1919 |
Un article consécutif à la fondation de l'Internationale Communiste; La nécessité de la délimitation politique avec le "centre" social-chauvin. |
Les tâches de la III° Internationale
Ramsay Macdonald et la III° Internationale
Ramsay Macdonald se débarrasse de la question de la dictature du prolétariat en deux mots, comme si elle était un sujet de discussion sur la liberté et la démocratie.
Non. Il est temps d'agir. Il est trop tard pour discuter.
Le plus dangereux, de la part de l'Internationale de Berne, c'est la reconnaissance verbale de la dictature du prolétariat. Ces gens sont capables de tout reconnaître, de tout signer, pourvu qu'ils restent à la tête du mouvement ouvrier. Kautsky dit maintenant qu'il n'est pas contre la dictature du prolétariat ! Les social‑chauvins et les « centristes » français signent une résolution en faveur de la dictature du prolétariat !
Ils ne méritent pas une once de confiance !
Ce n'est pas une reconnaissance verbale qu'il faut, niais une rupture complète, dans les faits, avec la politique réformiste, avec les préjugés de la liberté bourgeoise et de la démocratie bourgeoise, l'application dans les faits d'une politique de lutte de classe révolutionnaire.
On voudrait admettre verbalement la dictature du prolétariat pour faire passer à la fois, en catimini, « la volonté de la majorité », « le suffrage universel » (comme le fait justement Kautsky), le parlementarisme bourgeois, le refus de détruire, de faire sauter, de briser complètement et jusqu'au bout l'appareil d'Etat bourgeois. Ces nouveaux subterfuges, ces nouveaux faux‑fuyants du réformisme sont à craindre par‑dessus tout.
La dictature du prolétariat serait impossible si la majorité de la population n'était pas composée de prolétaires et de semi‑prolétaires. Cette vérité, Kautsky et Cie s'emploient à la falsifier, sous prétexte qu'il faudrait un « vote de la majorité » pour reconnaître comme « juste » la dictature du prolétariat.
Quels comiques pédants ! Ils n'ont pas compris que le vote dans le cadre du parlementarisme bourgeois, avec ses institutions et ses coutumes, fait partie de l'appareil de l'Etat bourgeois, qui doit être vaincu et brisé de haut en bas pour réaliser la dictature du prolétariat, pour passer de la démocratie bourgeoise à la démocratie prolétarienne.
Ils n'ont pas compris que, d'une façon générale, ce n'est pas par des votes mais par la guerre civile que se tranchent toutes les questions politiques sérieuses à l'heure où l'histoire a mis à l'ordre du jour la dictature du prolétariat.
Ils n'ont pas compris que la dictature du prolétariat est le pouvoir d'une classe, qui prend entre ses mains tout l'appareil de l'Etat nouveau, qui vainc la bourgeoisie et neutralise toute la petite bourgeoisie, la paysannerie, les philistins, les intellectuels.
Les Kautsky et les Macdonald reconnaissent en paroles la lutte des classes, pour l'oublier en fait au moment le plus décisif de l'histoire de la lutte pour la libération du prolétariat : au moment où, après avoir pris le pouvoir d'Etat et bénéficiant de l'appui du semi‑prolétariat, le prolétariat continue la lutte des classes avec l'aide de ce pouvoir et la conduit jusqu'à la suppression des classes.
Comme de véritables philistins, les chefs de l'Internationale de Berne répètent les phrases démocratiques bourgeoises sur la liberté, l'égalité et la démocratie, sans voir qu'ils ressassent les débris des idées sur le propriétaire des marchandises libre et égal, sans comprendre que le prolétariat a besoin de l'Etat non pour la « liberté », mais pour écraser son ennemi, l'exploiteur, le capitaliste.
La liberté et l'égalité du propriétaire de marchandises sont mortes, comme est mort le capitalisme. Ce ne sont pas les Kautsky et les Macdonald qui le ressusciteront.
Le prolétariat a besoin de l'abolition des classes : voilà le contenu réel de la démocratie prolétarienne, de la liberté prolétarienne (liberté par rapport au capitaliste, à l'échange des marchandises), de l'égalité prolétarienne (non pas égalité des classes, cette platitude où s'embourbent les Kautsky, les Vandervelde et les Macdonald, mais égalité des travailleurs, qui renversent le capital et le capitalisme).
Tant qu'il y a des classes, liberté et égalité des classes sont une duperie bourgeoise. Le prolétariat prend le pouvoir, devient la classe dominante, brise le parlementarisme bourgeois et la démocratie bourgeoise, écrase la bourgeoisie, écrase toutes les tentatives de toutes les autres classes pour revenir au capitalisme, donne la liberté et l'égalité véritables aux travailleurs (ce qui n'est réalisable qu'avec l'abolition de la propriété privée des moyens de production), leur donne non seulement des « droits », mais la jouissance reélle de ce qui a été ôté à la bourgeoisie.
Qui n'a pas compris ce contenu‑là de la dictature du prolétariat (ou, ce qui revient au même, du pouvoir des Soviets ou de la démocratie prolétarienne), emploie ces mots vainement.
Je ne puis développer ici plus en détail ces réflexions, que j'ai exposées dans l'Etat et la Révolution et dans la brochure La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky. Je peux terminer en dédiant ces notes aux délégués qui assisteront le 10 août 1919 au Congrès de Lucerne [7], de l'Internationale de Berne.
14 juillet 1919
Notes
[7] Lénine veut parler de la Conférence de la lie Internationale, qui se tint à Lucerne, en Suisse, du 2 au 9 août 1919. Lénine a caractérisé les interventions de certains délégués dans son article « Comment la bourgeoisie utilise les renégats », écrit en septembre 1919.