1917 |
Les tâches des bolchéviks à la veille de la prise du pouvoir. |
Les tâches du prolétariat dans notre révolution
Le jusqu'auboutisme révolutionnaire et sa signification de classe
Le jusqu'auboutisme révolutionnaire doit être considéré comme la manifestation la plus sérieuse, la plus éclatante, de la vague petite‑bourgeoise qui a « presque tout » submergé. C'est le pire ennemi du progrès ultérieur et du succès de la révolution russe.
Quiconque a cédé sur ce point et n'a pas su se dégager est perdu pour la révolution. Mais les masses cèdent autrement que les chefs ; et elles se dégagent autrement, par une autre voie, d'une autre manière.
D'une part, le jusqu'auboutisme révolutionnaire est le fruit de la duperie des masses par la bourgeoisie, le fruit de l'aveugle crédulité des paysans et d'une partie des ouvriers ; d'autre part, il exprime les intérêts et la mentalité du petit patron, intéressé jusqu'à un certain point aux annexions et aux profits bancaires, qui garde « pieusement » les traditions du tsarisme, lequel a corrompu les Grands‑Russes en faisant d'eux les bourreaux d'autres peuples.
La bourgeoisie trompe le peuple en spéculant sur le noble orgueil que lui inspire la révolution ; elle veut faire accroire que le caractère politique et social de la guerre a changé pour la Russie depuis cette étape de la révolution, du fait que la monarchie tsariste a été remplacée par la pseudo‑république de Goutchkov‑Milioukov. Et le peuple l’a cru ‑ momentanément ‑ par suite surtout des vieux préjugés qui l'induisent à penser que les autres peuples de la Russie sont une sorte de propriété ou d'apanage des Grands‑Russes. Les suites de cette infâme corruption du peuple grand-russe par le tsarisme, qui lui apprenait à considérer les autres peuples comme inférieurs, appartenant « de droit » à la Grande‑Russie, ne pouvaient disparaître d'emblée.
Il faut que nous sachions expliquer aux masses que le caractère politique et social de la guerre n'est pas déterminé par la « bonne volonté » des individus et des groupes, ou même des peuples, mais par la situation de la classe qui fait la guerre, par la politique que pratique cette classe et dont la guerre est le prolongement, par les relations du Capital, force économique dominante de la société actuelle, par le caractère impérialiste du capital international, par la dépendance ‑ financière, bancaire, diplomatique ‑ de la Russie à l'égard de l'Angleterre, de la France, etc. Savoir l'expliquer aux masses de façon intelligible n'est pas chose facile, et nul d'entre nous ne saurait s'acquitter de cette tâche du premier coup, sans commettre d'erreurs.
Mais l'orientation, ou plus exactement le contenu, de notre propagande doit être celui‑là, et rien que celui‑là. La moindre concession au jusqu'auboutisme révolutionnaire est une trahison à l'égard du socialisme, un abandon complet de l'internationalisme, quelles que soient les belles phrases et les considérations « pratiques » dont on le justifie.
Le mot d'ordre « A bas la guerre » est évidemment juste, mais il ne tient pas compte des tâches particulières du moment, de la nécessité d'aborder autrement la grande masse. Il ressemble, à mon avis, au mot d'ordre « A bas le tsar ! » que les agitateurs maladroits du « bon vieux temps » lançaient tout bonnement dans les campagnes, où ils se faisaient rosser. Dans leur masse, les partisans du jusqu'auboutisme révolutionnaire sont de bonne foi, non si on les considère en tant qu'individus, mais au point de vue de classe, car ils appartiennent à des classes (ouvriers et paysans pauvres) qui n'ont réellement rien à gagner aux annexions ni à l'étranglement d'autres peuples. Il en va tout autrement pour les bourgeois et MM. les « intellectuels » ; ceux‑là savent fort bien qu'il est impossible de renoncer aux annexions sans renoncer à la domination du Capital, et ils trompent cyniquement les masses avec de belles phrases, des promesses sans mesure, des assurances sans nombre.
Dans leur masse, les partisans du jusqu'auboutisme considèrent la chose sans malice, en invoquant le sens commun : « Je ne veux pas d'annexions, l'Allemand me « tombe dessus » ; je défends donc une cause juste et pas du tout des intérêts impérialistes. » A ceux‑là il faut expliquer encore et encore qu'il ne s'agit pas de leurs désirs personnels, mais de rapports et de conditions inhérents à une politique, à des masses et à des classes déterminées ; qu'il existe un lien entre la guerre, d'une part, les intérêts du capital et le réseau bancaire international, de l'autre, etc. Seule cette façon de combattre le jusqu'auboutisme est sérieuse et promet le succès, un succès pas très rapide peut-être, mais certain et durable.