1867 |
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Le Capital - Livre premier
Le développement de la production capitaliste
V° section : Recherches ultérieures sur la production de la plus-value
En étudiant le procès de travail sous son aspect le plus simple, commun à toutes ses formes historiques, comme acte qui se passe entre l'homme et la nature, nous avons vu, que « si l'on considère l'ensemble de ce mouvement au point de vue de son résultat, du produit, moyen et objet de travail se présentent tous les deux, comme moyens de production, et le travail lui-même comme travail productif [1] ». L'homme crée un produit en appropriant un objet externe à ses besoins, et dans cette opération le travail manuel et le travail intellectuel sont unis par des liens indissolubles, de même que dans le système de la nature le bras et la tête ne vont pas l'un sans l'autre.
A partir du moment, cependant, où le produit individuel est transformé en produit social, en produit d'un travailleur collectif dont les différents membres participent au maniement de la matière à des degrés très divers, de près ou de loin, ou même pas du tout, les déterminations de travail productif, de travailleur productif, s'élargissent nécessairement. Pour être productif, il n'est plus nécessaire de mettre soi‑même la main à l’œuvre; il suffit d'être un organe du travailleur collectif ou d'en remplir une fonction quelconque. La détermination primitive du travail productif, née de la nature même de la production matérielle, reste toujours vraie par rapport au travailleur collectif, considéré comme une seule personne, mais elle ne s'applique plus à chacun de ses membres pris à part.
Mais ce n'est pas cela qui caractérise d'une manière spéciale le travail productif dans le système capitaliste. Là le but déterminant de la production, c'est la plus-value. Donc, n'est censé productif que le travailleur qui rend une plus-value au capitaliste ou dont le travail féconde le capital. Un maître d'école, par exemple, est un travailleur productif, non parce qu'il forme l'esprit de ses élèves, mais parce qu'il rapporte des pièces de cent sous à son patron. Que celui-ci ait placé son capital dans une fabrique de leçons au lieu de le placer dans une fabrique de saucissons, c'est son affaire. Désormais la notion de travail productif ne renferme plus simplement un rapport entre activité et effet utile, entre producteur et produit, mais encore, et surtout un rapport social qui fait du travail l'instrument immédiat de la mise en valeur du capital.
Aussi l'économie politique classique a‑t‑elle toujours, tantôt instinctivement, tantôt consciemment, soutenu que ce qui caractérisait le travail productif, c'était de rendre une plus-value. Ses définitions du travail productif changent à mesure qu'elle pousse plus avant son analyse de la plus-value. Les physiocrates, par exemple, déclarent que le travail agricole seul est productif. Et pourquoi ? Parce que seul il donne une plus-value qui, pour eux, n'existe que sous la forme de la rente foncière.
Prolonger la journée de travail au‑delà du temps nécessaire à l'ouvrier pour fournir un équivalent de son entretien, et allouer ce surtravail au capital : voilà la production de la plus-value absolue. Elle forme la base générale du système capitaliste et le point de départ de la production de la plus-value relative. Là, la journée est déjà divisée en deux parties, travail nécessaire et surtravail. Afin de prolonger le surtravail, le travail nécessaire est raccourci par des méthodes qui font produire l'équivalent du salaire en moins de temps. La production de la plus-value absolue n'affecte que la durée du travail, la production de la plus-value relative en transforme entièrement les procédés techniques et les combinaisons sociales. Elle se développe donc avec le mode de production capitaliste proprement dit.
Une fois celui-ci établi et généralisé, la différence entre plus-value relative et plus-value absolue se fait sentir dès qu'il s'agit d'élever le taux de la plus-value. Supposé que la force de travail se paye à sa juste valeur, nous arrivons évidemment à cette alternative : les limites de la journée étant données, le taux de la plus-value ne peut être élevé que par l'accroissement, soit de l'intensité, soit de la productivité du travail. Par contre, si l'intensité et la productivité du travail restent les mêmes, le taux de la plus-value ne peut être élevé que par une prolongation ultérieure de la journée.
Néanmoins, quelle que soit la durée du travail, il ne rendra pas de plus-value sans posséder ce minimum de productivité qui met l'ouvrier à même de ne consommer qu'une partie de sa journée pour son propre entretien. Nous sommes donc amenés à nous demander s'il n'y a pas, comme on l'a prétendu, une base naturelle de la plus-value ?
Supposé que le travail nécessaire à l'entretien du producteur et de sa famille absorbât tout son temps disponible, où trouverait‑il le moyen de travailler gratuitement pour autrui ? Sans un certain degré de productivité du travail, point de temps disponible; sans ce surplus de temps, point de surtravail, et, par conséquent, point de plus-value, point de produit net, point de capitalistes, mais aussi point d'esclavagistes, point de seigneurs féodaux, en un mot, point de classe propriétaire [2] !
La nature n'empêche pas que la chair des uns serve d'aliment aux autres [3]; de même elle n'a pas mis d'obstacle insurmontable à ce qu'un homme puisse arriver à travailler pour plus d'un homme, ni à ce qu'un autre réussisse à se décharger sur lui du fardeau du travail. Mais à ce fait naturel on a donné quelque chose de mystérieux en essayant de l'expliquer à la manière scolastique, par une qualité « occulte» du travail, sa productivité innée, productivité toute prête dont la nature aurait doué l'homme en le mettant au monde.
Les facultés de l'homme primitif, encore en germe, et comme ensevelies sous sa croûte animale, ne se forment au contraire que lentement sous la pression de ses besoins physiques. Quand, grâce à de rudes labeurs, les hommes sont parvenus à s'élever au‑dessus de leur premier état animal, que par conséquent leur travail est déjà dans une certaine mesure socialisé, alors, et seulement alors, se produisent des conditions où le surtravail de l'un peut devenir une source de vie pour l'autre, et cela n'a jamais lieu sans l'aide de la force qui soumet l'un à l'autre.
A l'origine de la vie sociale les forces de travail acquises sont assurément minimes, mais les besoins le sont aussi, qui ne se développent qu'avec les moyens de les satisfaire. En même temps, la partie de la société qui subsiste du travail d'autrui ne compte presque pas encore, comparativement à la masse des producteurs immédiats. Elle grandit absolument et relativement à mesure que le travail social devient plus productif [4].
Du reste, la production capitaliste prend racine sur un terrain préparé par une longue série d'évolutions et de révolutions économiques. La productivité du travail, qui lui sert de point de départ, est l’œuvre d'un développement historique dont les périodes se comptent non par siècles, mais par milliers de siècles.
Abstraction faite du mode social de la production, la productivité du travail dépend des conditions naturelles au milieu desquelles il s'accomplit. Ces conditions peuvent toutes se ramener soit à la nature de l'homme lui-même, à sa race, etc., soit à la nature qui l'entoure. Les conditions naturelles externes se décomposent au point de vue économique en deux grandes classes : richesse naturelle en moyens de subsistance, c'est‑à‑dire fertilité du soi, eaux poissonneuses, etc., et richesse naturelle en moyens de travail, tels que chutes d'eau vive, rivières navigables, bois, métaux, charbon, et ainsi de suite. Aux origines de la civilisation c'est la première classe de richesses naturelles qui l'emporte; plus tard, dans une société plus avancée, c'est la seconde. Qu'on compare, par exemple, l'Angleterre avec l'Inde, ou, dans le monde antique, Athènes et Corinthe avec les contrées situées sur la mer Noire.
Moindre est le nombre des besoins naturels qu'il est indispensable de satisfaire, plus le sol est naturellement fertile et le climat favorable, moindre est par cela même le temps de travail nécessaire à l'entretien et à la reproduction du producteur, et plus son travail pour autrui peut dépasser son travail pour lui-même. Diodore de Sicile faisait déjà cette remarque à propos des anciens Égyptiens. « On ne saurait croire, dit‑il, combien peu de peine et de frais il leur en coûte pour élever leurs enfants. Ils font cuire pour eux les aliments les plus simples et les premiers venus; ils leur donnent aussi à manger cette partie de la racine du papyrus, qu'on peut rôtir au feu, ainsi que les racines et les tiges des plantes marécageuses soit crues, soit bouillies ou rôties. L'air est si doux que la plupart des enfants vont sans chaussures et sans vêtements. Aussi un enfant, jusqu'à sa complète croissance, ne coûte pas en gros à ses parents plus de vingt drachmes. C'est là principalement ce qui explique qu'en Egypte la population soit si nombreuse et que tant de grands ouvrages aient pu être entrepris [5]. » C'est bien moins cependant à l'étendue de sa population qu'à la faculté d'en employer à des travaux improductifs une partie relativement considérable que l'ancienne Egypte doit ses grandes oeuvres d'architecture. De même que le travailleur individuel peut fournir d'autant plus de surtravail que son temps de travail nécessaire est moins considérable, de même moins est nombreuse la partie de la population ouvrière que réclame la production des subsistances nécessaires, plus est grande la partie disponible pour d'autres travaux.
La production capitaliste une fois établie, la grandeur du surtravail variera, toutes autres circonstances restant les mêmes, selon les conditions naturelles du travail et surtout selon la fertilité du sol. Mais il ne s'ensuit pas le moins du monde que le sol le plus fertile soit aussi le plus propre et le plus favorable au développement de la production capitaliste, qui suppose la domination de l'homme sur la nature. Une nature trop prodigue « retient l'homme par la main comme un enfant en lisière »; elle l'empêche de se développer en ne faisant pas de son développement une nécessité de nature [6]. La patrie du capital ne se trouve pas sous le climat des tropiques, au milieu d'une végétation luxuriante, mais dans la zone tempérée. Ce n'est pas la fertilité absolue du sol, mais plutôt la diversité de ses qualités chimiques, de sa composition géologique, de sa configuration physique, et la variété de ses produits naturels, qui forment la base naturelle de la division sociale du travail et qui excitent l'homme, en raison des conditions multiformes au milieu desquelles il se trouve placé, à multiplier ses besoins, ses facultés, ses moyens et modes de travail.
C'est la nécessité de diriger socialement une force naturelle, de s'en servir, de l'économiser, de se l'approprier en grand par des œuvres d'art, en un mot de la dompter, qui joue le rôle décisif dans l'histoire de l'industrie. Telle a été la nécessité de régler et de distribuer le cours des eaux, en Égypte [7], en Lombardie, en Hollande, etc. Ainsi en est‑il dans l'Inde, dans la Perse, etc., où l'irrigation au moyen de canaux artificiels fournit au sol non seulement l'eau qui lui est indispensable, mais encore les engrais minéraux qu'elle détache des montagnes et dépose dans son limon. La canalisation, tel a été le secret de l'épanouissement de l'industrie en Espagne et en Sicile sous la domination arabe [8].
La faveur des circonstances naturelles fournit, si l'on veut, la possibilité, mais jamais la réalité du surtravail, ni conséquemment du produit net ou de la plus-value. Avec le climat plus ou moins propice, la fertilité de la terre plus ou moins spontanée, etc., le nombre des premiers besoins et les efforts que leur satisfaction impose, seront plus ou moins grands, de sorte que, dans des circonstances d'ailleurs analogues, le temps de travail nécessaire variera d'un pays à l'autre [9]; mais le surtravail ne peut commencer qu'au point où le travail nécessaire finit. Les influences physiques, qui déterminent la grandeur relative de celui-ci, tracent donc une limite naturelle à celui-là. A mesure que l'industrie avance, cette limite naturelle recule. Au milieu de notre société européenne, où le travailleur n'achète la permission de travailler pour sa propre existence que moyennant surtravail, on se figure facilement que c'est une qualité innée du travail humain de fournir un produit net [10]. Mais qu'on prenne par exemple l'habitant des îles orientales de l'archipel asiatique, où le palmier sagou pousse en plante sauvage dans les forêts. « Quand les habitants, en perçant un trou dans l'arbre, se sont assurés que la moelle est mûre, aussitôt le tronc est abattu et divisé en plusieurs morceaux et la moelle détachée. Mêlée avec de l'eau et filtrée, elle donne une farine parfaitement propre à être utilisée. Un arbre en fournit communément trois cents livres et peut en fournir de cinq à six cents. On va donc là dans la forêt et on y coupe son pain comme chez nous on abat son bois à brûler [11]. » Supposons qu'il faille à un de ces insulaires douze heures de travail par semaine pour satisfaire tous ses besoins; on voit que la première faveur que lui accorde la nature, c'est beaucoup de loisir. Pour qu'il l'emploie productivement pour lui-même, il faut tout un enchaînement d'incidents historiques; pour qu'il le dépense en surtravail pour autrui, il doit être contraint par la force. Si la production capitaliste était introduite dans son île, ce brave insulaire devrait peut-être travailler six jours par semaine pour obtenir la permission de s'approprier le produit d'une seule journée de son travail hebdomadaire. La faveur de la nature n'expliquerait point pourquoi il travaille maintenant six jours par semaine, ou pourquoi il fournit cinq jours de surtravail. Elle expliquerait simplement pourquoi son temps de travail nécessaire peut être réduit à une seule journée par semaine.
Le travail doit donc posséder un certain degré de productivité avant qu'il puisse être prolongé au‑delà du temps nécessaire au producteur pour se procurer son entretien; mais ce n'est jamais cette productivité, quel qu'en soit le degré, qui est la cause de la plus-value. Cette cause, c'est toujours le surtravail, quel que soit mode de l'arracher.
Ricardo ne s'occupe jamais de la raison d'être de la plus-value. Il la traite comme une chose inhérente à la production capitaliste, qui pour lui est la forme naturelle de la production sociale. Aussi, quand il parle de la productivité du travail, il ne prétend pas y trouver la cause de l'existence de la plus-value, mais seulement la cause qui en détermine la grandeur. Son école, au contraire, a hautement proclamé la force productive du travail comme la raison d'être du profit (lisez plus-value). C'était certainement un progrès vis-à-vis des mercantilistes, qui, eux, faisaient dériver l'excédent du prix des produits sur leurs frais, de l'échange, de la vente des marchandises au‑dessus de leur valeur. Néanmoins c'était escamoter le problème et non le résoudre. En fait, ces économistes bourgeois sentaient instinctivement qu'il « y avait péril grave et grave péril », pour parler le langage emphatique de M. Guizot, à vouloir trop approfondir cette question brûlante de l'origine de la plus-value. Mais que dire quand, un demi‑siècle après Ricardo, M. John Stuart Mill vient doctoralement constater sa supériorité sur les mercantilistes en répétant mal les faux-fuyants des premiers vulgarisateurs de Ricardo ?
M. Mill dit : « La cause du profit (the cause of profit), c'est que le travail produit plus qu'il ne faut pour son entretien. » Jusque‑là, simple répétition de la vieille chanson; mais, voulant y mettre du sien, il poursuit : « Pour varier la forme du théorème : la raison pour laquelle le capital rend un profit, c'est que nourriture. vêtements, matériaux et instruments durent plus de temps qu'il n'en faut pour les produire. » M. Mill confond ici la durée du travail avec la durée de ses produits. D'après cette doctrine, un boulanger, dont les produits ne durent qu'un jour, ne pourrait tirer de ses salariés le même profit qu'un constructeur de machines, dont les produits durent une vingtaine d'années et davantage. D'ailleurs, il est très vrai que si un nid ne durait pas plus de temps qu'il n'en faut à l'oiseau pour le faire, les oiseaux devraient se passer de nids.
Après avoir constaté cette vérité fondamentale, M. Mill constate sa supériorité sur les mercantilistes.
« Nous voyons ainsi, s'écrie‑t‑il, que le profit provient, non de l'incident des échanges, mais de la force productive du travail, et le profit général d'un pays est toujours ce que la force productive du travail le fait, qu'il y ait échange ou non. S'il n'y avait pas division des occupations, il n'y aurait ni achat ni vente, mais néanmoins il y aurait toujours du profit. » Pour lui, les échanges, l'achat et la vente, les conditions générales de la production capitaliste, n'en sont qu'un incident, et il y aurait toujours du profit sans l'achat et la vente de la force de travail !
« Si, poursuit‑il, les travailleurs d'un pays produisent collectivement vingt pour cent au‑dessus de leurs salaires, les profits seront de vingt pour cent quels que soient les prix des marchandises. »
C'est d'un côté une lapalissade des plus réussies; en effet, si des ouvriers produisent une plus-value de vingt pour cent pour les capitalistes, les profits de ceux-ci seront certainement aux salaires de ceux-là comme vingt est à cent. De l'autre côté, il est absolument faux que les profits seront « de vingt pour cent ». Ils seront toujours plus petits, parce que les profits sont calculés sur la somme totale du capital avancé. Si, par exemple, l'entrepreneur avance cinq cents livres sterling, dont quatre cinquièmes sont dépensés en moyens de production, un cinquième en salaires, et que le taux de la plus-value soit de vingt pour cent, le taux de profit sera comme vingt est à cinq cents, c'est‑à‑dire de quatre pour cent, et non de vingt pour cent.
M. Mill nous donne pour la bonne bouche un échantillon superbe de sa méthode de traiter les différentes formes historiques de la production sociale.
« Je présuppose toujours, dit‑il, l'état actuel des choses qui prédomine universellement à peu d'exceptions près, c'est‑à‑dire que le capitaliste fait toutes les avances, y inclus la rémunération du travailleur. » Etrange illusion d'optique de voir universellement un état de choses qui n'existe encore que par exception sur notre globe ! Mais passons outre. M. Mill veut bien faire la concession « que ce n'est pas une nécessité absolue qu'il en soit ainsi ». Au contraire, « jusqu'à la parfaite et entière confection de l'ouvrage, le travailleur pourrait attendre... même le payement entier de son salaire, s'il avait les moyens nécessaires pour subsister dans l'intervalle. Mais dans ce dernier cas, le travailleur serait réellement dans une certaine mesure un capitaliste qui placerait du capital dans l'entreprise en fournissant une portion des fonds nécessaires pour la mener à bonne fin ». M. Mill aurait pu aller plus loin et affirmer que l'ouvrier, qui se fait l'avance non seulement des vivres, mais aussi des moyens de production, ne serait en réalité que son propre salarié. Il aurait pu dire de même que le paysan américain n'est qu'un serf qui fait la corvée pour lui-même, au lieu de la faire pour son propriétaire.
Après nous avoir prouvé si clairement que la production capitaliste, même si elle n'existait pas, existerait toujours, M. Mill est assez conséquent en prouvant, par contre, qu'elle n'existe pas même quand elle existe.
« Et même dans le cas antérieur (quand l'ouvrier est un salarié auquel le capitaliste avance toute sa subsistance), il (l'ouvrier) peut être considéré au même point de vue (c'est‑à‑dire comme capitaliste), car, en livrant son travail au‑dessous du prix de marché (!), il peut être considéré comme s'il prêtait la différence (?) à son entrepreneur, etc [12]. » En réalité, l'ouvrier avance son travail gratuitement au capitaliste durant une semaine, etc., pour en recevoir le prix de marché à la fin de la semaine, etc., et c'est ce qui, toujours selon M. Mill, le transforme en capitaliste. Sur un terrain plat, de simples buttes font l'effet de collines; aussi peut‑on mesurer l'aplatissement de la bourgeoisie contemporaine d'après le calibre de ses esprits forts.
Notes
[1] Voy. ch. VII, p. 76‑79.
[2] « L'existence d'une classe distincte de maîtres capitalistes dépend de la productivité de l'industrie. » (Ramsay, l. c., p. 206 .) « Si le travail de chaque homme ne suffisait qu'à lui procurer ses propres vivres, il ne pourrait y avoir de propriété. » (Ravenstone, l. c., p. 14, 15.)
[3] D'après un calcul tout récent, il existe encore au moins quatre millions de cannibales dans les parties du globe qu'on a déjà explorées.
[4] « Chez les Indiens sauvages de l'Amérique, il n'est presque pas de chose qui n'appartienne en propre au travailleur; les quatre-vingt-dix-neuf centièmes du produit y échoient au travail. En Angleterre, l'ouvrier ne reçoit pas les deux tiers. » (The advantages of the East lndia Trade, etc., p. 73.)
[5] Diod., 1. c., 1. 1, ch. LXXX.
[6] « La première (richesse naturelle), étant de beaucoup la plus libérale et la plus avantageuse, rend la population sans souci, orgueilleuse et adonnée à tous les excès; tandis que la seconde développe et affermit l'activité, la vigilance, les arts, la littérature et la civilisation. » (England's Treasure by Foreign Trade, or the Balance of our Foreign Trade is the Rule of our Treasure. Written by Thomas Mun, of London, Merchant, and now published for the common good by his son John Mun. Lond., 1669, p. 181, 182.) « Je ne conçois pas de plus grand malheur pour un peuple, que d'être jeté sur un morceau d terre où les productions qui concernent la subsistance et la nourriture sont en grande proportion spontanées, et où le climat n'exige ou ne réclame que peu de soins pour le vêtement... Il peut y avoir un extrême dans un sens opposé. Un soi incapable de produire, même s'il est travaillé, est tout aussi mauvais qu'un soi qui produit tout en abondance sans le moindre travail. » (An Inquiry into the present high price of provisions. Lond., 1767, p. 10.)
[7] C'est la nécessité de calculer les périodes des débordements du Nil qui a créé l'astronomie égyptienne et en même temps la domination de la caste sacerdotale à titre de directrice de l'agriculture. « Le solstice est le moment de l'année où commence la crue du Nil, et celui que les Egyptiens ont dû observer avec le plus d'attention C'était cette année tropique qu'il leur importait de marquer pour se diriger dans leurs opérations agricoles. Ils durent donc chercher dans le ciel un signe apparent de son retour. » (Cuvier : Discours sur les révolutions du globe, édit. Hoefer. Paris, 1863, p. 141.)
[8] La distribution des eaux était aux Indes une des bases matérielles du pouvoir central sur les petits organismes de production communale, sans connexion entre eux. Les conquérants mahométans de l'Inde ont mieux compris cela que les Anglais leurs successeurs. Il suffit de rappeler la famine de 1866, qui a coûté la vie à plus d'un million d'Indiens dans le district d'Orissa, au Bengale.
[9] « Il n'y a pas deux contrées qui fournissent un nombre égal de choses nécessaires à la vie, en égale abondance et avec la même quantité de travail. Les besoins de l'homme augmentent ou diminuent en raison de la sévérité ou de la douceur du climat sous lequel il vit. La proportion des travaux de tout genre auxquels les habitants de divers pays sont forcés de se livrer ne peut donc être la même. Et il n'est guère possible de déterminer le degré de cette différence autrement que par les degrés de température. On peut donc en conclure généralement que la quantité de travail requise pour une population donnée atteint son maximum dans les climats froids et son minimum dans les climats chauds. Dans les premiers en effet l'homme n'a pas seulement besoin de plus de vêtements mais la terre elle-même a besoin d'y être plus cultivée que dans les derniers. » (An Essay on the Governing Causes of the Natural Rate of Interest. Lond., 1750, p. 60.) L'auteur de cet écrit qui a fait époque est J. Massey. Hume lui a emprunté sa théorie de l'intérêt.
[10] « Tout travail doit laisser un excédent. » Proudhon (on dirait que cela fait partie des droits et devoirs du citoyen).
[11]F. Shouw : « Die Erde, die Pflanze und der Mensch », 2° édit. Leipzig, 1854, p. 148.
[12] J. M. Mill: Principles of Pol. Econ. Lond., 1868, p. 252‑53, passim.