1867

Une publication réalisée en collaboration avec le site le.capital.free.fr.


Le Capital - Livre premier

Le développement de la production capitaliste

Karl MARX

III° section : la production de la plus-value absolue

Chapitre IX : Le taux de la plus-value


  1. Le degré d’exploitation de la force de travail

    La plus value que le capital avancé C a engendrée dans le cours de la production se présente d'abord comme excédent de la valeur du produit sur la valeur de ses éléments.

    Le capital C se décompose en deux parties : une somme d'argent c (capital constant), qui est dépensée pour les moyens de production, et une autre somme d'argent v (capital variable), qui est dépensée en force de travail. A l'origine donc, C = c + v ou, pour prendre un exemple, le capital avancé de 500 l. st. =

    c v
    410 l. st.  +  90 l. st.

    L'opération productive terminée, on a pour résultat une marchandise dont la valeur = c + v + p, (p étant la plus value), soit :

    c v p
    410 l. st.  +  90 l. st.  +  90 l. st.

    Le capital primitif C s'est transformé en C', de cinq cents en cinq cent quatre vingt dix livres sterling. La différence entre les deux = p, une plus value de quatre vingt dix. La valeur des éléments de production étant égale à la valeur du capital avancé, c'est une vraie tautologie de dire que l'excédant de la valeur du produit sur la valeur de ses éléments est égale au surcroît du capital avancé, ou à la plus value produite.

    Cette tautologie exige cependant un examen plus approfondi. Ce qui est comparé avec la valeur du produit, c'est la valeur des éléments de production consommés dans sa formation. Mais nous avons vu que cette partie du capital constant employé, qui consiste en instruments de travail, ne transmet qu'une fraction de sa valeur au produit, tandis que l'autre fraction persiste sous son ancienne forme. Comme celle ci ne joue aucun rôle dans la formation de la valeur, il faut en faire complètement abstraction. Son entrée en ligne de compte ne changerait rien. Supposons que c = 410 livres sterling, soit trois cent douze livres sterling pour matières premières, quarante quatre livres sterling pour matières auxiliaires et cinquante quatre livres sterling pour usure de la machine, mais que la valeur de tout l'appareil mécanique employé réellement se monte à mille cinquante quatre livres sterling. Nous ne comptons comme avance faite que la valeur de cinquante quatre livres sterling perdues par la machine dans son fonctionnement et transmise par cela même au produit. Si nous voulions compter les mille livres sterling qui continuent à exister sous leur ancienne forme comme machine à vapeur, etc., il nous faudrait les compter doublement, du côté de la valeur avancée et du côté du produit obtenu [1]. Nous obtiendrions ainsi mille cinq cents livres sterling et mille cinq cent quatre vingt-dix livres sterling de sorte que la plus value serait, après comme avant, de quatre vingt dix livres sterling. Sous le nom de capital constant avancé pour la production de la valeur, et c'est cela dont il s'agit ici, nous ne comprenons donc jamais que la valeur des moyens consommés dans le cours de la production.

    Ceci admis, revenons à la formule C = c + v, qui est devenue C’ = c + v + p, de sorte que C s'est transformé en C’. On sait que la valeur du capital constant ne fait que réapparaître dans le produit. La valeur réellement nouvelle, engendrée dans le cours de la production même, est donc différente de la valeur du produit obtenu. Elle n'est pas, comme il semblerait au premier coup d’œil, ou c + v + p ou :

    c v p
    410 l. st.  +  90 l. st.  +  90 l. st.

    Mais v + p ou :

    v p
    90 l. st.  +  90 l. st.

    Elle n'est pas cinq cent quatre vingt dix, mais cent quatre-vingts livres sterling. Si le capital constant c égalait zéro, en d'autres termes s'il y avait des branches d'industrie où le capitaliste n'aurait à employer aucun moyen de production créé par le travail, ni matière première, ni matières auxiliaires, ni instruments, mais seulement la force de travail et des matériaux fournis par la nature, aucune portion constante de valeur ne pourrait être transmise au produit. Cet élément de la valeur du produit, dans notre exemple quatre cent dix livres sterling, serait éliminé, mais la valeur produite de cent quatre vingts livres sterling, laquelle contient quatre vingt dix livres sterling de plus value, serait tout aussi grande que si c représentait une valeur incommensurable. Nous aurions C = 0 + v = v et C’ (le capital accru de la plus value) = v + p; C’   C, après comme avant = p. Si, au contraire, p égalait zéro, en d'autres termes si la force de travail, dont la valeur est avancée dans le capital variable, ne produisait que son équivalent, alors C = c + v et C’ (la valeur du produit) = c + v + 0; par conséquent C = C’. Le capital avancé ne se serait point accru.

    Nous savons déjà que la plus value est une simple conséquence du changement de valeur qui affecte v (la partie du capital transformée en force de travail) que par conséquent v + p = v + Dv (v plus un incrément de v). Mais le caractère réel de ce changement de valeur ne perce pas à première vue; cela provient de ce que, par suite de l'accroissement de son élément variable, le total du capital avancé s'accroît aussi. Il était cinq cents et il devient cinq cent quatre vingt dix. L'analyse pure exige donc qu'il soit fait abstraction de cette partie de la valeur du produit, où ne réapparaît que la valeur du capital constant et que l'on pose ce dernier = 0. C'est l'application d'une loi mathématique employée toutes les fois qu'on opère avec des quantités variables et des quantités constantes et que la quantité constante n'est liée à la variable que par addition ou soustraction.

    Une autre difficulté provient de la forme primitive du capital variable. Ainsi, dans l'exemple précédent, C’ = quatre cent dix livres sterling de capital constant, quatre vingt dix livres sterling de capital variable et quatre vingt dix livres sterling de plus value. Or, quatre vingt dix livres sterling sont une grandeur donnée, constante, qu'il semble absurde de traiter comme variable. Mais 90 livres sterling (v) ou quatre vingt dix livres sterling de capital variable ne sont qu'un symbole pour la marche que suit cette valeur. En premier lieu deux valeurs constantes sont échangées l'une contre l'autre, un capital de quatre vingt dix livres sterling contre une force de travail qui vaut aussi quatre vingt dix livres sterling. Cependant dans le cours de la production les quatre vingt dix livres sterling avancées viennent d'être remplacées, non par la valeur de la force de travail, mais par son mouvement, le travail mort par le travail vivant, une grandeur fixe par une grandeur fluide, une constante par une variable. Le résultat est la reproduction de v plus un incrément de v. Du point de vue de la production capitaliste, tout cet ensemble est un mouvement spontané, automatique de la valeur capital transformée en force de travail. C'est à elle que le procès complet et son résultat sont attribués. Si donc la formule « quatre vingt dix livres sterling de capital variable », laquelle exprime une valeur qui fait des petits, semble contradictoire, elle n'exprime qu'une contradiction immanente à la production capitaliste.

    Il peut paraître étrange au premier coup d’œil que l'on pose ainsi le capital constant = 0, mais c'est là une opération que l'on fait tous les jours dans la vie ordinaire. Quelqu'un veut il calculer le bénéfice obtenu par la Grande Bretagne dans l'industrie cotonnière, il commence par éliminer le prix du coton payé aux Etats Unis, à l'Inde, à l'Egypte, etc., c'est à dire, il pose = 0 la partie du capital qui ne fait que réapparaître dans la valeur du produit.

    Assurément le rapport de la plus value non seulement avec la partie du capital d'où elle provient immédiatement, et dont elle représente le changement de valeur, mais encore avec le total du capital avancé, a une grande importance économique. Aussi traiterons nous cette question avec tous les détails dans le troisième livre. Pour qu'une partie du capital gagne en valeur par sa transformation en force de travail, il faut qu'une autre partie du capital soit déjà transformée en moyens de production. Pour que le capital variable fonctionne, il faut qu'un capital constant soit avancé dans des proportions correspondantes, d'après le caractère technique de l'entreprise. Mais parce que, dans toute manipulation chimique, on emploie des cornues et d'autres vases, il ne s'ensuit pourtant pas que dans l'analyse on ne fasse abstraction de ces ustensiles. Dès que l'on examine la création de valeur et la modification de valeur purement en elles-mêmes, les moyens de production, ces représentants matériels du capital constant, ne fournissent que la matière dans laquelle la force fluide, créatrice de valeur, peut se figer. Coton ou fer, peu importent donc la nature et la valeur de cette matière. Elle doit tout simplement se trouver là en quantité suffisante pour pouvoir absorber le travail à dépenser dans le cours de la production. Cette quantité de matière une fois donnée, que sa valeur monte ou baisse, ou même qu'elle n'ait aucune valeur, comme la terre vierge et la mer, la création de valeur et son changement de grandeur n'en seront pas affectés [2].

    Nous posons donc tout d'abord la partie constante du capital égale à zéro. Le capital avancé c + v se réduit conséquemment à v, et la valeur du produit c + v + p à la valeur produite v + p. Si l'on admet que celle-ci = 180 livres sterling dans lesquelles se manifeste le travail qui s'écoule pendant toute la durée de la production; il nous faut soustraire la valeur du capital variable, soit quatre vingt dix livres sterling, pour obtenir la plus value de quatre vingt dix livres sterling. Ces quatre vingt dix livres sterling expriment ici la grandeur absolue de la plus value produite. Pour ce qui est de sa grandeur proportionnelle, c'est à dire du rapport suivant lequel le capital variable a gagné en valeur, elle est évidemment déterminée par le rapport de la plus value au capital variable et s'exprime par p/v. Dans l'exemple qui précède, elle est donc 90/90 = 100 %. Cette grandeur proportionnelle est ce que nous appelons taux de la plus value [3].

    Nous avons vu que l'ouvrier, pendant une partie du temps qu'exige une opération productive donnée, ne produit que la valeur de sa force de travail, c'est à dire la valeur des subsistances nécessaires à son entretien. Le milieu dans lequel il produit étant organisé par la division spontanée du travail social, il produit sa subsistance, non pas directement, mais sous la forme d'une marchandise particulière, sous la forme de filés, par exemple, dont la valeur égale celle de ses moyens de subsistance, ou de l'argent avec lequel il les achète. La partie de sa journée de travail qu'il y emploie est plus ou moins grande, suivant la valeur moyenne de sa subsistance journalière ou le temps de travail moyen exigé chaque jour pour la produire. Lors même qu'il ne travaillerait pas pour le capitaliste, mais seulement pour lui-même, il devrait, toutes circonstances restant égales, travailler en moyenne, après comme avant, la même partie aliquote du jour pour gagner sa vie. Mais comme dans la partie du jour où il produit la valeur quotidienne de sa force de travail, soit trois shillings, il ne produit que l'équivalent d'une valeur déjà payée par le capitaliste, et ne fait ainsi que compenser une valeur par une autre, cette production de valeur n'est en fait qu'une simple reproduction. Je nomme donc temps de travail nécessaire, la partie de la journée où cette reproduction s'accomplit, et travail nécessaire le travail dépensé pendant ce temps [4] ; nécessaire pour le travailleur, parce qu'il est indépendant de la forme sociale de son travail; nécessaire pour le capital et le monde capitaliste, parce que ce monde a pour base l'existence du travailleur.

    La période d'activité, qui dépasse les bornes du travail nécessaire, coûte, il est vrai, du travail à l'ouvrier, une dépense de force, mais ne forme aucune valeur pour lui. Elle forme une plus value qui a pour le capitaliste tous les charmes d'une création ex nihilo. Je nomme cette partie de la journée de travail, temps extra et le travail dépensé en elle surtravail. S'il est d'une importance décisive pour l'entendement de la valeur en général de ne voir en elle qu'une simple coagulation de temps de travail, que du travail réalisé, il est d'une égale importance pour l'entendement de la plus value de la comprendre comme une simple coagulation de temps de travail extra, comme du surtravail réalisé. Les différentes formes économiques revêtues par la société, l'esclavage, par exemple, et le salariat, ne se distinguent que par le mode dont ce surtravail est imposé et extorqué au producteur immédiat, à l'ouvrier [5].

    De ce fait, que la valeur du capital variable égale la valeur de la force de travail qu'il achète; que la valeur de cette force de travail détermine la partie nécessaire de la journée de travail et que la plus value de son côté est déterminée par la partie extra de cette même journée, il suit que : la plus value est au capital variable ce qu'est le surtravail au travail nécessaire ou le taux de la plus value p/v = surtravail/travail nécessaire. Les deux proportions présentent le même rapport sous une forme différente; une fois sous forme de travail réalisé, une autre fois, sous forme de travail en mouvement.

    Le taux de la plus value est donc l'expression exacte du degré d'exploitation de la force de travail par le capital ou du travailleur par le capitaliste [6].

    D'après notre supposition, la valeur du produit =

    c v p
    410 l. sterling  +  90 l. sterling  +  90 l. sterling

    Le capital avancé = 500 livres sterling. De ce que la plus value = 90 livres sterling et le capital avancé = 500 livres sterling, on pourrait conclure d'après le mode ordinaire de calcul, que le taux de la plus value (que l'on confond avec le taux du profit) = 18 %, chiffre dont l'infériorité relative remplirait d'émotion le sieur Carey et les autres harmonistes du même calibre.

    Mais en réalité le taux de la plus value égale non pas p/C ou p/(c + v) mais p/v c'est à dire, il est non pas 90/500 mais 90/90 = 100 %, plus de cinq fois le degré d'exploitation apparent. Bien que dans le cas donné, nous ne connaissions ni la grandeur absolue de la journée de travail, ni la période des opérations (jour, semaine, etc.), ni enfin le nombre des travailleurs que le capital variable de quatre vingt dix livres sterling met en mouvement simultanément, néanmoins le taux de la plus value p/v par sa convertibilité dans l'autre formule (surtravail / travail nécessaire) nous montre exactement le rapport des deux parties constituantes de la journée de travail l'une avec l'autre. Ce rapport est cent pour cent. L'ouvrier a donc travaillé une moitié du jour pour lui même et l'autre moitié pour le capitaliste.

    Telle est donc, en résumé, la méthode à employer pour le calcul du taux de la plus value. Nous prenons la valeur entière du produit et nous posons égale à zéro la valeur du capital constant qui ne fait qu'y reparaître; la somme de valeur qui reste est la seule valeur réellement engendrée pendant la production de la marchandise. Si la plus value est donnée, il nous faut la soustraire de cette somme pour trouver le capital variable. C'est l'inverse qui a lieu si ce dernier est donné et que l'on cherche la plus value. Tous les deux sont ils donnés, il ne reste plus que l'opération finale, le calcul de p/v du rapport de la plus value au capital variable.

    Si simple que soit cette méthode, il convient d'y exercer le lecteur par quelques exemples qui lui en faciliteront l'application.

    Entrons d'abord dans une filature. Les données suivantes appartiennent à l'année 1871 et m'ont été fournies par le fabricant lui même. La fabrique met en mouvement dix mille broches, file avec du coton américain des filés n°32, et produit chaque semaine une livre de filés par broche. Le déchet du coton se monte à six pour cent. Ce sont donc par semaine dix mille six cents livres de coton que le travail transforme en dix mille livres de filés et six cents livres de déchet. En avril 1871, ce coton coûtait sept pence trois quarts par livre et conséquemment pour dix mille six cents livres, la somme ronde de trois cent quarante deux livres sterling. Les dix mille broches, y compris la machine à filer et la machine à vapeur, coûtent une livre sterling la pièce, c'est à dire dix mille livres sterling. Leur usure se monte à 10 % = 1 000 livres sterling, ou chaque semaine vingt livres sterling. La location des bâtiments est de trois cents livres sterling ou de six livres sterling par semaine. Le charbon (quatre livres par heure et par force de cheval, sur une force de cent chevaux donnée par l'indicateur [7] et soixante heures par semaine, y compris le chauffage du local) atteint par semaine le chiffre de onze tonnes et à huit shillings six pence par tonne, coûte chaque semaine quatre livres sterling dix shillings; la consommation par semaine est également pour le gaz d'une livre sterling, pour l'huile de quatre livres sterling dix shillings, pour toutes les matières auxiliaires de dix livres sterling.   La portion de valeur constante par conséquent = 378 livres sterling. Puisqu'elle ne joue aucun rôle dans la formation de la valeur hebdomadaire, nous la posons égale à zéro.

    Le salaire des ouvriers se monte à cinquante deux livres sterling par semaine; le prix des filés, à douze pence un quart la livre, est, pour dix mille livres, de cinq cent dix livres sterling. La valeur produite chaque semaine est par conséquent = 510 livres sterling   378 livres sterling, ou = 132 livres sterling. Si maintenant nous en déduisons le capital variable (salaire des ouvriers) = 52 livres sterling, il reste une plus value de quatre vingts livres sterling. Le taux de la plus value est donc = 80/52 = 153 11/13 %. Pour une journée de travail moyenne de dix heures par conséquent, le travail nécessaire = 3 h 31/33 et le surtravail = 6 h 2/33.

    Voici un autre calcul, très défectueux, il est vrai, parce qu'il y manque plusieurs données, mais suffisant pour notre but. Nous empruntons les faits à un livre de Jacob à propos des lois sur les céréales (1815). Le prix du froment est de quatre-vingts shillings par quart (huit boisseaux), et le rendement moyen de l'arpent est de vingt-deux boisseaux, de sorte que l'arpent rapporte onze livres sterling.

    Production de valeur par arpent.

    Semences (froment)

    1 l. st. 9 sh.

    Dîmes, taxes

    1 l. st. 1 sh

    Engrais

    2 l. st. 10 sh.

    Rente foncière

    1 l. st. 8 sh

    Salaires

    3 l. st. 10 sh.

    Profit du fermier et intérêts

    1 l. st. 2 sh.

    Somme

    7 l. st. 9 sh.

    Somme

    3 l. st. 11 sh.

    La plus-value, toujours en admettant que le prix du produit est égal à sa valeur, se trouve ici répartie entre diverses rubriques, profit, intérêt, dîmes, etc. Ces rubriques nous étant indifférentes. nous les additionnons toutes ensemble et obtenons ainsi une plus-value de trois livres sterling onze shillings. Quant aux trois livres sterling dix neuf shillings pour semence et engrais nous les posons égales à zéro comme partie constante du capital. Reste le capital variable avancé de trois livres sterling dix shillings, à la place duquel une valeur nouvelle de 3 livres sterling 10 shillings + 3 livres sterling 11 shillings a été produite. Le taux de la plus-value p/v égale :

    (3 livres sterling 11 shillings) /(3 livres sterling 10 shillings) = plus de 100 %.

    Le laboureur emploie donc plus de la moitié de sa journée de travail à la production d'une plus-value que diverses personnes se partagent entre elles sous divers prétextes [8].

  2. Expression de la valeur du produit en parties proportionnelles du même produit

    Reprenons l'exemple qui nous a servi à montrer comment le capitaliste transforme son argent en capital. Le travail nécessaire de son fileur se montait à six heures, de même que le surtravail; le degré d'exploitation du travail s'élevait donc à cent pour cent.

    Le produit de la journée de douze heures est vingt livres de filés d'une valeur de trente shillings. Pas moins des huit dixièmes de cette valeur, ou vingt-quatre shillings, sont formés par la valeur des moyens de production consommés, des vingt livres de coton à vingt shillings, des broches à quatre shillings, valeur qui ne fait que réapparaître; autrement dit huit dixièmes de la valeur des filés consistent en capital constant. Les deux dixièmes qui restent sont la valeur nouvelle de six shillings engendrée pendant le filage, dont une moitié remplace la valeur journalière de la force de travail qui a été avancée, c'est à dire le capital variable de trois shillings et dont l'autre moitié forme la plus-value de trois shillings. La valeur totale de vingt livres de filés est donc composée de la manière suivante : Valeur en filés de

    c v p
    30 shillings  =  24 shillings  +  3 shillings  +  3 shillings

    Puisque cette valeur totale se représente dans le produit de vingt livres de filés, il faut que les divers éléments de cette valeur puissent être exprimés en parties proportionnelles du produit.

    S'il existe une valeur de trente shillings dans vingt livres de filés, huit dixièmes de cette valeur, ou sa partie constante de vingt-quatre shillings, existeront dans huit dixièmes du produit, ou dans seize livres de filés. Sur celles-ci treize livres un tiers représentent la valeur de la matière première, des vingt livres de coton qui ont été filées, soit vingt shillings, et deux livres deux tiers la valeur des matières auxiliaires et des instruments de travail consommés, broches, etc., soit quatre shillings.

    Dans treize livres un tiers de filés, il ne se trouve, à vrai dire, que treize livres un tiers de coton d'une valeur de treize shillings un tiers; mais leur valeur additionnelle de six shillings deux tiers forme un équivalent pour le coton contenu dans les six livres deux tiers de filés qui restent. Les treize livres un tiers de filés représentent donc tout le coton contenu dans le produit total de vingt livres de filés, la matière première du produit total, mais aussi rien de plus. C'est donc comme si tout le coton du produit entier eût été comprimé dans treize livres un tiers de filés et qu'il ne s'en trouvât plus un brin dans les six livres deux tiers restantes. Par contre, ces treize livres un tiers de filés ne contiennent dans notre cas aucun atome ni de la valeur des matières auxiliaires et des instruments de travail consommés, ni de la valeur nouvelle créée par le filage.

    De même les autres deux livres deux tiers de filés qui composent le reste du capital constant = 4 shillings, ne représentent rien autre chose que la valeur des matières auxiliaires et des instruments de travail consommés pendant tout le cours de la production.

    Ainsi donc huit dixièmes du produit ou seize livres de filés, bien que formés, en tant que valeurs d'usage, par le travail du fileur, tout comme les parties restantes du produit, ne contiennent dans cet ensemble pas le moindre travail absorbé pendant l'opération même du filage. C'est comme si ces huit dixièmes s'étaient transformés en filés sans l'intermédiaire du travail, et que leur forme filés ne fût qu'illusion. Et en fait, quand le capitaliste les vend vingt quatre shillings et rachète avec cette somme ses moyens de production, il devient évident que seize livres de filés ne sont que coton, broches, charbon, etc., déguisés. D'un autre côté, les deux dixièmes du produit qui restent, ou quatre livres de filés, ne représentent maintenant rien autre chose que la valeur nouvelle de six shillings produite dans les douze heures qu'a duré l'opération. Ce qu'ils contenaient de la valeur des matières et des instruments de travail consommés leur a été enlevé pour être incorporé aux seize premières livres de filés. Le travail du fileur, matérialisé dans le produit de vingt livres de filés, est maintenant concentré dans quatre livres, dans deux dixièmes du produit. C'est comme si le fileur avait opéré le filage de ces quatre livres dans l'air, ou bien avec du coton et des broches, qui, se trouvant là gratuitement, sans l'aide du travail humain, n'ajouteraient aucune valeur au produit. Enfin de ces quatre livres de filés, où se condense toute la valeur produite en douze heures de filage, une moitié ne représente que l'équivalent de la force de travail employée, c'est à dire que les trois shillings de capital variable avancé, l'autre moitié que la plus value de trois shillings.

    Puisque douze heures de travail du fileur se matérialisent en une valeur de six shillings, la valeur des filés montant à trente shillings représente donc soixante heures de travail. Elles existent dans vingt livres de filés dont huit dixièmes ou seize livres sont la matérialisation de quarante huit heures de travail qui ont précédé l'opération du filage, du travail contenu dans les moyens de production des filés; et dont deux dixièmes ou quatre livres de filés sont la matérialisation des douze heures de travail dépensées dans l'opération du filage.

    Nous avons vu plus haut comment la valeur totale des filés égale la valeur enfantée dans leur production plus les valeurs déjà préexistantes dans leurs moyens de production. Nous venons de voir maintenant comment les éléments fonctionnellement différents de la valeur peuvent être exprimés en parties proportionnelles du produit.

    Cette décomposition du produit,   du résultat de la production   en une quantité qui ne représente que le travail contenu dans les moyens de production, ou la partie constante du capital, en un autre quantum qui ne représente que le travail nécessaire ajouté pendant le cours de la production, ou la partie variable du capital, et en un dernier quantum, qui ne représente que le surtravail ajouté dans ce même procédé, ou la plus value : cette décomposition est aussi simple qu'importante, comme le montrera plus tard son application à des problèmes plus complexes et encore sans solution.

    Au lieu de décomposer ainsi le produit total obtenu dans une période, par exemple une journée, en quote parts représentant les divers éléments de sa valeur, on peut arriver au même résultat en représentant les produits partiels comme provenant de quote-parts de la journée de travail. Dans le premier cas nous considérons le produit entier comme donné, dans l'autre nous le suivons dans ses phases d'évolution.

    Le fileur produit en douze heures vingt livres de filés, en une heure par conséquent une livre deux tiers et en huit heures treize livres un tiers, c'est à dire un produit partiel valant à lui seul tout le coton filé pendant la journée. De la même manière le produit partiel de l'heure et des trente six minutes suivantes égale deux livres deux tiers de filés, et représente par conséquent la valeur des instruments de travail consommés pendant les douze heures de travail; de même encore le fileur produit dans les soixante quinze minutes qui suivent deux livres de filés valant trois shillings,   une valeur égale à toute la valeur qu'il crée en six heures de travail nécessaire. Enfin, dans les dernières soixante-quinze minutes il produit également deux livres de filés dont la valeur égale la plus value produite par sa demi journée de surtravail. Le fabricant anglais se sert pour son usage personnel de ce genre de calcul; il dira, par exemple, que dans les huit premières heures ou deux tiers de la journée de travail il couvre les frais de son coton. Comme on le voit, la formule est juste; c'est en fait la première formule transportée de l'espace dans le temps; de l'espace où les parties du produit se trouvent toutes achevées et juxtaposées les unes aux autres, dans le temps, où elles se succèdent. Mais cette formule peut en même temps être accompagnée de tout un cortège d'idées barbares et baroques, surtout dans la cervelle de ceux qui, intéressés en pratique à l'accroissement de la valeur, ne le sont pas moins en théorie à se méprendre sur le sens de ce procès. On peut se figurer, par exemple, que notre fileur produit ou remplace dans les huit premières heures de son travail la valeur du coton, dans l'heure et les trente six minutes suivantes la valeur des moyens de production consommés, dans l'heure et les douze minutes qui suivent le salaire, et qu'il ne consacre au fabricant pour la production de la plus value que la célèbre « Dernière heure ». On attribue ainsi au fileur un double miracle, celui de produire coton, broches, machine à vapeur, charbon, huile, etc., à l'instant même où il file au moyen d'eux, et de faire ainsi d'un jour de travail cinq. Dans notre cas, par exemple, la production de la matière première et des instruments de travail exige quatre journées de travail de douze heures, et leur transformation en filés exige de son côté une autre journée de travail de douze heures. Mais la soif du lucre fait croire aisément à de pareils miracles et n'est jamais en peine de trouver le sycophante doctrinaire qui se charge de démontrer leur rationalité. C'est ce que va nous prouver l'exemple suivant d'une célébrité historique.

  3. La « dernière heure » de Senior

    Par un beau matin de l'année 1836, Nassau W. Senior, que l'on pourrait appeler le normalien des économistes anglais, également fameux par sa science économique et « son beau style », fut invité à venir apprendre à Manchester l'économie politique qu'il professait à Oxford. Les fabricants l'avaient élu leur défenseur contre le Factory Act nouvellement promulgué, et l'agitation des dix heures qui allait encore au delà. Avec leur sens pratique ordinaire, ils avaient cependant reconnu que M. le professeur « wanted a good deal of finishing », avait grand besoin du coup de pouce de la fin pour être un savant accompli. Ils le firent donc venir à Manchester. Le professeur mit en style fleuri la leçon que lui avaient faite les fabricants, dans le pamphlet intitulé : Letters on the Factorv act, as it affects the cotton manufacture. London, 1837. Il est d'une lecture récréative comme on peut en juger par le morceau suivant :

    « Avec la loi actuelle, aucune fabrique qui emploie des personnes au dessous de dix huit ans, ne peut travailler plus de onze heures et demie par jour, c'est à dire douze heures pendant les cinq premiers jours de la semaine et neuf heures le samedi. Eh bien, l'analyse (!) suivante démontre que, dans une fabrique de ce genre, tout le profit net provient de la dernière heure. Un fabricant dépense cent mille livres sterling : quatre vingt mille livres sterling en bâtiments et en machines, vingt mille en matière première et en salaires. En supposant que le capital fasse une seule évolution par an et que le profit brut atteigne quinze pour cent, la fabrique doit livrer chaque année des marchandises pour une valeur de cent quinze mille livres sterling. Chacune des vingt trois demi heures de travail produit chaque jour cinq cents quinzièmes ou un vingt troisième de cette somme. Sur ces vingt trois vingt troisièmes qui forment l'entier des cent quinze mille livres sterling (constituting the whole 115 000 l. st.) vingt vingt troisièmes, c'est à dire cent mille livres sterling sur les cent quinze mille, remplacent ou compensent seulement le capital; un vingt troisième ou cinq mille livres sterling sur les quinze mille de profit brut (!) couvrent l'usure de la fabrique et des machines. Les deux vingt troisièmes qui restent, les deux dernières demi heures de chaque jour produisent le profit net de dix pour cent. Si donc, les prix restant les mêmes, la fabrique pouvait travailler treize heures au lieu de onze et demie, et qu'on augmentât le capital circulant d'environ deux mille six cents livres sterling, le profit net serait plus que doublé. D'un autre côté, si les heures de travail étaient réduites d'une heure par jour, le profit net disparaîtrait; si la réduction allait jusqu'à une heure et demie, le profit brut disparaîtrait également [9]. »

    Et voilà ce que M. le professeur appelle une analyse ! S'il ajoutait foi aux lamentations des fabricants, s'il croyait que les travailleurs consacrent la meilleure partie de la journée à la reproduction ou au remplacement de la valeur des bâtiments, des machines, du coton, du charbon, etc., alors toute analyse devenait chose oiseuse. « Messieurs, avait il à répondre tout simplement, si vous faites travailler dix heures au lieu de onze heures et demie, la consommation quotidienne du coton, des machines, etc., toutes circonstances restant égales, diminuera de une heure et demie. Vous gagnerez donc tout juste autant que vous perdrez. Vos ouvriers dépenseront à l'avenir une heure et demie de moins à la reproduction ou au remplacement du capital avancé. » Pensait il au contraire que les paroles de ces messieurs demandaient réflexion, et jugeait il en qualité d'expert une analyse nécessaire; alors il devait avant tout, dans une question qui roule exclusivement sur le rapport du bénéfice net à la grandeur de la journée de travail, prier les fabricants de ne pas mettre ensemble dans le même sac des choses aussi disparates que machines, bâtiments, matière première et travail, et de vouloir bien être assez bons pour poser le capital constant contenu dans ces machines, matières premières, etc., d'un côté, et le capital avancé en salaires, de l'autre. S'il trouvait ensuite par hasard, que d'après le calcul des fabricants le travailleur reproduit ou remplace le salaire dans deux vingt troisièmes de sa journée, ou dans une heure, l'analyste avait alors à continuer ainsi :

    « Suivant vos données, le travailleur produit dans l'avant-dernière heure son salaire et dans la dernière votre plus value ou bénéfice net. Puisqu'il produit des valeurs égales dans des espaces de temps égaux, le produit de l'avant dernière heure est égal au produit de la dernière. De plus, il ne produit de valeur qu'autant qu'il dépense de travail, et le quantum de son travail a pour mesure sa durée. Cette durée, d'après vous, est de onze heures et demie par jour. Il consomme une partie de ces onze heures et demie pour la production ou le remboursement de son salaire, l'autre partie pour la production de votre profit net. Il ne fait rien de plus tant que dure la journée de travail. Mais puisque, toujours d'après vous, son salaire et la plus value qu'il vous livre sont des valeurs égales, il produit évidemment son salaire en cinq heures trois quarts et votre profit net dans les autres cinq heures trois quarts. Comme de plus les filés produits en deux heures équivalent à son salaire plus votre profit net, cette valeur doit être mesurée par onze heures et demie de travail, le produit de l'avant dernière heure par cinq heures trois quarts, celui de la dernière également. Nous voici arrivés à un point délicat; ainsi, attention ! L'avant dernière heure de travail est une heure de travail tout comme la première. Ni plus ni moins. Comment donc le fileur peut il produire en une heure de travail une valeur qui représente cinq heures trois quarts ? En réalité, il n'accomplit point un tel miracle. Ce qu'il produit en valeur d'usage dans une heure de travail est un quantum déterminé de filés. La valeur de ces filés est mesurée par cinq heures trois quarts de travail, dont quatre heures trois quarts sont contenues, sans qu'il y soit pour rien, dans les moyens de production, coton, machines, etc., consommés, et dont quatre quarts ou une heure a été ajoutée pour lui même. Puisque son salaire est produit en cinq heures et trois quarts, et que les filés qu'il fournit en une heure contiennent la même somme de travail, il n'y a pas la moindre sorcellerie à ce qu'il ne produise en cinq heures et trois quarts de filage qu'un équivalent des filés qu'il produit dans une seule heure. Mais vous êtes complètement dans l'erreur, si vous vous figurez que l'ouvrier perde un seul atome de son temps à reproduire ou à remplacer la valeur du coton, des machines, etc. Par cela même que son travail convertit coton et broches en filés, par cela même qu'il file, la valeur du coton et des broches, passe dans les filés. Ceci n'est point dû à la quantité, mais à la qualité de son travail. Assurément il transmettra une plus grande valeur de coton, etc., en une heure qu'en une demi-heure, mais tout simplement parce qu'il file plus de coton dans le premier cas que dans le second. Comprenez le donc bien une fois pour toutes : quand vous dites que l'ouvrier, dont la journée compte onze heures et demie, produit dans l'avant-dernière heure la valeur de son salaire et dans la dernière le bénéfice net, cela veut dire tout bonnement que dans son produit de deux heures, que celles ci se trouvent au commencement ou à la fin de la journée, juste autant d'heures de travail sont incorporées, qu'en contient sa journée de travail entière. Et quand vous dites qu'il produit dans les premières cinq heures trois quarts son salaire et dans les dernières cinq heures trois quarts votre profit net, cela veut dire encore tout simplement que vous payez les premières et que pour les dernières vous ne les payez pas. Je parle de payement du travail au lieu de payement de la force de travail, pour me conformer à votre jargon. Si maintenant vous examinez le rapport du temps de travail que vous payez au temps de travail que vous ne payez point, vous trouverez que c'est demi journée pour demi journée, c'est à dire cent pour cent, ce qui assurément est le taux d'un bénéfice assez convenable. Il n'y a pas non plus le moindre doute que si vous faites travailler vos bras treize au lieu de onze heures et demie et que vous annexiez simplement cet excédent au domaine du surtravail, ce dernier comprendra sept un quart au lieu de cinq heures trois quarts, et le taux de la plus-value s'élèvera de cent pour cent à cent vingt-six pour cent. Mais vous allez par trop loin, si vous espérez que l'addition de cette heure et demie élèvera votre profit de cent à deux cents pour cent ou davantage, ce qui ferait « plus que le doubler ». D'un autre côté,   le cœur de l'homme est quelque chose d'étrange, surtout quand l'homme le porte dans sa bourse - votre pessimisme frise la folie si vous craignez que la réduction de la journée de onze heures et demie à dix heures et demie fasse disparaître tout votre profit net. Toutes circonstances restant les mêmes, le surtravail tombera de cinq heures trois quarts à quatre heures trois quarts, ce qui fournira encore un taux de plus value tout à fait respectable, à savoir quatre vingt deux quatorze vingt-troisièmes pour cent. Les mystères de cette « Dernière heure [10] » sur laquelle vous avez débité plus de contes que les Chiliastes sur la fin du monde, tout cela est « all bosh », de la blague. Sa perte n'aura aucune conséquence funeste; elle n'ôtera, ni à vous votre profit net, ni aux enfants des deux sexes, que vous consommez productivement, cette « pureté d'âme » qui vous est si chère [11]. Quand, une bonne fois, votre dernière heure sonnera, pensez au professeur d'Oxford. Et maintenant, c'est dans un monde meilleur que je désire faire avec vous plus ample connaissance. Salut. »

    C'est en 1836 que Senior avait fait la découverte de sa « Dernière heure ». Huit ans plus tard, le 15 avril 1848, un des principaux mandarins de la science économique officielle, James Wilson, dans l'Economiste, de Londres, à propos de la loi des dix heures, entonna la même ritournelle sur le même air.

  4. Le produit net

Nous nommons produit net (surplus produce) la partie du produit qui représente la plus value. De même que le taux de celle ci se détermine par son rapport, non avec la somme totale, mais avec la partie variable du capital, de même le montant du produit net est déterminé par son rapport, non avec la somme restante, mais avec la partie du produit qui représente le travail nécessaire. De même que la production d'une plus value est le but déterminant de la production capitaliste, de même le degré d'élévation de la richesse se mesure, non d'après la grandeur absolue du produit brut, mais d'après la grandeur relative du produit net [12].

La somme du travail nécessaire et du surtravail, des parties de temps dans lesquelles l'ouvrier produit l'équivalent de sa force de travail et la plus value, cette somme forme la grandeur absolue de son temps de travail, c'est à dire la journée de travail (working day).


Notes

[1] « Si nous comptons la valeur du capital fixe employé comme faisant partie des avances, nous devons cornpter à la fin de l'année la valeur persistante de ce capital comme faisant partie de ce qui nous revient annuellement. » (Malthus : Princ. of Pol. Econ. 2° édit., London, 1836, p.269.)

[2] Il est évident, comme dit Lucrèce, « nil posse creari de nihilo », que rien ne peut être créé de rien. Création de valeur est transformation de force de travail en travail. De son côté la force de travail est avant tout un ensemble de substances naturelles transformées en organisme humain.

[3] On dit de même, taux du profit, taux de l'intérêt, etc., (en anglais, rate of profit, etc.). On verra dans le livre III, que le taux du profit est facile à déterminer dès que l'on connaît les lois de la plus value. Par la voie opposée on ne trouve ni l'un ni l'autre.

[4] Nous avons employé jusqu'ici le mot « temps de travail nécessaire » pour désigner le temps de travail socialement nécessaire à la production d'une marchandise quelconque. Désormais nous l'emploierons aussi pour désigner le temps de travail nécessaire à la production de la marchandise spéciale   force de travail. L'usage des mêmes termes techniques dans un sens différent a certes des inconvénients; mais cela ne peut être évité dans aucune science. Que l'on compare, par exemple, les parties supérieures et élémentaires des mathématiques.

[5] Maître Wilhelm Thucydides Roscher est vraiment impayable ! Il découvre que si la formation d'une plus value ou d'un produit net et l'accumulation qui en résulte sont dus aujourd'hui à l'épargne et à l'abstinence du capitaliste, ce qui l'autorise à « exiger des intérêts », « dans un état inférieur de civilisation au contraire, ce sont les faibles qui sont contraints par les forts à économiser et à s'abstenir. » (L.c., p.78.) A s'abstenir de travailler ? Ou à économiser un excédent de produits qui n'existe pas ? Ce qui entraîne les Roscher et consorts à traiter comme raisons d'être de la plus value, les raisons plus ou moins plausibles par lesquelles le capitaliste cherche à justifier son appropriation de toute plus value créée, c'est évidemment, outre une ignorance candide, l'appréhension que leur cause toute analyse consciencieuse et leur crainte d'arriver malgré eux à un résultat qui ne satisferait pas la police.

[6] Le taux de la plus value n'exprime pas la grandeur absolue de l'exploitation bien qu'il en exprime exactement le degré. Supposons par exemple que le travail nécessaire = 5 heures et le surtravail = 5 heures également, le degré d'exploitation est alors de cent pour cent et la grandeur absolue de l'exploitation est de cinq heures. Si au contraire le travail nécessaire = 6 heures et que le surtravail = 6 heures, le degré d'exploitation reste le même, c'est à dire de cent pour cent; mais la grandeur de l'exploitation s'est accrue de vingt pour cent de cinq à six heures.

[7] Il est à remarquer qu'en Angleterre l'ancienne force de cheval était calculée d'après le diamètre du cylindre, et que la nouvelle au contraire se calcule sur la force réelle que montre l'indicateur.

[8] Ces chiffres n'ont de valeur qu'à titre d'explication. En effet il a été suppose que les prix = les valeurs. Or, on verra dans le livre III que cette égalisalion, même pour les prix moyens, ne se fait pas d'une manière aussi simple.

[9] Senior, l.c., p.12, 13   Nous n'entrons pas dans les détails plus ou moins curieux, mais indifférents à notre but. Nous n'examinons point, par exemple, cette assertion que les fabricants font entrer la compensation de l'usure des machines, etc., c'est à dire d'une partie constitutive du capital, dans leur profit, brut ou net, propre ou malpropre. Nous ne contrôlons pas non plus l'exactitude ou la fausseté des chiffres avancés. Leonhard Horner dans « A letter to Mr. Senior, etc., London, 1837 », a démontré qu'ils n'avaient pas plus de valeur que la prétendue « analyse ». Leonhard Horner, un des Factory Inquiry Commissioners de 1833, inspecteur, ou plutôt en réalité censeur des fabriques jusqu'en 1859, s'est acquis des droits immortels à la reconnaissance de la classe ouvrière anglaise. Sa vie n'a été qu'un long combat non seulement contre les fabricants exaspérés, mais encore contre les ministres qui trouvaient infiniment plus important de compter « les voix » des maîtres fabricants dans la Chambre des communes que les heures de travail des « bras » dans la fabrique.
L'exposition de Senior est confuse, indépendamment de la fausseté de son contenu. Voici, à proprement parler, ce qu'il voulait dire :
Le fabricant occupe les ouvriers onze heures et demie ou vingt trois demi-heures chaque jour. Le travail de l'année entière comme celui de chaque journée particulière, consiste en onze heures et demie ou vingt trois demi heures (c'est à dire en vingt trois demi heures multipliées par le nombre des jours de travail pendant l'année). Ceci admis, les vingt trois demi heures de travail donnent le produit annuel de cent quinze mille livres sterling, une demi heure de travail produit 1/23 x 115 000 livres sterling, 20/2 heures de travail produisent 20/23 x 115 000 livres sterling = 115 000 livres sterling, c'est à dire compensent seulement le capital avancé. Restent trois demi heures de travail qui produisent 3/33 x 115 000 livres sterling = 15 000 livres sterling, le profit brut. Sur ces trois demi heures de travail une demi heure produit 1/25 x 115 000 livres sterling = 5 000 livres sterling, ou compense seulement l’usure de la fabrique et des machines. Les deux dernières demi heures, c'est à dire la dernière heure de travail produit 2/23 x 115 000 livres sterling = 10 000 livres sterling qui forment le profit net. Dans le texte, Senior transforme les vingt troisièmes parties du produit, en parties de la journée de travail elle même.

[10] Si Senior a prouvé que le bénéfice net des fabricants, l'existence de l'industrie cotonnière anglaise et le marché de la Grande Bretagne dépendent « de la Dernière heure de travail » le docteur Andrew Ure a par dessus le marché démontré pour sa part, que si au lieu d'exténuer de travail les enfants et les adolescents au dessous de huit ans dans l'atmosphère brûlante mais morale de la fabrique, on les renvoyait une heure plus tôt dans le monde extérieur aussi froid que frivole, l'oisiveté et le vice leur feraient perdre le salut de leurs âmes. Depuis 1848 les inspecteurs ne se lassent jamais dans leurs rapports semestriels de railler et d'agacer les fabricants avec « la dernière, la fatale dernière heure ».

On lit, par exemple, dans le rapport de M. Howell, du 31 mai 1855 : « Si l'ingénieux calcul suivant (il cite Senior) était juste, toutes les fabriques de coton dans le Royaume Uni auraient travaillé avec perte depuis 1850. » (Reports of the Insp. of Fact. for the half year ending 30 th. April 1855, p.19,20.) Lorsque le bill des dix heures passa au Parlement en 1848, les fabricants firent signer par quelques travailleurs des localités disséminées entre les comtés de Dorset et de Sommerset une contre-pétition dans laquelle on lit entre autres choses ce qui suit : « Vos pétitionnaires, tous pères de familles, croient qu'une heure de loisir additionnelle n'aurait d'autre effet que de démoraliser leurs enfants, car l'oisiveté est la mère de tous les vices. » Le rapport de fabrique du 31 octobre 1848 fait à ce propos quelques observations : « L'atmosphère des filatures de lin, dans lesquelles travaillent les enfants de ces tendres et vertueux parents, est remplie d'une si énorme quantité de particules de poussière, de fil et autres matières qu'il est extraordinairement désagréable d'y passer seulement dix minutes; on ne le peut même pas sans éprouver la sensation la plus pénible, car les yeux, les oreilles, les narines et la bouche se remplissent aussitôt de nuages de poussière de lin, dont il est impossible de se garer. Le travail lui même exige, en raison de la marche vertigineuse de la machine, une dépense continue de mouvements rapides et faits à propos, soumis à une attention infatigable, et il semble assez cruel de faire appliquer par des parents le terme de « fainéantise » à leurs enfants qui, déduction faite du temps des repas, sont cloués dix heures entières à une pareille occupation et dans une telle atmosphère... Ces enfants travaillent plus longtemps que les garçons de ferme des villages voisins. Ces propos sans cesse rebattus sur « l'oisiveté et la paresse » sont du cant le plus pur et doivent être flétris comme l'hypocrisie la plus éhontée... La partie du public qui, il y a quelques années, fut si stupéfaite de l'assurance avec laquelle on proclama ouvertement et publiquement, sous la sanction des plus hautes autorités, que le « bénéfice net » des fabricants provenait tout entier du travail de la dernière heure, de sorte qu'une réduction d'une heure sur la journée de travail anéantirait ce bénéfice, cette partie du public en croira à peine ses yeux quand elle verra quels progrès, a fait depuis cette théorie qui comprend maintenant dans les vertus de la dernière heure la morale et le profit ex aequo, si bien que la réduction du travail des enfants à dix heures pleines ferait aller à la dérive la morale des petits enfants et le profit net de leurs patrons, morale et profit qui dépendent tous deux de cette heure fatale. » (Rpts Insp. of Fact. 31 st. Oct. 1848, p.101.) Le même rapport nous fournit ensuite des échantillons de la « morale » et de la « vertu » de messieurs les fabricants; il mentionne tout au long les intrigues, les détours, les menées, les ruses, les séductions, les menaces, les falsifications, etc., qu'ils emploient pour faire signer des pétitions de ce genre par un petit nombre d'ouvriers intimidés et les présenter ensuite au Parlement comme pétitions de toute une branche d'industrie et de tout un comté ou de plusieurs.   Reste un fait qui caractérise fort bien l'état actuel de la « science » soi-disant économique; c'est que ni Senior lui-même qui, à son honneur, se déclara plus tard énergiquement pour la limitation légale de la journée de travail, ni ses premiers et récents contradicteurs n'ont su découvrir les paralogismes de la « découverte originale ». Force leur a été d'en appeler à l'expérience pour toute solution. Le comment et le pourquoi sont restés un mystère.

[11] M. le professeur a pourtant tiré quelque profit de sa brillante campagne à Manchester. Dans ses Letters on the Factory Act le bénéfice net tout entier « profit » et « intérêt » et même « quelque chose de plus » dépendent d'une heure de travail non payée de l'ouvrier. Une année auparavant, dans son livre intitulê : Outlines of Political Economy, composé pour la délectation des étudiants d'Oxford et des « classes éclairées », il avait « découvert », contrairement à la doctrine de Ricardo, suivant laquelle la valeur est déterminée par le temps de travail, que le profit provient du travail du capitaliste et l'intérêt de son abstinence. La bourde était vieille, mais le mot nouveau. Maître Roscher l'a assez bien traduit et germanisé par le mot Enthaltung qui a le même sens. Ses compatriotes moins frottés de latin, les Wirth, les Schulze et autres Michel, l'ont vainement encapuchonné. L'abstinence (Enthaltung) est devenue renoncement (Enisagung).

[12] « Pour un individu qui possède un capital de vingt mille livres sterling et dont les profits se montent annuellement à deux mille livres sterling, ce serait chose absolument indifférente, si son capital occupait cent ou mille ouvriers et si les marchandises produites se vendaient à dix mille ou à vingt mille livres sterling, pourvu que dans tous les cas ses profits ne tombassent pas au dessous de deux mille livres sterling. Est ce qu'il n'en est pas de même de l'intérêt réel d'une nation ? En supposant que ses revenus nets, ses rentes et ses profits restent les mêmes, il n'y a pas la moindre importance à ce que la nation se compose de dix ou douze millions d'habitants. » (Ricardo, l.c., p.416.) Longtemps avant Ricardo, un fanatique du produit net, Arthur Young, écrivain aussi prolixe et bavard que dépourvu de jugement, dont la renommée est en raison inverse de son mérite, disait entre autres : « De quelle utilité serait dans un pays moderne une province entière dont le sol serait cultivé, selon l'ancien mode romain, par de petites paysans indépendants, fût il même le mieux cultivé possible ? A quoi cela aboutirait il ? Sinon uniquement à élever des hommes (the mere purpose of breeding men) ce qui en soi n'a pas le moindre but (is a useless purpose). » Arthur Young : Political arithmetic, etc., London, 1774, p.47.) Hopkins fait cette remarque fort juste : « Il est étrange que l'on soit si fortement enclin à représenter le produit net comme avantageux pour la classe ouvrière, parce qu'il permet de la faire travailler. Il est pourtant bien évident que s'il a ce pouvoir, ce n'est point parce qu'il est net. » (Thomas Hopkins : On Rent of Land, etc., London, 1828, p. 126.)


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