1865 |
Une publication effectuée en collaboration avec la bibliothèque de sciences sociales de l'Université de Québec.
|
Téléchargement fichier winzip (compressé) : cliquer sur le format de contenu désiré |
|
Le capital commercial se présente sous deux formes : le capital du commerce de marchandises et le capital du commerce d'argent. Nous allons en établir les caractères, d'abord parce que cette étude nous est nécessaire pour l'analyse de la structure intime du capital, ensuite parce que même les meilleurs représentants de l'Économie politique moderne ne distinguent pas les caractères particuliers du capital commercial et confondent celui-ci avec le capital industriel.
Le mouvement du capital-marchandise a été analysé dans notre deuxième volume. Lorsque l'on considère l'ensemble du capital de la société, on constate qu'une partie, dont la composition et l'importance varient sans cesse, se trouve constamment sur le marché sous forme de marchandise devant être convertie en argent et une autre partie, sous forme d'argent demandant à être transformé en marchandise. Le capital est donc toujours en voie de transformation. Lorsque la fonction de circulation devient l'apanage d'un capital spécial, que la division du travail met aux mains d'une catégorie spéciale de capitalistes, le capital-marchandise devient capital du commerce de marchandises ou capital commercial.
Dans le volume II (chapitre VI, Les Frais de circulation, 2 et 3) nous avons montré jusqu'à quel point le transport, la conservation et la distribution des marchandises prolongent le procès de production dans le procès de circulation. Ces incidents de la circulation du capital-marchandise sont en partie confondus avec les fonctions du capital commercial, auxquelles ils se relient d'ailleurs en pratique, bien que le progrès de la division du travail ait pour effet de spécialiser et de rendre autonome la fonction du capital du commerce de marchandises. Pour notre étude, dont le but est d'établir les caractères distinctifs de ce dernier, nous devons évidemment faire abstraction de toutes les autres fonctions.
Nous avons vu que l'existence du capital sous forme de capital-marchandise avec les métamorphoses - de marchandise en argent et d'argent en marchandise - qu'il subit comme tel, représente une phase de la reproduction du capital industriel et du procès de production, bien que le capital de circulation et le capital de production aient des fonctions nettement distinctes et soient des formes différentes du capital social. Le capital du commerce de marchandises n'est qu'une partie du capital de circulation, car une autre partie de la vente-achat s'accomplit toujours directement entre les capitalistes industriels. (Nous ferons abstraction de cette dernière, parce qu'elle ne contribue pas a mettre en relief le rôle du capital commercial dont nous voulons nous occuper spécialement et que dans le deuxième volume elle a fait l'objet d'une étude suffisamment complète.)
Étant capitaliste, le commerçant [1] figure d'abord au marché comme représentant d'une somme d'argent qu'il avance comme capital et dont il veut transformer la valeur X en une valeur X + DX (la valeur primitive + un profit). Comme commerçant, il doit commencer par envoyer au marché du capital sous forme d'argent, car il n'est pas producteur de marchandises et n'est que l'intermédiaire de leur mouvement; comme tel il doit commencer par les acheter, par conséquent par posséder un capital-argent.
Considérons un commerçant possédant 3000 £, qu'il met en valeur comme capital commercial. Pour ses 3000 £ il achète 30.000 aunes de toile, au prix de 2 sh. l'aune. Si ces 30.000 aunes représentent sa vente annuelle et si, déduction faite des faux frais, il veut réaliser un bénéfice annuel de 10 %, il faudra qu'à la fin de l'année il récupère 3300 £. Comme nous voulons simplement dégager quelle est la forme du mouvement de son capital, nous n'avons pas à nous demander par quels procédés il arrive à réaliser son bénéfice. Il achètera donc tous les ans pour 3000 £ de toile qu'il vendra, répétant continuellement l'opération A-M-A' d'un capital confiné dans le procès de circulation et tenu complètement en dehors du procès de production.
Quelle relation y a-t-il entre ce capital du commerce de marchandises et le capital-marchandise, forme spéciale du capital industriel ? Si l'on considère le fabricant de toile, on voit que l'argent du commerçant lui a permis de réaliser la valeur de son produit, c'est-à-dire d'accomplir la première phase de la métamorphose de son capital-marchandise : il a converti celui-ci en argent et peut reconvertir cet argent en fil, charbon, salaires, etc., d'une part, en objets de consommation pour son usage personnel, d'autre part. En un mot, abstraction faite de ce qu'il dépense comme revenu, il est à même de poursuivre le procès de reproduction.
Mais si pour lui la conversion de la toile en argent est chose faite, il n'en est pas de même de la toile. Elle se trouve encore sur le marché comme capital-marchandise devant être vendu, devant accomplir sa première métamorphose. Rien ne s'est modifié dans sa situation, sauf qu'elle a changé de possesseur. Restant conforme à sa destination. et à son rôle dans le procès, elle est toujours du capital-marchandise, de la marchandise vénale ; seulement, des mains du producteur elle a passé à celles du commerçant, qui a repris la fonction qu'autrefois le producteur devait accomplir lui-même.
Supposons que le commerçant ne parvienne pas à vendre les 30.000 aunes, pendant l'intervalle qu'il faut au fabricant pour amener au marché une nouvelle quantité de 30.000 aunes d'une valeur de 3000 £. N'ayant pas reconverti en argent la toile qu'il a encore en magasin, il ne pourra pas acheter la nouvelle marchandise et il y aura arrêt ou tout au moins interruption de la reproduction. Il est vrai que si le fabricant de toile a du capital-argent en réserve, il pourra continuer à produire en attendant qu'il trouve à vendre ses 30.000 aunes de toile ; mais cette supposition ne résout rien et n'empêche pas que le capital incorporé aux 30.000 aunes ne soit arrêté dans sa reproduction. Les opérations du commerçant sont donc des opérations indispensables pour que la conversion en argent du capital-marchandise du producteur puisse s'accomplir, par conséquent, pour que le capital-marchandise puisse fonctionner dans la circulation et dans la reproduction. Cette conclusion ne ferait l'objet d'aucun doute, si c'était un employé du fabricant qui, au lieu du commerçant autonome, était chargé exclusivement de la vente et de l'achat.
Le capital du commerce de marchandises n'est donc que le capital-marchandise du producteur, au moment où se fait sa conversion en argent et s'accomplit sur le marché sa fonction de capital-marchandise ; mais avec cette différence que cette fonction ne répond plus à une opération secondaire du producteur et qu'elle est devenue l'opération exclusive d'une catégorie spéciale de capitalistes, les commerçants de marchandises. La forme spéciale de la circulation du capital du commerce de marchandises l'établit à l'évidence. Le commerçant achète la marchandise et la revend : A-M-A'. Or la circulation simple de marchandises ou même la circulation telle qu'elle se réalise dans le mouvement M'-A-M du capital industriel, est caractérisée en ce que chaque pièce d'argent change deux fois de possesseur : le producteur de toile vend sa marchandise, ce qui fait passer dans sa main l'argent de l'acheteur; il achète ensuite du fil, du charbon, du travail, et le même argent lui sert pour reconvertir la valeur de la toile en un élément de production. La marchandise qu'il achète n'est pas la même que celle qu'il a vendue; celle-ci est un produit, celle-là se compose de moyens de production. Il n'en est pas de même du commerçant. Celui-ci dépense 3000 £ pour acheter 30.000 aunes de toile, qu'il vend pour retirer de la circulation le capital-argent (3000 £ plus le profit) qu'il a avancé. Ce n'est plus l'argent qui change deux fois de place, mais la marchandise qui passe de la main du vendeur à celle de l'acheteur, qui la revend à un autre acheteur. La marchandise est encore vendue deux et même plusieurs fois, et c'est par cette vente répétée que le premier acheteur rentre en possession de l'argent qu'il a avancé. Dans la circulation M'-A-M, le double déplacement de l'argent a pour conséquence que la marchandise est vendue sous une forme et mise en œuvre sous une autre forme ; dans la circulation A-M-A, le double déplacement de la marchandise a pour effet que de l'argent qui a été engagé dans la circulation peut en être retiré. Il en résulte que la marchandise n'est pas définitivement vendue dès qu'elle a quitté la main du producteur pour ceIle du commerçant ; celui-ci ne fait que continuer l'opération de la vente, qu'assurer le fonctionnement du capital-marchandise. Mais ce qui pour le capitaliste producteur est simplement M-A, le fonctionnement de son capital sous la forme transitoire de capital-marchandise, est A-M-A' pour le commerçant, la mise en valeur spéciale du capital-argent qu'il a avancé, l'évolution d'un capital d'une nature déterminée.
Le commerçant vend la toile définitivement au consommateur productif (le blanchisseur, par ex.) ou au consommateur improductif (celui qui s'en sert pour un usage personnel) ; il récupère (avec profit) l'argent qu'il a avancé et il peut recommencer les mêmes opérations. Si, dans l'achat de la toile, l'argent fonctionne simplement comme moyen de paiement, c'est-à-dire si la marchandise ne doit être payée que dans un délai de six semaines, il suffit que celle-ci soit vendue avant ce délai, pour que le commerçant puisse sans avancer de l'argent s'acquitter envers le producteur; s'il ne parvient pas à vendre la toile, il devra avancer les 3000 £, non à la date de la livraison, mais à l'échéance convenue, et si une baisse du prix l'oblige de vendre au-dessous du prix d'achat, il devra faire appel à son capital pour combler le déficit.
Où le capital du commerce de marchandises prend-il le caractère d'un capital autonome, alors que dans les mains du producteur écoulant lui-même ses produits il n'est qu'une forme spéciale du capital industriel, correspondant à une phase déterminée du procès de reproduction ?
Primo. - Lorsqu'il est capital commercial, le capital marchandise accomplit sa première métamorphose, la fonction qui lui est assignée sur le marché, sa conversion définitive en argent entre les mains d'un agent distinct du producteur et dont les fonctions sont nettement séparées de celles du producteur industriel. La division sociale du travail a transformé en fonction exclusive d'un agent spécial de la circulation une opération qui correspondait à une phase déterminée et spéciale du procès de reproduction.
Cependant cet acte de division du travail n'est pas suffisant pour expliquer comment le rôle du capital commercial est absolument distinct et indépendant de celui du capital industriel. D'autres considérations doivent être invoquées.
Secundo. - Ce qui caractérise avant tout le capital commercial, c'est que le commerçant, l'agent autonome de la circulation, avance comme tel un capital-argent. Ce qui pour le capitaliste industriel est simplement M-A, conversion du capital-marchandise en capital-argent, est pour le commerçant A-M-A', achat et vente de la même marchandise et reflux du capital-argent qu'il a avancé.
Lorsqu'il avance du capital pour l'acte de circulation A-M-A et qu'il achète de la marchandise au producteur, le commerçant a toujours. en vue l'opération M-A, la conversion en argent du capital-marchandise, c'est-à-dire la première métamorphose de ce dernier, bien que l'acte qu'il accomplit puisse être, pour le producteur, la seconde métamorphose A-M, la reconversion de l'argent en marchandise (moyen de production). Pour le fabricant de toile, M-A est la première métamorphose, la conversion du capital-marchandise en capital-argent ; pour le commerçant, ce même acte est A-M la conversion de son capital-argent en capital-marchandise. Si le commerçant vend la toile au blanchisseur, il accomplit l'acte M-A, qui a comme pendant du côté du blanchisseur, A-M, conversion du capital-argent en capital productif, soit la seconde métamorphose du capital-marchandise. En réalité, c'est seulement après cette dernière opération que le capital-marchandise du fabricant de toile est définitivement vendu, et l'opération A-M-A du commerçant n'est intervenue que pour permettre l'accomplissement de l'acte M-A entre deux producteurs. Supposons qu'après la vente de sa marchandise, le fabricant de toile achète, pour, une fraction de la valeur de celle-ci, du fil à un commerçant. Il accomplit l'acte A-M, dont le pendant sera M-A pour le marchand de fil ; quant au fil lui-même, il sera sorti de la circulation pour être consommé, passant par la transformation M-A, le but de sa première métamorphose. Que le commerçant achète ou vende au capitaliste industriel, le cycle A-M-A de son capital se ramène à M-A, une des formes transitoires du capital industriel en voie de production. Si l'acte A-M du capital commercial est M-A pour le capitaliste industriel, il n'en est pas de même au point de vue du capital-marchandise ; en effet, il représente seulement le passage du capital-marchandise de la main de l'industriel à celle d'un agent de la circulation, et il faut que le capital commercial ait accompli M-A (l'acte subséquent de A-M) pour que le M-A du capital-marchandise soit définitif et complet. L'opération A-M-A n'est que la succession de deux M-A, de deux ventes d'un même capital-marchandise aboutissant à sa vente dernière et définitive.
Le capital-marchandise devient donc capital commercial, capital d'une catégorie spéciale et indépendante, par ce fait que le commerçant avance un capital-argent, qui n'engendre de la valeur et n'agit comme capital que parce qu'il fonctionne exclusivement comme agent des métamorphoses du capital-marchandise, dont il assure la conversion en argent par une succession ininterrompue d'achats et de ventes.
Au point de vue du procès de reproduction, le capital du commerce de marchandises, tant qu'il revêt la forme d'une marchandise, représente une fraction du capital industriel dans celle de ses métamorphoses où il existe et fonctionne comme capital-marchandise. Il n'est alors que le capital argent avancé par le commerçant, destiné exclusivement aux opérations de vente et d'achat, prenant uniquement les formes de capital-marchandise ou de capital-argent et jamais celle de capital productif; il est confiné continuellement dans le procès de circulation.
Lorsque le fabricant de toile a vendu ses 30.000 aunes pour 3000 £, il consacre cet argent à l'achat de moyens de production, et son capital peut continuer à produire. Mais, si à son point de vue la marchandise est convertie en argent, il n'en est pas de même, ainsi que nous l'avons dit, pour la toile. Celle-ci n'est pas encore transformée définitivement en argent, puisqu'elle n'est pas encore consommée, ni productivement, ni improductivement; comme capital-marchandise elle se trouve encore sur le marché, représentée maintenant par le marchand de toile, qui a pris la place du fabricant.
Si le producteur de toile devait attendre jusqu'à ce que toute sa toile eût cessé d'être de la marchandise et eût été transmise au dernier acheteur, le consommateur, il serait obligé d'interrompre sa fabrication, à moins qu'il ne prit la décision de restreindre ses opérations, de convertir en capital productif (fil, charbon, travail, etc.) une partie moindre de sa toile et de conserver une partie plus grande comme réserve monétaire, pour continuer la production pendant qu'une fraction de son capital est retenue au marché sous forme de marchandise. L'intervention du commerçant ne lui permet pas de se passer de cet expédient; seulement elle réduit relativement à la partie du capital fonctionnant comme capital productif l'importance de la partie du capital circulant qui doit être tenue en réserve, et elle permet d'agrandir proportionnellement l'échelle de la reproduction. Mais si de la sorte une plus grande partie du capital du capitaliste industriel peut être consacrée à la production, il y a une autre partie du capital social qui est continuellement engagée dans la circulation sous forme de capital commercial. Celle-ci n'est plus utilisée qu'à des ventes et des achats, et les choses se passent comme s'il y avait eu une simple substitution de personnes. En effet, si, au lieu d'acheter de la toile destinée à la vente, le commerçant engageait ses 3000 £ dans une production quelconque, le capital productif de la société serait accru ; mais le fabricant de toile devrait augmenter sa réserve monétaire et le commerçant devenu capitaliste industriel serait obligé d'en faire autant. D'autre part en continuant à faire du commerce, le commerçant épargne au producteur le temps qu'il devrait consacrer à la vente et qu'il peut donner à la surveillance de la production.
Lorsque l'importance du capital commercial ne dépasse pas les proportions indispensables, on peut admettre que la division du travail appliquée au capital social donne les résultats suivants.
La rotation du capital industriel trouve une limite, non seulement dans la durée de la circulation, mais également dans celle de la production. La rotation du capital commercial (nous supposons un capital affecté au commerce d'une catégorie déterminée de marchandises) est limitée, non par la rotation d'un capital industriel, mais par celle de tous les capitaux industriels de la même branche. Après avoir acheté et vendu la toile d'un fabricant, le commerçant peut acheter et vendre celle d'un autre, avant que le premier ait fait un second envoi de marchandises au marché. Le même capital commercial peut donc coopérer successivement aux rotations de divers capitaux engagés dans une branche de production ; sa rotation n'est pas liée à celle d'un seul capital industriel et il ne sert pas de réserve monétaire à un capitaliste industriel seulement. Nécessairement, dans une branche de production déterminée, la rotation du capital commercial est limitée par la production totale de cette branche. Supposons que A fabrique une marchandise dont la production demande trois mois. Si le commerçant qui l'achète parvient à la vendre dans le mois qui suit l'achat, il pourra recommencer la même opération avec un autre fabricant de la même branche de production. Ayant vendu le blé d'un fermier, il peut avec le même argent acheter celui d'un autre, le revendre et recommencer à différentes reprises. La rotation de son capital sera limitée par la quantité de blé qu'il pourra acheter et vendre successivement dans un temps donné, un an par exemple, taudis que la rotation du capital du fermier, abstraction faite du temps qu'exige la circulation, est limitée par la durée de la production, qui est d'un an.
Nous avons vu que la rotation d'un même capital commercial peut coopérer aux rotations de divers capitaux engagés dans des branches de production différentes. Lorsque le capital commercial opère dans ces conditions et que, par une série de ses rotations, il convertit en argent différents capitaux-marchandises, sa fonction comme capital-argent est à celle du capital-marchandise, comme l'argent, caractérisé par la multiplicité de ses rotations, est à la marchandise.
La rotation d'un capital commercial ne s'identifie pas avec la rotation ou la reproduction d'un capital industriel de même grandeur; elle correspond à la somme des rotations de toute une série de capitaux de cette importance, engagés soit dans la même branche de production, soit dans des industries différentes. La fraction du capital social qui doit prendre la forme de capital commercial est d'autant plus petite que celui-ci circule plus rapidement. Moins la production est développée, plus le capital commercial doit être considérable par rapport à la quantité de marchandises qu'il doit mettre en circulation. Aussi dans les sociétés produisant dans des conditions inférieures, la plus grande partie du capital-argent se trouve aux mains des commerçants, qui jouissent d'une puissance d'argent vis-à-vis des autres.
La vitesse de circulation du capital-argent avancé par le commerçant dépend : 1° de la vitesse avec laquelle se renouvelle le procès de production et se suivent les divers procès de production ; 2° de la vitesse de la consommation.
Le capital commercial n'effectue pas toujours sa rotation comme nous l'avons supposé jusqu'ici, c'est-à-dire qu'il n'achète pas toujours des marchandises pour toute sa valeur pour les revendre ensuite. Le commerçant fait généralement deux parts de son capital, dont l'une existe comme capital-marchandise pendant que l'autre fonctionne comme capital-argent. D'un côté, il achète et convertit de l'argent en marchandises ; de l'autre, il vend et transforme du capital-marchandise en argent. Plus la partie de son capital affectée à l'une de ces opérations est grande, plus celle réservée à l'autre est petite ; mais la fraction devant revêtir la forme argent sera d'autant moindre, eu égard aux transactions qu'elle doit accomplir, que le rôle du crédit sera plus important dans la circulation. Si j'achète pour 3000 £ de vin à trois mois de date et si je le vends au comptant avant l'échéance, je n'aurai pas un centime à avancer pour ma transaction. Il est clair que le capital-argent, qui figure dans ce cas comme capital commercial, n'est que le capital industriel dans celle de ses métamorphoses où il reprend la forme argent. (Ce fait que le producteur qui a vendu le vin à 3 mois de date peut escompter la lettre de change qui lui a été souscrite, ne modifie pas les choses en ce qui concerne le capital du commerçant). Si, dans l'intervalle qui sépare l'achat de la vente, le prix baissait d'un dixième, par exemple, non seulement le commerçant ne réaliserait aucun profit, mais il ne toucherait que 2700 £ au lieu de 3000, et il devrait prélever 300, £ sur sa réserve pour compenser la différence des prix. Les faits se seraient évidemment passés de la même manière si la vente avait été faite par le producteur lui-même; c'est lui qui dans ce cas aurait perdu les 300 £ et aurait dû faire appel à son capital de réserve pour pouvoir recommencer la production à la même échelle.
Un commerçant achète pour 3000 £ de toile à un fabricant, quin emploie les deux tiers (2000 £) pour se procurer du fil. L'argent que le fabricant de toile remet au marchand de fil n'est pas celui du commerçant de toile, car ce dernier a reçu de la marchandise en échange de la monnaie qu'il a avancée ; ce que le fabricant de toile débourse, c'est une partie de son propre capital. Au point de vue du marchand de fil, ces 2000 £ semblent être du capital-argent refluant à son point de départ ; mais jusqu'à quel point en est-il ainsi et ces 2000 £ ne sont-elles pas simplement du capital industriel venant d'abandonner la forme de toile ou allant prendre celle de fil ? Si le marchand de fil a acheté à crédit et vendu au comptant, le capital commercial représenté par les 2000 £ qui lui reviennent avant qu'il paye ce qu'il a acheté, ne se différencie d'aucune manière du capital industriel arrivé au point de son cycle où il revêt la forme argent. Lorsque le capital du commerce de marchandises n'est pas, sous la forme marchandise ou sous la forme argent du capital industriel se trouvant entre les mains du commerçant, il est simplement la partie du capital-argent qui appartient au commerçant et circule pour la vente et l'achat des marchandises. Il représente alors, avec une importance moindre, la partie du capital que l'industriel aurait dei avancer pour constituer la réserve monétaire qui lui aurait permis de faire ses achats et qu'il aurait fait circuler comme capital-argent. Cette partie du capital total, ramenée à des proportions moindres, se trouve maintenant aux mains des commerçants qui la font circuler continuellement comme moyen d'achat pour assurer la continuité du procès de reproduction. Elle est d'autant plus petite relativement au capital total, que la reproduction est plus accélérée et que la fonction de l'argent comme moyen de paiement, c'est-à-dire le crédit, est plus développée [2].
Le capital commercial fonctionne exclusivement dans la circulation, qui n'est qu'une phase du procès de reproduction. La circulation n'engendre ni valeur, ni plus-value, car elle ne comporte que des changements de formes. Par conséquent, si de la plus-value est réalisée par la vente de la marchandise, c'est qu'elle était d'avance contenue dans celle-ci. Aussi au second acte du procès de production, lorsque le capital-argent est échangé contre des moyens de production, l'acheteur n'encaisse aucune plus-value et se borne à préparer la récolte de cette dernière en convertissant de l'argent en force de travail et en moyens de production. Toutes ces métamorphoses, en tant qu'elles coûtent du temps - un temps pendant lequel le capital ne produit rien et par conséquent n'engendre pas de plus-value - ralentissent la production de la valeur et ont pour effet de diminuer d'autant plus le taux du profit que la durée de la circulation est plus grande. On peut donc dire que si directement le capital commercial ne crée ni valeur, ni plus-value, il peut contribuer indirectement à augmenter celle-ci, lorsqu'il a pour effet d'accélérer la circulation, En intervenant pour étendre le marché et assurer la division du travail des capitaux, en leur permettant d'opérer à une échelle plus grande, il aiguillonne la productivité et l'accumulation du capital industriel. En réduisant la durée de la circulation, il accroît la plus-value par rapport au capital avancé et par conséquent le taux du profit. Enfin en donnant une importance moindre à la partie du capital social qui doit être affectée exclusivement à la circulation sous forme de capital-argent, il renforce la partie qui peut être consacrée directement à la production.
Notes
[1] Dans ce chapitre et dans les suivants nous nous servons du mot « commerçant » pour traduire l'expression « Waarenhändler » (commerçant faisant le commerce de marchandises), que Marx emploie pour bien marquer la différence entre le Waarenhändel, le commerce de marchandises, et le Geldhaitdel, le commerce d'argent. (NdT)
[2] Afin de pouvoir assimiler le capital commercial au capital productif, Ramsay confond le commerce avec l'industrie du transport et l'appelle « the transport of commodities from one place to another » (An Essay on the Distribution of Wealth, p. 19). La même confusion se rencontre chez Verri (Meditazioni sulla Ec. Pol., § 4), chez J.-B. Say (Traité d'Ec. Pol., 1, 14, 15) et chez J.-P. Newman, qui dit dans ses Elements of Pol. Ec. (Andover et New-York 1835) : « In the existing economical arrangements of society, the very net which is performed by the merchant of standing between the producer and the consumer, in advancing to the former capital and receiving products in return, and handing over these products to the latter, receiving back capital in return, is a transaction which both facilitates the economical process of the community, and adds value to the products in relation Io which it is performed » (p. 174). Ainsi le producteur et le consommateur gagnent du temps grâce à l'intervention du commerçant : ce dernier, qui fait une avance de capital et de travail, doit être récompensé, « since it adds value to products, for the same products, in the hands of consumers, are worth more than in the hands of producers ». Pour Newmann comme pour J.-B. Say, le commerce est donc « strictly an act of production » (p. 175). Cette conception est absolument fausse. La valeur d'usage d'une marchandise est plus grande entre les mains du consommateur qu'entre celles du producteur, car c'est là seulement qu'elle entre en fonctions et qu'elle est réalisée, tandis qu'entre les mains du producteur elle n'existe qu'à l'état potentiel. On ne paie pas la marchandise deux fois, d'abord comme valeur d'échange, ensuite comme valeur d'usage. En payant sa valeur d'échange, on s'approprie sa valeur d'usage et rien n'est ajouté à la valeur d'échange par le passage de la marchandise des mains du producteur ou du commerçant à celles du consommateur.
|