1917 |
La «Pravda» n° 81, 27 (14) juin 1917 |
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Lénine La politique extérieure de la révolution russe |
Il n'est pas d'idée plus erronée et plus nuisible que celle qui consiste à séparer la politique extérieure de la politique intérieure. Et en temps de guerre ce mensonge monstrueux devient encore plus monstrueux. Or, du côté de la bourgeoisie, on fait tout le possible et l'impossible pour inculquer et maintenir cette idée. L'ignorance des masses populaires est infiniment plus répandue en matière de politique extérieure que de politique intérieure. Le «secret» des relations diplomatiques est pieusement observé dans les pays capitalistes les plus libres, dans les républiques les plus démocratiques.
La mystification des masses populaires est artistiquement élaborée pour tout ce qui concerne les «affaires» de la politique extérieure, et notre révolution a fort à en souffrir. Les journaux bourgeois à des millions d'exemplaires répandent partout le venin du mensonge.
Avec l'un ou l'autre des deux groupes de rapaces impérialistes immensément riches et immensément puissants : c'est ainsi que la réalité capitaliste pose la question fondamentale de la politique extérieure actuelle. C'est ainsi que cette question est posée par la classe des capitalistes. C'est ainsi également, cela va de soi, qu'elle est posée par la grande masse de la petite bourgeoisie, qui s'en tient aux anciennes conceptions et aux anciens préjugés capitalistes.
Celui dont la pensée ne franchit pas les limites des rapports capitalistes ne comprend pas que la classe ouvrière, si elle est consciente, ne puisse être pour aucun des deux groupes de rapaces impérialistes. Par contre, l'ouvrier ne comprend pas qu'on accuse de tendre à une paix séparée avec les Allemands ou de servir pratiquement une telle paix, les socialistes restés fidèles à l'alliance fraternelle des ouvriers de tous les pays contre les capitalistes de tous les pays. En aucun cas ces socialistes (les bolchéviks, par conséquent, y compris) ne sauraient acquiescer à aucune paix séparée entre les capitalistes. Ni paix séparée avec les capitalistes allemands, ni alliance avec les capitalistes anglo-français : tel est le fondement de la politique extérieure du prolétariat conscient.
En s'élevant contre ce programme, en redoutant la rupture avec «l'Angleterre et la France», nos menchéviks et nos socialistes-révolutionnaires appliquent en fait le programme capitaliste de politique extérieure, se contentant de l'orner des fleurs d'une candide éloquence telles que la «révision des traités», les déclarations en faveur de la «paix sans annexions», etc. Tous ces vœux pieux sont condamnés à demeurer des phrases creuses, car la réalité capitaliste pose la question de front : se soumettre aux impérialistes d'un des groupes ou participer à la lutte révolutionnaire contre tout impérialisme.
Existe-t-il des alliés pour une telle lutte ? Certes. Les classes opprimées d'Europe, le prolétariat en tout premier lieu ; les peuples opprimés par l'impérialisme, les peuples d'Asie, qui sont nos voisins, en tout premier lieu.
Les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires, tout en se disant «démocrates révolutionnaires», pratiquent en fait une politique extérieure contre-révolutionnaire et antidémocratique. S'ils étaient des révolutionnaires, ils conseilleraient aux ouvriers et aux paysans de Russie de se mettre à la tête de tous les peuples opprimés par l'impérialisme et de toutes les classes opprimées.
«Mais alors les capitalistes de tous les autres pays s'uniraient contre la Russie ! » protestent nos philistins effrayés. Ce n'est pas impossible. Un démocrate « révolutionnaire » n'a pas le droit de renoncer à l'avance à toute guerre révolutionnaire. Mais pratiquement une telle guerre est peu probable. Les impérialistes anglais et allemands ne pourront «se réconcilier» contre la Russie révolutionnaire. La révolution russe, qui en 1905 déjà a suscité des révolutions en Turquie, en Perse, en Chine, mettrait les impérialistes anglais et allemands dans une situation très difficile si elle réalisait une véritable alliance révolutionnaire avec les ouvriers et les paysans des pays coloniaux et semi-coloniaux, contre les despotes, contre les khans, pour expulser les Allemands de Turquie et les Anglais de Turquie, de Perse, d'Inde, d'Egypte, etc.
Les social-chauvins français et russes aiment évoquer 1793 pour faire oublier, par cette évocation saisissante, qu'ils trahissent la révolution. Mais justement on se refuse chez nous à admettre qu'une démocratie russe vraiment «révolutionnaire» puisse et doive se comporter envers les peuples opprimés et retardataires dans l'esprit de 1793.
L'«alliance» avec les impérialistes, c'est-à-dire une dépendance honteuse à leur égard, telle est la politique extérieure des capitalistes et des petits bourgeois. L'alliance avec les révolutionnaires des pays avancés et avec tous les peuples opprimés contre les impérialistes de tout poil, telle est la politique extérieure du prolétariat.