1978
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"Le titre du livre synthétise ma position :
à la place de la démocratie socialiste et de la dictature du prolétariat du SU, je suis revenu aux sources, ai tenté de faire revivre la vieille formule marxiste, tant de fois reprise par Trotsky, de dictature révolutionnaire. Dit d'une autre manière, une dictature pour développer la révolution, et non pour produire de la "démocratie socialiste" immédiatement."
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Nahuel Moreno
La dictature révolutionnaire du prolétariat
I. Un programme de "liberté
politique illimité" pour le Shah ou
un programme pour l'écraser sans pitié ?
5. Le SU Sera-t-il conséquent ? Luttera-t-il
en faveur de la "liberté politique illimitée" pour le Shah, Pinochet et
Somoza ?
Toute position a sa logique irréductible, dont les conséquences ne sont
parfois pas prévues par ses auteurs. La position de James Burnham selon
laquelle l'URSS n'était pas un état ouvrier, se transforma, au fil des
années, en un soutien politique conséquent à l'impérialisme yankee. Quelque
chose de semblable se produira avec les auteurs de "Démocratie Socialiste et
Dictature du Prolétariat" s'ils ne reviennent pas à la défense de la position
marxiste. Ses conséquences politiques pratiques ne sont pas encore évidentes.
Mais il y a là les prémisses théoriques qui amènent inexorablement à des
positions politiques directement contre-révolutionnaires.
Supposons que demain la révolution ouvrière triomphe en Iran, en Espagne,
au Portugal, au Nicaragua ou au Chili. Le mouvement de masses voudra se faire
justice, de ses propres mains, et tentera de se venger du Shah, de Somoza, de
Pinochet et des tortionnaires de Franco et Salazar. Quelle sera la position
du SU face à cette alternative ?
S'ils sont conséquents avec leur résolution, il n'y a pas matière à des
doutes : si le Shah, Pinochet ou les tortionnaires de Somoza sont
emprisonnés, ils lutteront dans la rue pour leur liberté et pour éviter
qu'ils soient jugés. Pourquoi ? Parce qu'ils veulent que
"... La Quatrième Internationale se prononce en faveur... de la
nécessité de la loi écrite et du non recours au concept de délinquance
rétroactive" pour juger les contre-révolutionnaires. Si le pouvoir ouvrier
édicte une loi, celle-ci ne pourra juger aucun défit qui se soit produit
avant la date de sa promulgation. Comme cette loi sera promulguée sous la
dictature ouvrière, qui sera toujours postérieure au gouvernement du Shah, de
Somoza et de Pinochet, il n'y a pas à revenir en arrière, la dictature
ouvrière du SU a les mains liées par les normes inviolables de sa résolution
et ne pourra juger les dictateurs les plus sanguinaires de cette époque. Il
faudra lutter pour leur libération immédiate et pour qu'ils ne soient pas
jugés. La même chose se produira avec les membres des organisations
terroristes d'extrême droite ou les briseurs de grèves professionnels :
ils ne pourront pas être jugés parce que les lois de la dictature du
SU n'ont pas d'effet rétroactif. C'en est fini de la justice de classe et
révolutionnaire, qui laisse libre cours à l'initiative et à la haine des
masses, exprimées dans des assemblées souveraines qui jugent les fascistes,
les tortionnaires, les assassins, les briseurs de grèves et les traîtres pour
ce qu'ils ont fait et pour ce qu'ils font, sans prendre en aucune manière en
compte les lois préexistantes ou écrites.
Au lieu de cela commence la justice du SU, petite-bourgeoise, normative,
qui veut imposer des normes écrites, inviolables, à la haine légitime de la
mobilisation des masses et qui semble nous dire : "Prenez garde
de toucher un cheveu du sbire du Shah, de la PIDE, de Franco ou Pinochet,
s'il n'y a pas de loi pénale écrite antérieure à son défit." Il n'en manquait
pas plus ! Comment ces travailleurs incultes vont-ils prétendre
se faire justice de leurs propres mains, sans connaître l'histoire du droit
pénal et sans accepter "la défense et l'extension des conquêtes les plus
progressistes des révolutions démocratiques-bourgeoises sur le terrain du
Code Pénal et de la justice", en voulant nous tirer en arrière, à l'époque
sauvage et illettrée de la justice directe, démocratique, à main levée, du
communisme primitif ?
Ceci n'est pas une discussion académique. Si le SU est conséquent, cela
signifiera la rupture de la IV° Internationale et un affrontement physique
dans la rue, depuis des tranchées opposées, entre les partisans du SU et
nous. Si la révolution ouvrière triomphe en Iran ou si le Shah est renversé,
les partisans de notre document lutteront dans la rue pour le jugement du
sinistre monarque et de tous ses tortionnaires et collaborateurs, qu'il y ait
ou non une loi qui justifie formellement son jugement. Dit d'une autre
manière : sans prendre en compte en aucune manière le code pénal
iranien et le "non recours au concept de délinquance rétroactive", nous
appuyant sur la haine légitime du mouvement de masses à l'encontre du Shah et
de ses sectateurs, ainsi que sur les besoins politiques des travailleurs,
nous avancerons et nous lutterons pour le mot d'ordre de "jugement du Shah et
de ses sbires assassins" ; le SU manifestera dans les rues de
Téhéran, en compagnie du Shah, de sa soeur et de ses tortionnaires, dans une
manifestation opposée à la nôtre, sous le mot d'ordre de "Pour le non-recours
au concept de délinquance rétroactive", "Pour le non-jugement du Shah et de
ses sbires s'il n'y a pas de loi pénale préexistante".
Mais ce n'est pas tout. Après avoir lutté pour que le Shah et ses
assassins soient libérés inconditionnellement des prisons de la dictature du
prolétariat, le Secrétariat Unifié, s'il est conséquent, combattra pour que
ces "individus" avec leur "groupe" aient une "liberté politique illimitée",
"jouissent d'une liberté complète d'action, de propagande, d'agitation, et
d'un plein accès aux moyens de diffusion en rapport avec leur nombre". C'est
là la future politique du SU s'il n'est pas arrêté à temps. Nous espérons que
cette image soit suffisamment répugnante pour que ceux qui suivent le SU
fassent marche arrière et votent avec nous pour que les
contre-révolutionnaires d'avant et d'après la dictature révolutionnaire
soient jugés démocratiquement par le mouvement de masses, sans loi écrite ou
code pénal préalable et sans l'interdiction d'appliquer la "délinquance
rétroactive".