1917 |
La « Pravda » n° 94, 12 juillet (29 juin) 1917 |
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Lénine Les phrases et les faits |
Le ministre Skobélev vient de publier un appel à tous les ouvriers de Russie. Il leur prêche, au nom de « notre » (c'est bien « notre » qu'il dit) idéal socialiste, au nom de la révolution, au nom de la démocratie révolutionnaire, etc., etc., etc., les beautés des «chambres de conciliation» et condamne avec sévérité toutes les initiatives «anarchiques».
Ecoutez comme il chante bien, notre ministre quasi socialiste, le menchevik Skobélev :
«Vous (les ouvriers) avez pleinement raison de vous indigner de l'enrichissement des classes possédantes en temps de guerre. Le gouvernement du tsar a dilapidé des milliards appartenant au peuple. Le gouvernement de la révolution doit recouvrer cet argent et le faire rentrer dans les caisses du peuple. »
Il chante bien... Mais où va-t-il se percher ?
L'appel du citoyen Skobélev a été publié le 28 juin. Le ministère de coalition a été formé le 6 mai. Et, penchent tout ce temps-là, tandis que la ruine et la catastrophe, une catastrophe effroyable, viennent sur nous à toute allure, le gouvernement n'a rien fait de sérieux contre les capitalistes qui se sont enrichis «à milliards». Il fallait, pour «faire rentrer ces milliards dans les caisses du peuple», promulguer le 7 mai une loi abolissant le secret commercial et bancaire et instituant le contrôle immédiat des banques et des syndicats capitalistes, faute de quoi ces milliards non seulement ne seront pas « recouvrés », mais il sera impossible même de les trouver.
Le ministre menchevik Skobélev considère-t-il les ouvriers comme de petits enfants que l'on peut. nourrir de promesses irréalisables (il est impossible de « recouvrer » les « milliards » en question ; Dieu veuille que l'on réussisse à mettre un terme aux prévarications et que l'on récupère au moins quelques centaines de millions) en s'abstenant pendant de longues semaines de faire ce qui est possible et ce qui est nécessaire ?
Comme par un fait exprès, le jour même où le ministre menchevik Skobélev répandait devant les ouvriers une nouvelle brassée de phrases républicaines, révolutionnaires et « socialistes » du plus bel effet, le « conciliateur » des partisans de la défense nationale (c'est-à-dire des chauvins) et des ouvriers, le camarade Avilov, avait l'idée extraordinairement heureuse, exceptionnellement heureuse, de donner à la Novaïa Jizn un article sans conclusion, mais contenant des faits.
Il n'y a rien de plus éloquent au monde que ces simples faits.
Le gouvernement de coalition est formé, le 5 mai. Dans une déclaration solennelle il promet... le contrôle et même « l'organisation de la production ». Le 16 mai, le Comité exécutif du Soviet de Petrograd adopte des « directives » destinées à ses ministres et exigeant « immédiatement (écoutez bien !) la réalisation la plus énergique (c'est écrit comme ça, je vous jure !) de la réglementation de la production par l'Etat », etc., etc.
La réalisation énergique commence.
Le 19 mai, Konovalov démissionne avec une déclaration « énergique » contre... les « socialistes extrémistes » ! Le 1er juin a lieu la conférence des représentants de l'industrie et du commerce de toute la Russie. La conférence se prononce résolument contre le contrôle. Les trois sous-secrétaires d'Etat demeurés après Konovalov procèdent à des « réalisations énergiques » : dans le conflit provoqué par le patronat des houillères du Donetz (qui tue la production par la grève perlée), le premier sous-secrétaire d'Etat, Stépanov, soutient... le patronat. Après quoi les patrons repoussent toutes les propositions de conciliation de Skobélev.
Le deuxième sous-secrétaire d'Etat, Paltchinski, sabote la « conférence des combustibles ».
Le troisième sous-secrétaire d'Etat, Savvine, institue sous la forme d'une « conférence inter-administrative » une sorte de « caricature grossière et même pas spirituelle » de la réglementation de la production.
Le 10 juin, le premier sous-secrétaire d'Etat, Stépanov, présente au Gouvernement provisoire un « rapport »... critiquant le programme du Comité exécutif.
Le 21 juin, le congrès des Soviets adopte une nouvelle résolution...
Des comités de ravitaillement se forment spontanément, d'en bas. On promet, d'en haut, un grand « Conseil économique ». Le deuxième sous-secrétaire d'Etat, Paltchinski, explique qu'il est « difficile de prévoir quand il (le Conseil économique) entrera en activité... »
On croirait à une plaisanterie, mais ce sont des faits.
Les capitalistes se moquent des ouvriers et du peuple en continuant leur politique de lock-out dissimulé et de dissimulation de leurs bénéfices scandaleux, et en envoyant les Skobélev, les Tsérétéli et les Tchernov « calmer » les ouvriers avec des phrases.