1865 |
Un rapport au Conseil Général de l'Association Internationale des Travailleurs qui pose les bases
de l'analyse marxiste du mode de production capitaliste : |
Salaire, prix et profit
Valeur et travail
Citoyens, j'en suis arrivé au point où il me faut aborder le développement réel de la question. Je ne puis promettre de le faire d'une manière très satisfaisante, car il me faudrait pour cela parcourir le champ entier de l'économie politique. Je ne puis, comme disent les Français, qu'"effleurer la question", ne toucher qu'à ses points principaux.
La première question que nous avons à nous poser est celle-ci: Qu'est-ce que la valeur d'une marchandise ? Comment la détermine-t-on ?
Au premier abord, il semblerait que la valeur d'une marchandise fût une chose tout à fait relative, qui ne saurait être fixée sans qu'on considère une marchandise dans ses rapports avec d'autres marchandises. En effet, lorsque nous parlons de la valeur, de la valeur d'échange d'une marchandise, nous avons dans l'esprit les quantités relatives dans lesquelles elle peut être échangée contre toutes les autres marchandises. Mais alors se présente la question: Comment sont réglés les rapports suivant lesquels les marchandises sont échangées les unes contre les autres ?
Nous
savons, par expérience, que ces rapports sont infiniment
variés. Prenons une seule marchandise, le blé, par
exemple, nous trouverons qu'un quarter de blé s'échange
suivant des proportions presque infiniment variables contre
différentes marchandises. Et, cependant, sa valeur restant
toujours la même, qu'elle soit exprimée en soie, en
or, ou en toute autre marchandise, il faut qu'elle soit chose
distincte et indépendante des diverses proportions suivant
lesquelles elle s'échange contre d'autres articles. Il
doit être possible d'exprimer, sous une forme tout à
fait différente, ces diverses équivalences entre
diverses marchandises.
En outre, lorsque je dis qu'un quarter de
blé s'échange contre du fer suivant une certaine
proportion, ou que la valeur d'un quarter de blé est
exprimée par une certaine quantité de fer, je dis que
la valeur du blé et son équivalent en fer sont égaux
à une troisième chose quelconque qui n'est ni du
blé ni du fer, puisque j'admets qu'ils expriment la même
grandeur sous deux formes différentes. Chacun d'eux, le blé,
aussi bien que le fer, doit, par conséquent, indépendamment
de l'autre, pouvoir être réduit à cette troisième
chose qui constitue leur commune mesure.
Pour éclaircir ce point, je vais recourir à un exemple géométrique très simple. Lorsque nous comparons les surfaces de triangles de formes et de grandeurs les plus diverses, ou lorsque nous comparons des triangles avec des rectangles, ou avec toute autre figure rectiligne, comment procédons-nous ? Nous ramenons la surface d'un triangle quelconque à une expression tout à fait différente de sa forme visible. Ayant trouvé, d'après la nature du triangle, que sa surface est égale à la moitié du produit de sa base par sa hauteur, nous pouvons comparer entre elles les valeurs différentes de toutes sortes de triangles et de toutes les figures rectilignes, puisqu'elles peuvent toutes se résoudre en un certain nombre de triangles.
Il faut recourir au même procédé pour les valeurs des marchandises. Il faut arriver à les ramener toutes à une expression qui leur soit commune, en ne les distinguant que par la proportion suivant laquelle elles contiennent cette commune mesure.
Comme
les valeurs d'échange des marchandises ne sont que les
fonctions sociales de ces objets et n'ont rien de commun avec
leurs qualités naturelles, il faut tout d'abord nous
demander: Quelle est la substance sociale commune à
toutes les marchandises ? C'est le travail. Pour produire une
marchandise, il faut y appliquer, y faire entrer une quantité
déterminée de travail. Et je ne dis pas seulement de
travail, mais de travail social. Un homme qui produit
un objet pour son usage personnel immédiat, en vue de le
consommer lui-même, crée un produit, mais non une
marchandise. En tant que producteur subvenant à
lui-même, il n'a rien de commun avec la société.
Mais pour produire une marchandise, il faut que cet homme
produise non seulement un article qui satisfasse à quelque
besoin social, mais il faut encore que son travail soit un
élément ou une fraction de la somme totale du travail
utilisé par la société. Il faut que son travail
soit subordonné à la division du travail qui existe
au sein de la société. Il n'est rien sans les
autres subdivisions du travail et à son tour il est nécessaire
pour les compléter.
Lorsque nous considérons
les marchandises en tant que valeurs, nous les regardons
exclusivement sous le seul aspect de travail social réalisé,
fixé ou, si vous voulez, cristallisé en
elles. Sous ce rapport, elles ne peuvent se distinguer les
unes des autres que par le fait qu'elles représentent des
quantités plus ou moins grandes de travail: par exemple, on
emploie une plus grande quantité de travail pour un mouchoir
de soie que pour une brique. Mais comment mesure-t-on la quantité
de travail ? D'après le temps que dure le travail, en
mesurant le travail à l'heure, à la journée,
etc. Naturellement, pour se servir de cette mesure, on ramène
tous les genres de travail au travail moyen, ou travail simple
considéré comme leur unité.
Nous arrivons donc à cette conclusion: une marchandise a une valeur parce qu'elle est une cristallisation de travail social. La grandeur de sa valeur ou sa valeur relative dépend de la quantité plus ou moins grande de cette substance sociale qu'elle contient, c'est-à-dire de la quantité relative de travail nécessaire à sa production. Les valeurs relatives des marchandises sont donc déterminées par les quantités ou sommes respectives de travail qui sont employées, réalisées, fixées en elles. Les quantités de marchandises correspondantes qui peuvent être produites dans le même temps de travail sont de valeur égale. Ou encore, la valeur d'une marchandise est à la valeur d'une autre marchandise comme la quantité de travail représentée dans l'une est à la quantité de travail représentée dans l'autre.
Mais
j'imagine que beaucoup d'entre vous vont me demander: Y a-t-il donc
réellement une si grande différence ou même une
différence quelconque entre la détermination des
valeurs des marchandises d'après les salaires et leur
détermination d'après les quantités relatives
de travail nécessaires à leur production ? Vous
devez pourtant savoir que la rémunération du
travail et la quantité de travail sont deux choses tout
à fait distinctes. Supposons, par exemple, que des quantités
égales de travail soient fixées dans un quarter
de blé et dans une once d'or. Je prends cet exemple, parce
que Benjamin Franklin s'en est servi dans son premier essai, publié
en 1729, sous le titre: A Modest Enquiry into the Nature and
Necessity of a Paper Currency [Modeste enquête sur la
nature et la nécessité d'une monnaie de papier], où
il découvrit, un des premiers, la véritable nature de
la valeur. Bien. Nous supposons donc qu'un quarter de blé
et une once d'or ont des valeurs égales, c'est-à-dire
sont des équivalents parce qu'ils sont la
cristallisation de quantités égales de travail
moyen, et qu'ils représentent la fixation de tant de jours
ou tant de semaines de travail dans chacune de ces marchandises. En
déterminant ainsi les valeurs relatives de l'or et du blé,
nous occupons-nous, en quoi que ce soit, des salaires des
ouvriers agricoles et de ceux des mineurs ? Pas le moins du monde.
Nous laissons tout à fait indéterminée la
façon dont on a payé leur travail quotidien ou
hebdomadaire, ou même la question de savoir s'il a été
employé du travail salarié. S'il en a été
ainsi, les salaires ont pu être très inégaux.
L'ouvrier dont le travail est incorporé dans un quarter de
blé peut n'en avoir reçu pour cela que deux boisseaux,
par contre, l'ouvrier occupé dans la mine aura reçu
peut-être la moitié de l'once d'or. Ou encore, à
supposer que leurs salaires soient égaux, ceux-ci peuvent
s'écarter suivant tous les rapports possibles des valeurs des
marchandises qu'ils ont produites. Ils peuvent s'élever à
la moitié, au tiers, au quart, au cinquième, ou à
toute autre fraction proportionnelle d'un quarter de blé
ou d'une once d'or. Evidemment, leurs salaires ne peuvent pas
dépasser les valeurs des marchandises produites; ils ne
peuvent pas être plus élevés qu'elles,
mais ils peuvent leur être inférieurs à
tous les degrés possibles. Leurs salaires sont limités
par les valeurs des produits, mais les valeurs des
produits ne sont pas limitées par les salaires. Et,
par-dessus tout, les valeurs, les valeurs relatives du blé et
de l'or, par exemple, ont été fixées sans tenir
aucun compte de la valeur du travail employé, c'est-à-dire
des salaires. La détermination des valeurs des
marchandises au moyen des quantités relatives de travail
qui y sont incorporées est donc quelque chose de tout à
fait différent de la méthode tautologique de la
détermination des valeurs des marchandises par la valeur du
travail ou par les salaires. Ce point, d'ailleurs,
s'éclaircira encore au cours de notre examen.
Dans le
calcul de la valeur d'échange d'une marchandise, il nous faut
encore ajouter à la quantité de travail employée
en dernier lieu la quantité de travail antérieurement
incorporée dans la matière première de la
marchandise, ainsi que la quantité de travail appliquée
aux moyens de travail, aux outils, aux machines et aux bâtiments
qui ont servi pour ce travail. Par exemple, la valeur d'une certaine
quantité de filé de coton est la quantité de
travail cristallisée ajoutée au coton au cours du
filage, plus la quantité de travail précédemment
réalisée dans le coton lui-même, la quantité
de travail incorporée dans le charbon, l'huile et les autres
matières auxiliaires employées, la quantité de
travail fixée dans la machine à vapeur, les broches,
les bâtiments de la fabrique et ainsi de suite. Les moyens de
travail proprement dits, tels que les outils, les machines, les
bâtiments, servent et resservent encore pendant un temps plus
ou moins long au cours de processus de production répétés.
S'ils étaient consommés entièrement comme la
matière première, leur valeur entière serait
aussitôt transmise à la marchandise qu'ils aident à
produire. Mais, comme une broche, par exemple, ne s'use que peu à
peu, on fait un calcul moyen dont la base est le temps moyen de sa
durée, son usure moyenne, pendant un temps déterminé,
disons, une journée; de cette façon, on calcule combien
il passe de la valeur de la broche dans le filé produit en une
journée et, par conséquent, quelle part de la quantité
totale de travail incorporée dans une livre de filé,
par exemple, revient à la quantité de travail
antérieurement réalisée dans la broche. Pour
notre présent objet, il n'est pas nécessaire de nous
arrêter plus longtemps sur ce point.
Il pourrait sembler que, si la valeur d'une marchandise est déterminée par la quantité de travail consacrée à sa production, il s'ensuit que plus un ouvrier sera paresseux et maladroit, plus la marchandise fabriquée par lui aura de valeur, puisque le temps de travail nécessaire à sa fabrication aura été plus long. Ce serait pourtant une regrettable erreur. Rappelez-vous que j'ai employé l'expression. "travail social" et que ce qualificatif "social" implique beaucoup de choses. Lorsque nous disons que la valeur d'une marchandise est déterminée par la quantité de travail incorporée ou cristallisée qu'elle contient, nous entendons la quantité de travail qu'il faut pour la produire dans un état social donné, dans certaines conditions sociales moyennes de production, et étant donné une intensité et une habileté sociales moyennes dans le travail employé. Lorsqu'en Angleterre, le métier actionné à la vapeur vint faire concurrence au métier à bras, il ne fallut plus que la moitié du temps de travail antérieur pour transformer une quantité déterminée de filé en une aune de cotonnade ou de toile. Le pauvre tisserand travailla alors 17 à 18 heures par jour au lieu de 9 à 10 heures comme précédemment. Mais le produit de ces 20 heures de travail ne représenta plus que 10 heures de temps de travail social, c'est-à-dire les 10 heures de travail social nécessaires pour transformer une quantité déterminée de filé en étoffe tissée. Le produit de ses 20 heures de travail n'avait donc pas plus de valeur que son produit fabriqué auparavant en 10 heures.
Si donc c'est la quantité de travail socialement nécessaire incorporée dans les marchandises qui en détermine la valeur d'échange, tout accroissement de la quantité de travail qu'exige la production d'une marchandise ne peut qu'augmenter sa valeur, et toute diminution doit la réduire.
Si la quantité de travail nécessaire à la production des marchandises dont nous parlons restait constante, leurs valeurs relatives resteraient également constantes. Mais tel n'est point le cas. La quantité de travail nécessaire à la production d'une marchandise varie constamment avec la modification de la force productive du travail employé. Plus la force productive du travail est grande, plus on produit dans un temps de travail déterminé; moins la force productive est grande, et moins on produit dans le même temps. Si, par exemple, par suite de l'accroissement de la population, il devenait nécessaire de cultiver un sol moins fertile, la même quantité de production ne pourrait être obtenue que par l'emploi d'une quantité plus grande de travail, et la valeur des produits agricoles s'élèverait en conséquence. D'autre part, si avec les moyens modernes de production, un seul fileur transforme en filé, dans une journée de travail, mille et mille fois plus de coton qu'il ne pouvait le faire auparavant dans le même temps avec le rouet, il est clair que chaque livre de coton absorbera mille et mille fois moins de travail qu'auparavant et que, par conséquent, la valeur ajoutée par le filage à chaque livre de coton sera mille et mille fois moindre qu'auparavant. La valeur du filé tombera d'autant.
Abstraction faite des différences dans l'énergie naturelle et l'habileté acquise dans le travail chez les différents peuples, la force productive du travail doit, de toute nécessité, dépendre principalement:
Des conditions naturelles du travail, telles que fertilité du sol, richesse des mines, etc.
Du perfectionnement continuel des forces de travail sociales, telles qu'elles se développent par la production en grand, la concentration du capital et la coopération dans le travail, la division plus poussée du travail, les machines, l'amélioration des méthodes, l'utilisation de moyens chimiques et autres forces naturelles, la réduction du temps et de l'espace grâce aux moyens de communication et de transport, et toute autre découverte au moyen de laquelle la science capte les forces naturelles et les met au service du travail et par laquelle le caractère social ou coopératif de celui-ci se trouve développé. Plus la force productive du travail est grande, moins il y a de travail employé à une quantité déterminée de produits et, partant, plus la valeur du produit est petite. Moins la force productive du travail est grande, plus il y a de travail employé à la même quantité de produits, et alors plus leur valeur est grande. Ainsi pouvons-nous établir comme une loi générale:
Les valeurs des marchandises sont directement proportionnelles au temps de travail employé à leur production et inversement proportionnelles à la force productive du travail employé.
N'ayant parlé jusqu'ici que de la valeur, j'ajouterai également quelques mots sur le prix qui est une forme particulière prise par la valeur.
En lui-même, le prix n'est autre chose que l'expression monétaire de la valeur. Les valeurs de toutes les marchandises de ce pays, par exemple, sont exprimées en prix-or, alors que sur le continent elles le sont principalement en prix-argent. La valeur de l'or ou de l'argent, tout comme celle de toutes les autres marchandises, est déterminée par la quantité de travail nécessaire à leur extraction. Vous échangez une certaine somme de votre production nationale, dans laquelle est cristallisée une quantité déterminée de votre travail national, contre la production des pays fournisseurs d'or et d'argent, production dans laquelle est cristallisée une quantité déterminée de leur travail. C'est de cette façon, en fait par un troc, que vous apprenez à exprimer en or et en argent les valeurs de toutes les marchandises, c'est-à-dire les quantités de travail respectives employées à leur fabrication. Si vous pénétrez plus avant dans l'expression monétaire de la valeur ou, ce qui revient au même, dans la conversion de la valeur en prix, vous trouverez que c'est un procédé par lequel vous donnez aux valeurs de toutes les marchandises une forme indépendante et homogène, ou par lequel vous les exprimez comme des quantités d'un même travail social. Dans la mesure où le prix n'est que l'expression monétaire de la valeur, il fut appelé par Adam Smith prix naturel et par les physiocrates français "prix nécessaire".
Quel est donc le rapport entre la valeur et le prix du marché, entre le prix naturel et le prix du marché ? Vous savez tous que le prix du marché est le même pour toutes les marchandises de même sorte, aussi différentes que puissent être les conditions de production des producteurs pris individuellement. Le prix du marché n'exprime que la quantité moyenne de travail social nécessaire, dans les conditions moyennes de production, pour approvisionner le marché d'une certaine quantité d'un article déterminé. Il est calculé d'après la quantité totale d'une marchandise d'une sorte déterminée.
C'est à ce point de vue que le prix du marché d'une marchandise coïncide avec sa valeur. D'autre part, les fluctuations des prix du marché qui tantôt dépassent la valeur ou le prix naturel, tantôt tombent au-dessous, dépendent des fluctuations de l'offre et de la demande. Les écarts entre le prix du marché et la valeur sont continuels, mais comme le dit Adam Smith:
Le prix naturel est... le prix central autour duquel les prix de toutes les marchandises ne cessent de graviter. Diverses circonstances peuvent parfois les tenir suspendus fort au-dessus de ce point et parfois les précipiter un peu au-dessous. Mais quels que soient les obstacles qui les empêchent de se fixer dans ce centre de repos et d'immuabilité, ils y tendent constamment.
Je
ne puis, actuellement, soumettre ce point à un examen
approfondi. Il suffit de dire que si l'offre et la demande
s'équilibrent, les prix du marché des marchandises
correspondent à leurs prix naturels, c'est-à-dire à
leurs valeurs qui sont déterminées par les quantités
de travail respectives nécessaires à leur production.
Mais l'offre et la demande doivent tendre continuellement à
s'équilibrer bien qu'elles ne le fassent que par la
compensation d'une oscillation par une autre, d'une augmentation par
une diminution ou inversement. Si au lieu de ne considérer que
les fluctuations journalières, vous analysez le mouvement des
prix du marché pour de plus longues périodes, comme l'a
fait, par exemple, Tooke dans son Histoire des prix, vous
trouverez que les oscillations des prix du marché, leurs
écarts par rapport à la valeur, leur hausse et leur
baisse, s'annihilent et se compensent, de telle sorte que, si l'on
fait abstraction de l'action des monopoles et de quelques autres
modifications sur lesquelles je ne puis m'arrêter en ce moment,
les marchandises de toutes sortes sont vendues, en moyenne, à
leurs valeurs respectives, c'est-à-dire à leurs
prix naturels. Les laps du temps moyens pendant lesquels les
fluctuations des prix du marché se compensent sont différents
pour les différentes sortes de marchandises, parce qu'il est
plus facile avec telle marchandise qu'avec telle autre d'ajuster
l'offre à la demande.
Si donc, en gros et pour de longues
périodes, toutes les sortes de marchandises sont vendues à
leurs valeurs respectives, il est absurde de supposer que le profit,
non point le profit réalisé dans des cas particuliers,
mais le profit constant et ordinaire des diverses industries provient
d'une majoration du prix des marchandises, c'est-à-dire
du fait qu'elles sont vendues à un prix dépassant
considérablement leur valeur. L'absurdité de
cette façon de voir apparaît clairement lorsqu'on la
généralise. Ce qu'un homme gagnerait constamment comme
vendeur, il lui faudrait le perdre constamment comme acheteur. Il ne
servirait à rien de dire qu'il y a des gens qui sont acheteurs
sans être vendeurs, ou consommateurs sans être
producteurs. Ce que ces gens paient au producteur, il faudrait tout
d'abord qu'ils l'aient reçu de lui pour rien. Si un homme
commence par vous prendre votre argent et vous le rend ensuite en
vous achetant vos marchandises, vous ne vous enrichirez jamais, même
en les lui vendant trop cher. Cette sorte d'affaire peut bien limiter
une perte, mais elle ne peut jamais contribuer à réaliser
un profit.
Par conséquent, pour expliquer la nature générale du profit, il faut partir du principe qu'en moyenne les marchandises sont vendues à leur valeur réelle et que les profits proviennent du fait qu'on vend les marchandises à leur valeur, c'est-à-dire proportionnellement à la quantité de travail qui y est incorporée. Si vous ne pouvez expliquer le profit sur cette base, vous ne pouvez pas l'expliquer du tout. Cela paraît paradoxal et en contradiction avec vos observations journalières. Il est paradoxal aussi de dire que la terre tourne autour du soleil et que l'eau se compose de deux gaz très inflammables. Les vérités scientifiques sont toujours paradoxales lorsqu'on les soumet au contrôle de l'expérience de tous les jours qui ne saisit que l'apparence trompeuse des choses.