus facilement dirigeables qu’il n’y aurait pas place pour le contrôle, alors que l’intrigue y règnerait en maître ; cet autoritarisme qui a emprunté à la bourgeoisie sa logomachie libérale, autonomiste et fédéraliste, pour en faire comme elle un instrument de division et de domination ; cet autoritarisme qui ne peut vivre que de personnalités, de calomnies et de compromis – compromettant à la fois le passé et l’avenir, le terrain conquis et le terrain à conquérir, – cet autoritarisme-là n’a pas plus grand adversaire que L’Egalité qui l’a démasqué et qui entend persister dans cette œuvre de salut public [...].
Ce que poursuit ce qu’on nomme, parmi les anciens et les nouveaux anarchistes, l’autoritarisme de L’Egalité, c’est une organisation sérieuse de parti qui ne laisse la porte ouverte à aucun genre d’escamotage ; c’est, à la base, des groupes réels, conscients et cotisants, la cotisation régulière étant la meilleure preuve d’existence.
C’est, comme lien entre ces groupes, des fédérations régionales puissantes, dotées d’un organisme qui permette l’action commune sous le contrôle commun.
C’est, comme lien entre ces fédérations, un comité national, non pas remplaçant mais complétant les deux premiers ordres de groupement, transférable d’une région à une autre pour ne pas s’immobiliser dans les mêmes mains, et dont les attributions, nettement définies, écartent tout danger de confiscation, tout en créant la force nécessaire.
C’est enfin un journal officiel du parti, qui, au lieu d’être au service des ambitions ou des rancunes de quelques-uns, soit, en même temps que la propriété du parti, sous le contrôle permanent du parti, qui en nommerait et en révoquerait les rédacteurs.
Tel est notre “autoritarisme”, substituant à la liberté et au bon plaisir de quelques individus l’autorité de tous.