1920 | Publié intégralement en 1920 dans Le IXe Congrès du Parti communiste de Russie. Compte rendu sténographique. Le discours de clôture fut publié en entier pour la première fois en 1960 dans Le IXe Congrès du P.C.(b) de Russie. Mars-avril 1920. Procès verbaux. Œuvres t. 30, pp. 453-503 Paris-Moscou, |
Lénine IXe CONGRÈS DU P.C. (b)R. (29 MARS - 5 AVRIL 1920) |
DISCOURS SUR LES COOPÉRATlVES
LE 3 AVRIL
Ce n'est qu'hier soir et aujourd'hui que j'ai pu prendre connaissance partiellement des deux résolutions. J'estime que celle de la minorité de la commission est la plus juste. Le camarade Milioutine s'y est attaqué avec un vaste répertoire de termes impressionnants, y a découvert de l'hybridité ou plutôt de la semi-hybridité, l'a accusée d'opportunisme. Mais le diable n'est pas, me semble-t-il, aussi noir qu'on le fait. Examinés de près, les arguments de Milioutine, qui a tenté de poser la question de principe, révèlent justement le caractère erroné et impropre de la résolution que le camarade Milioutine défend justement du point de vue pratique, concret et marxiste. Voici pourquoi elle est erronée : Milioutine a indiqué qu'il s'agit dans sa résolution, qui est celle de la majorité de la commission, de fusionner avec le Comité exécutif de canton, de subordonner à ce Comité et c'est ce qui fait, selon lui, la justesse et la force de sa résolution par opposition avec le manque d'esprit révolutionnaire de celle de la minorité. Nous avons déjà vu, au cours de notre longue activité révolutionnaire, le succès couronner celles de nos actions révolutionnaires qui avaient été préparées ; par contre, celles qui n'étaient qu'imprégnées d'enthousiasme révolutionnaire se soldaient par un échec.
Que dit le texte de la minorité de la commission ? Il dit : emploie-toi à intensifier le travail communiste dans les associations de consommation et à y acquérir la majorité, prépare les organismes auxquels tu veux les confier et ensuite tu les leur confieras. Comparez à cette tendance celle de Milioutine. Il dit : les coopératives sont mauvaises, confiez-les donc aux Comités exécutifs de canton. Mais avez-vous une base communiste dans ces coopératives ? L'essentiel, la préparation, est éludé, on ne donne que le mot d'ordre final. Si ce travail communiste est préparé, si les organismes susceptibles de s'en charger et de le diriger sont créés, la transmission va de soi et point n'est besoin de la proclamer au congrès du parti. Mais quels gestes d'intimidation n'avez-vous pas multipliés à l'égard des paysans ! Quels gestes d'intimidation que ceux brandis par le Conseil Supérieur de l'Economie à l'égard des paysans et des coopératives dans la collecte du lin ! Si vous vous rappeliez l'expérience acquise dans notre travail local et celui du Conseil des Commissaires du Peuple, vous diriez que cette façon de traiter la question est erronée et que la résolution a raison qui dit qu'un travail d'éducation communiste et de préparation des collaborateurs s'impose, sans quoi la transmission est impossible.
La deuxième question essentielle est celle du lien avec les coopératives de consommation. Le camarade Milioutine fait ici preuve d'une inconséquence extraordinaire. Si les coopératives de consommation ne remplissent pas toutes leurs tâches, toutes celles, en un mot, dont il a été question durant deux années dans divers décrets visant les koulaks, souvenons-nous que les moyens du pouvoir dont nous disposons contre les koulaks nous sont aussi donnés contre les coopératives de consommation. Et nous en usons sans restriction. Le principal en ce moment, c'est d'augmenter la production, la quantité des produits. Si les coopératives de consommation n'y parviennent pas, elles auront à en répondre. Mais, si rattachées aux coopératives de production, elles obtiennent une augmentation, même minime, de leurs produits, il faudra leur savoir gré et développer leur initiative. Si les coopératives de consommation n'y parviennent pas, malgré une liaison locale, vivante et plus étroite avec la production, c'est qu'elles ne remplissent pas la tâche immédiate que leur assigne le pouvoir soviétique. Il suffit que nous ayons dans chaque district deux ou trois camarades énergiques disposés à combattre les koulaks et la bourgeoisie, pour que la partie soit gagnée. Où l'initiative du camarade Tchoutchine a-t-elle été refoulée? Il ne nous a pas cité un seul cas. Mais l'idée qu'il faut rattacher les coopératives de production aux coopératives de consommation et accorder toutes les concessions à seule fin d'augmenter prochainement la quantité des produits, nous est suggérée par nos deux années d'expérience. Elle ne gêne nullement les militants communistes et ceux des Soviets dans leur lutte contre le type koulak, bourgeois, de coopération. Loin de les gêner, elle leur offre une nouvelle arme. Si tu sais organiser quelque chose, nous te donnerons une prime, mais si tu ne remplis pas ta tâche, nous te frapperons non seulement parce que tu es un contre-révolutionnaire - la Tchéka est là pour cela, comme on l'a justement rappelé ici - mais aussi parce que tu ne remplis pas la tâche que t'assignent le pouvoir, le pouvoir soviétique et le prolétariat.
Le camarade Milioutine n'a pas fourni un seul argument pratique contre la fusion des coopératives de consommation ; il s'est contenté de dire que cela lui semblait de l'opportunisme ou de l'hybridité. Il est curieux de l'entendre dire au camarade Milioutine qui se préparait, avec le camarade Rykov, à faire de grands pas, et il s'est aperçu qu'il ne pouvait pas faire un dixième de pas. De ce côté, la liaison avec les coopératives de consommation est un avantage, elle offre la possibilité de se mettre tout de suite à la production. Tous les moyens sont donnés contre l'intervention dans le travail politique, mais la subordination en matière de production et d'économie dépend entièrement du Commissariat à l'Agriculture et du Conseil Supérieur de l'Economie. Tous ces moyens, vous les avez dans la mesure où vous pouvez contrôler les coopératives.
Nous arrivons maintenant à la troisième question : celle de l'étatisation, défendue par Milioutine au point qu'il était singulier de l'entendre. Une commission a été créée, le camarade Krestinski s'y est trouvé en minorité et le camarade Milioutine en est sorti vainqueur, mais le voici qui déclare maintenant : «Je veux bien ne pas discuter l'étatisation.» Pourquoi alors la commission a-t-elle délibéré? Si vous êtes de l'avis du camarade Tchoutchine, vous avez tort de rennoncer à étatisation. On a dit ici : les biens des capitalistes ont été nationalisés, pourquoi ne pourrait-on pas nationaliser ceux des koulaks ? Mais ce n'est pas sans raison que cet argument a fait rire. En effet, de quelque façon que l'on dénombre les paysans aisés qui ne peuvent se passer d'exploiter le travail d'autrui, ils ne sont tout de même pas moins d'un demi-million et, peut-être, même près d'un million ; comment pourrions-nous donc nationaliser leurs biens? C'est de la fantaisie. Nous n'en avons pas la force en ce moment.
Le camarade Tchoutchine a parfaitement raison de dire que de nombreux contre-révolutionnaires sont embusqués dans les coopératives, mais c'est là une autre chanson. On a parlé fort à propos de la Tchéka. Si votre myopie vous empêche de démasquer certains leaders des coopératives, mettez-y un communiste pour qu'il désigne la contre-révolution, et si c'est un bon communiste - car le bon communiste est aussi un bon tchékiste - placé dans une association de consommation, il devra nous amener au moins deux coopérateurs contre-révolutionnaires.
C'est pourquoi le camarade Tchoutchine a tort de préconiser l'étatisation immédiate. Ce serait une chose excellente, mais elle est impossible, parce que nous avons affaire à une classe à laquelle nous avons peu accès et qui ne se prête aucunement à la nationalisation. Nous n'avons d'ailleurs pas nationalisé toutes les entreprises industrielles. Avant qu'un ordre des directions générales et directions centrales ne parvienne sur place, il devient complètement impuissant ; il disparaît soit dans un océan de paperasses, soit l'absence de routes, de télégraphe, etc. Aussi, n'est-il pas possible de parler en ce moment de nationaliser les coopératives. Le camarade Milioutine a aussi tort sur le plan des principes ; il se sent faible et pense qu'on peut bel et bien retirer ce point. Mais alors, camarade Milioutine, vous démolissez votre résolution, vous certifiez que celle de la minorité est la bonne, car l'esprit de la vôtre - soumettre les coopératives aux Comités exécutifs de canton (l'article premier dit tout bonnement : « prendre des mesures ») - est l'esprit tchékiste introduit mal à propos dans une question économique. L'autre résolution dit qu'il faut augmenter en premier lieu le nombre des communistes, renforcer la propagande et l'agitation communistes, créer une base. Il n'y a là rien de grandiloquent, on ne nous promet pas tout de suite de pays où les montagnes sont en caramel et les rivières en limonade. Mais s'il y a sur place des communistes, ils savent ce qu'ils ont à faire et le camarade Tchoutchine n'aura pas à leur dire où il faut traîner les contre-révolutionnaires. Deuxièmement, il faut préparer un organisme. Prépare l'organisme voulu, mets-le à l'épreuve pratique et vérifie si la production augmente, voilà ce que dit la résolution de la minorité ! D'abord créer une base, et puis nous verrons. Ce qui est nécessaire se fera tout seul. Les décrets prescrivant de conduire les contre-révolutionnaires à la Tchéka et, à défaut de Tchéka, au Comité révolutionnaire sont promulgués en nombre suffisant. Un peu moins de ces gestes excessifs ! Il faut adopter la résolution de la minorité, elle nous indique la bonne direction.