1865 |
Une publication effectuée en collaboration avec la bibliothèque de
sciences sociales de l'Université de Québec. |
Téléchargement fichier winzip (compressé) : cliquer sur le format de contenu désiré |
|
Dans la partie précédente nous avons exposé comment le taux du profit peut varier alors que le taux de la plus-value reste constant. Dans ce chapitre nous admettrons que dans toutes les branches de production d'un pays le travail est soumis à un même degré d'exploitation, c'est-à-dire qu'il fonctionne dans toutes les entreprises pendant des journées de même longueur, avec un même taux de plus-value. A. Smith a démontré que bien des différences se présentant dans l'exploitation du travail n'existent qu'en appar ence et passagèrement ; elles n’entrent pas en ligne de compte pour l'analyse des conditions générales de la production, parce qu'elles se compensent pour toutes sortes de raisons, effectives ou imaginaires, acceptées par le préjugé. D'autres différences, par ex. celles relatives aux salaires, se basent en grande partie sur la distinction, dont nous nous sommes occupés dans notre vol. I, page 17, entre le travail simple et le travail qualifié, et n'ont aucune influence sur le degré d'exploitation du travail, bien qu'elles rendent très inégaux les sorts des ouvriers dans les différentes sphères de la production. Si, par ex., le travail d'un joaillier est payé plus cher que celui d'un journalier, le surtravail du joaillier produit aussi relativement -une plus grande quantité de plus-value que celui du journalier. Bien que le nivellement des salaires et des journées de travail et, par conséquent, le nivellement des taux de la plus-value soient entravés par quantité d'obstacles locaux dans les différentes sphères de la production, voire même pour les divers capitaux d'une même branche de production, ils se réalisent cependant de plus en plus à mesure que la production capitaliste fait des progrès et extermine les autres modes de production. Quelqu'importante que soit l'étude de ces faits pour des recherches spéciales sur le salaire, elles sont accessoires et négligeables dans une analyse générale de la production capitaliste. En effet, dans toute analyse générale, il faut admettre au préalable que les conditions réelles correspondent à la conception qu'on en a, ou, ce qui revient au même, il ne faut exposer les conditions réelles que pour autant qu'elles rentrent dans le type général.
Les différences des taux de la plus-value d'un pays à l'autre et par suite le degré de l'exploitation nationale du travail sont absolument indifférents pour l'analyse que nous allons faire. Ce que nous voulons étudier dans cette partie, c'est la manière dont se forme un taux général du profit dans un pays donné. Lorsqu'il s'agira de comparer les taux de profit des divers pays, il suffira de combiner ce que nous avons dit antérieurement avec ce que nous allons exposer maintenant : on observera en premier lieu les différences des taux de la plus-value dans chaque pays et on comparera ensuite, en se basant sur ces taux de plus-value, les différences des taux nationaux du profit. Si ces différences ne résultent pas de différences entre les taux nationaux de plus-value, elles devront être attribuées à des circonstances qui ne peuvent être dégagées qu'en supposant, comme nous le faisons dans ce chapitre, que la plus-value est la même partout et par conséquent constante.
Nous avons démontré dans le chapitre précédent que, le taux de la plus-value étant constant, le taux du profit d'un capital donné peut hausser ou baisser sous l'action de circonstances qui augmentent ou diminuent la valeur de l'un ou l'autre élément du capital constant, et affectent ainsi le rapport entre la partie constante et la partie variable du capital. Nous avons fait remarquer en outre que si des circonstances qui prolongent ou raccourcissent la durée de la rotation peuvent agir d'une manière semblable sur le taux du profit, elles n'ont aucune action sur sa valeur absolue, celle-ci étant identique à celle de la plus-value. En effet ces circonstances ne font que modifier le rapport entre une plus-value ou un profit de grandeur donnée et la grandeur du capital avancé. Ce n'est que lorsque des variations de valeur provoquent un engagement ou un dégagement de capital, qu'il peut en résulter une influence sur la valeur absolue du profit et alors le taux n'est pas affecté. Pareille influence ne se ferait d'ailleurs sentir que sur des capitaux déjà engagés et non sur des capitaux à engager, et l'augmentation ou la diminution de profit résuIterait de ce que, par suite des variations de la valeur, un même capital mettrait en œuvre plus ou moins de travail, c'est-à-dire produirait plus ou moins de plus-value, le taux de celle-ci restant constant. Loin d'être en contradiction avec la loi générale ou d'en représenter une dérogation, cette exception apparente en est en réalité un cas spécial.
Nous avons vu dans la partie précédente que, le degré d'exploitation du travail restant constant, toute variation de valeur des éléments du capital constant et toute modification de la durée de rotation du capital modifient le taux du profit ; il en résulte que des branches de production coexistantes doivent donner naissance à des taux de profit différents, lorsque, toutes autres circonstances égales, les périodes de rotation de leurs capitaux sont différentes ou que les rapports entre les valeurs des éléments constituants de leurs capitaux ne sont pas les mêmes. Les modifications successives que nous observions précédemment dans un même capital se présentent maintenant comme des différences coexistantes dans des capitaux engagés dans des bran ches de production différentes, et nos recherches devront porter sur les différences tant dans la composition organique que dans les périodes de rotation des capitaux.
Il va de soi que lorsque dans cette analyse nous parlerons de la composition ou de la rotation du capital dans une branche de production donnée, il s'agira du capital moyen engagé normalement dans cette branche, et qu'il sera fait abstraction des différences accidentelles qui peuvent se présenter pour les capitaux isolés.
De ce que nous avons supposé que le taux de la plus-value, la journée de travail et le salaire sont constants, il résulte qu'une quantité déterminée de capital variable exprime une quantité déterminée de force de travail mise en œuvre et par conséquent une quantité déterminée de travail réalisé. 100 £ représentant le salaire et, en réalité, la force de travail de 100 ouvriers, n * 100 £ représenteront le salaire et la force de travail de n * 100 ouvriers et 100 £ / n ceux de 100 / n ouvriers. Le capital variable étant l'expression (et il en est toujours ainsi lorsque le salaire est donné d'avarice) de la quantité de travail mise en œuvre par un capital donné, toute variation de la grandeur de ce capital annonce qu'une différence est survenue dans la masse de force de travail. Si 100 £ représentent 100 ouvriers travaillant une semaine et par conséquent 6000 heures de travail (chaque ouvrier travaillant 60 heures par semaine), 200 £ représenteront 12000 et 50 £ 3000 heures de travail.
Ainsi que nous l'avons énoncé dans notre premier volume, nous entendons par composition du capital le rapport entre les éléments actifs et passifs qui le constituent, le rapport entre le capital variable et le capital constant. Ce rapport doit être considéré à deux points de vue, d'importance inégale, qui dans certaines circonstances se traduisent par les mêmes effets.
En premier lieu, il doit être envisagé au point de vue technique, comme correspondant à un stade déterminé du développement de la productivité. Une quantité donnée de force de travail, représentée par un nombre déterminé d'ouvriers, est nécessaire pour produire, par exemple en une journée, une quantité voulue de produits et mettre en œuvre, consommer productivement, une quantité voulue de moyens de production, de machines, de matières premières, etc. Un nombre déterminé d'ouvriers correspond par conséquent, à une quantité déterminée de moyens de production, une quantité donnée de travail vivant répond à une quantité donnée de travail matérialisé. Le rapport entre ces quantités diffère considérablement d'une industrie à l'autre et souvent même dans la même industrie d'une branche à l'autre, bien que le hasard puisse vouloir qu'il soit le même dans des branches très éloignées l'une de l'autre; il détermine la composition technique du capital et est en réalité la base de sa composition organique.
Mais il arrive également que, dans des industries différentes, il y ait le même rapport entre le capital variable, simple index de la force de travail, et le capital constant, simple index de la masse de moyens de production mis en œuvre. C'est ainsi que certains travaux, qu'ils soient exécutés en cuivre ou en fer, donnent lieu à un même rapport entre la force de travail et la masse de moyens de production ; mais comme le cuivre est plus cher que le fer, le rapport entre les valeurs du capital variable et du capital constant n'est pas le même dans les deux cas et par conséquent la composition de la valeur du capital total est également différente. A une même composition technique peuvent donc correspondre diverses compositions-valeurs, et le fait se manifeste dans chaque branche d'industrie lorsque la composition technique restant constante, le rapport des valeurs des deux parties du capital varie. L'inverse se produit également, mais seulement lorsque la modification du rapport entre les quantités de moyen de production et de force de travail est compensée par une modification en sens inverse de leurs valeurs.
Nous appellerons composition organique du capital sa composition-valeur, à condition qu'elle soit déterminée par sa composition technique et qu'elle en soit le reflet [1] .
Nous considérons donc le capital variable comme l'expression d'une quantité déterminée de force de travail, d'un nombre déterminé d'ouvriers, d'une quantité déterminée de travail vivant mis en œuvre. Alors que dans la partie précédente une variation de la valeur du capital variable ne pouvait exprimer qu'une variation du prix d'une quantité donnée de travail, il n'en est plus de même ici, où nous admettons que la journée de travail et le taux de la plus-value sont constants et qu'un salaire déterminé correspond à une durée donnée de travail. Par contre une différence dans la grandeur du capital constant peut être ou l'expression d'une modification de la quantité de moyens de production mis en œuvre par une quantité donnée de force de travail ou le résultat d'une différence entre la valeur des moyens de production d'une industrie et celle des moyens de production des autres.
Le salaire hebdomadaire de 100 ouvriers étant de 100 et la durée de leur travail de 60 heures, supposons que le taux de la plus-value soit de 100 %. Les ouvriers travaillent donc 30 heures par semaine pour eux et gratuitement 30 heures pour le capitaliste. Dans leurs 100 £ de salaire, il ne se trouve incorporé que 30 heures de travail de 100 ouvriers, soit 3000 heures de travail ; les autres 3000 heures sont incorporées dans les 100 £ de plus-value ou de profit accaparées par le capitaliste. Bien que le salaire de 100 £ n'exprime pas la valeur dans laquelle s'est matérialisé le travail hebdomadaire des 100 ouvriers, il indique cependant (puisque la durée de la journée de travail et le taux de la plus-value sont donnés) que le capital a occupé 100 ouvriers pendant 6000 heures. Cette indication est fournie par la valeur 100 £ du capital variable, qui renseigne en premier lieu sur le nombre d'ouvriers occupés (1 £ représentant 1 ouvrier par semaine, 100 £ représentent 100 ouvriers) et ensuite sur la durée de leur travail. (Le taux de la plus-value étant de 100 %, chaque ouvrier accomplit deux fois plus de travail que ce qui est représenté par son salaire, c'est-à-dire que son salaire de 1 £, expression d'une demi-semaine de travail, équivaut à une semaine entière de travail actif; par conséquent les 100 £, tout en n'exprimant que 50 semaines de travail, en représentent 100 de travail actif). Il y a une distinction profonde à établir dans l'expression de la valeur du capital variable suivant qu'elle désigne la somme des salaires, c'est-à-dire une quantité donnée de travail matérialisé ou simplement la quantité de travail vivant qu'elle met en œuvre. Cette quantité de travail vivant est toujours plus grande que la quantité de travail contenue dans le salaire et est représentée par une valeur plus grande que celle du capital variable, car elle est déterminée d'une part par le nombre d'ouvriers occupés par ce capital et d'autre part par le surtravail qu'ils produisent.
Supposons que dans l'industrie A un capital de 700 soit dépensé en 100 de capital variable et 600 de capital constant, et que dans l'industrie B le même capital soit dépensé en 600 de capital variable et 100 de capital constant. Le capital A de 700 n'occupera donc qu’une force de travail de 100, ce qui représentera, en reprenant nos chiffres de tantôt, 100 semaines ou 6000 heures de travail vivant, tandis que le capital B de 700 occupera 600 semaines ou 36000 heures de travail vivant. Le capital A ne pourra donc s'approprier que 50 semaines, soit 3000 heures, de surtravail, alors que le capital B, sans être plus considérable, accaparera 300 semaines ou 18000 heures. Le capital variable exprime non seulement le travail qu'il contient en lui-même, mais aussi (le taux de la plus-value étant donné) le supplément de travail qu'il peut mettre en œuvre, le surtravail. Le degré d'exploitation du travail étant le même, le profit sera de 100 / 700 = 1 / 7 = 14 2/7 % dans l'industrie A et de 600 / 700 = 85 5/7 % dans l'industrie B, soit un taux de profit six fois plus grand dans B que dans A. Et non seulement le taux du profit, mais le profit lui-même sera six fois plus considérable (600 pour B et 100 pour A), puisque le même capital occupe six fois plus de travail vivant dans l'industrie B que dans l'industrie A et produit six fois plus de plus-value et six fois plus de profit.
Si au lieu d'un capital de 700 £, A en employait un de 7000 (B continuant à opérer avec son capital de 100 £), il dépenserait, en supposant que la composition organique reste la même, 1000 £ en capital variable; il occuperait par semaine 1000 ouvriers, représentant 60000 heures de travail vivant, dont 30000 heures de surtravail. Et cependant, avec 700 £ de capital variable, A ne mettrait en œuvre que 1/6 de travail vivant et de surtravail de plus que B et ne produirait que 1/6 de profit en plus. Quant au taux du profit, il sera de 1000 / 7000 = 100 / 700 = 14 2/7 % du côté de A, contre 600 / 700 = 85 5/7 % qu'il était pour B. Par conséquent, des capitaux engagés de même importance donnent des taux de profit différents lorsque, pour un même taux de la plus-value, les valeurs absolues de la plus-value et du profit sont différentes, les quantités de travail vivant mis en œuvre étant différentes dans les deux cas.
Le résultat est le même lorsque, les conditions techniques étant identiques dans les deux industries, les valeurs du capital constant sont différentes. Supposons que de part et d'autre il faille 100 £ comme capital variable pour payer 100 ouvriers par semaine et mettre en œuvre des quantités égales de machines et de matières premières. Supposons que ces dernières soient plus chères dans l'industrie B que dans l'industrie A, et que les 100 £ de capital variable exigent, par ex., 200 £ de capital constant dans A et 400 £ dans B. Le taux de la plus-value étant de 100 %, la plus-value et le profit seront de 100 £ dans les deux cas ; mais dans A on aura 100 / (200 c + 100 v ) = 1/3 = 33 1/3 %, tandis que dans B le rapport sera de 100 / (400 c + 100 v ) = 1/5 = 20 %, ce qui provient de ce que sur 100 £ de capital engagé, il y a 1/5 ou 20 £ de capital variable dans B, et 1/3 ou 33 1/3 £ dans A. Sur 100 £, l'industrie B obtiendra donc moins de profit que A, parce que sur 100 £ de capital avancé, elle occupe moins de travail vivant et recueille moins de plus-value.
Entre nos deux exemples, il y a cependant une différence : dans le second il suffirait, pour obtenir un résultat identique dans les deux industries, de modifier le capital, soit du côté de A, soit du côté B, l'organisation technique restant la même ; dans le premier, il faudrait transformer complètement la composition technique des deux industries pour aboutir des deux côtés au même résultat.
La composition organique des capitaux étant indépendante de leur grandeur absolue, tout revient à savoir pour quelles parts relatives y figurent le capital variable et le capital constant. Des capitaux différents au point de vue de la composition centésimale, mais de grandeur absolue égale, produisent des quantités très différentes de plus-value et de profit (le degré d'exploitation et la journée de travail étant les mêmes), lorsque le capital variable n'est pas le même de part et d'autre et que, par conséquent, les quantités de travail vivant mis en œuvre et de surtravail, source de plus-value, sont différentes.
Si un capital ayant comme composition centésimale 90 c + 10 v produisait, avec un même degré d'exploitation du travail, autant de plus-value ou de profit qu'un capital ayant la composition 10 v + 90 c , il serait clair comme le jour que la plus-value et la valeur en général n'auraient pas le travail pour source et que l'économie politique serait privée de toute base rationnelle. Le salaire payé à l'ouvrier pour une semaine de 60 heures de travail étant de 1 £ et le taux de la plus-value étant de 100 %, il est certain que toute la valeur que l'ouvrier peut produire en une semaine est de 2 £. Dix ouvriers ne pourront pas fournir plus de 20 £, et comme dans cette valeur 10 £ servent à payer leurs salaires, il leur sera impossible de produire plus de 10 £ de plus-value. Par contre, 90 ouvriers livrant hebdomadairement un produit de 180 £ et ne recevant comme salaire que 90 £, fourniront une plus-value de 90 £. Le taux du profit sera donc de 10 % d'un côté et de 90 % de l'autre. S'il en était autrement la valeur et la plus-value ne seraient pas du travail matérialisé.
Étant donné que dans les différentes industries la composition centésimale des capitaux assigne des valeurs différentes à leur partie constante et à leur partie variable, et fait par conséquent varier de l'une à l'autre les quantités de travail vivant qu'elles occupent et les quantités de plus-value et de profit qu'elles produisent, le taux du profit, qui n'est autre chose que l'expression du rapport de la plus-value au capital total, doit varier d'une branche de production à l'autre. Or, si des capitaux de même importance, mais engagés dans des industries différentes, produisent des profits inégaux, parce que leur composition organique n'est pas la même, il s'ensuit que le rapport entre les profits de capitaux inégaux appliqués à des industries différentes ne peut pas être égal au rapport des grandeurs de ces capitaux. S'il en était autrement, il faudrait en conclure que, malgré les différences de leur composition organique, des capitaux de même importance donneraient les mêmes taux de profit dans toutes les industries. Ce n'est donc que dans la même industrie ou dans des industries différentes appliquant des capitaux de même composition organique, que la valeur absolue du profit est en raison directe de la valeur du capital engagé. Dire que les profits de capitaux inégaux sont en raison des grandeurs de ceux-ci, serait affirmer que des capitaux de même importance produisent nécessairement des profits égaux, ou encore que le taux du profit est le même pour tous les capitaux, quelles que soient leur importance et leur composition organique.
Ce que nous venons de dire n'est vrai que pour autant que les marchandises se vendent à leurs valeurs. La valeur d'une marchandise est égale à la valeur du capital constant qu'elle contient, plus la valeur du capital variable qui est reproduit en elle, plus la plus-value produite par ce capital variable. Le taux de la plus-value étant constant, la quantité de plus-value dépend évidemment de l'importance du capital variable. La valeur du produit d'un capital de 100 peut être, ou 90 c + 10 v + 10 pl = 110, on 10 c + 90 v + 90 pl = 190 ; si les marchandises sont vendues à leurs valeurs, le prix du premier produit sera de 110 et contiendra 10 de plus-value ou de travail non payé, celui du second sera de 190 et comprendra 90 de plus-value ou de travail non payé.
Cet aspect des choses est surtout important lorsqu'il s'agit de comparer des taux de profit dans des pays différents. Supposons que dans un pays d'Europe le taux de la plus-value soit de 100 %, ce qui revient à dire que les ouvriers y travaillent la moitié de la journée pour eux et l'autre moitié pour les patrons, et admettons que dans un pays d'Asie le taux de la plus-value soit de 25 %, les ouvriers y travaillant les 4/5 de la journée pour eux et 1/5 pour leurs patrons. Supposons en outre que dans le pays européen le capital national ait la composition 84 c + 16 v , alors que dans le pays asiatique, où l'on emploie peu de machines, et où, dans un temps donné, une quantité déterminée de force de travail consomme relativement peu de matières premières, la composition soit 16 c + 84 v . Dans ces conditions, on aura :
Dans le pays européen : valeur du produit : 84 c + 16 v + 16 pl = 116. Taux du profit : 16 / 100 = 16 %
Dans le pays asiatique : valeur du produit: 16 c + 84 v + 21 pl = 121. Taux du profit : 21 / 100 = 21 %.
Le taux du profit est donc de plus de 25 %, plus grand en Asie qu'en Europe, bien que le taux de la plus-value y soit quatre fois plus petit. Les Carey, les Bastiat et tutti quanti seraient incontestablement arrivés à la conclusion inverse. Disons en passant que dans le plus grand nombre des cas les différences, dans un même pays, entre les taux des profits sont déterminées par des différences entre les taux des plus-values (ce qui ne nous intéresse pas dans ce chapitre, où nous comparons des taux de profit inégaux correspondant à des taux égaux de plus-value).Le taux du profit est donc de plus de 25 %, plus grand en Asie qu'en Europe, bien que le taux de la plus-value y soit quatre fois plus petit.
En dehors des différences dans la composition organique des capitaux, c'est-à-dire en dehors de l'inégalité des quantités de travail et (toutes circonstances égales) de surtravail mises en œuvre par des capitaux égaux dans des branches différentes dé production, il existe une autre cause d'inégalité des taux du profit ; c'est la différence, d'une industrie à l'autre, de la longueur de la période de rotation du capital. Nous avons vu, dans le chapitre IV, que, la composition organique des capitaux étant la même, les taux de profit sont en raison inverse des périodes de rotation, et qu'un même capital variable, soumis à des périodes de rotation différentes, produit annuellement des quantités différentes de plus-value. L'inégalité des périodes de rotation est donc une autre cause de ce que des capitaux égaux engagés dans des industries différentes ne rapportent pas le même profit dans le même espace de temps, et donnent des taux de profit différents.
Quant au rapport entre la partie fixe et la partie circulante du capital, il n'a par lui-même aucune action sur le taux du profit, sa variation ne peut se répercuter sur ce dernier que pour autant qu'elle coïncide avec une variation du rapport entre la partie constante et la partie variable du capital et, dans ce cas, c'est exclusivement à cette dernière que sera due l'altération du taux du profit. Une modification du rapport entre la partie fixe et la partie circulante peut aussi agir sur le taux du profit lorsqu'elle provoque une modification de la période de rotation, pendant laquelle un profit déterminé doit être réalisé. Lorsque les rapports des parties fixe et circulante dont se composent les capitaux sont différents, il en résulte toujours, il est vrai, des différences dans les durées des périodes de rotation ; mais il ne s'ensuit nullement que les périodes de rotation pendant lesquelles les mêmes capitaux donnent du profit soient inégales. Peu importe que A doive convertir une plus grande partie de son produit en matières premières que B et que B soit astreint à faire travailler pendant plus de temps les mêmes machines en consommant moins de matières premières ; tous les deux, pendant qu'ils produisent, ont constamment une partie de leur capital engagée : chez l'un, elle l'est sous forme de matières premières, par conséquent de capital circulant; chez l'autre, elle l'est sous forme de machines, partant de capital fixe. A convertit sans cesse une partie de son capital-marchandise en argent et cet argent en matières premières, tandis que B emploie pendant longtemps une partie de son capital sous forme d’instruments de travail, sans la convertir. S'ils mettent en œuvre la même quantité de travail, ils vendront, il est vrai, pendant l'année des produits de valeurs différentes, mais ces produits contiendront la même quantité de plus-value, et les taux de leurs profits, calculés d'après le capital total avancé, seront les mêmes, bien que les capitaux qu'ils ont engagés ne soient pas composés de la même manière en éléments fixe et circulant et n'aient pas eu la même rotation. Les deux capitaux auront donc produit le même profit dans le même temps, bien qu'ils aient parcouru des rotations de durées différentes [2] . Une différence dans le temps de rotation n'a de l'importance que pour autant qu'elle affecte la quantité de surtravail appropriée et réalisée par un même capital, dans un espace de temps déterminé. Étant donné qu'une variation de la composition en capital fixe et capital circulant n'implique pas nécessairement une modification de la période de rotation, déterminant à son tour une variation du taux du profit, il est clair que si le taux du profit vient à se modifier, ce changement doit être considéré comme résultant, non de ce que le rapport entre la partie fixe et la partie circulante du capital a été altérée, mais de ce qu'une différence est intervenue dans la durée de la période de rotation.
La composition très variée (en partie fixe et partie circulante) du capital constant engagé dans les diverses industries n'a donc aucune importance au point de vue du taux du profit, étant donné que c'est le rapport entre le capital variable et le capital constant qui est le facteur décisif et que ce rapport de même que la valeur du capital constant sont absolument indépendants des parties constituantes (fixe ou circulante) de ce dernier. Il arrivera cependant - et il peut en résulter des conclusions erronées - qu'une grande importance du capital fixe soit l'indice d'une production se faisant à une grande échelle et comportant un capital constant de beaucoup supérieur au capital variable, c'est-à-dire une application de travail vivant relativement inférieure à celle des moyens de production.
Nous avons donc montré que les taux des profits varient d'une industrie à l'autre à cause des différences de la composition organique des capitaux et, jusqu'à un certain point, des inégalités de leurs périodes de rotation. Il en résulte que lorsque les taux de plus-value sont les mêmes, la loi de proportionnalité des profits aux grandeurs des capitaux n'est vraie, du moins comme tendance, que pour des capitaux de même composition organique et de même période de rotation ; ces conditions étant remplies, des capitaux de même importance donnent pendant le même temps des profits égaux, pour autant (ce que nous n'avons pas cessé d'admettre jusqu'à présent) que les marchandises se vendent à leur valeur. D'autre part, il est hors de doute qu'abstraction faite de quelques différences accidentelles et secondaires qui se compensent, il n'existe en réalité et il ne peut exister, à moins que tout le système de la production capitaliste ne prenne fin, de différence entre les taux moyens du profit dans les diverses industries. Il semble donc que la théorie de la valeur soit ici inconciliable avec le mouvement réel et les phénomènes de la production, et qu'il faille renoncer à l'espoir de comprendre ceux-ci.
Il résulte de la première partie de ce volume que les prix de revient sont les mêmes dans des industries différentes lorsque celles-ci comportent des capitaux avancés de même importance, quelle que soit la composition organique de ces derniers. Quand il s'agit du prix de revient, le capitaliste n'établit aucune distinction entre le capital constant et le capital variable ; une marchandise dont la production a exigé une avance de 100 £ lui coûte le même prix, que l'avance se soit faite sous forme de 90 c + 10 v , ou de 10 c + 90 v . Lorsque les capitaux avancés sont égaux, les prix de revient sont les mêmes, quelles que différentes que puissent être les valeurs et les plus-values produites ; cette égalité des prix de revient sert de base à la concurrence des capitaux, qui est le point de départ du profit moyen.
Notes
[1]
Ce qui vient d'être dit est brièvement développé dans la 3° édition du
I° volume, p. 628, au commencement du chap. XXIII (Trad. franç., p.
2269, chap. XXV). Comme les deux premières éditions ne contiennent pas
ce passage nous avons jugé qu'il était nécessaire de le reproduire. -
F. E.
[2] Il résulte du chap. IV que ce qui vient d'être dit n'est exact que pour autant que les capitaux A et. B diffèrent au point de vue de leur composition-valeur et que leurs éléments variables, calculés sur cent, varient en raison directe de leur durée de rotation, c'est-à-dire en raison inverse de leurs nombres de rotations. Si, par exemple, le capital A a la composition 20 c fixe+ 70 c circulant, soit 90 c + 10 v = 100, le taux de la plus-value étant de 100 %, les 10 v produiront en une rotation 10 pl , soit un taux du profit de 10 %. Si le capital B a la composition 60 c fixe + 120 v circulant, soit 80 c + 20 v = 100, les 20 v produiront à chaque rotation 20 pl , soit un taux du profit de 20 %, c'est-à-dire un taux double de celui de A. Mais si A fait 2 rotations par an et si B n'en fait qu'une, le profit annuel de A sera de 2 * 10 = 20 pl , et le taux de son profit annuel sera de 20 %, c'est-à-dire le même que celui de B. F. E.
|