1917

« Rabotchi Pout » n° 12, 29 (16) septembre 1917.
Signé : N. Lénine
Conforme au texte du journal « Rabotchi Pout »

Œuvres t. 26, pp. 20-35 Paris-Moscou,


Téléchargement fichier zip (compressé)

Cliquer sur le format de contenu désiré

FormatAcrobat/PDF Format MS Word/RTF

Lénine

La révolution russe et la guerre civile

On agite l'épouventail de la guerre civile


Epouvantée par le refus des menchéviks et des socialistes-révolutionnaires de former une coalition avec les cadets, par la possibilité qu'aura peut-être la démocratie de former parfaitement sans eux un gouvernement et de gouverner la Russie contre eux, la bourgeoisie met tout en œuvre pour effrayer la démocratie.

Fais peur le plus possible, tel est le mot d'ordre de toute la presse bourgeoise. Fais peur par tous les moyens ! Mens, calomnie, mais surtout effraye !

La Gazette de la Bourse [1] sème la peur en fabriquant de toutes pièces des informations sur les menées bolchéviques. On effraie en répandant des bruits sur la démission d'Alexéiev et sur la menace d'une percée allemande en direction de Pétrograd, comme si les faits n'avaient pas prouvé que ce sont précisément les généraux de Kornilov (au nombre desquels se trouve sans aucun doute Alexéiev) qui sont capables d'ouvrir le front aux Allemands en Galicie et devant Riga, et devant Pétrograd, que ce sont précisément les généraux de Kornilov qui fomentent dans l'armée la haine la plus violente contre le G.Q.G.

Pour tenter de rendre plus «sérieux» et plus convaincant ce procédé d'intimidation de la démocratie, on allègue le danger de «guerre civile». De toutes les méthodes d'intimidation, celle qui consiste à agiter l'épouvantail de la guerre civile est peut-être la plus répandue. Voici comment cette idée courante, très répandue dans les milieux philistins, se trouve formulée par le comité du parti de la liberté du peuple à Rostov-sur-le-Don, dans sa résolution du 1er septembre (n° 210 de la Retch [2]):

« ...Le comité est convaincu que la guerre civile peut balayer toutes les conquêtes de la révolution et noyer dans des flots de sang notre jeune liberté encore mal assurée ; aussi, estime-t-il nécessaire, pour sauver les conquêtes de la révolution, d'élever une protestation énergique contre la tendance à pousser plus avant la révolution, au nom des irréalisables utopies socialistes...»

Nous trouvons exprimée ici sous sa forme la plus claire, la plus précise, la plus réfléchie et la plus circonstanciée, l'idée maîtresse qui revient constamment dans les éditoriaux de la Retch, dans les articles de Plékhanov et de Potressov, dans les éditoriaux des journaux menchéviks, etc., etc. Aussi ne sera-t-il pas inutile de nous arrêter plus longuement sur cette idée.

Efforçons-nous d'analyser la question de la guerre civile plus concrètement, en nous appuyant notamment sur notre expérience de six mois de révolution.

Cette expérience, qui correspond entièrement à l'expérience de toutes les révolutions en Europe depuis la fin du XVIIIe siècle, nous montre que la guerre civile est la forme la plus aiguë de la lutte de classe qui, après des conflits économiques et politiques répétés, accumulés, accrus, exacerbés, en arrive à se transformer en conflit armé entre deux classes. Le plus souvent - presque sans exception, pourrait-on dire, - on observe dans les pays tant soit peu libres et avancés une guerre civile entre les classes dont l'antagonisme est engendré et accentué par tout le développement économique du capitalisme, par toute l'histoire de la société moderne dans le monde entier, à savoir : entre la bourgeoisie et le prolétariat.

C'est ainsi que, durant les six mois de notre révolution, nous avons connu, les 20-21 avril [3] et les 3-4 juillet, de violentes explosions spontanées, qui furent bien près d'un début de guerre civile déclenchée par le prolétariat. L'insurrection de Kornilov était, elle, une conspiration militaire soutenue par les propriétaires fonciers et les capitalistes, les cadets en tête, conspiration qui a conduit en fait au début d'une guerre civile déclenchée par la bourgeoisie.

Tels sont les faits. Telle est l'histoire de notre propre révolution. C'est dans cette histoire que nous devons avant tout trouver un enseignement, c'est à son développement et à son sens de classe que nous devons avant tout réfléchir.

Essayons de comparer les débuts de la guerre civile prolétarienne et les débuts de la guerre civile bourgeoise en Russie des points de vue : 1) du mouvement spontané, 2) de ses buts, 3) de la conscience des masses qui participèrent au mouvement, 4) de la force du mouvement, 5) de sa ténacité. Nous estimons que si tous les partis qui aujourd'hui «jonglent, à tort et à travers» avec les mots de «guerre civile», posaient la question en ces termes et faisaient un effort pour étudier en fait les débuts de la guerre civile, la conscience de toute la révolution russe y gagnerait, et y gagnerait beaucoup.

Commençons par la spontanéité du mouvement. Sur les journées des 3 et 4 juillet, nous avons les déclarations de témoins tels que la Rabotchaïa Gazéta [4] menchévique et le Diélo Naroda [5] socialiste-révolutionnaire, qui ont reconnu le fait de la croissance spontanée du mouvement. J'ai rapporté ces déclarations dans un article du Prolétarskoïé Diélo [6] publié en feuille volante sous le titre de « Réponse aux calomniateurs » [7]. Mais pour des raisons parfaitement compréhensibles, les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires, pour se défendre d'avoir participé aux poursuites exercées contre les bolchéviks, continuent officiellement de nier la spontanéité de l'explosion des 3 et 4 juillet.

Ecartons pour le moment ce qui est contestable. Arrêtons-nous à ce qui est incontestable. La spontanéité du mouvement des 20 et 21 avril n'est contestée par personne. Le Parti bolchévik adhéra à ce mouvement spontané, avec pour mot d'ordre : «Tout le pouvoir aux Soviets !» ; tout à fait indépendamment de ce parti, feu Lindé y adhéra et descendit dans la rue avec 30000 soldats armés, prêts à arrêter le gouvernement. (Soit dit en passant, cette sortie des troupes n'a pas été tirée au clair ni étudiée. Et, à bien réfléchir, si on relie historiquement le 20 avril au cours des événements, c'est-à-dire si on le considère comme un anneau de la chaîne qui va du 28 février au 29 août, il apparaît clairement que la faute, que l'erreur des bolchéviks fut l'insuffisance d'esprit révolutionnaire dans leur tactique et nullement l'excès d'esprit révolutionnaire, comme nous en accusent les philistins.)

Donc, la spontanéité du mouvement qui a touché de près au déclenchement d'une guerre civile prolétarienne, est hors de doute. Rien ne ressemble même de loin à la spontanéité dans le mouvement de Kornilov : c'est seulement, un complot de généraux qui comptaient entraîner une partie des troupes par la tromperie et par le prestige de l'autorité.

Que la spontanéité de mouvement soit un indice de sa profonde pénétration dans les masses, de la solidité de ses racines, de l'impossibilité qu'il y aurait à l'écarter, voilà qui est certain. Racines profondes de la révolution prolétarienne, absence de racines de la contre-révolution bourgeoise ; voilà, pour la spontanéité du mouvement, ce que nous montrent les faits.

Examinons les buts du mouvement. Le mouvement des 20 et 21 avril se rapprochait plus que tout autre des mots d'ordre bolchéviks ; quant à celui des 3 et 4 juillet, il naquit, en liaison avec eux, sous leur influence et sous leur direction immédiates. Dictature du prolétariat et de la paysannerie pauvre, paix et proposition immédiate de paix, confiscation des terres des propriétaires fonciers : ces buts essentiels de la guerre civile prolétarienne, le Parti bolchévik en parlait tout à fait ouvertement, de façon claire, nette et précise, tout haut, dans ses journaux et dans sa propagande orale.

Quant aux buts de la rébellion de Kornilov, nous savons tous, et personne dans la démocratie ne le conteste, que ces buts consistaient dans la dictature des propriétaires fonciers et de la bourgeoisie, dans la dissolution des Soviets et la préparation d'une restauration monarchique. Le parti cadet - principal parti kornilovien (au fait, il conviendrait de l' appeler désormais parti kornilovien), qui possède une presse et des moyens de propagande supérieurs à ceux des bolchéviks, ne s'est jamais risqué et ne se risque pas à parler ouvertement au peuple ni de la dictature de la bourgeoisie, ni de la dissolution des Soviets, ni des buts de Kornilov en général !

Du point de vue des buts du mouvement, les faits montrent que la guerre civile prolétarienne peut exposer ouvertement au peuple ses buts ultimes et s'attirer par là les sympathies des travailleurs, tandis que la guerre civile bourgeoise ne peut essayer d'attirer une partie des masses qu'en dissimulant les siens ; d'où une énorme différence en ce qui concerne le degré de conscience des masses.

Les données objectives sur ce point concernent uniquement, semble-t-il, les effectifs des partis et les élections. Il n'existe pas, paraît-il, d'autres indices permettant de juger avec précision du degré de conscience des masses. Que le mouvement révolutionnaire prolétarien ait à sa tête le Parti bolchévik, et que le mouvement contre-révolutionnaire bourgeois ait à sa tête le parti cadet, voilà qui est clair et autant dire indiscutable après l'expérience de six mois de révolution. Trois éléments de comparaison reposant sur les faits peuvent être fournis sur la question que nous examinons. La comparaison entre les élections de mai aux Doumas d'arrondissement de Pétrograd et les élections d'août à la Douma centrale accuse une diminution des voix des cadets et une énorme augmentation des suffrages obtenus par les bolchéviks. La presse des cadets avoue que là où sont rassemblées des masses d'ouvriers ou de soldats, on observe, en règle générale, la force du bolchévisme.

En second lieu, en l'absence de toute statistique sur les fluctuations des effectifs du parti, sur la fréquentation des réunions, etc., on ne peut mesurer le degré de conscience des masses, l'intérêt qu'elles portent au parti, que grâce aux informations publiées sur les collectes d'argent faites en faveur du parti. Ces informations montrent l'ardent héroïsme dont les masses d'ouvriers bolchéviks ont fait preuve lors de la collecte effectuée au profit de la Pravda [8], des journaux interdits, etc. Le montant des collectes est toujours publié. Chez les cadets, nous ne voyons rien de tel : ce sont manifestement les contributions des richards qui «alimentent» la caisse du parti. Pas la moindre trace de l'aide active des masses.

Enfin, la comparaison entre les mouvements des 20 et 21 avril et des 3 et 4 juillet d'une part, et l'équipée de Kornilov d'autre part, nous montre que les bolchéviks désignent ouvertement aux masses leur ennemi dans la guerre civile : la bourgeoisie, les propriétaires fonciers et les capitalistes. Mais le mouvement de Kornilov a d'ores et déjà montré qu'on a menti impudemment aux troupes qui ont suivi Kornilov, mensonge démasqué dès la première rencontre de la «division sauvage» et des convois militaires de Kornilov avec les travailleurs de Pétrograd.

Continuons. Quelles données avons-nous sur la force du prolétariat et sur celle de la bourgeoisie dans la guerre civile ? La force des bolcheviks réside uniquement dans le nombre des prolétaires, dans leur degré de conscience, dans la sympathie des «couches inférieures» des socialistes-révolutionnaires et des menchéviks (c'est-à-dire des ouvriers et des paysans pauvres) pour les mots d'ordre bolchéviks. Que ces mots d'ordre aient entraîné pratiquement la majorité des masses révolutionnaires actives à Pétrograd, les 20 et 21 avril, le 18 juin [9] et les 3 et 4 juillet, c'est là un fait.

Cette comparaison entre les données des élections «parlementaires» et celles relatives aux mouvements de masse précités confirme pleinement, pour la Russie, cette observation faite maintes fois en Occident que la force du prolétariat révolutionnaire, au point de vue de l'action sur les masses et de la possibilité de les entraîner à la lutte, est incomparablement plus grande dans la lutte extra-parlementaire que dans la lutte parlementaire. C'est une observation très importante concernant la guerre civile.

On comprend pourquoi les conditions et les circonstances de la lutte parlementaire et des élections ne permettent pas aux classes opprimées de déployer la force qu'elles peuvent pratiquement déployer dans la guerre civile.

La force des cadets et des korniloviens, c'est la richesse. Que le capital et l'impérialisme anglo-français soient pour les cadets et pour Kornilov, voilà qui est démontré par une longue série d'interventions politiques et par la presse. Il est de notoriété publique que toute la «droite» de la Conférence de Moscou [10] du 12 août s'est déchaînée en faveur de Kornilov et de Kalédine. Il est de notoriété publique que la presse bourgeoise française et anglaise «aidait» Kornilov. Certains indices témoignent qu'il était aidé par les banques.

Toute la force de la richesse s'est dressée en faveur de Kornilov, et quel effondrement rapide et pitoyable! En dehors des riches, on ne peut voir chez les korniloviens que deux forces sociales : la «division sauvage» et les Cosaques. Dans le premier cas c'est seulement la force de l'ignorance et de la tromperie. Cette force est d'autant plus redoutable que la presse reste davantage dans les mains de la bourgeoisie. Le prolétariat, vainqueur dans la guerre civile, anéantirait d'un coup et radicalement cette source de «force».

Quant aux Cosaques, ils représentent une couche de la population composée de riches, de petits ou de moyens propriétaires terriens (les propriétés sont en moyenne de 50 déciatines environ) d'une des marches de la Russie, qui ont conservé dans leur vie, leur économie et leurs mœurs de nombreux traits du moyen âge. On peut y trouver la base sociale et économique d'une Vendée russe. Mais qu'ont montré les faits concernant le mouvement Kornilov-Kalédine ? Même Kalédine, le «chef bien-aimé», soutenu par les Goutchkov, les Milioukov, les Riabouchinski et Cie, n'a pas pu, malgré tout, déclencher un mouvement de masse ! ! Kalédine allait par une voie infiniment «plus directe», en ligne plus droite que les bolchéviks, vers la guerre civile. Kalédine allait tout droit « soulever le Don» et pourtant, dans sa «propre» région, dans ce pays cosaque éloigné de la démocratie russe, Kalédine ne souleva aucun mouvement de masse ! Au contraire, nous observons de la part du prolétariat des explosions spontanées de mouvement dans les centres d'influence et de force de la démocratie russe antibolchévique.

Il n'existe pas de données objectives sur l'attitude des diverses couches et des divers ensembles économiques cosaques envers la démocratie et le mouvement de Kornilov. Il existe seulement des indices qui nous montrent que la majorité des Cosaques pauvres et moyens penchent plutôt vers la démocratie et que seuls les officiers et les couches supérieures de Cosaques aisés sont à fond pour Kornilov.

Quoi qu'il en soit, il est historiquement prouvé, après l'expérience du 26 au 31 août, que le mouvement cosaque de masse en faveur de la contre-révolution bourgeoise est extrêmement faible.

Reste une dernière question : celle de la ténacité du mouvement. Pour le mouvement prolétarien révolutionnaire bolchévik, un fait est prouvé : pendant les six mois du régime républicain en Russie, la lutte contre le bolchévisme a été menée sur le plan idéologique alors que la presse et les moyens de propagande étaient puissamment dominés par les adversaires du bolchévisme (et par une campagne de calomnies qu'il est très «hasardeux» de considérer comme une lutte «idéologique»), ainsi que par la voie des répressions : centaines d'arrestations, mise à sac de notre imprimerie centrale, interdiction de notre principal organe et d'autres journaux. Les faits montrent le résultat : renforcement énorme du bolchévisme aux élections d'août à Pétrograd, puis renforcement des courants internationalistes et de «gauche» voisins du bolchévisme parmi les socialistes-révolutionnaires et parmi les menchéviks. Ce qui signifie que la ténacité du mouvement prolétarien révolutionnaire est très forte dans la Russie républicaine. Les faits prouvent que les efforts conjugués des cadets, des socialistes-révolutionnaires et des menchéviks n'ont pas réussi le moins du monde à affaiblir ce mouvement. Au contraire, c'est précisément la coalition des korniloviens et de la «démocratie» qui a renforcé le bolchévisme. En dehors de l'action idéologique et des répressions, il ne saurait exister de moyens de lutte contre le courant prolétarien révolutionnaire.

Il n'existe pas encore de données sur la ténacité du mouvement cadet-Kornilovien. Les cadets n'ont subi aucune poursuite. Goutchkov lui-même a été relâché, on n'a pas même arrêté Maklakov ni Milioukov. On n'a pas même interdit la Retch. On a épargné les cadets. Le gouvernement Kérenski est aux petits soins pour les cadets-korniloviens. Posons même ainsi la question : admettons quo les Riabou-chinski anglo-français et russes assignent encore des millions et des millions aux cadets, à l 'Edinstvo [11], au Dien [12], etc., pour une nouvelle campagne électorale à Pétrograd, cela a-t-il des chances d'augmenter aujourd'hui le nombre de leurs voix après le coup de force Kornilov ? C'est peu probable ; à en juger par les réunions, etc., force sera de répondre non à cette question...

star star star

Si nous résumons et mettons en parallèle les données fournies par l'histoire de la révolution russe, il en résulte ceci : le commencement de la guerre civile par le prolétariat a révélé la force, la conscience, la solidité, la croissance et la ténacité du mouvement. Le commencement de la guerre civile par la bourgeoisie n'a révélé aucune force, aucune conscience des masses, aucune solidité, ni aucune chance de victoire.

L'alliance des cadets avec les socialistes-révolutionnaires et les menchéviks contre les bolchéviks, c'est-à-dire contre le prolétariat révolutionnaire, a été mise à l'épreuve pendant plusieurs mois, et cette alliance de korniloviens, temporairement réduits au silence, avec la «démocratie » a conduit en fait non pas à l'affaiblissement des bolchéviks, mais à leur renforcement, à la faillite de la «coalition», au renforcement de l'opposition «de gauche» aussi chez les menchéviks.

L'alliance des bolchéviks avec les socialistes-révolutionnaires et les menchéviks contre les cadets, contre la bourgeoisie, n'a pas encore subi l'épreuve. Ou, pour être plus précis, cette alliance n'a été expérimentée que sur un seul front, au cours de cinq journées, du 26 au 31 août, lors de l'aventure Kornilov, et cette alliance a apporté pendant ces journées une victoire complète sur la contre-révolution, remportée avec une facilité sans exemple dans aucune révolution ; elle a infligé à la contre-révolution de la bourgeoisie, des propriétaires fonciers et des capitalistes, de l'impérialisme allié et des cadets une défaite si écrasante que de ce côté la guerre civile a été réduite en poussière dès le début, s'est effondrée «sans coup férir».

En face de ce fait historique, toute la presse bourgeoise avec ses sous-fifres (les Plékhanov, les Potressov, les Brechko-Brechkovskaïa et autres) clame à cor et à cri que c'est précisément l'alliance des bolchéviks avec les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires qui «fait peser» sur le pays les horreurs de la guerre civile !...

Ce serait comique, si ce n'était si triste. Il est triste qu'une pareille absurdité, aussi évidente, aussi patente, aussi criante, qui tourne en dérision les faits et toute l'histoire de notre révolution, puisse en général trouver créance ... Cela prouve une diffusion toujours aussi grande (diffusion inévitable tant que la presse est monopolisée par la bourgeoisie) du mensonge intéressé de la bourgeoisie, mensonge qui submerge et qui étouffe les leçons les plus sûres, les plus indiscutables et les plus tangibles de la révolution.

Si la révolution nous a donné une leçon absolument indiscutable, absolument prouvée par les faits, c'est la suivante : seule l'alliance des bolchéviks avec les socialistes- révolutionnaires et les menchéviks, seule la transmission immédiate de tout le pouvoir aux Soviets rendrait la guerre civile impossible en Russie. Car, contre une telle alliance, contre les Soviets des députés ouvriers, soldats et paysans, une guerre civile quelconque déclenchée par la bourgeoisie est impensable, cette «guerre»-là n'aboutirait pas même à une seule bataille ; après l'affaire Kornilov, bourgeoisie ne trouverait pas même une deuxième «division sauvage», ni même autant de convois cosaques pour marcher contre le gouvernement des Soviets !

Le développement pacifique d'une révolution quelle qu'elle soit est en général chose extrêmement rare et difficile, la révolution étant l'aggravation extrême des contradictions de classe les plus graves ; mais, dans un pays agricole, où l'alliance de prolétariat et de la paysannerie peut donner la paix aux masses épuisées par la guerre la plus injuste et la plus criminelle, et donner toute la terre aux paysans, dans un tel pays, à un moment historique aussi exceptionnel, le développement pacifique de la révolution est possible et vraisemblable, si tout le pouvoir est transmis aux Soviets. Au sein des Soviets, la lutte des partis pour le pouvoir peut se dérouler pacifiquement, si la démocratie des Soviets est totale, si on renonce à ces «menus larcins», à ces «entorses» données aux principes démocratiques, par exemple l'octroi aux soldats d'un représentant pour 500 électeurs et aux ouvriers un pour 1000. Dans une république démocratiques, ces menus larcins sont condamnés à disparaître.

Contre des Soviets qui donneraient sans rachat toute la terre aux paysans et qui proposeraient une paix juste à tous les peuples, contre ces Soviets, aucune alliance de la bourgeoisie anglo-française et russe, des Kornilov, des Buchanan [13], des Riabouchinski, des Milioukov avec les Plékhanov et les Potressov ne serait nullement redoutable, elle serait tout à fait impuissante.

La résistance de la bourgeoisie à la remise sans indemnité de la terre aux paysans, à des transformations semblables dans d'autres domaines de la vie, à une paix juste et à la rupture avec l'impérialisme, est naturellement inévitable. Mais pour que cette résistance en arrivât à la guerre civile, il faudrait des masses capables de faire la guerre aux Soviets et de les vaincre. Or, ces masses, la bourgeoisie ne les a pas et elle ne peut les trouver nulle part. Plus les Soviets prendront rapidement et résolument le pouvoir, plus vite se désagrégeront les «divisions sauvages» et les Cosaques, plus vite elles se scinderont en une minorité insignifiante de korniloviens conscients et en une énorme majorité de partisans de l'union démocratique et socialiste des ouvriers et. des paysans (car alors il s'agira précisément du socialisme).

La résistance de la bourgeoisie, après le passage du pouvoir aux Soviets, aura pour résultat que chaque capitaliste sera «suivi», surveillé, contrôlé et observé de près par des dizaines et des centaines d'ouvriers et de paysans, dont l'intérêt exigera qu'ils ne se laissent pas abuser par les capitalistes. Les formes et les moyens de ce contrôle détaillé ont été élaborés et simplifiés par le capitalisme lui-même, par ces institutions du capitalisme que sont les banques, les grandes usines, les cartels, les chemins de fer, les postes, les coopératives de consommation et les syndicats. Il suffira aux Soviets de punir de la confiscation de tous leurs biens ou d'un emprisonnement de courte durée les capitalistes qui se refuseront à rendre les comptes les plus détaillés ou qui tromperont le peuple, pour briser sans effusion de sang toute résistance de la bourgeoisie. Car c'est précisément au moyen des banques, une fois qu'elles seront nationalisées, an moyen des associations d'employés, des postes, des coopératives de consommation, des syndicats, que le contrôle détaillé deviendra universel, tout-puissant, omniprésent, invincible.

Et les Soviets russes, alliance des ouvriers et des paysans pauvres de Russie, ne sont pas seuls dans leur marche vers le socialisme. Si nous étions seuls, nous n'arriverions pas pacifiquement à bout de cette tâche, car c'est, à proprement parler, une tâche internationale. Mais nous avons une immense réserve, les armées des ouvriers plus avancés des autres pays où la rupture de la Russie avec l'impérialisme et la guerre impérialiste accélérera fatalement la révolution ouvrière, socialiste qui mûrit chez eux.

star star star

On parle des «flots de sang» de la guerre civile. La résolution des cadets-korniloviens citée plus haut en parle. Cette phrase, tous les bourgeois et tous les opportunistes la répètent sur tous les tons. Après l'affaire de Kornilov, elle fait rire, fera rire, ne peut pas ne pas faire rire tous les ouvriers conscients.

Mais cette question des «flots de sang» dans la période de guerre que nous traversons, on peut et on doit la poser sur le terrain du calcul approximatif des forces, en tenant compte des conséquences et des résultats ; il faut la traiter sérieusement et non pas comme une phrase courante vide de sens, non pas comme une simple hypocrisie des cadets qui ont tout fait pour que Kornilov réussisse à inonder la Russie de «flots de sang », en vue de restaurer la dictature de la bourgeoisie, la puissance des propriétaires fonciers et la monarchie.

Des «flots de sang», nous dit-on. Analysons aussi cet aspect de la question.

Admettons que les hésitations des menchéviks et des socialistes-révolutionnaires se prolongent, qu'ils ne remettent pas le pouvoir aux Soviets, qu'ils ne renversent pas Kérenski, qu'ils rétablissent sous une forme à peine différente l'ancien compromis pourri avec la bourgeoisie (on remplacerait, par exemple, les cadets par des korniloviens «sans-parti »), qu'ils ne remplacent pas l'appareil actuel du pouvoir par l'appareil des Soviets, qu'ils ne proposent pas la paix, qu'ils ne rompent pas avec l'impérialisme, qu'ils ne confisquent pas les terres des propriétaires fonciers. Admettons cette issue aux hésitations actuelles des socialistes-révolutionnaires et des menchéviks, cette issue au «12 septembre ».

L'expérience de notre révolution nous montre clair comme le jour que la conséquence serait d'affaiblir encore davantage les socialistes-révolutionnaires et les menchéviks, d'élargir la rupture entre eux et les masses, de porter à son comble l'indignation et la colère des masses, et d'accroître considérablement leurs sympathies à l'égard du prolétariat révolutionnaire, à l'égard des bolchéviks.

Le prolétariat de la capitale sera alors encore plus près qu'aujourd'hui de la Commune, de l'insurrection ouvrière, de la conquête du pouvoir, de la guerre civile, sous sa forme la plus haute et la plus décisive : après l'expérience des 20 et 21 avril et des 3 et 4 juillet, il faut reconnaître que ce résultat est historiquement inévitable.

Des «flots de sang », crient les cadets. Mais ces flots de sang donneraient la victoire au prolétariat et à la paysannerie pauvre ; et il y a quatre-vingt-dix-neuf chances sur cent que cette victoire donnerait la paix au lieu de la guerre impérialiste, c'est-à-dire qu'elle épargnerait la vie de centaines de milliers de gens qui versent aujourd'hui leur sang pour le partage des profits et des conquêtes (annexions) entre les capitalistes. Si les 20 et 21 avril tout le pouvoir était passé définitivement aux Soviets, et qu'à l'intérieur des Soviets la victoire fût allée aux bolchéviks alliés à la paysannerie pauvre, alors, cela dût-il coûter des « flots de sang», on aurait sauvé la vie du demi-million de soldats russes tombés certainement dans les combats du 18 juin.

C'est ce calcul que font et que feront tous les ouvriers et tous les soldats russes conscients, s'ils pèsent et s'ils évaluent la question soulevée partout de la guerre civile ; et naturellement, ces ouvriers et ces soldats qui ont vécu beaucoup et beaucoup pensé, ne se laisseront pas effrayer par les clameurs que poussent sur ces «flots de sang» les hommes, les partis et les groupes qui sont prêts à sacrifier la vie de nouveaux millions de soldats russes pour Constantinople, pour Lvov, pour Varsovie, pour la « victoire sur l'Allemagne ».

Tous les «flots de sang» qui couleraient dans une guerre civile ne sauraient se comparer même de loin aux mers de sang que les impérialistes russes ont fait couler après le 19 juin (au mépris des chances extraordinairement élevées qu'ils avaient de les éviter en transmettant le pouvoir aux Soviets).

En temps de guerre, messieurs Milioukov, Potressov, Plékhanov, soyez un peu plus prudents dans votre argumentation contre les «flots de sang» de la guerre civile, car les soldats connaissent des mers de sang, ils les ont vues.

Aujourd'hui, en 1917, dans la quatrième année d'une guerre exceptionnellement dure, harassante pour les peuples et criminelle, la situation internationale de la révolution russe est telle qu'une proposition de paix juste, faite par le prolétariat russe vainqueur dans une guerre civile aurait quatre-vingt-dix-neuf chances sur cent d'aboutir à un armistice et à la paix, sans verser de nouvelles mers de sang.

En effet, l'union des impérialismes rivaux anglo-français et allemand contre la république prolétarienne socialiste de Russie est pratiquement, impossible ; quant à l'union des impérialismes anglais, japonais et américain contre nous, elle est extrêmement difficile à réaliser et nullement redoutable pour nous, en raison de la situation géographique de la Russie. Par ailleurs, l'existence de masses prolétariennes révolutionnaires et socialistes au sein de tous les Etats européens est un fait, la révolution socialiste universelle mûrit inéluctablement ; cela est hors de doute et ce qui peut aider sérieusement cette révolution, ce ne sont pas naturellement les délégations et la conférence de Stockholm jouant la comédie avec des Plékhanov ou des Tsérétéli étrangers, mais seule la marche en avant de la révolution russe.

Les bourgeois s'écrient que la défaite de la Commune en Russie est inévitable, ils entendent la défaite du prolétariat, s'il s'emparait du pouvoir.

Ce sont des clameurs mensongères, dictées par l'intérêt de classe.

Une fois qu'il aura conquis le pouvoir, le prolétariat russe a toutes les chances de le garder et de conduire la Russie au triomphe de la révolution en Occident.

Car, en premier lieu, nous avons beaucoup appris depuis la Commune et nous ne répéterions pas ses erreurs fatales, nous ne laisserions pas la banque aux mains de la bourgeoisie, nous ne nous bornerions pas à nous défendre contre nos Versaillais (des korniloviens), mais nous passerions et nous les écraserions.

En second lieu, le prolétariat victorieux donnera la paix à la Russie. Et aucune force ne renversera le gouvernement, de la paix, le gouvernement d'une paix honnête, sincère, juste, après toutes les horreurs d'un massacre des peuples qui dure depuis plus de trois ans.

En troisième lieu, le prolétariat victorieux donnera immédiatement et sans rachat, la terre aux paysans. Et, l'immense majorité de la paysannerie, épuisée et exaspérée par les «manœuvres» que pratique « à l'égard des propriétaires fonciers » notre gouvernement, en particulier le gouvernement «de coalition», le gouvernement Kerenski, soutiendra pleinement le prolétariat victorieux, par tous les moyens, avec abnégation.

Vous parlez sans cesse des «efforts héroïques» du peuple, Messieurs les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires. Je viens de rencontrer une fois de plus, ces jours-ci, cette phrase dans l'éditorial de vos Izvestia du Comité exécutif central [14]. Pour vous ce n'est qu'une phrase. Mais les ouvriers et les paysans qui la lisent y réfléchissent, et chacune de leurs réflexions, fortifiée par «l'expérience» de l'affaire Kornilov, par «l'expérience» du ministère Péchékhonov, par les «expériences» du ministère Tchernov et ainsi de suite, chacune de leurs réflexions les amène immanquablement à cette conclusion : cet «effort héroïque» n'est rien d'autre que la confiance des paysans pauvres à l'égard des ouvriers des villes qu'ils considèrent comme leurs alliés et leurs guides les plus sûrs. Cet effort héroïque n'est rien d'autre que la victoire du prolétariat russe sur la bourgeoisie dans la guerre civile, car seule cette victoire nous sauvera des hésitations torturantes, seule elle apportera une issue, seule elle donnera la terre, elle donnera la paix.

Si on peut réaliser l'alliance des ouvriers des villes avec la paysannerie pauvre en remettant immédiatement le pouvoir aux Soviets, tant mieux. Les bolcheviks feront tout pour assurer cette voie pacifique au développement de la révolution. Sinon, l'Assemblée constituante elle-même, à elle seule, n'apportera pas le salut, car dans son sein les socialistes-révolutionnaires peuvent poursuivre leur «jeu» d'entente avec les cadets, avec Brechko-Brechkovskaïa et Kérenski (en quoi valent-ils mieux que les cadets ?), etc., etc.

Si même l'expérience de l'affaire Kornilov n'a pas instruit la «démocratie», si elle poursuit sa politique funeste d'hésitations et de conciliation, alors nous dirons : rien n'est aussi fatal à la révolution prolétarienne que ces hésitations. N'agitez donc pas, messieurs, l'épouvantail de la guerre civile : elle est inévitable si vous ne voulez pas régler leur compte aux Kornilov et à la «coalition» immédiatement et définitivement, - alors cette guerre donnera la victoire sur les exploiteurs, elle donnera la terre aux paysans, la paix aux peuples, elle ouvrira la voie véritable à la révolution victorieuse du prolétariat socialiste du monde entier.


Notes

Les notes rajoutées par l’éditeur sont signalées par [N.E.]

[1]. La « Gazette de la Bourse », « Birjévyé Viédomosti » [Nouvelles boursières], journal bourgeois, fondé en 1880, à Pétersbourg ; parut d'abord trois fois par semaine, puis quatre, et enfin quotidiennement. Depuis 1902, parut deux fois par semaine. Son nom devint le synonyme de l'absence de principe et de la vénalité. Après la révolution de février, le journal excella a calomnier le Parti bolchévik et Lénine. A la fin d'octobre 1917, il fut interdit par le Comité militaire révolutionnaire auprès du Soviet du Pétrograd. [N.E.]

[2]. La «Retch» [La Parole], quotidien, organe central du parti des cadets, commença à paraître à Pétrograd le 23 février (8 mars) 1906. Après la révolution de février 1917 soutint activement la politique intérieure et étrangère du Gouvernement provisoire, mena une campagne de persécution contre Lénine et le Parti bolchévik. Le journal fut interdit le 26 octobre (8 novembre) 1917 par le Comité militaire révolutionnaire auprès du Soviet de Pétrograd. Parut ensuite jusqu'en août 1918, sous le titre de Nacha Retch, Svobodnaïa Retch, Vek, Novaïa Retch, Nach Vek. [N.E.]

[3]. Lénine fait allusion aux événements suivants. Le 20 avril (3 mai), les journaux publièrent la note adressée aux puissances alliées par le ministre des Affaires étrangères Milioukov et dans laquelle il confirmait que le Gouvernement provisoire respecterait tous les traités du gouvernement tsariste et poursuivrait la guerre jusqu'à la victoire finale. La politique impérialiste du Gouvernement provisoire provoqua une profonde indignation des masses travailleuses. Le 21 avril (4 mai), à l'appel du Parti bolchévik, les ouvriers de Pétrograd cessèrent le travail et manifestèrent pour la paix. Il y eut plus de 100000 manifestants, ouvriers et soldats. Des manifestations eurent lieu aussi à Moscou, dans l'Oural, en Ukraine, à Cronstadt. Des résolutions do protestation contre la note de Milioukov affluèrent des Soviets de nombreuses villes à l'adresse du Soviet de Pétrograd.

Les manifestations d'avril marquèrent le début d'une crise politique. Sous la poussée des masses, les ministres Milioukov et Goutchkov démissionnèrent. Le 5 (18) mai fut formé le premier gouvernement de coalition, dont faisaient partie, aux côtés de dix ministres capitalistes, les leaders des partis conciliateurs: les s.-r. Kérenski et Tchernov, les menchéviks Tsérétéli et Skobélev. Le gouvernement bourgeois fut sauvé par les socialistes-révolutionnaires et les menchéviks qui passèrent ouvertement aux côtés de la bourgeoisie. [N.E.]

[4]. La « Rabotchaïa Gazéta » [Le Journal des ouvriers], quotidien, organe des menchéviks, parut à Pétrograd du 7 (20) mars au 30 novembre (13 décembre) 1917. Depuis le 30 août {12 septembre), organe du C.C. menchévik. Le journal soutenait le gouvernement provisoire bourgeois, luttait contre le Parti bolchévik et son chef Lénine. Il accueillit avec hostilité la Révolution d'Octobre et l'instauration du pouvoir des Soviets. [N.E.]

[5]. «Diélo Naroda» [La Cause du peuple], organe du parti socialiste-révolutionnaire.; parut quotidiennement à Pétrograd de mars 1917 à juillet 1918, en changeant plusieurs fois de titre. Prônait le jusqu'auboutisme et la conciliation. La publication de ce journal reprit en octobre 1913 à Samara (quatre numéros) et en mars 1919 à Moscou (10 numéros). Il fut interdit pour sou activité contre-révolutionnaire. [N.E.]

[6]. «Prolétarskoïé Diélo » [La Cause prolétarienne), quotidien, organe de la fraction bolchévique du Soviet des députés ouvriers et soldats de Cronstadt ; parut en 1917 à la place du journal bolchévik de Cronstadt Golos Pravdy [La Voix de la Vérité], interdit pendant les journées de juillet par le Gouvernement provisoire. [N.E.]

[7] Cf. Lénine, Œuvres, Paris Moscou, t. 25, pp. 227-238. (N.R.)

[8]. « Pravda » [La Vérité], quotidien bolchévik légal. Son premier numéro parut le 22 avril (5 mai) 1912 à Pétrograd.

C'est Lénine qui dirigeait l'orientation de la Pravda y envoyait des articles presque tous les jours, donnait des directives à la rédaction, veillait à lui conférer un esprit révolutionnaire de combat.

Une grande part du travail d'organisation du parti incombait à la rédaction de la Pravda. Le comité de rédaction organisait des rencontres avec les représentants des cellules locales, recueillait des renseignements sur le travail du Parti dans les fabriques et usines et transmettait les directives du Comité central et du comité de Pétersbourg.

La Pravda était constamment en butte aux persécutions policières. Le 8 (21) juillet 1914 le journal fut interdit.

L'édition de la Pravda reprit après la révolution de février. A partir du 5 (18) mars 1917, elle commença à paraître en qualité d'organe du Comité central et du Comité de Pétersbourg du P.O.S.D.R.

A son retour de l'étranger, Lénine entra à la rédaction, la Pravda lutta dès lors pour la réalisation du plan de Lénine de passage de la révolution démocratique bourgeoise à la révolution socialiste.

De juillet à octobre 1917, la Pravda en butte aux poursuites du Gouvernement provisoire changea plusieurs fois de nom et parut sous le titre de Listok Pravdy, [La Feuille de la Vérité], Prolétari [Le Prolétaire], Rabotcht [l'Ouvrier], Rabotcht Pout [la Voie Ouvrière].

Après la victoire de la Révolution d'Octobre, à partir du 27 octobre (9 novembre) 1917, le journal reprit son ancien nom de Pravda. [N.E.]

[9]. Le 9 (22) juin 1917, le 1er Congrès des Soviets de Russie interdit la manifestation qui avait été fixée par le Comité central bolchévik au 10 (23) juin 1917. La décision sur la manifestation fut prise le 8 (21) juin, à une séance du Comité central et du Comité de Pétrograd du P.O.S.D.(b)R., à laquelle assistaient les représentants des arrondissements de la ville, des formations militaires, des syndicats et des comités d'usine. Cette manifestation devait faire connaître au 1er Congrès des Soviets de Russie la volonté des ouvriers et des soldats de Pétrograd qui exigeaient la remise de la totalité du pouvoir aux Soviets. Les menchéviks et les s.-r. prirent position contre la manifestation qui se préparait, ils firent adopter par le Congrès une décision interdisant la manifestation.

Le Comité central du Parti bolchévik réuni en séance dans la nuit du 9 (22) au 10 (23) juin, ne voulant pas aller contre cette décision du Congrès des Soviets, décommanda, sur proposition de Lénine, la manifestation. Les membres du Comité de Pétersbourg et du Comité central, les militants du Parti se rendirent dans les fabriques, les usines et les casernes pour détourner les ouvriers et soldats de la manifestation. Le travail d'explication du Parti aboutit aux résultats escomptés : les ouvriers et les soldats admirent que le moment était inopportun pour manifester.

Cependant, les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires, en majorité au Congrès, reportèrent la manifestation au 18 juin (1er juillet) comptant en faire un témoignage de confiance au Gouvernement provisoire.

Le Comité central et le Comité de Pétersbourg du Parti, dirigés par Lénine, engagèrent une large campagne de préparation à la manifestation, afin qu'elle exprime l'opinion des masses. Le 17 (30) juin, à la veille de la manifestation, la Pravda publiait l'appel du Comité central, du Comité de Pétrograd et de l'Organisation militaire révolutionnaire près le C.C. du P.O.S.D.(b)R., du Conseil central des comités d'usine. L'appel invitait à passer en revue les forces de la révolution.

Le 18 (1er juillet) juin, environ 500000 ouvriers et soldats de Pétrograd participèrent à la manifestation. L'immense majorité d'entre eux défilèrent avec les mots d'ordre des bolchéviks. Seul un petit groupe portait les slogans des partis conciliateurs appelant à faire confiance au Gouvernement provisoire. La manifestation montra l'esprit révolutionnaire grandissant des masses, l'influence et l'autorité croissantes du Parti bolchévik. C'était pour ce dernier une grande victoire. Elle révéla que le Gouvernement provisoire n'avait plus de crédit auprès des masses et que ces dernières n'accordaient plus confiance à la politique de conciliation avec la bourgeoisie, pratiquée par les s.-r. et les menchéviks.[N.E.]

[10]. La Conférence de Moscou, convoquée par le Gouvernement provisoire pour mobiliser les forces de la bourgeoisie et des grands propriétaires fonciers, s'ouvrit le 12 (25) août 1917. La composition de la « Conférence d'Etat » de Moscou définissait son essence contre-révolutionnaire. La majorité de ses participants était constituée par les représentants des marchands et des industriels, des grands propriétaires fonciers et des banquiers, des membres de la Douma tsariste.

La délégation des Soviets était composée de menchéviks et de socialistes-révolutionnaires. Les généraux Kornilov, Alexéïev, Kalédine et autres proposèrent à la Conférence un programme d'écrasement de la révolution. Kérenski dans son discours menaça de briser le mouvement révolutionnaire et de réprimer par la force armée les tentatives faites par les paysans pour s'emparer des terres des grands propriétaires fonciers. Le Comité central du Parti bolchévik appela le prolétariat à protester contre la Conférence de Moscou. Le jour de l'ouverture de la Conférence, les bolchéviks organisèrent à Moscou une grève générale d'une journée à laquelle participèrent plus de 400000 ouvriers. Des meetings de protestation et des grèves eurent lieu dans d'autres villes. [N.E.]

[11]. « Edinstvo » [L'Unité], quotidien qui parut à Pétrograd de mars à novembre 1917, ainsi qu'en décembre 1917 et en janvier 1918 sous un autre nom. Son rédacteur en chef était Georges Plékhanov. Ce journal rassemblait l'extrême-droite des menchéviks jusqu'auboutistes et soutenait sans réserve le Gouvernement provisoire bourgeois. Il menait une lutte acharnée contre le Parti bolchévik. [N.E.]

[12]. Le «Dien » [Le Jour], quotidien d'orientation libérale-bourgeoise, fut publié à Pétersbourg à partir de 1912, avec la participation des menchéviks-liquidateurs, qui s'assurèrent le contrôle total de sa rédaction après février 1917. Interdit par le Comité militaire révolutionnaire auprès du Soviet de Pétrograd le 26 octobre (8 novembre) 1917. [N.E.]

[13]. Buchanan, George William (1854-1924), diplomate anglais. Ambassadeur en Russie (1910-1918), accorda son aide aux réactionnaires russes dans leur lutte contre-révolutionnaire. En août 1917 soutint la rébellion do Kornilov.

[14]. «Izvestia » du Soviet des députés ouvriers et soldats de Pétrograd, quotidien, parut à partir du 28 février (13 mars) 1917. [N.E.]

Après la formation, au 1er Congrès des Soviets de Russie, du Comité exécutif central des Soviets des députés ouvriers et soldats, le journal devint, l'organe du Comité exécutif central et parut à partir du 1er (14) août 1917 (n° 132) sous le titre d'Izvestia du Comité exécutif central et du Soviet des députés ouvriers et soldats de Pétrograd. A partir du 29 septembre (12 oc- tobre) (n° 184) il prend le titre d 'Izvestia du Comité exécutif central des Soviets des députés ouvriers et soldats. Pendant tout ce temps, le journal se trouva entre les mains des menchéviks et des socialistes-révolutionnaires et mena une lutte acharnée contre le Parti bolchévik.

Après le IIe Congrès des Soviets de Russie, les Izvestia devinrent l'organe officiel du pouvoir des Soviets, la composition de son comité de rédaction fut profondément modifiée. Il publia les premiers importants documents du pouvoir soviétique, des articles et discours de Lénine. En décembre 1922, après la formation de l'U.R.S.S., les Izvestia devinrent l'organe du Comité exécutif central de l'U.R.S.S. et du Comité exécutif central de Russie. Par une décision du Soviet suprême de l'U.R.S.S. en date du 24 janvier 1938, les Izvestia du Comité exécutif central de l'U.R.S.S. et du Comité exécutif central de Russie furent réorganisés et à partir du 26 janvier 1938 ont commencé à paraître sous le titre d'Izvestia des Soviets des députés des travailleurs. [N.E.


Archive Lénine
Sommaire Haut de la page
Archive Internet des Marxistes