1918 |
Paru les 12, 13, 14 et 20 janvier 1918, dans les «Izvestia de Comité exécutif central» n°s 8, 9,
10 et 15, les 26 (13), 27 (14) janvier,
2 février (20 janvier) 1918 dans
la «Pravda» n°s 9, 10 et 15. |
Lénine Troisième congrès 10-18 (23-31) janvier 1918 |
Discours de conclusion après la discussion sur le rapport du Conseil des commissaires du peuple 12 (25) janvier
Je m'étonne, après avoir écouté les objections des orateurs de droite à mon rapport, qu'ils n'aient encore jusqu'à présent rien appris, et aussi qu'ils aient oublié tout ce qu'ils appellent à tort le «marxisme». L'un des orateurs qui m'ont répondu a déclaré que nous avions été partisans de la dictature de la démocratie, que nous avions reconnu le pouvoir de la démocratie. Cette affirmation est saugrenue, absurde et dénuée de fondement au point de n'être plus qu'un assemblage de mots sans suite. C'est comme si l'on disait : neige métallique ou quelque chose d'approchant. (Rires.) La démocratie est une forme de l'Etat bourgeois, défendue par tous les traîtres au vrai socialisme, lesquels sont maintenant à la tête du socialisme officiel et affirment que la démocratie est en contradiction avec la dictature du prolétariat. Tant que la révolution n'avait pas dépassé le cadre du régime bourgeois, nous étions pour la démocratie ; mais dès que nous avons vu apparaître dans le cours de la révolution les premières lueurs du socialisme, nous nous sommes rangés sur des positions consistant à défendre fermement, résolument, la dictature du prolétariat.
Et il est étrange que des gens qui ne peuvent ou ne veulent pas comprendre cette simple vérité sur la définition des mots «démocratie» et «dictature du prolétariat», osent prendre la parole devant une aussi nombreuse assemblée et lui débiter toutes ces vieilles sornettes qui parsèment les discours de MM. nos contradicteurs. La démocratie, c'est du parlementarisme formel et, en fait, ce sont des constantes et cruelles vexations, un joug intolérable, inhumain que la bourgeoisie fait peser sur le peuple travailleur. Ne peuvent objecter à cela que ceux qui, loin d'être les représentants véritables de la classe ouvrière, sont de pitoyables maniaques vivant dans du coton. Toujours éloignés de la vie réelle, ils sont restés endormis sur un oreiller sous lequel ils avaient soigneusement fourré un vieux livre fripé dont personne n'a que faire et qui leur sert de guide et de manuel dans leur effort pour implanter le socialisme officiel. Mais l'intelligence de dizaines de millions de créateurs fournit quelque chose d'infiniment plus élevé que les prévisions les plus vastes et les plus géniales. La scission du socialisme authentique, révolutionnaire, ne date pas d'aujourd'hui, mais du début de la guerre. Pas un pays, pas un Etat où cette scission significative ne se soit produite, où il n'y ait cette lézarde dans la doctrine socialiste. Félicitons-nous de cette scission !
Quand on nous accuse de combattre les «socialistes», nous pouvons seulement dire qu'à l'époque du parlementarisme, les partisans de ce régime n'ont plus rien de commun avec le socialisme ; car, pourris, vieillis, dépassés, ils se sont finalement rangés aux côtés de la bourgeoisie. Les «socialistes», qui, pendant la guerre provoquée par les convoitises impérialistes des forbans internationaux, ont invoqué à grands cris la «défense nationale», ne sont pas des socialistes ; ce sont des laquais, des parasites de la bourgeoisie.
Ceux qui parlent tant de la dictature de la démocratie ne font que jongler avec d'absurdes phrases creuses où il n'entre pas trace de science économique ni de compréhension politique.
Un de mes contradicteurs a dit ici que la Commune de Paris pouvait s'enorgueillir de ce qu'il n'y eut, pendant l'insurrection des ouvriers parisiens, aucun acte de violence ni d'arbitraire ; mais il ne fait aucun doute que la Commune, qui demeure immortelle dans l'histoire pour avoir été la première à réaliser concrètement l'idée de la dictature du prolétariat, est tombée uniquement parce qu'elle ne recourut pas suffisamment, le moment venu, à la force armée.
Traitant brièvement de la lutte contre les représentants de la bourgeoisie, des grands propriétaires fonciers et des capitalistes, l'orateur, vivement applaudi, déclare catégoriquement : - Quoi qu'on en dise, la volonté du peuple révolutionnaire obligera finalement la bourgeoisie à capituler ou à périr.
Traçant un parallèle entre l'anarchisme et le bolchévisme, le camarade Lénine déclare que maintenant, à l'époque de la démolition radicale de l'ordre bourgeois, les idées anarchistes prennent enfin des contours vivants. Mais pour renverser le joug du régime bourgeois, il faut un ferme pouvoir révolutionnaire des classes laborieuses : le pouvoir de l'Etat révolutionnaire. C'est ce qui fait le fond du communisme. Maintenant que la masse elle-même prend les armes et engage une lutte impitoyable contre les exploiteurs, maintenant que s'exerce un nouveau pouvoir populaire n'ayant rien de commun avec le pouvoir parlementaire, nous avons affaire, non plus au vieil Etat dont les traditions et les formes ont fait leur temps, mais à quelque chose de neuf, qui se fonde sur la puissance créatrice des couches inférieures de la société. Et tandis que certains anarchistes, subissant encore l'emprise d'opinions dépassées, parlent avec appréhension des Soviets, un courant nouveau, tout frais, de l'anarchisme se range nettement du côté des Soviets, qu'il voit pleins de vitalité et capables de s'assurer la sympathie des masses et de stimuler leur effort créateur.
Votre péché et votre aveuglement, dit l'orateur tourné vers ses «contradicteurs», c'est de n'avoir pas su vous mettre à l'école de la révolution. Dès le 4 avril je disais dans cette même salle que les Soviets constituaient la forme supérieure de la démocratie [1]. Ou les Soviets périront et la révolution sera perdue sans rémission, ou les Soviets vivront, et alors il est ridicule de parler d'une révolution démocratique bourgeoise à l'heure où se préparent l'épanouissement complet de la société socialiste et la faillite du capitalisme. Les bolchéviks parlaient de révolution démocratique bourgeoise en 1905, mais maintenant que les Soviets ont accédé au pouvoir, maintenant que les ouvriers, les soldats et les paysans se sont dit, en pleine guerre, dans une situation qu'on ne peut comparer à nulle autre, tant elle comporte de privations et d'horreurs, au milieu des ruines, devant le spectre d'une famine mortelle : «Prenons tout le pouvoir et mettons-nous à bâtir de nos propres mains la vie nouvelle », à ce moment, dis-je, il ne peut absolument pas être question d'une révolution démocratique bourgeoise. Cela, les bolchéviks l'ont dit en maintes résolutions et décisions dans leurs congrès, leurs réunions et leurs conférences, dès le mois d 'avril de l'an dernier.
Quant à ceux qui prétendent que nous n'avons encore rien fait, que nous sommes tout ce temps restés inactifs, que la souveraineté du pouvoir des Soviets n'a porté aucun fruit, nous ne pouvons que répondre : Jetez donc un coup d'œil dans les profondeurs du peuple travailleur, au cœur des masses. Vous verrez quel travail d'organisation s'y accomplit, quel élan créateur ; vous y verrez jaillir la source d'une vie rénovée et sanctifiée par la révolution. Les paysans prennent la terre dans les campagnes, les ouvriers s'emparent des usines et des fabriques, partout se forment les organisations les plus diverses.
Le pouvoir des Soviets veut mettre un terme à la guerre, et nous sommes convaincus qu'il y arrivera plus tôt que ne le promettaient les représentants du gouvernement Kérenski. Car la fin de la guerre est maintenant fonction du facteur révolutionnaire qui a déchiré les traités et annulé les emprunts. La guerre s'achèvera en relation avec le mouvement révolutionnaire international.
L'orateur termine en parlant brièvement des saboteurs contre-révolutionnaires ; ce sont des éléments achetés par la bourgeoisie. Celle-ci jette d'abondantes aumônes aux fonctionnaires saboteurs qui, au nom du triomphe de la réaction, ont déclaré la guerre au pouvoir des Soviets. Le fait que le peuple abat sa lourde hache de paysan et d'ouvrier sur la bourgeoisie leur apparaît comme un vrai cataclysme annonçant la fin de toutes choses. Si nous avons commis des fautes, c'est pour avoir été trop humains, trop généreux envers les représentants du régime impérialiste bourgeois, dont la duplicité à notre égard a été monstrueuse.
Tout dernièrement, des publicistes de la Novaïa Jizn sont venus me déclarer, au non des employés de banque, qui, désireux de mettre fin au sabotage et reprendre leurs fonctions, entendent se soumettre entièrement au pouvoir des Soviets. «Mieux vaut tard que jamais», leur ai-je répondu [2]. Mais, soit dit entre nous, s'ils s'imaginent qu'en acceptant de négocier avec eux, nous céderons un pouce de nos positions révolutionnaires, ils se trompent lourdement.
Le monde n'a rien vu de semblable à ce qui se passe maintenant en Russie, dans cet immense pays découpé en plusieurs Etats distincts, formé d'une foule de nationalités et de peuples différents : un immense travail d'organisation dans tous les districts et toutes les régions ; l'organisation des couches inférieures de la société, l'activité spontanée des masses, leur œuvre créatrice, qui se heurtent à l'opposition des divers représentants bourgeois de l'impérialisme. Ces ouvriers et ces paysans ont abordé une tâche d'une ampleur titanesque. En collaboration avec les Soviets, ils détruiront à fond l'exploitation capitaliste et, au bout du compte, le joug de la bourgeoisie sera à jamais renversé.
Notes
Les notes rajoutées par l’éditeur sont signalées par [N.E.]
[1]. Cf. Les tâches du prolétariat dans la présente révolution. Lénine, Œuvres, Paris-Moscou, t, 24, pp. 9-16. (N.R.)
[2]. Voir Congrès extraordinaire des cheminots de Russie, 2éme partie, Lénine, Œuvres, Paris-Moscou, t, 26, p. 526. (N.R.)