1867 |
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Le Capital - Livre premier
Le développement de la production capitaliste
II° section : la transformation de l'argent en capital
La circulation des marchandises est le point de départ du capital. Il napparaît que là où la production marchande et le commerce ont déjà atteint un certain degré de développement. Lhistoire moderne du capital date de la création du commerce et du marché des deux mondes au XVIe siècle.
Si nous faisons abstraction de léchange des valeurs dusage, cest-à-dire du côté matériel de la circulation des marchandises, pour ne considérer que les formes économiques quelle engendre, nous trouvons pour dernier résultat largent. Ce produit final de la circulation est la première forme dapparition du capital.
Lorsquon étudie le capital historiquement, dans ses origines, on le voit partout se poser en face de la propriété foncière sous forme dargent, soit comme fortune monétaire, soit comme capital commercial et comme capital usuraire [1] . Mais nous navons pas besoin de regarder dans le passé, il nous suffira dobserver ce qui se passe aujourdhui même sous nos yeux. Aujourdhui comme jadis, chaque capital nouveau entre en scène, cest-à-dire sur le marché — marché des produits, marché du travail, marché de la monnaie sous forme dargent, dargent qui par des procédés spéciaux doit se transformer en capital.
Largent en tant quargent et largent en tant que capital ne se distinguent de prime abord que par leurs différentes formes de circulation.
La forme immédiate de la circulation des marchandises est M—AM, transformation de la marchandise en argent et retransformation de largent en marchandise, vendre pour acheter. Mais, à côté de cette forme, nous en trouvons une autre, tout à fait distincte, la forme AMA (argentmarchandise-argent), transformation de largent en marchandise et retransformation de la marchandise en argent, acheter pour vendre. Tout argent qui dans son mouvement décrit ce dernier cercle se transforme en capital, devient capital et est déjà par destination capital.
Considérons de plus près la circulation A—MA. Comme la circulation simple, elle parcourt deux phases opposées. Dans la première phase AM, achat, largent est transformé en marchandise. Dans la seconde MA, vente, la marchandise est transformée en argent. Lensemble de ces deux phases sexprime par le mouvement qui échange monnaie contre marchandise et de nouveau la même marchandise contre de la monnaie, achète pour vendre, ou bien, si on néglige les différences formelles dachat et de vente, achète avec de largent la marchandise et avec la marchandise largent [2] .
Ce mouvement aboutit à léchange dargent contre argent, A—A. Si jachète pour 100 l. st. 2000 livres de coton, et quensuite je vende ces 2000 livres de coton pour 110 l. st., jai en définitive échangé 100 l. st. contre 110 liv. st., monnaie contre monnaie.
Il va sans dire que la circulation A—MA serait un procédé bizarre, si lon voulait par un semblable détour échanger des sommes dargent équivalentes, 100 l. st., par exemple, contre 100 1. st. Mieux vaudrait encore la méthode du thésauriseur qui garde solidement ses 100 l. st. au lieu de les exposer aux risques de la circulation. Mais, dun autre côté, que le marchand revende pour 110 l. st. le coton quil a acheté avec 100 l. st. ou quil soit obligé de le livrer à 100 et même à 50 l. st, dans tous ces cas son argent décrit toujours un mouvement particulier et original, tout à fait différent de celui que parcourt par exemple largent du fermier qui vend du froment et achète un habit. Il nous faut donc tout dabord constater les différences caractéristiques entre les deux formes de circulation AMA et MAM. Nous verrons en même temps quelle différence réelle gît sous cette différence formelle.
Considérons en premier lieu ce que les deux formes ont de commun.
Les deux mouvements se décomposent dans les deux mêmes phases opposées, M—A, vente, et AM, achat. Dans chacune des deux phases les deux mêmes éléments matériels se font face, marchandise et argent, ainsi que deux personnes sous les mêmes masques économiques, acheteur et vendeur. Chaque mouvement est lunité des mêmes phases opposées, de lachat et de la vente, et chaque fois il saccomplit par lintervention de trois contractants dont lun ne fait que vendre, lautre quacheter, tandis que le troisième achète et vend tour à tour.
Ce qui distingue cependant tout dabord les mouvements M—AM et AMA, cest lordre inverse des mêmes phases opposées. La circulation simple commence par la vente et finit par lachat; la circulation de largent comme capital commence par lachat et finit par la vente. Là, cest la marchandise qui forme le point de départ et le point de retour ; ici, cest largent. Dans la première forme, cest largent qui sert dintermédiaire; dans la seconde, cest la marchandise.
Dans la circulation M—AM, largent est enfin converti en marchandise qui sert de valeur dusage; il est donc définitivement dépensé. Dans la forme inverse AMA, lacheteur donne son argent pour le reprendre comme vendeur. Par lachat de la marchandise, il jette dans la circulation de largent, quil en retire ensuite par la vente de la même marchandise. Sil le laisse partir, cest seulement avec larrière-pensée perfide de le rattraper. Cet argent est donc simplement avancé [3] .
Dans la forme M—AM, la même pièce de monnaie change deux fois de place. Le vendeur la reçoit de lacheteur et la fait passer à un autre vendeur. Le mouvement commence par une recette dargent pour marchandise et finit par une livraison dargent pour marchandise. Le contraire a lieu dans la forme AMA. Ce nest pas la même pièce de monnaie, mais la même marchandise qui change ici deux fois de place. Lacheteur la reçoit de la main du vendeur et la transmet à un antre acheteur. De même que, dans la circulation simple, le changement de place par deux fois de la même pièce de monnaie a pour résultat son passage définitif dune main dans lautre, de même ici le changement de place par deux fois de la même marchandise a pour résultat le reflux de largent à son premier point de départ.
Le reflux de largent à son point de départ ne dépend pas de ce que la marchandise est vendue plus cher quelle a été achetée. Cette circonstance ninflue que sur la grandeur de la somme qui revient. Le phénomène du reflux lui-même a lieu dès que la marchandise achetée est de nouveau vendue, cest-à-dire dès que le cercle A—MA est complètement décrit. Cest là une différence palpable entre la circulation de largent comme capital et sa circulation comme simple monnaie.
Le cercle M—AM est complètement parcouru dès que la vente dune marchandise apporte de largent que remporte lachat dune autre marchandise. Si, néanmoins, un reflux dargent a lieu ensuite, ce ne peut-être que parce que le parcours tout entier du cercle est de nouveau décrit. Si je vends un quart de froment pour 3 l. st. et que jachète des habits avec cet argent, les 3 l. st. sont pour moi définitivement dépensées. Elles ne me regardent plus; le marchand dhabits les a dans sa poche. Jai beau vendre un second quart de froment, largent que je reçois ne provient pas de la première transaction, mais de son renouvellement, il séloigne encore de moi si je mène à terme la seconde transaction et que jachète de nouveau. Dans la circulation MAM, la dépense de largent na donc rien de commun avec son retour. Cest tout le contraire dans la circulation AMA. Là, si largent ne reflue pas, lopération est manquée; le mouvement est interrompu ou inachevé, parce que sa seconde phase, cest-à-dire la vente qui complète lachat, fait défaut.
Le cercle M—AM a pour point initial une marchandise et pour point final une autre marchandise qui ne circule plus et tombe dans la consommation. La satisfaction dun besoin, une valeur dusage, tel est donc son but définitif. Le cercle AMA, au contraire, a pour point de départ largent et y revient ; son motif, son but déterminant est donc la valeur déchange.
Dans la circulation simple, les deux termes extrêmes ont la même forme économique ; ils sont tous deux marchandise. Ils sont aussi des marchandises de même valeur. Mais ils sont en même temps des valeurs dusage de qualité différente, par exemple, froment et habit. Le mouvement aboutit à léchange des produits, à la permutation des matières diverses dans lesquelles se manifeste le travail social. La circulation A—MA, au contraire, parait vide de sens au premier coup dil, parce quelle est tautologique. Les deux extrêmes ont la même forme économique. ils sont tous deux argent. Ils ne se distinguent point qualitativement, comme valeurs dusage, car largent est laspect transformé des marchandises dans lequel leurs valeurs dusage particulières sont éteintes. Echanger 100 1. st. contre du coton et de nouveau le même coton contre 100 l. st., cest-à-dire échanger par un détour argent contre argent, idem contre idem, une telle opération semble aussi sotte quinutile [4] . Une somme dargent, en tant quelle représente de la valeur, ne peut se distinguer dune autre somme que par sa quantité. Le mouvement A—MA ne tire sa raison dêtre daucune différence qualitative de ses extrêmes, car ils sont argent tous deux, mais seulement de leur différence quantitative. Finalement il est soustrait à la circulation plus dargent quil ny en a été jeté. Le coton acheté 100 l. st. est revendu 100+10 ou 110 l. st. La forme complète de ce mouvement est donc A—MA, dans laquelle A = A + DA, cest-à-dire égale la somme primitivement avancée plus un excédent. Cet excédent ou ce surcroît, je lappelle plus-value (en anglais surplus value). Non seulement donc la valeur avancée se conserve dans la circulation, mais elle y change encore sa grandeur, y ajoute un plus, se fait valoir davantage, et cest ce mouvement qui la transforme en capital.
Il se peut aussi que les extrêmes M, M, de la circulation M—AM, froment — argent habit par exemple, soient quantitativement [5] de valeur inégale. Le fermier peut vendre son froment au-dessus de sa valeur ou acheter lhabit au-dessous de la sienne. A son tour, il peut être floué par le marchand dhabits. Mais linégalité des valeurs échangées nest quun accident pour cette forme de circulation. Son caractère normal, cest léquivalence de ses deux extrêmes, laquelle au contraire enlèverait tout sens au mouvement A—MA.
Le renouvellement ou la répétition de la vente de marchandises pour lachat dautres marchandises rencontre, en dehors de la circulation, une limite dans la consommation, dans la satisfaction de besoins déterminés. Dans lachat pour la vente, au contraire, le commencement et la fin sont une seule et même chose, argent, valeur déchange, et cette identité même de ses deux termes extrêmes fait que le mouvement na pas de fin. Il est vrai que A est devenu A + DA, que nous avons 100 + 10 l. st., au lieu de 100; mais, sous le rapport de la qualité, 110 l. st. sont la même chose que 100 l. st., cest-à-dire argent, et sous le rapport de la quantité, la première somme nest quune valeur limitée aussi bien que la seconde. Si les 100 l. st. sont dépensées comme argent, elles changent aussitôt de rôle et cessent de fonctionner comme capital. Si elles sont dérobées à la circulation, elles se pétrifient sous forme trésor et ne grossiront pas dun liard quand elles dormiraient là jusquau jugement dernier. Dès lors que laugmentation de la valeur forme le but final du mouvement, 110 l. st. ressentent le même besoin de saccroître que 100 l. st.
La valeur primitivement avancée se distingue bien, il est vrai, pour un instant de la plus-value qui sajoute à elle dans la circulation; mais cette distinction sévanouit aussitôt. Ce qui, finalement, sort de la circulation, ce nest pas dun côté la valeur première de 100 l. st., et de lautre la plus-value de 10 l. st.; cest une valeur de 110 l. st., laquelle se trouve dans la même forme et les mêmes conditions que les 100 premières l. st., prête à recommencer le même jeu [6] . Le dernier terme de chaque cercle A—MA, acheter pour vendre, est le premier terme dune nouvelle circulation du même genre. La circulation simple vendre pour acheter ne sert que de moyen datteindre un but situé en dehors delle-même, cest-à-dire lappropriation de valeurs dusage, de choses propres à satisfaire des besoins déterminés. La circulation de largent comme capital possède au contraire son but en elle-même; car ce nest que par ce mouvement toujours renouvelé que la valeur continue à se faire valoir. Le mouvement du capital na donc pas de limite [7] .
Cest comme représentant, comme support conscient de ce mouvement que le possesseur dargent devient capitaliste. Sa personne, ou plutôt sa poche, est le point de départ de largent et son point de retour. Le contenu objectif de la circulation A—MA, cest-à-dire la plus-value quenfante la valeur, tel est son but subjectif, intime. Ce nest quautant que lappropriation toujours croissante de la richesse abstraite est le seul motif déterminant de ses opérations, quil fonctionne comme capitaliste, ou, si lon veut, comme capital personnifié, doué de conscience et de volonté. La valeur dusage ne doit donc jamais être considérée comme le but immédiat du capitaliste [8] , pas plus que le gain isolé; mais bien le mouvement incessant du gain toujours renouvelé [9] . Cette tendance absolue à lenrichissement, cette chasse passionnée à la valeur déchange [10] lui sont communes avec le thésauriseur. Mais, tandis que celui-ci nest quun capitaliste maniaque, le capitaliste est un thésauriseur rationnel. La vie éternelle de la valeur que le thésauriseur croit sassurer en sauvant largent des dangers de la circulation [11] , plus habile, le capitaliste la gagne en lançant toujours de nouveau largent dans la circulation [12] .
Les formes indépendantes, cest-à-dire les formes argent ou monnaie que revêt la valeur des marchandises dans la circulation simple, servent seulement dintermédiaire pour léchange des produits et disparaissent dans le résultat final du mouvement. Dans la circulation A—MA, au contraire, marchandise et argent ne fonctionnent lune et lautre que comme des formes différentes de la valeur elle-même, de manière que lun en est la forme générale, lautre la forme particulière et, pour ainsi dire, dissimulée [13] . La valeur passe constamment dune forme à lautre sans se perdre dans ce mouvement. Si lon sarrête soit à lune soit à lautre de ces formes, dans lesquelles elle se manifeste tour à tour, on arrive aux deux définitions: le capital est argent, le capital est marchandise [14] mais, en fait, la valeur se présente ici comme une substance automatique, douée dune vie propre, qui, tout en échangeant ses formes sans cesse, change aussi de grandeur, et, spontanément, en tant que valeur mère, produit une pousse nouvelle, une plus-value, et finalement saccroît par sa propre vertu. En un mot, la valeur semble avoir acquis la propriété occulte denfanter de la valeur parce quelle est valeur, de faire des petits, ou du moins de pondre des ufs dor.
Comme la valeur, devenue capital, subit des changements continuels daspect et de grandeur, il lui faut avant tout une forme propre au moyen de laquelle son identité avec elle-même soit constatée. Et cette forme propre, elle ne la possède que dans largent. Cest sous la forme argent quelle commence, termine et recommence son procédé de génération spontanée. Elle était 100 l. st., elle est maintenant 110 l. st., et ainsi de suite. Mais largent lui-même nest ici quune forme de la valeur, car celle-ci en a deux. Que la forme marchandise soit mise de côté et largent ne devient pas capital. Cest le changement de place par deux fois de la même marchandise: premièrement dans lachat où elle remplace largent avancé, secondement dans la vente où largent est repris de nouveau ; cest ce double déplacement seul qui occasionne le reflux de largent à son point de départ, et de plus dargent quil nen avait été jeté dans la circulation. Largent na donc point ici une attitude hostile, vis-à-vis de la marchandise, comme cest le cas chez le thésauriseur. Le capitaliste sait fort bien que toutes les marchandises, quelles que soient leur apparence et leur odeur, « sont dans la foi et dans la vérité » de largent, et de plus des instruments merveilleux pour faire de largent.
Nous avons vu que: dans la circulation simple, il saccomplit une séparation formelle entre les marchandises et leur valeur, qui se pose en face delles sous laspect argent. Maintenant, la valeur se présente tout à coup comme une substance motrice delle-même, et pour laquelle marchandise et argent ne sont que de pures formes. Bien plus, au lieu de représenter des rapports entre marchandises, elle entre, pour ainsi dire, en rapport privé avec elle-même. Elle distingue an soi sa valeur primitive de sa plus-value, de la même façon que Dieu distingue en sa personne le père et le fils, et que tous les deux ne font quun et sont du même âge, car ce nest que par la plus-value de 10 l. st. que les 100 premières l. st. avancées deviennent capital; et dès que cela est accompli, dès que le fils a été engendré par le père et réciproquement, toute différence sévanouit et il ny a plus quun seul être : 110 l. st.
La valeur devient donc valeur progressive, argent toujours bourgeonnant, poussant et, comme tel, capital. Elle sort de la circulation, y revient, sy maintient et sy multiplie, en sort de nouveau accrue et recommence sans cesse la même rotation [15] . A—A, argent qui pond de largent, monnaie qui fait des petits — money which begets money — telle est aussi la définition du capital dans la bouche de ses premiers interprètes, les mercantilistes.
Acheter pour vendre, ou mieux, acheter pour vendre plus cher, A—MA, voilà une forme qui ne semble propre quà une seule espèce de capital, au capital commercial. Mais le capital industriel est aussi de largent qui se transforme en marchandise et, par la vente de cette dernière, se retransforme en plus dargent. Ce qui se passe entre lachat et la vente, en dehors de la sphère de circulation, ne change rien à cette forme de mouvement. Enfin, par rapport au capital usuraire, la forme A—MA est réduite à ses deux extrêmes sans terme moyen ; elle se résume, en style lapidaire, en A—A, argent qui vaut plus dargent, valeur qui est plus grande quelle-même.
A—MA est donc réellement la formule générale du capital, tel quil se montre dans la circulation.
Notes
[1] Lopposition qui existe entre la puissance de la propriété foncière basée sur des rapports personnels de domination et de dépendance et la puissance impersonnelle de largent se trouve clairement exprimée dans les deux dictons français « Nulle terre sans seigneur. » « Largent na pas de maître ».
[2] « Avec de largent on achète des marchandises, et avec des marchandises, on achète de largent. » (MERCIER DE LA RIVIERE, Lordre naturel et essentiel des sociétés politiques, op. cit., p. 543.)
[3] « Quand une chose est achetée pour être vendue ensuite, la somme employée à lachat est dite monnaie avancée ; si elle nest pas achetée pour être vendue, la somme peut être dite dépensée » (James STEUART, Works, etc., edited by General sir James Steuart, his son, London, 1805, v. 1, p. 274.)
[4] « On néchange pas de largent contre de largent », crie Mercier de la Rivière aux mercantilistes (op. cit., p. 486). Voici ce quon lit dans un ouvrage qui traite ex professo [dun point de vue technique] du commerce et de la spéculation: « Tout commerce consiste dans léchange de choses despèce différente; et le profit [pour le marchand ?] provient précisément de cette différence. Il ny aurait aucun profit ... à échanger une livre de pain contre une livre de pain ..., cest ce qui explique le contraste avantageux qui existe entre le commerce et le jeu, ce dernier nétant que léchange dargent contre argent. » (Th. CORBET, An Inquiry into the Causes and Modes of the Wealth of Individuals ; or the Principles of Trade and Speculation explained, London, 1841, p.5) Bien que Corbet ne voie pas que A—A, léchange dargent contre argent, est la forme de circulation caractéristique non seulement du capital commercial, mais encore de tout capital, il admet cependant que cette forme dun genre de commerce particulier, de la spéculation, est la forme du jeu ; mais ensuite vient Mac Culloch, qui trouve quacheter pour vendre, cest spéculer, et qui fait tomber ainsi toute différence entre la spéculation et le commerce : « Toute transaction dans laquelle un individu achète des produits pour les revendre est, en fait, une spéculation. » (Mac CULLOCH, A Dictionary practical, etc., of Commerce, London, 1847, p. 1009.) Bien plus naïf sans contredit est Pinto, le Pindare de la Bourse dAmsterdam : « Le commerce est un jeu [proposition empruntée à Locke] ; et ce nest pas avec des gueux quon peut gagner. Si lon gagnait longtemps en tout avec tous, il faudrait rendre de bon accord les plus grandes parties du profit, pour recommencer le jeu. » (PINTO, Traité de la circulation et du crédit, Amsterdam, 1771, p. 231.)
[5] Le mot « quantitativement » a été rétabli daprès lédition allemande.
[6] « Le capital se divise en deux parties, le capital primitif et le gain, le surcroît du capital ... Mais dans la pratique le gain est réuni de nouveau au capital et mis en circulation avec lui. » (F. ENGELS, Umrisse zu einer Kritik der Nationalökonomie dans les Annales franco-allemandes, Paris, 1844, p. 99.)
[7] Aristote oppose léconomique à la chrématistique. La première est son point de départ. En tant quelle est lart dacquérir, elle se borne à procurer les biens nécessaires à la vie et utiles soit au foyer domestique, soit à lÉtat. « La vraie richesse (o alhqinoV ploutoV) consiste en des valeurs dusage de ce genre, car la quantité des choses qui peuvent suffire pour rendre la vie heureuse nest pas illimitée. Mais il est un autre art dacquérir auquel on peut donner à juste titre le nom de chrématistique, qui fait quil semble ny avoir aucune limite à la richesse et à la possession. Le commerce des marchandises (h kaphlikh), mot à mot : commerce de détail, (et Aristote adopte cette forme parce que la valeur dusage y prédomine) nappartient pas de sa nature à la chrématistique, parce que léchange ny a en vue que ce qui est nécessaire aux acheteurs et aux vendeurs ». Plus loin, il démontre que le troc a été la forme primitive du commerce, mais que son extension a fait naître largent. A partir de la découverte de largent, léchange dut nécessairement se développer, devenir (kaphlikh) ou commerce de marchandises, et celui-ci, en contradiction avec sa tendance première, se transforma en chrématistique ou en art de faire de largent. La chrématistique se distingue de léconomique en ce sens que « pour elle la circulation est la source de la richesse (poihtikh crhmatwn ... dia crhmatwn meiabolhV) et elle semble pivoter autour de largent, car largent est le commencement et la fin de ce genre déchange (to gar nomisma stoiceion kai peraV thV allaghV estin). Cest pourquoi aussi la richesse, telle que la en vue la chrématistique, est illimitée. De même que tout art qui a son but en lui-même, peut être dit infini dans sa tendance, parce quil cherche toujours à sapprocher de plus en plus de ce but, à la différence des arts dont le but tout extérieur est vite atteint, de même la chrématistique est infinie de sa nature, car ce quelle poursuit est la richesse absolue. Léconomique est limitée, la chrématistique, non... ; la première se propose autre chose que largent, la seconde poursuit son augmentation... Cest pour avoir confondu ces deux formes que quelques-uns ont cru à tort que lacquisition de largent et son accroissement à linfini étaient le but final de léconomique ». (ARISTOTE, De Republica, édit. Bekker, lib. I, chap. VIII et IX, passim.)
[8] Les marchandises (prises ici dans le sens de valeurs dusage) ne sont pas lobjet déterminant du capitaliste qui fait des affaires... son objet déterminant, cest largent. (TH. CHALMERS, On Political Economy, etc., 2éme éd., Glasgow, 1832, p. 165, 166.) [1ère édition]
[9] « Le marchand ne compte pour rien le bénéfice présent ; il a toujours en vue le bénéfice futur ». (A. GENOVESI, Lezioni di Economia civile (1765), édit. des Economistes italiens de Custodi, Parte moderna, t. VIII, p. 139.)
[10] « La soif insatiable du gain, lauri sacra fames, caractérise toujours le capitaliste. » (Mac CULLOCH, The Principles of Politic Econ., London. 1830 p. 179.) — Cet aphorisme nempêche pas naturellement le susdit Mac Culloch et consorts, à propos de difficultés théoriques, quand il sagit, par exemple, de traiter la question de lencombrement du marché, de transformer le capitaliste en un bon citoyen qui ne sintéresse quà la valeur dusage, et qui même a une vraie faim dogre pour les ufs, le coton, les chapeaux, les bottes et une foule dautres articles ordinaires.
[11] Swxein, sauver, est une des expressions caractéristiques des Grecs pour la manie de thésauriser. De même le mot anglais to save signifie « sauver » et épargner.
[12] « Cet infini que les choses natteignent pas dans la progression, elles latteignent dans la rotation » (GALIANI, Della Moneta, op. cit., p. 156.)
[13] « Ce nest pas la matière qui fait le capital, mais la valeur de cette matière. » (J.B. SAY, Traité déconomie politique, 3e édit., Paris, 1817, t. II, p. 429, note.)
[14] « Largent (currency !) employé dans un but de production est capital. » (Mac LEOD, The Theory and Practice of Banking, London, 1855, v. I, ch. I.) « Le capital est marchandise. » (James MILL, Elements of Pol. Econ., London, 1821, p. 74.)
[15] « Capital ... valeur permanente, multipliante... » (SISMONDI, Nouveaux principes déconomie politique, Paris, 1819, t. I, p. 89.)