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Avril 1947
Vous avez besoin d'une boussole. Je n'en connais qu'une : l'intérêt ouvrier, celui de la classe ouvrière française, celui aussi des ouvriers de tous les pays. L'intérêt général, l'intérêt national, fichaises et tromperies. Au moment où il faut rompre avec le passé, c'est le compromis avec lui. L'intérêt de la démocratie, l'intérêt de l'humanité, formules vagues qui permettent trop de jongleries.
Vous demandez une théorie. Elle existe, il n'y a qu'à la reprendre. C'est celle qui constitue la base de tous les courants du socialisme, c'est l'émancipation matérielle et morale des travailleurs. Il n'y a qu'à l'adapter aux conditions présentes. Voir ce qui a cloché, ce qui a pu manquer et qu'il faut modifier ou ajouter. Tout ce que nous pouvons vous dire, nous, les vieux syndicalistes révolutionnaires, c'est qu'une organisation comme le syndicat, formée uniquement de travailleurs, exprimera mieux les besoins des travailleurs, si elle n'est pas faussée, que n'importe quel parti formé d'éléments divers.
Si nous ne pouvons pas détacher notre esprit de la Russie, c'est qu'elle a été le premier grand essai de révolution socialiste. Un essai qui a malheureusement échoué. Mais pourquoi a t-il échoué ? Par quelles erreurs ? En raison de quelles conditions ? Comment devrons-nous nous y prendre pour réussir là où les Russes ont échoué ?
Mais les Russes n'ont pas complètement échoué, un redressement est possible, nous dira-t-on. Nous aussi nous avons espéré longtemps un redressement. Nous aussi nous avons refusé de regarder la vérité en face. Tenez, un souvenir. Un soir de 1927 ou de 1928, nous avions réuni été réunis chez Dunois , une douzaine de camarades, par Piatakov et Chliapnikov . Pour la plupart, nous étions déjà exclus du parti communiste, mais les vieux savaient bien que nous étions de meilleurs révolutionnaires que tous leurs domestiques. Piatakov nous fit un large exposé de la situation en Russie. Il conclut : " Je vous ai dit ce qui est. Regardez la révolution comme morte en Russie. A vous, révolutionnaires de l'Occident, de reprendre le flambeau."
Nous avons été épouvantés. Nous avons discuté, discutaillé, dit que ce n'était pas possible; qu'annoncer une telle chose ferait passer sur le monde entier une vague de glace; qu'ils devaient, en Russie, se cramponner, sauver ce qu'ils pouvaient sauver du socialisme. Comme s'ils ne s'étaient pas déjà cramponnés au-delà de leurs forces ! Je me suis souvent demandé si nous n'étions pas responsables pour une part de la comédie lamentable à laquelle s'est prêté, lors de son procès, un grand bonhomme comme Piatakov.
Il y a vingt ans de cela. Depuis, la Deuxième Guerre mondiale a fini de bouleverser l'Europe. Quel est l'Etat qui reste sans lézardes impitoyables ? Tous les Etats doivent s'écrouler, à plus ou moins longue échéance. Que les Européens le veuillent ou non, ils sont en face de la révolution. Certains camarades diront : le prolétariat est incapable de faire la révolution. Et, même s'il en était capable, matériellement, ce serait un désastre, car il n'a aucune qualité pour assumer une bonne gestion. Faisons d'abord l'éducation morale des hommes. Oui, cette éducation est nécessaire, mais nous ne la ferons qu'en changeant les hommes de climat, en les sortant de la pourriture du régime capitaliste.
Dites-vous bien, jeunes amis, que toujours tout a été difficile. Aujourd'hui, le plus important, c'est de voir clair. On ne répétera jamais assez que le plus pénible n'est pas de faire son devoir, c'est de savoir où il est.
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