1937 |
Source : extrait de "Documentacion historica del trotsquismo espanol (1936-1948)", Ediciones de la Torre, 1996. Traduction et première mise en ligne : mondialisme.org |
23 août 1937
La Voz Leninista n° 2,
Depuis leur création, ou leur première apparition publique, jusqu’à ce jour, les « Amis de Durruti » ont prouvé à de nombreuses reprises qu’ils avaient assimilé quelques-unes des leçons fondamentales de notre expérience, ce qui fait d’eux, au sein du mouvement anarcho-syndicaliste, un courant extrêmement positif et susceptible de contribuer efficacement au nouveau regroupement idéologique indispensable à notre avenir prolétarien.
Ce courant est apparu en réaction contre les erreurs et les capitulations de la direction de la CNT, et, à un moment, on a pu craindre qu’il s’agissait seulement d’un mouvement de sceptiques désirant revenir à l’anarchisme pur. Le mouvement de mai [1937] a fortement contribué à définir et étoffer leurs idées.
Directement inspiré par le cours et les besoins de la lutte, les Amis de Durruti ont d’abord lancé le mot d’ordre de « Junte révolutionnaire », accompagné d’un second mot d’ordre : « Tout le pouvoir au prolétariat ». Nous n’allons pas discuter de la justesse de cette seconde expression maintenant, car il faut d’abord s’attarder sur la précision et la portée idéologique des deux mots d’ordre ensemble.
El Amigo del Pueblo du 12 [août] répond aux critiques avec une définition de ce que doit être, à son avis, la Junte révolutionnaire. Si c’est la première fois que les « Amis de Durruti » s’aventurent à donner une telle définition, il faut noter qu’elle traduit un recul par rapport aux positions initialement défendues en mai [1937], recul sensible également sur d’autres questions pratiques.
Au mois de mai [1937], en abordant le problème de la Junte [révolutionnaire] avec le mot d’ordre « Tout le pouvoir au prolétariat », les Amis de Durruti posaient, même si c’était de manière imparfaite, le principe du passage de l’Etat aux mains de la classe ouvrière, principe qu’elle soutiendrait dans ses organes [de pouvoir] propres. L’éditorial du numéro précité déclare également : « Les révolutions donnent vie, dans tous les grands bouleversements sociaux, à de nouveaux organes qui revêtent des fonctions spécifiques. » Tout marxiste qui n’a pas renoncé à ses principes peut parfaitement admettre cette formulation. Les nouveaux organes [de pouvoir] apparaissent, effectivement, comme des outils pour [exprimer] les besoins immédiats et historiques du prolétariat ; ils représentent leur expression sociale, le guide et le bâtisseur de la nouvelle société. Ce rôle a été joué par les soviets en Russie et aurait dû être celui des comités qui ont émergé ici [en Espagne] en juillet [1936], s’ils n’avaient pas subi les croche-pieds de l’antifascisme.
Deux paragraphes plus loin, l’éditorial vide de sa substance la déclaration précitée en affirmant : « Les formes étatiques, avec leurs engrenages complexes, ont complètement échoué. »
L’expression « formes étatiques » a toujours désigné, pour les anarchistes et les marxistes, l’organisation de la violence dans la société à des fins déterminées. Nul n’a besoin d’apprendre comment la bourgeoisie utilise la violence. Les anarchistes ont cru, surtout quand ils se trouvaient éloignés des scènes révolutionnaires, qu’ils pouvaient se dispenser de ce type de violence pendant la gestation et la croissance de la société future. Marx disait que la période de transition entre la société capitaliste et la société communiste devait être occupée par la dictature du prolétariat, c’est-à-dire, l’organisation de la force indispensable à la nouvelle classe dirigeante afin de mettre en place de nouvelles formes de production et de distribution conformes à ses intérêts historiques, en triomphant de la résistance des anciennes classes possédantes et des couches intermédiaires qui leur sont soumises.
Selon les « Amis de Durruti », « la Junte révolutionnaire accomplira une mission défensive et devra se montrer implacable avec les secteurs hostiles » ; ils assignent ainsi à des « organes spécifiques » une mission purement répressive et temporaire, caractéristique du marxisme qui a été le plus souvent critiquée. Et on notera que la Junte révolutionnaire ne sera pas simplement implacable avec les ennemis de classe, mais « avec tous les secteurs hostiles ».
Certes, il est impossible de demander à un mouvement en formation de définir des principes parfaits. Seules l’expérience, la réflexion historique et la critique mutuelle, à laquelle nous contribuons ici, peuvent produire de tels résultats. C’est pourquoi il faut demander aux « Amis de Durruti » : Que reste-t-il après la « défaillance complète des formes étatiques ? » Soit ils confondent les formes étatiques avec l’Etat bourgeois, encore indemne en Espagne, soit cette expression ne traduit pas autre chose que la sainte horreur de l’anarchisme pour des mots comme « Etat » ou « politique ».
A partir du moment qu’il faut organiser une défense, il faut l’approfondir, la préparer, régler une situation qui relève de la Junte révolutionnaire nommée directement par la classe révolutionnaire. Evoquer uniquement les « formes étatiques », c’est rester prisonnier de vieux préjugés.
Sur la question de la construction des organes spécifiques de la révolution, les erreurs et la confusion de l’éditorial précité sont encore plus graves, mais l’espace nous manque pour en achever la critique. Nous renvoyons donc le lecteur au prochain numéro, où un autre article abordera tous les aspects du problème concernant les organes du pouvoir politique de la classe ouvrière.
G.M. [Munis]