1917

«Izvestia du Comité exécutif central» n° 218, 7 novembre 1917

Conforme au texte des «Izvestia du Comité exécutif central» ; la résolution à propos de la déclaration d'un groupe de Commissaires du peuple est conforme au texte paru dans le recueil «Procès-verbaux des séances du C.E.C. de Russie des Soviets des députés ouvriers, paysans et cosaques (2e législature)» Ed. du C.E.C., 1918

Œuvres t. 26, pp. 296-305, Paris-Moscou,


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Lénine

Séance du comité exécutif central de Russie en date du 4 (17) novembre 1917


un

Discours sur la question de la presse

Le camarade Karétine a cherché à nous persuader que la voie sur laquelle il se trouve mène au socialisme, mais aller de cette façon au socialisme, c'est marcher à reculons. Trotski avait raison : c'est au nom de la liberté de la presse que fut organisée l'insurrection des élèves-officiers et fut déclarée la guerre à Pétrograd et à Moscou. Cette fois-ci les socialistes-révolutionnaires sont intervenus, mais pas en tant que socialistes et révolutionnaires. Cette semaine, tous les télégraphes étaient entre les mains de Kérenski. Le Vikjel était de leur coté. Mais ils n'avaient pas de troupes. Il se trouva que l'armée était pour nous. Une infime minorité a déclenché la guerre civile. Celle-ci n'est pas terminée. Les hommes de Kalédine marchent sur Moscou ; et sur Pétrograd, la troupe de choc. Nous ne voulons pas de la guerre civile. Nos troupes ont fait preuve d'une grande patience. Elles ont attendu sans tirer et au début, trois des nôtres ont été tués par la troupe de choc. A l'égard de Krasnov, on n'a pris que des mesures bénignes. Il n'a été soumis qu'aux arrêts à domicile. Nous sommes contre la guerre civile. Néanmoins, si elle se prolonge, que devons-nous faire ? Trotski avait raison quand il demandait au nom de qui vous parlez. Nous avons demandé à Krasnov s'il se portait garant que Kalédine ne poursuivrait pas la guerre. Il a évidemment répondu qu'il ne le pouvait pas. Comment pourrions-nous mettre fin à des poursuites contre un ennemi qui n'a pas mis fin à ses agissements hostiles ?

Quand on nous proposera des conditions de paix, nous entrerons en pourparlers. Mais, pour l'instant, la paix est proposée par ceux dont elle ne dépend pas. Ce ne sont que belles paroles. Car la Retch est l'organe des amis de Kalédine. Nous admettons pleinement la sincérité des socialistes-révolutionnaires, mais derrière eux se trouvent néanmoins Kalédine et Milioukov.

Soldats et ouvriers, plus vous serez fermes, plus nous obtiendrons. Au contraire, on nous dira : «Ils ne sont pas encore forts, s'ils relâchent Milioukov.» Nous avons déjà déclaré que nous interdirions les journaux bourgeois, si nous prenions le pouvoir en main. Tolérer l'existence de ces journaux, c'est renâcler au socialisme. Celui qui dit : « Autorisez les journaux de la bourgeoisie », ne comprend pas que nous marchons à vive allure vers le socialisme. N'avait-on pas interdit les journaux tsaristes après le renversement du tsarisme ? Maintenant, nous avons secoué le joug de la bourgeoisie. Ce n'est pas nous qui avons inventé la révolution sociale, - ce sont les membres du congrès des Soviets qui l'ont proclamée, - personne n'a protesté, tous ont accepté le décret dans lequel elle fut proclamée. La bourgeoisie a proclamé la liberté, l'égalité et la fraternité. Les ouvriers disent : « Ce n'est pas ce qu'il nous faut. » On nous dit : « Nous reculons. » Non, camarades, les socialistes-révolutionnaires sont revenus à Kérenski. On nous dit que dans notre résolution il y a du nouveau. Naturellement, nous apportons du nouveau parce que nous marchons vers le socialisme. Quand les socialistes-révolutionnaires sont intervenus à la première et à la seconde Douma, on les a aussi raillés parce qu'ils parlaient un langage nouveau.

Les publications privées doivent être reconnues comme monopole. Les membres du syndicat des typographes considèrent les choses du point de vue de leur pain. Nous le leur donnerons, mais sous une autre forme. Nous ne pouvons pas donner à la bourgeoisie la possibilité de nous calomnier. Il faut tout de suite désigner une commission d'enquête sur la dépendance des journaux bourgeois à l'égard des banques. De quelle liberté ces journaux ont-ils besoin ? N'est-ce pas de la liberté d'acheter une grande quantité de papier et d'employer une grande quantité de barbouilleurs de papier ? Nous devons nous dégager de cette liberté de la presse qui est dans la dépendance du capital. Cette question a une importance de principe. Si nous marchons à la révolution sociale, nous ne pouvons ajouter aux bombes de Kalédine les bombes du mensonge.

Il y a naturellement des défauts dans notre projet de loi. Mais les Soviets l'appliqueront partout, selon les conditions locales. Nous ne sommes pas des bureaucrates et nous ne voulons pas l'appliquer à la lettre partout, comme c'était le cas dans les anciennes chancelleries. Je me rappelle que les socialistes-révolutionnaires disaient : comme on sait infiniment peu de chose à la campagne. On y puise tout dans le Rousskoïé Slovo. Et nous voici coupables d'avoir laissé les journaux dans les mains de la bourgeoisie. Il faut aller de l'avant, vers une société nouvelle, et traiter les journaux bourgeois comme nous avons traité les journaux des Cent-Noirs en février et en mars.

 

deux

Réponse à l'interpellation des socialistes-révolutionnaires de gauche

Lénine intervient pour répondre à l'interpellation présentée par les socialistes-révolutionnaires de gauche [1]. Il rappelle qu'aux premiers jours de la révolution, les bolchéviks ont proposé aux représentants des socialistes-révolutionnaires de gauche d'entrer dans le nouveau gouvernement, mais que la collaboration avec les bolchéviks fut repoussée par leur propre fraction, car les socialistes-révolutionnaires de gauche ne veulent pas, en ces journées difficiles et critiques, partager la responsabilité avec leurs voisins de gauche.

Le pouvoir nouveau ne pouvait pas dans son activité tenir compte de toutes les barrières qui pouvaient se dresser sur sa route si l'on observait strictement toutes les formes. L'heure était trop sérieuse pour qu'on pût tolérer du retard. On ne pouvait pas perdre de temps à aplanir toutes les aspérités, ce qui, en n'ajoutant qu'une retouche extérieure, n'aurait rien changé au fond dans les nouvelles mesures. D'ailleurs, le deuxième Congrès des Soviets de Russie lui-même, écartant toutes les difficultés de forme, adopta au cours d'une grande séance deux lois d'importance capitale. Que ces lois, du point de vue de la société bourgeoise, comportent des vices de forme, soit ! Mais ne l'oublions pas, le pouvoir est aux mains des Soviets qui peuvent apporter les corrections nécessaires. L'inaction criminelle du gouvernement Kérenski a amené le pays et la révolution tout près de leur perte ; la temporisation c'est la mort ; et, en promulguant des lois qui vont au-devant de l'attente et des espoirs des larges masses populaires, le nouveau pouvoir pose des jalons sur la voie où se développent de nouvelles formes de vie. Les Soviets locaux peuvent, selon les conditions de lieu et de temps, modifier, élargir et compléter les principes de base établis par le gouvernement. L'initiative créatrice des masses, tel est le facteur fondamental de la nouvelle société. Que les ouvriers se mettent à établir le contrôle ouvrier dans leurs usines et dans leurs fabriques, qu'ils fournissent à la campagne les produits fabriqués, qu'ils les échangent contre du blé. Il ne doit pas se trouver un seul produit, pas une seule livre de pain qui échappe au contrôle, car le socialisme, c'est avant tout le contrôle. Le socialisme n'est pas le résultat de décrets venus d'en haut. L'automatisme administratif et bureaucratique est étranger à son esprit ; le socialisme vivant, créateur, est l'œuvre des masses populaires elles-mêmes.

 

trois

Intervention à propos de l'interpellation des socialistes-révolutionnaires de gauche

I

Lénine insiste sur les accusations précises, portées contre le Conseil des Commissaires du peuple. Le Conseil des Commissaires du peuple n'a été informé des ordres de Mouraviev [2] que par les journaux, le commandant en chef ayant le droit de promulguer de sa propre autorité les dispositions qui ne souffrent pas de retard. Etant donné que ce décret ne renfermait rien qui soit contraire à l'esprit du nouveau pouvoir, mais que par sa rédaction il pouvait conduire à des malentendus regrettables, le Comité exécutif central l'a abrogé. Puis, vous critiquez le décret sur la terre. Mais ce décret va au-devant des revendications du peuple. Vous nous reprochez la schématisation. Mais, où sont vos projets, vos amendements, vos résolutions ? Où sont les fruits de votre activité législative ? Vous étiez libres de faire preuve d'initiative. Mais nous ne les voyons pas. Vous dites que nous sommes des extrémistes, mais vous, qui êtes-vous ? Des apologistes de l'obstruction parlementaire, de ce qu'on appelait naguère l'esprit de chicane. Si vous êtes mécontents, convoquez un nouveau congrès, agissez, mais ne parlez pas de désagrégation du pouvoir. Le pouvoir appartient à notre parti qui s'appuie sur la confiance des larges masses populaires. Que quelques-uns de nos camarades aient défendu un programme qui n'a rien de commun avec le bolchévisme, soit ! Mais les masses ouvrières de Moscou ne suivront pas Rykov ni Noguine. Le camarade Prochian a dit qu'en Finlande où les socialistes-révolutionnaires de gauche étaient en contact avec les masses, ils ont jugé indispensable la collaboration la plus étroite de toute l'aile gauche du socialisme révolutionnaire. Si les socialistes-révolutionnaires de gauche ne se joignent pas à nous ici, ils montrent par là une seule chose : qu'ici ils ont subi le même sort que leurs prédécesseurs, les jusqu'auboutistes. Ils se sont, coupés des masses.


II

Lénine et Trotski se référant à l'exemple des congrès du parti et à la nécessité de se soumettre à la discipline du parti, déclarent qu'ils participeront au vote.

 

quatre

Discours et résolution à propos de la déclaration d'un groupe de commissaires du peuple sur leur départ du conseil des commissaires du peuple

I

Le camarade Lénine, répondant aux orateurs qui ont pris la parole avant lui, signale que l'expression : « L'Occident se tait honteusement [3] » est inadmissible dans la bouche d'un internationaliste. Il faut être aveugle pour ne pas voir la fermentation qui s'est emparée des masses ouvrières en Allemagne et en Occident. Les dirigeants du prolétariat allemand, les intellectuels socialistes, là comme partout ailleurs, sont en majorité des jusqu'auboutistes. Mais les masses prolétariennes, contre la volonté de leurs dirigeants, sont prêtes à répondre à notre appel. La discipline féroce qui règne dans l'armée et dans la flotte allemande n'a pas empêché l'intervention des éléments d'opposition. Les matelots révolutionnaires de la flotte allemande, sachant d'avance que leurs tentatives étaient vouées à l'échec, marchèrent héroïquement à leur perte certaine, ne fût-ce que pour réveiller par leur mort, l'esprit de la révolte qui sommeille encore dans le peuple. Le groupe «Spartacus [4] » développe de plus en plus intensément sa propagande révolutionnaire. Le nom de Liebknecht, lutteur infatigable pour les idéals du prolétariat, devient chaque jour plus populaire en Allemagne.

Nous croyons à la révolution en Occident. Nous savons qu'elle est inévitable, mais il n'est naturellement pas possible de la créer sur commande. Aurions-nous pu en décembre de l'année dernière prévoir exactement l'approche des journées de février ? En septembre, savions-nous avec certitude qu'un mois plus tard la démocratie révolutionnaire en Russie accomplirait la plus glande révolution du monde ? Nous savions que l'ancien pouvoir se trouvait sur un volcan. A beaucoup d'indices, nous devinions ce grand travail souterrain qui s'accomplissait dans les profondeurs de la conscience populaire. Nous sentions que l'air était chargé d'électricité. Nous savions qu'elle éclaterait inévitablement en un orage purificateur. Mais prophétiser le jour et l'heure de cet orage, nous ne le pouvions pas. C'est le même tableau que nous voyons aujourd'hui en Allemagne. Là aussi grandit le mécontentement sourd des masses populaires, et il débordera inévitablement sous la forme d'un mouvement populaire. Nous ne pouvons décréter la révolution, mais nous pouvons la favoriser. Nous organiserons dans les tranchées la fraternisation, nous aiderons les peuples d'Occident à commencer une révolution socialiste invincible. Le camarade Zaks parlé ensuite de décréter le socialisme. Mais le pouvoir actuel n'appelle-t-il pas les masses elles-mêmes à créer de meilleures formes de vie ? L'échange des produits de l'industrie de transformation contre du blé, le contrôle rigoureux et l'inventaire de la production, voilà le début du socialisme. Oui, nous aurons une république du travail. Que celui qui ne veut pas travailler ne mange pas.

Continuons : en quoi se manifeste l'isolement de notre parti ? Dans le fait certains intellectuels se détachent de nous ? Mais nous trouvons de jour en jour un soutien de plus en plus grand dans la paysannerie. Celui-là seul vaincra et gardera le pouvoir qui croit au peuple, qui puise sa vigueur dans le génie créateur du peuple.

Ensuite le camarade Lénine propose au C.E.C. la résolution suivante :

En confiant au Conseil des Commissaires du peuple le soin de désigner pour la prochaine séance les candidatures des Commissaires du peuple pour l'Intérieur, le Commerce et l'Industrie, le Comité exécutif central propose au camarade Kolégaïev d'occuper le poste de Commissaire du peuple à l'Agriculture.


Notes

Les notes rajoutées par l’éditeur sont signalées par [N.E.]

[1]. L'interpellation du groupe des s.-r. de gauche fut présentée à Lénine, en tant que président du Conseil des Commissaires du peuple, à la séance du Conseil exécutif central, le 4 (17) novembre 1917, au sujet de la promulgation par le Conseil des Commissaires du peuple de plusieurs décrets non ratifiés par le Conseil exécutif central de Russie. Le groupe des s.-r. de gauche trouva insatisfaisantes les explications données par Lénine. Au nom de la fraction bolchévique M. Ouritski proposa une résolution exprimant une confiance entière au Conseil des Commissaires du peuple. Avant le vote de la résolution, les socialistes- révolutionnaires de gauche déclarèrent que les commissaires du peuple, étant mis en cause, ne devaient pas participer au vote. Le Conseil exécutif central adopta à la majorité une résolution approuvant l'activité du Conseil des Commissaires du peuple. [N.E.]

[2]. Il s'agit de l'ordre n° 1 du commandant en chef des troupes de la défense de Pétrograd Mouraviev, pris le 1er (14) novembre 1917, qui appelait les soldats, les marins et la Garde Rouge à châtier impitoyablement et sans délai, de leur propre chef, les éléments criminels. La rédaction insuffisamment précise de cet ordre pouvant entraîner de graves malentendus, le Comité exécutif central de Russie proposa, à sa séance du 2 (15) novembre
1917, au Commissariat du peuple à l'Intérieur d'en décider l'annulation. [N.E.]

[3]. Lénine a en vue l'intervention du s.-r. de gauche Zaks en faveur des opportunistes de droite Noguine, Rykov, Milioutine qui exigeaient la création d'un «gouvernement socialiste homogène». Dans son intervention, Zaks prétendait que la révolution socialiste de Russie pourrait rester isolée parce que «l'Europe occidentale se tait honteusement». [N.E.]

[4]. Le groupe «Spartacus» (Internationale), organisation révolutionnaire des social-démocrates de gauche allemands, formée au début de la première guerre mondiale par Karl Liebknecht, Rosa Luxembourg, Franz Mehring, Clara Zetkin, Julian Marchlewski, L. Jogisches (Tyszka).

Les Thèses sur les tâches de la social-démocratie internationale du groupe «Spartacus » avaient été rédigées par R. Luxembourg, avec participation de K. Liebknecht, F. Mehring et C. Zetkin. Elles furent adoptées en janvier 1916 à la Conférence nationale des social-démocrates de gauche d'Allemagne. A cette conférence, le groupe se constitua en organisation distincte et prit le nom de l'«Internationale».

A partir de 1916, le groupe « Internationale», outre les tracts politiques qu'il éditait en 1915, procéda à la publication et à la diffusion illégale des Lettres politiques signées «Spartacus» (parurent régulièrement jusqu'à octobre 1918) ; c'est à ce moment que le groupe prit aussi le nom de groupe « Spartacus ». Les spartakistes menaient une propagande révolutionnaire dans les masses, organisaient des manifestations de protestation contre la guerre, dirigeaient des grèves, dénonçaient le caractère impérialiste de la guerre et la trahison des chefs de la social-démocratie. Mais ils ne s'étaient pas affranchis de toute erreur en ce qui concerne d'importantes questions théoriques et politiques : ils niaient, en particulier, la possibilité des guerres de libération nationale à l'époque de l'impérialisme, n'étaient pas conséquents à l'égard du mot d'ordre de transformation de la guerre impérialiste en guerre civile, sous-estimaient le rôle du parti du prolétariat en tant qu'avant-garde de la classe ouvrière, craignaient la scission avec les opportunistes. Lénine critiqua à maintes reprises les erreurs des social-démocrates de gauche allemands, les aidant à choisir une voie juste (cf. «A propos de la brochure de Junius», « Le programme militaire de la révolution prolétarienne », Œuvres, Paris-Moscou, t. 22, 23).

En août 1917, les spartakistes adhérèrent au Parti centriste des social-démocrates indépendants d'Allemagne, tout en conservant leur autonomie d'organisation. En novembre 1918, alors que l'Allemagne était en proie à la révolution, les spartakistes rompirent avec les Indépendants et constituèrent la Ligue Spartacus, dont ils publièrent le 14 décembre 1918 le programme. Au Congrès constitutif des 30 décembre 1918-1er janvier 1919, les spartakistes fondèrent le Parti communiste d'Allemagne. [N.E.]


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