1983

Stéphane Just avait comme projet l’écriture d’une histoire des crises impérialistes sous forme de brochures dont seules les deux premières seront publiées.
Source : « Documents du PCI », 1983

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Aperçus sur les crises à l’époque impérialiste (I)

Stéphane Just


La crise économique, régulateur du mode de production capitaliste

Les crises qui jalonnent l'histoire du mode de production capitaliste ont toutes leurs caractéristiques particulières. Elles peuvent apparaître ainsi qu'une crise de surproduction des moyens de consommation, ainsi qu'une crise de surproduction des moyens de production, ainsi qu'une crise du système de crédit, lesquelles se généralisent plus ou moins à l'ensemble de la production sociale, affectant plus ou moins le système de crédit, les échanges nationaux et internationaux.

En règle générale, la crise commence lorsque la masse de la production dépasse la capacité de consommation solvable dans le cadre des rapports de production capitalistes, cela dans une ou plusieurs branches. La raison immédiate en est la limitation imposée à la consommation finale des ouvriers pour obtenir un maximum de plus-value, et la limitation de la consommation des capitalistes pour développer l'accumulation capitaliste imposée par la concurrence des différents capitaux à la recherche du maximum de profit et le déséquilibre entre les différents secteurs et branches de la production sociale.

La crise économique est le régulateur du mode de production capitaliste. Bien entendu le développement de ce mode de production doit être analysé dans son histoire concrète. De ce point de vue, Ernest Mandel a raison d'établir une corrélation entre les cycles économiques et le développement extensif et intensif du mode de production capitaliste dans le monde. Dans son « Traité d'économie marxiste », il rappelle qu'entre 1816 et 1913 il y a eu onze cycles comprenant les phases classiques : stagnation, reprise, boom, crise. Il met chacun des booms de ces cycles en corrélation avec l'extension du marché international, du capitalisme dans les pays où il était déjà le mode de production dominant, son développement en d'autres pays, avec le développement de l'industrialisation, des transports, des bouleversements de celle-ci et de ceux-ci. Encore faut-il bien situer la relation entre causes et effets. Marx écrit :

« L'extension du commerce extérieur, qui était à la base du mode de production capitaliste à ses débuts, en est devenu le résultat à mesure que progressait la production capitaliste, en raison de la nécessité inhérente à ce mode de production de disposer d'un marché toujours plus étendu. » (« Le Capital », livre III, tome I, Editions sociales, page 250.)

C'est la force d'expansion du capital qui devient de plus en plus la cause de l'élargissement du marché mondial, des marchés nationaux, du développement des rapports de production capitalistes tant dans les pays où il dominait déjà, que dans de nouveaux pays, de même que des bouleversements successifs de la production et des transports. Cependant, la liquidation de la crise, le développement d'un nouveau cycle, le boom, dépendent, lorsque jouent librement les lois immanentes au mode de production capitaliste, d'autres processus : ceux qui amènent à la dévalorisation du capital existant, à la liquidation pure et simple d'une masse énorme de capital. La crise a des effets en chaîne.

En supposant qu'elle se manifeste d'abord dans le secteur de la production des moyens de consommation, ses premières manifestations auront comme première conséquence d'exacerber la concurrence entre les différentes entreprises capitalistes.

Pour faire face à la concurrence accrue, les capitalistes des branches touchées tenteront de diminuer le prix de marché de leur marchandise, en abaissant ce prix, en augmentant la productivité de leurs entreprises et pour ce faire en ayant recours au marché des capitaux pour financer de nouveaux investissements. Certes, une nouvelle impulsion sera donnée à la production des moyens de production. Mais la composition organique du capital des branches considérées augmentera. Le marché pour le type de marchandise dans ces branches ne s'élargira pas proportionnellement. Bien au contraire, le déséquilibre entre la production de ce type de marchandises et leur réalisation s'accroîtra. Leur prix de marché continuera à baisser ainsi que le taux de profit, d'autant plus qu'une partie des profits servira à payer les intérêts des emprunts contractés, et ceux-ci sont d'autant plus élevés qu'il est fait plus largement appel au marché des capitaux. La surproduction croissante fera gonfler les stocks. Les entreprises les plus touchées s'efforceront de tenir, y compris en ayant un taux de profit s'approchant de zéro et même au-dessous de zéro, en stockant pour continuer de produire, car un capital moyen de production qui cesse d'être utilisé dans la production cesse d'être du capital.

Le développement du système de crédit pousse les contradictions entre croissance sans limite de la production et limite du marché, à partir des rapports de production capitalistes, à leur extrême.

« Si le développement du système de crédit, écrit Marx, peut faire figure de levier principal de la surproduction et de la surspéculation commerciale, c'est seulement parce que le procès de reproduction, par nature élastique, se trouve ici presque à l'extrême limite, étant donné qu'une grande partie du capital social est utilisée par ceux qui ne le possèdent pas et qui par conséquent se mettent à l'ouvrage bien autrement que le propriétaire, qui, s'il est lui-même actif, supporte peureusement les limites de son capital privé. Il en ressort simplement que la mise en valeur du capital basée sur le caractère contradictoire de la production capitaliste (la contradiction entre l'appropriation privée des moyens de production et le caractère social de la production - S. J.) ne permet le développement véritablement libre que jusqu'à un certain point et constitue en réalité une entrave immanente et une barrière à la production constamment rompue par le système de crédit. » (« Le Capital », livre III, tome II, page 106, Editions sociales.)

En d'autres termes, dans le système du crédit, le caractère social de la production atteint un niveau supérieur. Le développement du crédit permet à la production capitaliste de dépasser ses propres limites, de surmonter jusqu'à un certain point la barrière qu'il constitue au développement de la production.

Marx ajoute : « Le système de crédit accélère par conséquent le développement matériel des forces productives et la constitution du marché mondial; la tâche historique de la production capitaliste est justement de pousser jusqu'à un certain degré le développement de ces deux facteurs, base matérielle de la nouvelle forme de production. »

Mais il le fait en poussant également à un degré supérieur la contradiction fondamentale du mode de production capitaliste, la contradiction entre l'appropriation privée et le caractère social de la production, et l'ensemble des contradictions qui en procèdent, qui en dérivent. En conséquence, il pousse à l'extrême la contradiction entre la tendance au développement sans autre limite que la capacité productive sociale et les limites que dictent à la consommation les rapports de production capitalistes. Il le fait en permettant surtout au début du cycle une extension considérable des moyens de production et des moyens de consommation. Il le fait en fin de cycle alors que déjà est engagée la marche à la crise, l'accumulation de stocks, le maintien voire la croissance d'un niveau de consommation à crédit élevé. Mais, par là même , il donne au processus qui conduit au krach et au krach lui-même une puissance extraordinaire. Marx conclut :

« Le crédit accélère en même temps les explosions violentes de cette contradiction, les crises, et partant les éléments qui dissolvent l'ancien mode de production. » (« Le Capital », livre III, tome II, page 66.)

La catastrophe devient inéluctable. Les entreprises les moins compétitives, les plus endettées, ou qui ne peuvent avoir une part de marché suffisante par rapport à la dimension de leur production, sont réduites à la faillite. Les marchandises sont offertes à un prix de marché de plus en plus bas. Toutes les entreprises produisant des moyens de consommation voient leur taux de profit se réduire de plus en plus. Un grand nombre ne réalisent plus de profits. Elles cessent d'acquérir de nouveaux moyens de production. Les mêmes processus se développent dans le secteur des moyens de production. Les licenciements massifs, le chômage massif, réduisent la demande des moyens de consommation. Elle se resserre aux marchandises vitalement indispensables. Bien que réduite, la consommation des capitalistes l'est beaucoup moins. Lorsque la crise est générale, le secteur des moyens de production est le plus touché.

En effet, la consommation sociale ne peut tomber au-delà d'un certain niveau. Un minimum est nécessaire pour que, chômeurs ou non, la vie continue; par contre, une partie des moyens de production déjà existants suffisant pour maintenir à un niveau minimum la production de moyens de consommation, la production des moyens de production peut tomber à un niveau presque nul. C'est le krach.

La production tombe au-dessous de la demande en raison de la liquidation de stocks à vil prix. Une dévalorisation générale des marchandises se produit. La valeur de la force de travail se situe au plus bas. Les prix de marché se situent à un niveau qui correspond au prix de production des marchandises produites dans les meilleures conditions de productivité, étant entendu que le taux de profit que les capitalistes réalisent est lui-même relativement bas. La valeur de chaque type particulier de marchandise se situe au niveau de la valeur des marchandises de ce type qui sont vendues à ce prix de marché. Cela est vrai aussi bien pour les marchandises moyens de consommation que pour les marchandises instruments de production.

Mais il n'y a pas seulement dévalorisation générale des marchandises. Lorsque le capital moyen de production ne fonctionne plus, il perd toute valeur de la même manière que les marchandises qui ne peuvent être vendues sur le marché perdent toute valeur. La valeur d'échange forme un couple, antagoniste il est vrai, mais inséparable, avec la valeur d'usage. Or, la valeur d'usage des moyens de production, capital constant et capital variable, c'est de permettre la production de la plus-value qui est réalisée sur le marché sous la forme du profit, par la vente des marchandises. Tout comme une partie des marchandises, une partie des instruments de production dans lesquels se cristallise une partie du capital investi deviennent obsolètes; ils deviennent impropres à leur réalisation sur le marché ou à la production aux conditions nouvelles. Par là même, ils cessent d'avoir de la valeur, d'être du capital. Il y a donc destruction pure et simple d'une masse plus ou moins considérable de valeur, de capital sous forme de marchandises et d'instruments de production.

Marx montre que cette destruction du capital se manifeste aussi dans le système de crédit. Il poursuit ce qui est cité plus haut aussi :

« A première vue donc, toute la crise se présente comme une simple crise de crédit et d'argent. Et en fait il ne s'agit que de la convertibilité des effets de commerce en argent. Mais, dans leur majorité, ces traites représentent des achats et des ventes réels dont le volume dépasse les besoins de la société, ce qui est en définitive la base de toute crise. »

Il s'ensuit une liquidation par défaut d'une masse de dettes, lesquelles étaient censées représenter du capital. Marx ajoute : « Une quantité énorme de ces effets ne représente que des affaires spéculatives qui, venant à la lumière du jour, y crèvent comme des bulles; ou encore ce sont des spéculations menées avec le capital d'autrui, mais qui ont mal tourné; enfin des capitaux marchandises qui sont dépréciés ou même totalement invendables, ou des rentrées d'argent qui ne peuvent plus avoir lieu. »

Les conditions du démarrage d'un nouveau cycle vont se réunir. Ce sont : la liquidation d'une masse plus ou moins grande de capital sous ses formes capital-marchandise, capital-instruments de production; la dévalorisation générale du capital; la baisse de la valeur de la force de travail et l'aggravation de son exploitation intensive et extensive; la liquidation par défaut d'une partie de l'endettement.

La chute de la consommation des marchandises vitales a ses limites, elle ne peut descendre au-dessous d'un certain niveau : les ouvriers qui travaillent et même les chômeurs, pour vivre, doivent consommer un minimum de marchandises; d'importantes couches de la société ne sont frappées qu'indirectement par la crise et leur consommation ne diminue pas trop, de même que la consommation personnelle des capitalistes. La baisse considérable des prix de marché donne les moyens aux couches dont les revenus ne sont pas ou peu affectés par la crise d'élargir leur consommation.

Par contre la chute de la production peut aller bien au-delà de la quantité et de la qualité des marchandises nécessaires pour satisfaire à la demande. Pendant un temps, la liquidation des stocks la permet et y pousse. Les entreprises qui restent en activité ont réduit au minimum leurs investissements et réglé leur production pour ne pas accumuler de stocks et en ayant la certitude de pouvoir vendre les marchandises qu'elles produisent.

Il arrive un moment où les plateaux de la balance basculent : la demande sur le marché excède l'offre. Les prix de marché augmentent ainsi que les profits. Les entreprises liquidées ne renaissent pas de leurs cendres. Celles qui ont survécu sont par définition celles bénéficiant des meilleures conditions de productivité. La hausse du taux de profit succédant à sa baisse est favorisée par la dévalorisation du capital. Le prix de marché des instruments de production a lui aussi considérablement baissé, ainsi que leur valeur, qui est devenue la valeur (le temps de travail socialement nécessaire) pour les renouveler. La valeur de la force de travail a également baissé, son exploitation intensive et extensive, donc le taux de la plus-value, a augmenté par suite de la concurrence sur le marché du travail. En général, ces entreprises, par suite du fait qu'elles n'ont pas investi depuis plus ou moins longtemps, ne sont pas endettées. Elles possèdent même des réserves financières (capital sous forme argent). Dans ces conditions, leur taux de profit augmente de façon importante.

Dès lors, les entreprises qui subsistent ou des capitalistes qui possèdent du capital argent vont investir pour pouvoir réaliser des profits. C'est-à-dire qu'ils achètent des instruments de production, des matières premières, de la force de travail. Le secteur production des moyens de production redémarre. A son tour, il impulse l'élargissement du marché des moyens de consommation. La crise est surmontée.

A nouveau les limites du marché semblent disparaître. D'autant que le processus s'étale nécessairement dans le temps. Il faut des délais pour produire de nouveaux moyens de production eux-mêmes produisant de nouveaux moyens de production et de consommation. La demande vient de toute part et lance la machine économique à fond. Surtout que joue le crédit. La crise a eu comme résultat d'assainir le crédit. De pousser à l'accumulation du capital argent, qui à la fin de la crise est abondant. Les taux d'intérêts sont bas, le crédit est facile. Le recours au crédit se généralise, s'étend. Cela donne l'impression d'un marché, tant pour ce qui concerne les moyens de production que pour ce qui concerne les moyens de consommation, d'une élasticité infinie. C'est le boom.

Mais déjà s'annonce une nouvelle crise. Le moment vient où la production de moyens de production et de moyens de consommation donne à plein. Mais c'est alors que les limites du marché consécutives aux rapports de production capitalistes se font à nouveau sentir. En outre, le crédit sollicité, le taux de l'argent augmente. Les prix de marché baissent. Le taux de profit également. Toute une série d'entreprises ne peuvent, alors, vendre leurs marchandises en réalisant un taux de profit satisfaisant ou même avec profit. Etc., etc.


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