1907 |
Publié dans Le Socialisme (novembre 1907). |
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Qui nous sommes ?
Jules Guesde
Le titre de ce journal est tout un programme – tout notre programme.
Ici, on fera du socialisme – et rien que du socialisme.
C’est-à-dire que, rappelant sans cesse, à propos de toutes les questions posées par les événements, les conditions essentielles de l’affranchissement ouvrier et social, on mobilisera et on concentrera les travailleurs pour la double opération de classe qui s’impose à leurs efforts organisés :
Tout ce qui sous un prétexte ou sous un autre, tend à détourner le prolétariat de cet objectif suprême ou à éparpiller son action, sera combattu par nous comme l’ennemi ou comme faisant le jeu de l’ennemi, en prolongeant qu’on le veuille ou non, le présent ordre – ou désordre – social, père et mère de toutes les servitudes et de toutes les misères.
Pas de place dans cette marche directe sur l’Etat et le Capital – ou, plus exactement sur le Capital par l’Etat, pas de place pour une collaboration ou coopération, quelle qu’elle soit, avec la classe qui détient l’un et l’autre et qu’il s’agit d’exproprier de l’un et de l’autre, politiquement et économiquement. Si démocrates et républicains qu’on les suppose, entre les bourgeois qui occupent le gouvernement et nous qui avons à les en déloger – parce qu’il domine et régit le rapport entre l’homme et les choses qui constitue toute la Propriété – il ne saurait y avoir de commun que le champ et l’objet de la lutte, aucune alliance, aucune discipline qui lie les deux armées aux prises, n’étant, je ne dis même pas possible, mais concevable sans trahison.
Pas de place, non plus, pour l’illusion ou la manœuvre anarchiste, divisant et désarmant la classe ouvrière par une abstention ou une désertion du terrain politique et militaire qui ne profite et ne peut profiter qu’aux nouveaux Seigneurs du capital dont le privilège propriétaire et patronal est et restera intangible tant que n’aura pas été brisé entre leurs mains le privilège gouvernemental.
Aussi anti-anarchisant qu’anti-ministérialiste, un journal qui se réclame du socialisme ne saurait être que révolutionnaire.
Et révolutionnaires nous sommes et nous devons être, comme l’ont été et ont dû l’être à leur heure toutes les classes, comme l’a été la bourgeoisie en 1789, lorsque incarnant avec ses intérêts propres les intérêts humains sacrifiés par ce qui restait du monde féodal, elle a dû employer la force ou le forceps pour accoucher l’Ancien Régime de l’ordre nouveau, de la société moderne qu’il portait en germe dans ses flancs.
Ce qui ne veut pas dire qu’avant de briser – et pour briser – la légalité ennemie, les socialistes ne peuvent pas et ne doivent pas s’en servir voire la réformer en l’adaptant le plus possible à leurs besoins – de propagande, d’instruction et de recrutement.
Nous sommes, au contraire, et nous devons être pour les réformes, pour autant de réformes que nous serons en mesure d’en imposer, d’en arracher à l’Etat bourgeois.
Mais, même sur ce terrain partiel et momentané des réformes, aucune entente, aucune cuisine commune – et qu’on me passe l’expression – n’est admissible avec les partis bourgeois même les plus réformistes en paroles ou en actes parce que c’est à des points de vue diamétralement opposés, correspondant à l’antagonisme des classes que se placent, pour opérer, notre réformisme – et le leur.
Dans les réformes qu’ils promettent et qu’ils peuvent être amenés à tenir au prolétariat, ils ne voient qu’un moyen de le calmer, de l’endormir, de le désarmer par des satisfactions partielles. Leur but immédiat est la paix sociale à maintenir ou à rétablir, pour la plus grande tranquillité, la meilleure digestion et la complète sécurité de la caste des possédants.
Dans les réformes poursuivies et emportées de haute lutte, ce que nous voyons, nous, et devons voir, pour la classes des dépossédés, ce n’est pas tant le misérable à-compte qu’elles comportent sur le tout qui lui est dû que sa puissance d’action accrue avec sa liberté : ce sont les armes nouvelles mises à son service pour sa guerre de classe. Parce que, de cette guerre seulement, poussée jusqu’au bout, jusqu’à la victoire ou la révolution totale, peut surgir, avec la fin des classes, la véritable paix sociale, la grande et définitive paix humaine.
Et, dans la campagne que je viens de définir et que nous mènerons sans haine et sans colère, comme l’accomplissement d’un devoir, tous les bons ouvriers que LE SOCIALISME a groupés autour de lui auront la suprême joie et la suprême force d’avoir pour eux, avec eux, l’Internationale toute entière.
L’Internationale qui, à la porte de tous ses Congrès, a toujours écrit : Défense à l’anarchisme d’entrer ! et qui, à Amsterdam, en 1904, « avertissait les ouvriers de ne pas se laisser influencer par la propagande pour la grève générale dont se servent les anarchistes pour les détourner de la lutte véritable et incessante, c’est-à-dire de l’action politique, syndicale et coopérative �.
L’Internationale, qui, à Amsterdam, après avoir appelé les travailleurs à �la conquête du pouvoir politique de haute lutte contre la bourgeoisie », refusant de laisser réduire en « parti se contentant de réformer la société bourgeoise, un parti qui poursuit la transformation la plus rapide possible de la société bourgeoise en société capitaliste et est, par suite, révolutionnaire dans le meilleur sens du mot ».
L’Internationale, enfin qui, à Stuttgart, il n’y a que quelques mois, après avoir réclamé « l’organisation démocratique des milices » pour la défense de la patrie que les prolétaires ont à conquérir et à affranchir, déclarait nécessaire à la complète émancipation du travail l’action combinée des syndicats et du Parti.
Ainsi couverts et appuyés par la volonté consciente et souveraine du prolétariat des deux-Mondes, c’est avec confiance que, nous adressant aux camarades de France nous leur disons : Aidez-nous !
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