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Dans l'analyse que nous allons entreprendre nous pouvons ne pas tenir compte de la distinction entre le coût de production et la valeur, étant donné que cette distinction s'efface lorsque l'on considère, ainsi que nous allons le faire, la valeur de l'ensemble du produit annuel du travail, c'est-à-dire le produit de tout le capital social.
Le profit (profit d'entreprise + intérêt) et la rente ne sont que des formes particulières de certaines parties de la plus-value des marchandises, la somme du profit moyen et de la rente étant égale à la plus-value. Il se peut cependant qu'une partie du surtravail et de la plus-value contenus dans les marchandises n'intervienne pas directement pour la formation du profit moyen, et que par conséquent une partie de la valeur des marchandises ne soit pas comprise dans leur prix. Mais cette différence disparaît, d'abord par l'établissement des moyennes, ensuite parce qu'une compensation intervient, soit que la marchandise vendue au-dessous de sa valeur entre comme élément dans le capital constant, ce qui fait hausser le taux du profit, soit qu'elle serve à la consommation improductive, ce qui a pour effet que le profit et la rente sont représentés par une quantité plus grande de produits. En tout cas et alors même qu'une partie de la plus-value n'intervient pas dans le prix, la somme du profit et de la rente ne peut pas dans les conditions normales, c'est-à-dire lorsque le salaire est en rapport avec la valeur de la force de travail, être supérieure à la plus-value totale, mais elle petit être plus petite que celle-ci. Même la rente résultant d'un monopole, lorsqu'elle ne forme pas une catégorie spéciale et n'est pas prélevée sur le salaire, représente toujours une part, parfois indirecte, de la plus-value. En effet, si elle ne résulte pas, comme la rente différentielle, d'un excédent du prix sur le coût de production, ou comme la rente absolue, d'un excédent de la plus-value sur le profit moyen, elle provient de la plus-value d'autres marchandises, par exemple, des marchandises qui sont échangées contre celle qui jouit d'un prix de monopole.
La somme du profit moyen et de la rente ne pouvant pas dépasser la grandeur dont elles sont les deux parties et qui existait avant eux, il est absolument indifférent pour notre étude que toute la plus-value des marchandises, c'est-à-dire tout le surtravail qui leur est incorporé, soit réalisée ou non dans leur prix. Nous savons déjà que le surtravail n'est jamais réalisé entièrement, à cause de la variation continuelle de la quantité de travail social indispensable pour la production d'une marchandise déterminée, variation résultant des modifications incessantes qui interviennent dans la productivité de la force de travail et qui ont pour effet que continuellement une partie des marchandises est produite dans des conditions anormales et doit être vendue au-dessous de sa valeur. Néanmoins la somme du profit et de la rente est égale à toute la plus value (surtravail) réalisée, que nous pouvons, dans l'étude que nous poursuivons, égaler à la plus-value totale (Le profit et la rente sont, en effet, de la plus-value réalisée, c'est-à-dire la plus-value qui fait partie des prix des marchandises, c'est-à-dire, en pratique, toute la plus-value qui représente une partie de ce prix).
D'autre part, le salaire, la troisième forme particulière du revenu, est toujours égal à la partie variable du capital, c'est-à-dire à la partie qui est dépensée pour payer les ouvriers, pour acheter, non des instruments de travail, mais de la force de travail vivante (Le travail payé dans la consommation du revenu est lui-même payé par du salaire, du profit ou de la rente, et ne fait donc pas partie de la valeur des marchandises employées pour le payer; il n'est donc pas à considérer dans l'analyse de la valeur des marchandises et de ses composants). Le salaire est la, forme objective de la partie de la journée de travail qui reproduit la valeur du capital variable et par suite le prix du travail ; il constitue la partie de la valeur de la marchandise dans laquelle l'ouvrier reproduit la valeur de sa force de travail, c'est-à-dire le prix de son travail. La journée de travail comprend deux parties : l’une, dans laquelle l'ouvrier accomplit la quantité de travail nécessaire pour reproduire la valeur de ses moyens d'existence, correspond à la partie payée de son travail et comprend le travail indispensable pour sa conservation et sa reproduction; l'autre, qui est du surtravail, du travail non payé, est représentée par la plus-value contenue dans les marchandises qu'il produit, plus-value qui se subdivise en profit (profit d'entreprise + intérêt) et rente.
La partie de la valeur des marchandises, dans laquelle se réalise le travail qu'y ont consacré les ouvriers pendant un jour ou une année, la valeur totale du produit créé par ce travail, comprend donc les valeurs du salaire, du profit et de la rente. Les ouvriers n'accomplissent d'autre travail que celui-là et ils ne créent d'autre valeur que la valeur totale du produit, englobant le salaire, le profit et la rente. Cette valeur est égale au salaire, c'est-à-dire la valeur du capital variable augmenté de la plus-value. La valeur du produit créé annuellement ne reproduit donc pas la valeur du capital constant, car le salaire n'est égal qu'à la valeur du capital variable avancé pour la production, et la rente et le profit, égaux à la plus-value, ne sont que la valeur produite en sus de la valeur totale du capital avancé, laquelle comprend les valeurs du capital constant et du capital variable.
Il est sans importance pour la question que nous avons à résoudre qu'une partie de la plus-value devenue profit ou rente soit dépensée comme revenu ou accumulée, car la partie épargnée pour l'accumulation est destinée à être utilisée comme capital nouveau et ne doit nullement servir à renouveler du capital ancien dépensé pour la force ou les moyens de travail. Nous pouvons donc admettre, afin de simplifier le raisonnement, que les revenus passent totalement à la consommation improductive.
Nous nous trouvons devant une double difficulté :
Primo. - La valeur du produit annuel, qui sert à la dépense des trois revenus, salaire, profit, rente, contient, outre la partie qui correspond au salaire et celle qui se résout en profit et rente, une autre partie égale à la valeur du capital constant consommé pour obtenir le produit. Elle est donc égale à Salaire + Profit + Rente + C, le dernier terme représentant le capital constant. Comment la valeur créée annuellement, égale à Salaire + Profit + Rente, pourra-t-elle acheter un produit dont la valeur sera (Salaire + Profit + Rente) + C ? Comment la valeur produite annuellement pourra-t-elle acheter un produit d'une valeur plus grande qu'elle-même ?
Secundo. - Si nous faisons abstraction de la partie du capital constant qui n'entre pas dans le produit et qui continue à exister, mais avec une valeur réduite, après la production annuelle ; si par conséquent nous ne tenons pas compte provisoirement du capital fixe appliqué mais non consommé, nous voyons que le nouveau produit contient toute la partie du capital constant qui a été avancée sous forme de matières premières et de matières auxiliaires, et qu'il renferme une partie seulement de la partie du capital constant avancé pour les autres moyens de production. Or tout ce qui du capital constant a été consommé pour la production, doit être renouvelé en nature ; en supposant que les circonstances restent les mêmes et notamment que la productivité du travail reste invariable, il faudra dépenser pour le reproduire la même quantité de travail qu'il a fallu pour l'engendrer. Qui accomplira ce travail ? Par qui est-il exécuté ?
La première difficulté (Qui payera et avec quoi payera-t-il la valeur du capital constant incorporée au produit ?) implique que la valeur du capital constant consommé dans la production réapparaisse dans la valeur du produit. En cela elle n'est pas en contradiction avec les prémisses de la seconde difficulté, car nous avons démontré, déjà dans le Livre I, chap. VII (Production de valeurs d'usage et production de plus-value) que la simple addition d’un nouveau travail, bien que celui-ci ne reproduise pas l'ancienne valeur et crée seulement de la valeur supplémentaire, conserve quand même l'ancienne valeur dans le produit, ce qui est dû à ce que le travail fonctionne non comme créateur de valeur, mais comme travail appliqué à une production déterminée. Aucun travail supplémentaire n'est donc nécessaire pour conserver la valeur du capital constant dans le produit qui sera l'objet de la dépense du revenu, c'est-à dire de la dépense de toute la valeur créée pendant l'année. Mais du travail nouveau et supplémentaire sera nécessaire pour reconstituer le capital constant qui aura été consommé pendant l'année, renouvellement sans lequel la reproduction serait impossible.
Tout le travail nouveau ajouté pendant l'année est représenté par la valeur nouvelle créée pendant l'année, c'est-à-dire par les trois revenus : Salaire, Profit, Rente. D'une part, il ne reste rien de disponible du travail social pour le renouvellement du capital constant consommé et à reconstituer partie en nature et en valeur, partie en valeur seulement (l’usure du capital fixe). D'autre part, la valeur (salaire + profit + rente) créée par le travail annuel ne parait pas suffisante pour acheter le capital constant qui doit se trouver dans le produit annuel en même temps que le salaire, le profit et la rente.
Ainsi qu'on s'en sera aperçu, la solution du problème a déjà été donnée (Livre II, partie III) dans l'étude de la reproduction du capital total de la société. Si nous nous en occupons encore, c'est que dans le Livre Il nous n'avions pas dégagé les formes de revenu, profit (profit d'entreprise + intérêt) et rente, sous lesquelles se présente la plus-value, et également parce que toute l'Économie politique depuis A. Smith a versé dans une erreur incroyable en faisant l'analyse de la forme salaire, profit et rente.
Dans notre étude du Livre Il nous avons subdivisé le capital en deux grandes classes : la classe I produisant des moyens de production, la classe Il produisant des objets de consommation. Cette classification, qui ne repose pas sur une hypothèse et est l'expression fidèle des faits, ne cesse pas d'être rigoureuse parce que certains produits (le blé, le cheval, etc.) peuvent servir à la. fois à la consommation productive et à la consommation improductive. Pour le démontrer, considérons les produits annuels d'un pays. Une partie, quelle que soit sa capacité de servir comme moyens de production, passe a la consommation improductive ; c'est celle pour laquelle sont dépensés le salaire, le profit et la rente. Elle est le résultat de la production d'une section déterminée du capital social. Il est possible que le capital de cette section produise également des produits de la classe I ; s'il en est ainsi, la fraction de ce capital qui fournit les produits consommés productivement dans la classe I, n'est pas la même que celle qui livre les produits consommés improductivement dans la classe Il. Tous les produits qui passent à la consommation improductive et pour lesquels sont dépensés les revenus, représente le capital qui a été dépensé pour l'obtenir et l'excédent qui a été produit en même temps. Ils sont les fruits du capital appliqué exclusivement à la production d'objets de consommation. De même les produits, les matières premières et les instruments de travail, obtenus comme moyens de reproduction, quelle que soit leur capacité naturelle de servir comme objets de consommation, sont les fruits du capital appliqué exclusivement à produire des moyens de production. Il est vrai que l'immense majorité des produits qui constituent le capital constant ont une forme matérielle qui les rend impropres à la consommation improductive ; mais lorsqu'il n'en est pas ainsi - un paysan petit, par exemple, manger le blé destiné aux semailles, de même qu'il peut tuer, pour s'en nourrir, une bête de trait - le produit obéit néanmoins à la subdivision économique et c'est comme s'il n'était pas consommable.
Ainsi que nous l'avons dit, nous faisons abstraction, dans les deux classes, de la partie fixe du capital constant qui continue à exister en nature et en valeur à, côté du produit annuel.
La valeur des produits de la classe II, qui sont achetés au moyen des revenus (le salaire, le profit et la rente), comprend trois parties, dont l'une est égale à la valeur de la partie du capital constant qui a été dépensée pour les produire, l'autre, à la valeur du capital variable qui a été avancé pour les salaires et la troisième, à la plus-value (profit + rente) qui a été créée dans cette classe. La première de ces parties ne petit être consommée ni par les capitalistes de la classe II, ni parles propriétaires fonciers. Elle ne correspond à aucune partie de leur revenu ; elle doit être renouvelée en nature, et doit être vendue pour qu'il puisse en être ainsi. Les deux autres parties sont égales à la valeur des revenus (salaire + profit + rente) de la classe.
Les produits de la classe I comprennent les mêmes parties au point de vue de la forme, mais la partie qui constitue ici le revenu (salaire + profit + rente), c'est-à-dire le capital variable augmenté de la plus-value, n'est pas consommée improductivement dans la classe I, sous la forme que lui donne la production dans cette classe. Elle doit prendre la forme des produits de la classe Il et pour cette raison être échangée contre la partie des produits de cette classe qui correspond à son capital constant. La partie des produits de la classe II, qui doit renouveler le capital constant de cette classe, est donc consommée improductivement et sous sa forme naturelle par les ouvriers, les capitalistes et les propriétaires fonciers, et inversement la partie des produits de la classe I, qui représente le revenu de cette classe, est consommée productivement par la classe II, dont elle reconstitue en nature le capital constant. Quant au capital constant consommé dans la classe I, il est reconstitué par les produits (moyens de production, matières premières, matières auxiliaires, etc.) de cette classe, soit qu'ils soient réutilisés directement par les capitalistes qui les ont produits, soit qu'ils fassent l'objet d'échanges entre les capitalistes de la classe.
Reprenons l'exemple de la reproduction simple, que nous avons analysé livre II, chap. XXIl :
I. | 4 000 | + | 1 000 | + | 1 000 | = | 6 000 | ||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
c | v | pl | } = 9000 | ||||||
II. | 2 000 | + | 500 | + | 500 | = | 3 000 |
La partie 500 v + 500 pl = 1000 des produits de la classe Il est consommée comme revenu par les producteurs et les propriétaires fonciers de cette classe ; quant à la partie 2000 c, qui doit être renouvelée, elle est consommée par les ouvriers, capitalistes et rentiers de la classe I, dont les revenus s'élèvent à 1000 v + 1000 pl = 2000. La partie (2000 c) des produits de la classe II, qui ne peut pas être consommée par les producteurs et propriétaires de cette classe, est donc consommée improductivement par les producteurs et propriétaires de la classe I, et la partie (1000 v + 1000 pl) des produits de cette dernière, qui représente les revenus de la classe, est consommée comme capital constant par la classe Il. Il ne reste donc plus à considérer que la partie 4000 c, des produits de la classe I. Cette partie est reconstituée par les produits mêmes de cette classe. Les chiffres de notre exemple sont évidemment hypothétiques, et la coïncidence exacte entre la valeur du revenu de la classe I et la valeur du capital constant de la classe Il peut paraître arbitraire. Il est cependant évident que si les circonstances restent invariables et si le procès de reproduction se déroule dans des conditions normales, sans qu'il y ait accumulation, la valeur du salaire, du profit et de la rente de la classe I doit être égale à la valeur du capital constant de la classe Il. Sans cela la classe Il ne pourrait pas reconstituer en nature son capital constant, et la classe I ne pourrait pas faire passer son revenu de la forme inconsommable à la forme consommable.
La valeur des marchandises produites en une année, comme la valeur des marchandises produites par une entreprise déterminée, comme la valeur de toute marchandise, se subdivise donc en une partie A, qui reconstitue la valeur du capital constant qui a été avancé, et une partie B, qui représente le revenu, sous forme de salaire, de profit et de rente. Toutes circonstances égales, la seconde diffère de la première en ce que celle-ci ne prend jamais la forme de revenu et qu'elle reflue toujours sous forme de capital constant.
La partie B comprend le salaire, le profit et la rente, qui diffèrent en ce que le salaire représente du travail payé tandis que le profit et la rente représentent la plus-value. C'est-à-dire du travail non payé, La partie de la valeur du produit, qui correspond au salaire dépensé dans la production et qui sert à renouveler le salaire, reflue de la circulation comme capital variable, comme partie du capital qui devra être avancé pour la reproduction. Cette partie a une double fonction : elle se présente d'abord sous forme de capital et est échangée comme telle contre la force de travail ; ensuite elle prend, lorsqu'elle est remise aux ouvriers, la forme de revenu et est dépensée à l'achat de moyens d'existence. Cette double fonction apparaît clairement lorsque la circulation est assurée au moyen de la monnaie. D'abord, le capital variable, avancé en argent, paie la force de travail et cet achat aboutit à sa transformation en travail. Ensuite, au moyen de cet argent, les ouvriers achètent une partie des marchandises qu'ils ont produites et la consomment comme revenu. Si la circulation monétaire n'existait pas, une partie du produit des ouvriers représenterait du capital pour le capitaliste qui s'empare de l'ensemble de ce produit ; il avancerait cette partie aux ouvriers en échange d'une nouvelle quantité de force de travail, et de leur côté les ouvriers la consommeraient comme revenu, soit directement, soit en l’échangeant contre d'autres marchandises. La partie de la valeur du produit destinée à prendre dans la reproduction la forme de salaire, de revenu des ouvriers, reflue donc aux capitalistes comme capital variable. S'il n'en était pas ainsi le travail ne conserverait pas son caractère de travail salarié, le moyen de production ne se reproduirait pas comme capital et le procès de production cesserait d'être un procès de production capitaliste.
Pour échapper à des complications inutiles il convient de faire la distinction entre le produit brut et le produit net, d'une part, et le revenu brut et le revenu net, d'autre part.
Le produit brut est l'ensemble du produit fourni par la reproduction. Sa valeur est égale à celle du capital variable et du capital constant (à part la partie du capital fixe qui n'est pas consommée) avancés pour la production, augmentée de la plus-value (profit + rente). On peut dire également, en considérant l'ensemble du capital social, que le produit brut est égal à la somme des éléments matériels qui constituent le capital constant, le capital variable et la plus-value.
Quant au revenu brut, il est ce qui reste du produit brut quand on en déduit les éléments matériels du capital constant, de sorte que sa valeur est égale à celle du produit brut moins celle du capital constant. Le revenu brut est donc égal au salaire (le revenu des ouvriers) + le profit + la rente. Par contre le revenu net est ce qui reste du revenu brut après déduction du salaire; il est donc égal à la plus-value et par suite au surproduit, qui sont réalisés par le capital et qui sont à partager entre les capitalistes et les propriétaires fonciers.
Nous avons vu que la valeur de toute marchandise comme la valeur du produit de chaque capital se décompose eu deux parties, dont l'une renouvelle le capital constant et dont l'autre, à part la fraction qui reflue sous forme de capital variable, est destinée à se transformer en salaire, profit et rente, c'est-à-dire en revenu brut. Nous avons appris également que ce qui est vrai d'une marchandise et d'un capital isolé, est vrai de la valeur du produit annuel de la société. Cependant il y a une distinction à faire entre le produit d'un capital isolé et celui de la société - pour le capitaliste, le revenu brut diffère du revenu net, en ce que le premier comprend le salaire et que le second ne le contient pas; pour une nation, le revenu se compose du salaire, du profit et de la rente, c'est-à-dire est égal au revenu brut. Il est vrai qu’une société ayant pour base la production capitaliste ramène tout au point de vue capitaliste et ne considère que le revenu constitué par le profit et la rente, c'est-à-dire le revenu net. C'est ce qui explique les considérations fantaisistes de M. Say, qui soutient que tout le revenu brut d'une nation se résout en revenu net, ce qui n'est que l'expression dernière et inévitable du dogme absurde qui se maintient dans l'économie politique depuis A. Smith, dogme qui prétend que la valeur des marchandises se décompose en dernière instance en revenu, salaire, profit et rente [1].
Il est naturellement très facile de constater qu'une partie du produit de chaque capitaliste doit se reconvertir en capital (même quand on fait abstraction de l'extension de la reproduction ou de l'accumulation), non seulement en capital variable, destiné à se reconvertir à son tour en salaires et à prendre la forme de revenu, mais en capital constant qui ne peut pas être transformé en revenu.
L'observation la plus superficielle du procès de production le fait voir clairement. Il n'en est plus de même et la difficulté commence dès qu'il s'agit du procès de production dans son ensemble. Alors il s'agit d'expliquer comment il se fait que la valeur de la partie du produit qui est dépensée (productivement ou improductivement) comme revenu, sous forme de salaire, de profit et de rente, se ramène effectivement dans l'analyse à la valeur totale des trois revenus, bien que la valeur de cette partie contienne, comme celle qui n'appartient pas au revenu, un élément C égal à, la valeur du capital constant qui y est incorporé. Il est évidemment très facile de résoudre la difficulté en disant que ce n'est qu'en apparence que la valeur de la marchandise contient, au point de vue de chaque capitaliste en particulier, un élément différent de ceux qui affectent la forme de revenu, et que ce qui constitue le capital de l'un apparaît comme le revenu de l'autre. Mais cette explication ne montre pas comment le capital primitif peut être reconstitué alors que la valeur de tout le produit peut être consommée comme revenu, ni comment la valeur du produit de chaque capitaliste étant égale à la somme des trois revenus augmentée du capital constant C, la somme des valeurs des produits de tous les capitaux est égale seulement aux totaux des trois revenus. Autant dire que l'analyse est incapable de dégager les éléments simples du prix et qu'elle doit se contenter du cercle vicieux et du progrès à l'infini : ce qui apparaît comme capital constant se ramène au salaire, au profit et à la rente ; les valeurs des marchandises, qui représentent le salaire, le profit et la rente, sont déterminées par le salaire, le profit et la rente, et ainsi de suite à l'infini [2].
Le principe absolument faux que la valeur des marchandises se ramène à la somme des salaires, du profit et de la rente, est exprimé sous une autre forme quand on dit qu'en dernière analyse le consommateur paie toute la valeur du produit, ou, suivant la phrase de Tooke, que la circulation d'argent entre les producteurs et les consommateurs est égale en dernière instance à la circulation d'argent entre les producteurs. Les difficultés qui conduisent à ces analyses absurdes peuvent être exposées brièvement comme suit :
Primo. - Le rapport fondamental entre le capital constant et le capital variable, par conséquent la nature de la plus-value et la base de la production capitaliste, n'ont pas été compris. La valeur de chaque marchandise englobe trois parties, dont l'une est égale au capital constant, l'autre au capital variable (salaire) et la troisième à la, plus-value (profit et rente). Or comment est-il possible que l'ouvrier au moyen de son salaire, le capitaliste au moyen de son profit, le propriétaire foncier au moyen de sa rente, achètent des marchandises dont chacune contient, non exclusivement l'une ou l'autre des trois parties constitutives de la valeur, mais toutes les trois simultanément ? Comment est-il possible qu'au moyen de la valeur totale de leurs revenus ils puissent acheter les marchandises nécessaires à leur consommation, alors que ces marchandises contiennent outre la valeur totale des trois revenus, une quatrième partie, la valeur du capital constant ? Comment avec une valeur égale à trois peuvent-ils acheter une valeur égale à quatre ? [3]. Nous avons donné Livre II, deuxième partie, la réponse à cette question.
Secundo. - De même il n'a pas été compris comment le travail, lorsqu'il ajoute une nouvelle valeur, conserve l'ancienne sous une nouvelle forme.
Tertio. - On a envisagé l'enchaînement du procès de reproduction au point de vue d'un capital isolé et non au point de vue du capital total de la société. En agissant ainsi on a éludé la question comment le produit, qui réalise le salaire et la plus-value, c'est-à-dire toute la valeur nouvelle créée pendant l'année, peut reconstituer la partie constante de sa valeur, tout en se convertissant en une valeur exprimée seulement par les revenus, et comment le capital constant consommé dans la production peut être reconstitué en nature et en valeur, bien que le travail nouvellement ajouté ne se réalise que dans le salaire et la plus-value. Or c'est précisément dans cette analyse de la reproduction et du rapport de ses éléments, tant au point de vue matériel qu'au point de vue de la valeur, que gît la difficulté.
Quarto. - A ces difficultés s'en ajoute une autre, qui est importante surtout lorsque les différentes parties de la plus-value prennent la forme de différentes catégories de revenus, et qui résulte de ce que les notions de capital et de revenu se modifient, de sorte que les distinctions entre ces éléments ne paraissent être que relatives au point de vue du capitaliste isolé et semblent s'effacer dans l'ensemble du procès de production. C'est ainsi, par exemple, que le revenu des ouvriers et des capitalistes de la classe I, qui produit du capital constant, renouvelle en nature et en valeur le capital constant de la classe II, qui produit des moyens de consommation. On pourrait donc tourner la difficulté en se déclarant que ce qui est revenu pour l'un est capital pour l’autre, et que ces distinctions n'ont par conséquent rien à voir avec la différenciation effective des composants de la valeur des marchandises. En outre, des marchandises qui sont destinées à constituer finalement les éléments matériels des revenus, par conséquent à être des objets de consommation, passent pendant l'année par différents états, sont, par exemple, d'abord fil, ensuite drap, font partie d'abord du capital constant et sont ensuite objets consommables, représentant le revenu. Il est donc possible qu'avec A. Smith on s'imagine que le capital constant est en apparence seulement un élément de la valeur de la marchandise, qui disparaît quand on envisage l'ensemble, De plus il y a échange de capital variable contre du revenu. En appliquant son salaire à l'achat de la partie des marchandises qui représente son revenu, l'ouvrier convertit en argent le capital variable du capitaliste. Enfin, une partie des produits qui constituent le capital constant est renouvelée en nature ou par l'échange, par ceux-mêmes qui produisent le capital constant, opération à laquelle les consommateurs restent étrangers. Or lorsqu'on ne tient pas compte de ces faits, il semble que le revenu du consommateur reconstitue tout le produit, y compris la partie de la valeur qui représente le capital constant.
Quinto. - A côté de la confusion résultant de la conversion de la valeur en coût de production en surgit une autre, due à ce que la plus-value se transforme en profit et en rente, des formes différentes du revenu rapportées à des éléments différents de la production. On oublie que la valeur est la notion fondamentale et que sa subdivision en différentes catégories de revenus ne modifie en rien la loi qui la caractérise. De même la loi de la valeur n'est nullement modifiée parce que l'égalisation des profits, c'est-à-dire la répartition de la plus-value entre les divers capitaux, et les obstacles que la rente absolue (par conséquent la propriété foncière) oppose jusqu'à un certain point à cette égalisation, déterminent un écart entre le prix moyen (régulateur) de la marchandise et sa valeur. Ces faits affectent uniquement l'importance relative de la plus-value dans les prix des différentes marchandises, mais ne suppriment pas la plus-value et n'empêchent pas la valeur totale des marchandises d'être la source des divers composants des prix.
Cette confusion, que nous étudierons dans le chapitre suivant, provient nécessairement de ce qu'en apparence la valeur résulte des parties qui la composent. En effet, les composants de la valeur des marchandises se présentent sous des formes autonomes dans les différents revenus et sont rapportés non à la valeur de la marchandise qui est leur source, mais aux différents éléments matériels de la production considérés comme sources de ces revenus ; ils sont envisagés par conséquent comme des parties de la valeur revenant aux agents de la production, les ouvriers, les capitalistes et les propriétaires fonciers. Dès lors ces parties de valeur, an lieu d'être le résultat de la décomposition de la valeur de la marchandise, apparaissent comme les éléments qui par leur réunion constituent la valeur ; d'où ce cercle vicieux que la valeur de la marchandise résulte des valeurs du salaire, du profit et de la rente, et que les valeurs du salaire, du profil et de la rente sont déterminées par la valeur de la marchandise.
Lorsque la reproduction se fait normalement, une partie seulement du travail nouveau est appliquée à la production et par conséquent au remplacement du capital constant ; c'est la partie qui renouvelle le capital constant consommé dans la production de moyens de consommation, d'éléments matériels du revenu ; mais cette dépense est compensée en ce que cette partie constante de la classe Il ne coûte aucun travail supplémentaire. Or le capital constant, qui n'est pas un produit du travail nouveau, est exposé matériellement, pendant le procès de reproduction, à des accidents et des dangers qui peuvent le détruire. (Il peut également, mais cela n'intéresse que chaque capitaliste en particulier, être déprécié par suite d'une variation de la productivité du travail). Il en résulte qu'une partie du profit (de la plus-value, du surproduit) doit servir de fonds d'assurance et ne peut pas être dépensée - c'est la seule partie du revenu pour laquelle il en est ainsi - comme revenu, ni utilisée nécessairement à l'accumulation. (Elle peut cependant, suivant les événements, servir à ce dernier usage ou être employée à couvrir le déficit de la reproduction). Cette partie est aussi la seule, avec celle servant à l'accumulation (à l'extension de la reproduction), qui devra être maintenue après la suppression de la production capitaliste, c'est-à-dire dans une organisation où la consommation régulière des producteurs immédiats ne sera plus limitée au minimum comme dans la société actuelle, et où il n'y aura d'autre surtravail que celui dont profiteront ceux qui à cause de leur âge ne peuvent pas encore ou ne peuvent plus participer à la production.
Reportons-nous à l'origine de la société. Aucun moyen de production artificiel n'existe encore, par conséquent pas de capital constant entrant dans la valeur du produit et devant, la reproduction se faisant à la même échelle, être reconstitué par ce dernier. La nature fournit spontanément les moyens d'existence et laisse au sauvage, qui a peu de besoins, le temps de transformer en moyens de production, ares, couteaux en pierre, canot, certains de ses produits. Considérée exclusivement sous son aspect matériel, cette opération du sauvage correspond absolument à la transformation du surtravail en capital nouveau. Continuellement le procès d'accumulation transforme encore en capital de pareils produits du surtravail, et le fait que tout nouveau capital résulte du profit, do la rente ou du revenu sous toute autre forme, conduit à la conception fausse que la valeur de toutes les marchandises a pour origine un revenu. Une analyse plus profonde de la transformation du profit en capital montre cependant que le surtravail -qui se présente toujours sous forme de revenu - sert, non à la conservation et à la reproduction du capital ancien, mais à la création, pour autant qu'il ne soit pas dépensé comme revenu, de capital nouveau et supplémentaire.
Toute la difficulté provient de ce que tout le travail, à part la partie de la valeur nouvelle qu'il crée et qui se résout en salaire, se présente comme profit, c'est-à-dire une valeur qui n'a rien coûté au capitaliste et ne doit par conséquent reconstituer aucun capital qu'il aurait avancé. Cette valeur existe par conséquent sous forme de richesse disponible, supplémentaire, sous forme de revenu pour chaque capitaliste en particulier. Mais cette nouvelle valeur peut être consommée aussi bien productivement qu'improductivement, tant comme capital que comme revenu, et elle doit même, à cause de sa forme naturelle, être en partie consommée productivement. Il est donc évident - et le procès d'accumulation le montre clairement - que le travail de chaque année crée à la fois du capital et du revenu ; mais la partie qui en est appliquée à la création de capital nouveau - par analogie, la partie de la journée que le sauvage consacre, non à s'approprier sa nourriture, mais à confectionner l'instrument qui doit lui permettre de s'emparer de celle-ci - devient invisible parce que tout le produit du surtravail se présente de prime abord sous forme de profit. La plus-value créée par l'ouvrier se ramène donc à du revenu et du capital, à des objets de consommation et des moyens de production nouveaux, et la valeur du capital constant ancien, provenant de l'année précédente, n'est pas reproduite par le travail nouveau. (Nous faisons abstraction de la partie de ce capital qui, avariée et détruite en partie, doit être reproduite et représente les troubles du procès de production qui doivent être couverts par l'assurance).
Nous voyons en outre que continuellement une partie du travail nouveau est absorbée par la reproduction et le renouvellement du capital constant qui a été consommé, bien que ce travail nouveau se résolve exclusivement en revenus (salaires, profits et rentes). Mais on perd de vue :
Aussi longtemps que la reproduction se poursuit à la même, échelle, tout élément consommé du capital constant doit être remplacé en nature par un élément de même efficacité, sinon de même forme et de même masse. Si la productivité du travail ne change pas, le nouvel élément doit être de même valeur que celui dont il vient prendre la place. Si cette productivité augmente et que les mêmes éléments matériels peuvent être reproduits avec moins de travail, la partie de capital constant à renouveler peut être remplacée par un élément de moindre valeur, et la différence peut être utilisée à constituer un capital supplémentaire ou être consommée improductive ment; le surtravail peut aussi être diminué. Si, au contraire, la productivité du travail diminue, il faut une partie plus grande du produit pour renouveler l'ancien capital; d'où une diminution du surproduit.
Lorsque nous faisons abstraction de la forme économique que le moyen de production revêt à une époque donnée de l'histoire, nous voyons que la conversion de la plus-value en capital se ramène à l'opération de l'ouvrier, qui outre le travail nécessaire pour l'acquisition de ses moyens d'existence immédiats, applique du travail pour façonner des moyens de production. En effet, convertir du profit en capital n'est qu'appliquer du surtravail à fabriquer de nouveaux moyens de production, et le fait que ce surtravail doit au préalable prendre la forme de revenu, alors que chez le sauvage il est appliqué directement à obtenir de nouveaux moyens de production, indique simplement que c’est le capitaliste et non pas l’ouvrier qui s'approprie le surtravail. Ce qui est transformé réellement en capital, ce n'est pas le profit - car la conversion de la plus-value en capital signifie simplement que le capitaliste ne la dépense pas comme revenu - c'est une valeur, c'est du travail matérialisé, soit sous la forme du produit dans lequel il a été directement incorporé, soit sous forme d'un autre produit échangé contre ce dernier. Par conséquent lorsque l'on transforme du profit en capital, on fait uniquement passer la plus-value d'une forme à une autre ; mais ce n'est pas ce changement de forme qui fait de la plus-value un capital, c'est la marchandise, la forme matérielle de la plus-value, qui fonctionne désormais comme capital. Que la valeur de cette marchandise ne soit pas payée - et c'est pour cela qu'elle est de la plus-value - cette circonstance est sans importance pour la valeur en elle-même.
Le malentendu s'exprime de différentes manières. Ou bien on dit que les marchandises qui constituent le capital constant contiennent également des éléments de salaire, de profit et de rente ; ou bien on dit que ce qui est revenu pour l'un est capital pour l'autre et que le tout se ramène à des rapports subjectifs. C'est ainsi que pour le filateur, une partie de la valeur du fil est du profit, tandis que pour le tisserand qui l'achète, le fil est une partie de son capital constant. Cependant, ce qui dans le fil constitue le capital du tisserand, c'est sa valeur, et celle-ci est indépendante, abstraction faite de la modification qu'elle peut subir par la constitution du profit moyen, du rapport entre le travail et le surtravail qu'elle représente, par conséquent de ce qu'elle se résout pour le filateur en telle quantité de capital et telle quantité de revenu. Ceux qui ne se rendent pas à cette manière de voir ont toujours dans la tête que le profit (la plus-value, en général) est un supplément à la valeur de la marchandise, ayant sa source dans la tromperie réciproque, dans un bénéfice réalisé sur la vente. La marchandise étant payée à son coût de production ou à, sa valeur, ce prix - nous faisons naturellement abstraction des prix de monopole - paie toutes les parties de la valeur de la marchandise qui ont la forme de revenus pour celui qui la vend.
D'autre part il est absolument exact que les marchandises formant le capital constant peuvent, comme toutes les autres marchandises, être décomposées en éléments de valeur, qui pour les producteurs et les propriétaires des moyens de production ont la forme du salaire, du profit et de la rente. C'est là l'expression capitaliste de ce fait que la valeur d'une marchandise n'est que la quantité de travail socialement nécessaire qu'elle contient. Mais il n'en résulte nullement, ainsi que nous l'avons établi dans le Livre I, que toute marchandise produite par un capital ne puisse pas être décomposée en différentes parties représentant exclusivement l'une le capital constant, l'autre le capital variable et la troisième la plus-value.
Storch exprime l'avis de beaucoup d'économistes lorsqu'il dit :
« Les produits vendables qui constituent le revenu national doivent être considérés dans l'économie politique de deux manières différentes, relativement aux individus comme des valeurs et relativement à la nation comme des biens ; car le revenu d'une nation ne s'apprécie pas comme celui d'un individu, d'après sa valeur, mais d'après son utilité ou d'après les besoins auxquels il peut satisfaire. » (Considérations sur le Revenu national, p. 19).
D'abord c'est une abstraction erronnée que de considérer une nation, dont la production repose sur la valeur et qui a l'organisation capitaliste, comme un organisme qui ne travaille que pour les besoins nationaux. Ensuite, la production ayant cessé d'être capitaliste mais continuant à être sociale, le rôle de la valeur continuera néanmoins à être prédominant, car la réglementation du temps de travail et la répartition du travail social entre les différents groupes de producteurs avec la comptabilité qu'elle nécessite, seront plus importantes que jamais.
Notes
[1] Ricardo remarque très judicieusement au sujet des vues superficielles de Say : « M. Say dit ce qui suit du produit net et du produit brut : « Le produit brut est toute la valeur produite ; le produit net est ce qui en reste après déduction du coût de production » (Vol. II, p. 491). Le produit net n'existe donc pas, étant donné que, d'après M. Say lui-même, le coût de production comprend la rente, le salaire et le profit. Il dit page 508 : « La valeur d'un produit, la valeur d'un service productif, la valeur des frais de production sont toutes des valeurs similaires quand les choses suivent leur cours naturel. » Quand du tout on retranche le tout, il ne reste rien. » (Ricardo, Principles, chap. XXII, p. 512, note). - Ainsi qu'on le verra plus loin, Ricardo non plus n'a réfuté nulle part l'erreur de l'analyse de Smith, qui ramène le prix des marchandises à la valeur totale des revenus. Il ne s'en préoccupe pas et la considère comme exacte, étant donné qu'il « fait abstraction » dans ses recherches de la partie constante de la valeur des marchandises. De temps en temps il adopte la même conception.
[2] « Dans toute société le prix de chaque marchandise se résout finalement dans l'une ou l'autre de ces trois parties (salaire, profit, rente) ou se ramène à toutes les trois.... On pourrait croire qu'une quatrième partie serait nécessaire pour reconstituer le capital du fermier ou compenser l'usure de ses bêtes de labour ou de ses autres instruments d'exploitation. Mais il faut considérer que le prix de chaque instrument d'exploitation, d'un cheval de labour par exemple, se compose également des trois mêmes parties - la rente de la terre sur laquelle il a été élevé, le travail nécessaire pour l'élever et le profit du fermier qui fait la double avance de la rente de sa terre et du salaire de son travail. Donc, bien que le prix du blé puisse payer tant le prix que l'entretien du cheval, le prix total ne s'en résout pas moins, immédiatement ou finalement, dans les mêmes trois parties : rente, travail (c.-à-d. salaire) et profit » (A. Smith). Nous montrerons encore plus loin comment A. Smith sent lui-même la contradiction et l'insuffisance de son explication, qui n'est qu'une échappatoire qui nous envoie d'Hérode à Pilate, sans nous montrer nulle part une avance de capital pour laquelle le produit se résout finalement en ces trois parties.
[3] Proudhon montre son incapacité de comprendre ce problème par cette niaiserie: l'ouvrier ne peut racheter son propre produit parce que celui-ci contient l'intérêt qui s'ajoute au prix de revient. M Eugène Forcade s’efforce de lui ouvrir les yeux de la manière suivante : « Si l'objection de Proudhon était fondée, elle n'atteindrait pas seulement le profit du capital, elle anéantirait la possibilité même de l'industrie. Si le travailleur est forcé de payer 100 la chose pour laquelle il n'a reçu que 80, si le salaire ne peut racheter dans un produit que la valeur qu'il y a mise, autant vaudrait dire que le travailleur ne peut rien racheter, que le salaire ne peut rien paver. En effet, dans le prix revient, il y a toujours quelque chose de plus que le salaire de l'ouvrier, et dans le prix de vente, quelque chose de plus que le profit de l'entrepreneur, par exemple, le prix de la matière première, souvent payé à l'étranger. Proudhon a oublié l'accroissement continuel du capital national ; il a oublié que cet accroissement se constate pour tous les travailleurs, ceux de l'entreprise comme ceux de la main d’œuvre. » (Revue des deux Mondes, 1848, t. 24, p. 998). Voilà dans sa plus belle forme l'optimisme inséparable du vide de la conception bourgeoise. D'abord M. Forcade croit que l'ouvrier ne pourrait pas vivre s'il n'obtenait pas une valeur plus grande que celle qu'il produit, alors qu'en réalité le système capitaliste serait impossible si l'ouvrier obtenait effectivement toute la valeur qu'il produit. Ensuite il généralise la difficulté que Proudhon n'avait entrevue que sous un de ses aspects. Le prix de la marchandise comprend un excédent non seulement sur le salaire mais sur le profit, savoir la valeur constante, de sorte que d'après le raisonnement de Proudhon, le capitaliste ne peut pas non plus racheter la marchandise au moyen de son profit. Mais comment M. Forcade résout-il l'énigme ? Par une phrase dépourvue de sens : l'accroissement du capital ; ce qui fait que l'accroissement continu du capital se constaterait entre autres par ce fait que l'analyse du prix des marchandises, dont les économistes sont incapables lorsqu'il s'agit d*un capital de 400 devient superflue lorsque le capital est de 10.000. Que dirait-on d'un chimiste qui à la question : Comment se fait-il que les produits de la terre contiennent plus de carbone que de terre ? répondrait : Il en est ainsi à cause de l'accroissement continu de la production du sol. Avec sa volonté tenace de voir dans le monde bourgeois le meilleur des mondes possibles, l'Économie vulgaire perd tout souci de la vérité et de la science.
[4] « Le capital circulant employé en matériaux, matières premières et ouvrage fait, se compose lui-même des marchandises dont le prix nécessaire est formé des mêmes éléments ; de sorte qu'en considérant la totalité des marchandises dans un pays, il y aurait double emploi de ranger cette portion de capital circulant parmi les éléments du prix nécessaire. » (Storch, Cours d'Économie Politique, Il, p. 140). - Par éléments du capital circulant - le capital fixe n'est que du capital circulant sous une autre forme - Storch entend la partie constante de la valeur. « Il est vrai que le salaire de l'ouvrier, de même que cette partie du profit de l'ouvrier qui consiste en salaires, si on les considère comme une portion des subsistances. se composent également de marchandises achetées au prix courant. et qui comprennent de même salaires, rentes des capitaux, rentes foncières et, profits d'entrepreneurs ... cette observation ne sert qu'à prouver qu'il est impossible de résoudre le prix nécessaire dans ses éléments les plus simples. » (ib. Notes. Dans sa polémique avec Say, dans ses Considérations sur la nature du revenu national (Paris, 1824), Storch signale combien il est absurde, lorsqu'on se place au point de vue d'une nation et non d'un capitaliste en particulier, d'admettre que la valeur des marchandises se compose exclusivement des revenus, mais il ne fait pas faire un pas à l'analyse du prix nécessaire, dont il dit dans son « Cours » qu'il est impossible de le résoudre en ses éléments effectifs. « Il est clair que la valeur du produit annuel se distribue partie en capitaux et partie en profits, et que chacune de ces portions de la valeur du produit annuel va régulièrement acheter les produits dont la nation a besoin, tant pour entretenir son capital que pour renouveler son fonds consommable (p. 134, 135) ... Peut-elle (une famille de paysans suffisant par son propre travail à tous ses besoins) habiter ses granges ou ses étables, manger ses semailles et fourrages, s'habiller de ses bestiaux de labour, se divertir de ses instruments aratoires ? D'après la thèse de M. Say, il faudrait affirmer toutes ces questions (135, 136)... Si l'on admet que le revenu d'une nation est égal à son produit brut, c'est-à-dire qu'il n'y a point de capital à déduire, il faut aussi admettre qu'elle peut dépenser improductivement la valeur entière de son produit annuel sans faire le moindre tort à son revenu futur (147). Les produits qui constituent le capital d'une nation ne sont point consommables » (p. 150).
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