1918 |
Paru pour la première fois
en 1922 dans les Œuvres de N. Lénine (V. Oulianov), t. XV |
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Lénine Discours au comité central du P.O.S.D.(b)R. 18 février 1918, séance du soir [1] |
Procès-verbal
1
Le camarade Lénine. La question est capitale. La proposition d'Ouritski est étonnante. Le Comité central a voté contre la guerre révolutionnaire ; or, nous n'avons ni guerre ni paix et nous nous laissons entraîner dans une guerre révolutionnaire. On ne peut pas jouer avec la guerre. Nous perdons des wagons, et la situation de nos transports s'aggrave. On ne peut plus attendre, la situation est tout à fait nette. Le peuple ne comprendra pas ce qui se passe : si c'est la guerre, il ne fallait pas démobiliser ; maintenant les Allemands vont tout prendre. Le jeu nous a menés dans une impasse telle que la faillite de la révolution est inévitable si nous continuons à pratiquer une politique de juste milieu. Ioffé a écrit de Brest-Litovsk qu'on ne voit pas en Allemagne le moindre commencement de révolution : dans ce cas, les Allemands peuvent tirer avantage de leur progression. Il n'est plus possible d'attendre. Attendre, c'est livrer la révolution russe aux démolisseurs. Si les Allemands disaient qu'ils exigent le renversement du pouvoir bolchévik, il faudrait naturellement se battre ; aucun atermoiement n'est plus possible. Il ne s'agit plus du passé mais du présent. Interroger les Allemands, ce serait confectionner un chiffon de papier. Ce n'est pas de la politique. La seule chose à faire, c'est de proposer aux Allemands la reprise des négociations. Une solution moyenne est désormais impossible. Si l'on se décide pour la guerre révolutionnaire, il faut la proclamer et mettre fin à la démobilisation, mais on ne peut pas continuer ainsi. Pendant que nous rédigeons des petits papiers, ils s'emparent des dépôts, des wagons, et nous sommes près de crever. La menace qui pèse sur nous aujourd'hui, c'est que, jouant avec la guerre, nous livrons la révolution aux Allemands.
L'histoire dira que vous avez livré la révolution. Nous pouvions signer une paix qui n'eût aucunement menacé la révolution. Nous n'avons rien, nous n'aurons même pas le temps de procéder à des destructions au cours de notre retraite. Nous avons fait ce que nous avons pu, nous avons aidé la révolution en Finlande, nous ne le pouvons plus maintenant. Ce n'est plus le moment d'échanger des notes, il faut sortir de l'expectative. Il est trop tard pour «tâter le terrain», car il est évident maintenant que l'Allemand peut prendre l'offensive. Il est impossible d'argumenter contre les partisans de la guerre révolutionnaire, mais on peut et on doit argumenter contre les partisans de l'expectative. Il faut proposer la paix aux Allemands.
2
Le camarade Lénine. Boukharine n'a pas remarqué qu'il s'est placé sur les positions de la guerre révolutionnaire. Le paysan ne veut pas la guerre et n'ira pas se battre. Peut-on lui dire maintenant d'aller faire la guerre révolutionnaire ? Mais si on le voulait, il ne fallait pas démobiliser l'armée. La guerre paysanne permanente est une utopie. La guerre révolutionnaire ne doit pas être une phrase. Si nous ne sommes pas prêts, nous devons signer la paix. Du moment que nous avons démobilisé l'armée, il est ridicule de parler de guerre permanente. La comparaison avec la guerre civile est hors de propos. Le moujik ne fera pas la guerre révolutionnaire, et il renversera quiconque en parlera ouvertement. La révolution n'a pas encore commencé en Allemagne et nous savons que, chez nous aussi, la révolution n'a pas triomphé d'un seul coup. On a dit ici qu'ils prendront la Lettonie et l'Estonie, mais nous pouvons les céder au nom de la révolution. S'ils exigent le retrait des troupes de Finlande, d'accord, qu'ils prennent la Finlande révolutionnaire. La révolution ne sera pas perdue parce que nous aurons abandonné la Finlande, la Lettonie et l'Estonie. Les perspectives que Ioffé évoquait hier pour nous effrayer, n'impliquent nullement la perte de la révolution.
Je propose de déclarer que nous signons la paix proposée hier par les Allemands ; et s'ils exigent en outre que nous renoncions à intervenir dans les affaires de l'Ukraine, de la Finlande, de la Lettonie et de l'Estonie, il faudra y consentir aussi, indiscutablement. Nos soldats ne valent rien ; les Allemands veulent du blé, ils le prendront et ils battront en retraite après avoir rendu impossible l'existence du pouvoir des Soviets. Dire que la démobilisation cesse, c'est se condamner à être balayé.
Notes
Les notes rajoutées par l’éditeur sont signalées par [N.E.]
[1]. La séance du soir du C.C., le 18 février 1918, se déroula dans une atmosphère très tendue. Elle avait été convoquée en raison du fait que les Allemands avaient repris l'offensive sur tout le front et occupé Dvinsk. Les « communistes de gauche » se prononcèrent de nouveau contre la position de Lénine. Trotski proposa de demander à Berlin et à Vienne, sans annoncer la volonté de signer la paix, de préciser leurs exigences. Sverdlov, Staline, Zinoviev se prononcèrent pour l'envoi au gouvernement allemand d'un télégramme où l'on se déclarerait prêt à reprendre les pourparlers. A cette séance, à l'issue d'une âpre lutte, Lénine réussit à obtenir pour la première fois la majorité pour la signature de la paix. Sa proposition de faire immédiatement savoir au gouvernement allemand que le gouvernement soviétique était prêt à conclure la paix fut acceptée par sept voix contre six. [N.E.]