1848-49 |
Marx et Engels journalistes au coeur de la révolution... Une publication effectuée en collaboration avec la bibliothèque de sciences sociales de l'Université de Québec. |
La Nouvelle Gazette Rhénane
Le ministère Camphausen [1]
Cologne, 3 juin
On sait que l'Assemblée nationale française de 1789 fut précédée d'une Assemblée de notables, d'une Assemblée composée par ordres, comme la Diète unifiée de Prusse. Dans le décret par lequel le ministre Necker convoquait l'Assemblée nationale, il se référait au désir, exprimé par les notables, de voir convoquer des États généraux. Le ministre Necker avait ainsi une avance considérable sur le ministre Camphausen. Il n'avait pas besoin d'attendre la prise de la Bastille et la chute de la monarchie absolue pour rattacher dogmatiquement après-coup l'ancien au nouveau, pour sauver si péniblement les apparences. Comme si la France était parvenue par les moyens légaux de l'ancien régime à la nouvelle Assemblée constituante. Il avait encore d'autres avantages. Il était ministre de France et non pas ministre de Lorraine et d'Alsace, tandis que M. Camphausen n'est pas ministre d'Allemagne, mais ministre de Prusse. Et avec tous ces avantages, le ministre Necker n'a pas réussi à faire d'un mouvement révolutionnaire une paisible réforme. Ce n'est pas l'essence de rose qui pouvait guérir la grande maladie [2]. M. Camphausen pourra encore moins modifier le caractère du mouvement par une théorie artificielle qui raccorde d'un trait son ministère à l'état ancien de la monarchie prussienne. La révolution de mars, le mouvement révolutionnaire allemand en général, ne se laissent pas transformer par quelque tour de passe-passe en « incidents » de plus ou moins d'importance. Louis-Philippe a-t-il été élu roi des Français parce qu'il était un Bourbon ? A-t-il été élu, bien qu'il fût un Bourbon ? On se rappelle qu'après la Révolution de juillet, cette question divisait les partis [3]. Que prouvait la question en elle-même ? Que la Révolution était mise en question, que l'intérêt de la Révolution n'était pas celui de la classe parvenue au pouvoir, ni de ses représentants politiques.
La déclaration de M. Camphausen a la même signification, son ministère n'est pas né grâce à la révolution de mars, mais après la révolution de mars.
Notes
[1] Le 29 mars 1848, le ministère Camphausen remplaça le ministère du comte Arnim-Boitzenburg, formé la veille.
[2] Heine : L'Allemagne, un conte d'hiver, Chapitre XXXI.
[3] Lorsqu'en 1830 la question se posa de savoir si le roi devait accepter le nom de « Philippe VII », Dupin déclara que « le duc d'Orléans avait été appelé au trône, non parce que, mais bien qu'il fût un Bourbon ».