1918 |
Du caractère de nos journaux |
Du caractère de nos journaux
On y fait une place trop large à la propagande politique sur de vieux thèmes, au tapage politique. On y fait une place minime à l'édification de la vie nouvelle, aux faits qui se multiplient sans cesse sur ce terrain.
Pourquoi ne pas traiter en 10 ou 20 lignes, au lieu de 200 ou 400, des choses simples, connues de tous, claires, déjà assimilées dans une grande mesure par la masse, telles que: l'infâme trahison des menchéviks, valets de la bourgeoisie ; l’invasion anglo-japonaise entreprise en vue de la restauration des droits sacro-saints du capital ; les grincements de dents des milliardaires américains contre l'Allemagne, etc. etc. ? Il faut en parler, il faut noter chaque fait nouveau dans ce domaine, mais sans écrire d'articles ni reprendre les mêmes raisonnements ; on doit flétrir en quelques lignes, en style télégraphique, les manifestations nouvelles d’une vieille politique, déjà connue, déjà jugée.
La presse bourgeoise « du bon vieux temps de la bourgeoisie » ne touchait pas au « saint des saints », à la situation intérieure des fabriques et entreprises privées. Cette coutume répondait aux intérêts de la bourgeoisie. Nous devons nous en défaire radicalement. Ce n'est pas encore chose faite. Le caractère de nos journaux ne change pas encore autant qu'il le devrait dans une société qui passe du capitalisme au socialisme.
Un peu moins de politique. La politique est pleinement élucidée et se réduit à la lutte de deux camps : celui du prolétariat insurgé et celui d'une poignée de capitalistes-esclavagistes (suivis de leur meute, y compris les menchéviks, etc.). De cette politique on peut, je le répète, et on doit parler très brièvement.
Un peu plus d'économie. Mais pas dans le sens de considérations « générales », d'études savantes, de plans d'intellectuels et autres fariboles qui, malheureusement, ne sont souvent autre chose que des fariboles. Non, l'économie nous est nécessaire, en ce sens qu'il nous faut rassembler, vérifie soigneusement et analyser les faits relatifs à l'édification véritable de la vie nouvelle. Les grandes fabriques, les communes agricoles, les comités de paysans pauvres, les conseils d'économie locaux connaissent-ils vraiment des succès dans l'organisation d'un régime économique nouveau ? Quels sont précisément ces succès ? Ont-ils été confirmés ? Ne s'agit-il pas plutôt de racontars, de vantardises, de promesses de la gente intellectuelle (« cela commence à s'arranger », « le plan est arrêté », « on s'est mis à l'œuvre, « à présent nous en répondons », « l'amélioration est indéniable » et autres phrases charlatanesques dans l'art desquelles « nous » sommes passés maîtres) ? Comment les succès ont-ils été obtenus ? Comment les amplifier ?
Où est la liste noire des fabriques retardataires, demeurées, après la nationalisation, des modèles de désarroi, de désagrégation, de malpropreté, de banditisme, de parasitisme, où est-elle cette liste ? Elle n'existe pas. Mais ces fabriques, elles existent. Nous ne savons pas remplir notre devoir, puisque nous ne faisons pas la guerre à ces gardiens des « traditions du capitalisme ». Nous ne serons pas des communistes, mais des chiffonniers, aussi longtemps que nous tolérerons sans rien dire l'existence de ces fabriques. Nous ne savons pas nous servir des journaux pour soutenir la lutte de classe, comme le faisait la bourgeoisie. Rappelez-vous comme elle savait parfaitement traquer dans la presse ses ennemis classe, se moquer d'eux, les déshonorer, leur rendre la vie intenable. Et nous ? La lutte de classe, A l’époque de transition du capitalisme au socialisme, ne consiste-t-elle pas à défendre les intérêts de la classe ouvrière contre les poignées, les groupes, les couches d'ouvriers qui s’accrochent obstinément aux traditions, usages du capitalisme et continuent à considérer l'État soviétique comme ils considéraient l’État d'hier : lui fournir le moins de travail possible, de la qualité la plus basse, et lui arracher le plus d’argent. En est-il peu de ces gredins, par exemple, parmi les typographes des imprimeries soviétiques, les ouvriers de Sormovo et de Poutilov, etc. ? Combien en avons-nous attrapé, démasqué, cloué au pilori ?
La presse garde le silence là-dessus. Et si elle en parle, c'est en style administratif, bureaucratique, non pas comme une presse révolutionnaire, comme l'organe de la dictature d'une classe dont les actes prouvent que la résistance des capitalistes ct de ceux qui gardent les habitudes de parasitisme capitaliste sera brisée d'une main de fer.
Il en va de même pour la guerre. Harcelons-nous les chefs pusillanimes et les brouillons ? Avons-nous dénoncé à la face de la Russie les régiments qui ne sont bons à rien ? Avons-nous capturé un nombre suffisant d'éléments détestables qu’il aurait fallu chasser de l'armée à grand fracas, pour incapacité, incurie, retard, etc ? Nous ne faisons pas guerre sérieuse, impitoyable, vraiment révolutionnaire, aux porteurs véritables du mal, Nous faisons peu l'éducation des masses par des exemples vivants et concrets, pris dans tous les domaines de la vie ; or, c'est la tâche essentielle de la presse lors du passage du capitalisme au communisme. Nous prêtons peu d'attention à la vie quotidienne des fabriques, des campagnes, des régiments, là où s'édifie la vie nouvelle plus qu'ailleurs, où il faut accorder le plus d'attention, faire de la publicité, critiquer au grand jour, stigmatiser les défauts, appeler à suivre le bon exemple.
Moins de tapage politique, Moins de ratiocinations d'intellectuels. Se tenir plus près de la vie. Prêter plus d'attention à la façon dont la masse ouvrière et paysanne fait réellement œuvre novatrice dans son effort quotidien de façon à vérifier au plus près à quel point cette nouveauté est de caractère communiste.