1986 |
Source : "Arme de la Critique", février 1986 |
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Décembre 1985
Rien de plus fastidieux ni de plus aride que le lieu sommons en délire (Marx).
Il y a 20 ans que des groupes de diverses origine et modulation théorique se complaisent à parler d’une crise de surproduction capitaliste, selon eux existante, et d’un cycle supposé guerre-reconstruction-guerre, vital pour le capitalisme, et inexorable sans coupure préalable par la révolution. Ils voient la crise et le cycle liés comme cause et effet, les deux en même temps, la première par son existence, le second par sa menace ou par ses commotions sociales, comme très propices et même indispensables à l’insurrection révolutionnaire du prolétariat. C’est leur façon et manière de se montrer matérialistes, avec leur désir dialectique et – qui non? – marxistes. Ils s’entichent pour cela jusque dans leurs dernières publications aux dernières lueurs de l’année 1985. Il n’y a pas une seule exception parmi toutes les tendances qui se prétendent tant bien que mal d’esprit révolutionnaire. Il convenient de le dire avec une plus grande précision pour éviter les confusions. La queue leu leu qui signalent la crise de surproduction et le cycle guerrier, va depuis l’actuelle faribole trotskiste jusqu’aux imbus de soi théorisants bordiguistes de la chute du taux de profit, vision économiste à outrance de la crise et de la motivation révolutionnaire (Programme Communiste-Le Prolétaire) en passant par le dit Courant Communiste International (Révolution Internationale etc.), le Partito Comunista Internazionalista (Battaglia, Prometeo) et quelques autres groupes détachés des uns ou des autres dont l’existence est presque toujours éphémère.
Depuis leurs premières assertions, le Ferment Ouvrier Révolutionnaire, leur a donné à tous sans exception, un démenti claquant, tant dans ses textes d’organisation que dans les articles signés par ses militants. L’heure de vérifications a sonné. Commençons par reconfirmer :
1. – Il n’existe pas et il n’a pas existé dans les dernières décennies de crise capitaliste de surproduction.
2. – Le cycle supposé guerre-reconstruction-guerre, pire que faux, est une conception absurde, bien que la guerre soit inséparable du capitalisme et de tout système d’exploitation de l’homme.
En concept et en pratique capitaliste, la surproduction consiste et ne peut consister qu’en de grandes quantités de marchandises qui ne trouvent pas d’acheteurs. Il s’agit invariablement de marchandises en général, et non seulement de celles qui sont destinées directement à la consommation humaine. Aussi des matières premières, machines et équipement technique, du plus simple au plus complexe, et de toute utilisation. Le stockage même de ces marchandises est à perte, sans excepter celles qui ne se décomposent pas. Dans cet aspect, la crise de surproduction se caractérise invariablement par “la baisse ruineuse du prix des marchandises” et “la destruction de capital” (Marx). Le seul palliatif dont dispose le système dans un cas semblable, est de se défaire des marchandises à tout prix, en dessous des coûts. De sorte que la plus-value ou bénéfice du capital, non seulement ne se convertit pas en argent ou bénéfice comptant, mais en plus, la part de ces marchandises qui contient du capital investi dans le processus de travail, au lieu de se reconvertir en argent se perd partiellement, ou même complètement. La chute catastrophique des prix arrive au paroxisme à la Bourse des Valeurs, où on mesure jour après jour et vers le futur, et la faiblesse et la vitalité du capitalisme en général. De là la faillite de très solides entités transnationales de l’industrie, de la banque et du commerce, et dans l’activité économique restante, une coupure quantitative très sévère de la production. Enfin, les investissements de nouveau capital, ininterrompus dans des conditions normales, et accélérés quand on devine la reprise, disparaissent jusqu’aux premiers indices de hausse des prix et de revigorisation du marché tant national qu’international.
Ce qui est dit ci-dessus touche le capital en tant que système, quelque soit la façon dont se répartissent les dommages. Néanmoins, l’effet le plus dévastateur de la crise de surproduction concerne le prolétariat de chaque pays. Les licenciements d’ouvriers se multiplient. Semaine après semaine des dizaines de milliers de travailleurs sont jetés à la rue,. La masse de chômeurs augmente continuellement, jusqu’au moment même où la crise touche le fond, et s’initie une nouvelle augmentation de la production. Pendant la crise des années 30, en Allemagne seulement il y avait plus de 10 millions d’ouvriers sans travail pour une population inférieure à celle d’aujourd’hui ; aux Etats-Unis plusieurs millions en plus, et ainsi plus ou moins proportionnellement dans les autres pays industrialisés. Le vagabondage, la mendicité, le “lumpen” prolétariat, abondaient en Europe et aux Etats-Unis. Malgré les industries de guerre, qui elles étaient en augmentation ininterrompue, la crise de surproduction continuait encore, bien qu’atténuée, lorsque les hostilités guerrières en 1939 éclatèrent.
Il était nécessaire de répéter, avec force de détail, ce qu’est une crise de surproduction, afin d’avoir une base pour apostropher ceux qui parlent ou ont parlé de son existence ces dernières années ou maintenant : vous les crisistes, en particulier ceux nommés au début, vous vous êtes trompés de tout au tout. Il n’y a pas et il n’y pas eu de crise de surproduction. A aucun moment un des symptômes qui lui sont annexes n’a été présent. Ni perte de capital, ni faillite de grands monopoles, ni même suspension de la croissance du capital global, donc encore moins de marche en arrière caractéristique de la crise en question, ni non plus “de chute ruineuse des prix des marchandises”. Bien au contraire, les prix et la cherté de la vie en général ont augmenté constamment, à tel point, que gouvernements, dirigistes et patronaux, considèrent comme un succès une légère réduction annuelle. Ceci étant, cette augmentation, donne par elle-même, la preuve décisive que la demande de marchandises, c’est-à-dire la vente, excède l’offre. Il est donc clair que la crise de surproduction est une invention phantasmagorique de ceux qui en parlent.
Et puisque ceux qui la mentionnent, sont de plus d’un économisme exaspérant à force d’élémentarité, il faut les prendre sur leur terrain. De 1974 à 1981 le volume des transactions mondiales est passé de 75 mille millions de dollars à 150 mille millions. Depuis 1982, les cotisations en Bourse ne cessent de monter, même avec une hausse “explosive de 50% en 1983”. Le cours ascendant a été “continu depuis de longues années et d’une régularité impressionnante”. Après avoir fait littéralement sauter le marché des valeurs allemand (plus de 50% d’augmentation depuis le début de cette année, de 100% pour certaines valeurs), le suédois et le néerlandais, est arrivé le tour de Paris, où l’horizon est au beau fixe “quelque soit le résultat électoral de 1986”. Toutes les bourses mondiales sont orientées à la hausse. A Paris, le bilan mensuel grimpait à 16,5%. La semaine du 16 au 22 novembre, la bourse “faisait sauter toutes ses barrières”. La même chose est advenue, avant qu’à Paris, dans les principales places financières mondiales. En somme, “la hausse frénétique de Wall-Street a galvanisé la Bourse”. Et ainsi, 100 millions de francs en actions françaises se négocient chaque jour à Paris. En comptant les obligations ce sont 6000 ou 7000 millions de francs qui sont négociés chaque jour. (Ces références et d’autres non moins éloquentes, dans Le Monde des, 22, 23, 24, 26 et 29 novembre 1985.)
Plus que convaincante, la vérification négative est écrasante pour les crisistes de tout bord. Ils ont confondu un réajustement technique avec le désordre de la surproduction, et par conséquent, les licenciements causés par le premier, avec l’énorme masse humaine des sans-travail inséparable de la crise en question. Le chômage ouvrier de ces dernières années, dans chaque pays et mondialement considéré, n’est que la très connue armée industrielle de réserve, moment difficile d‘adaptation aux nouvelles intimations de la relation, réaffirmée, capital-salariat. Soyons sûrs qu’une partie de celui-ci ne sera pas réabsorbée, pour aussi forte que soit la croissance économique à laquelle nous assistions.
L’erreur des crisistes est d’autant plus grossière que leurs assertions vont à contre-sens de ce qui a été dit à ce sujet par les révolutionnaires à partir de Marx. Il leur aurait suffi de s’en tenir à ce qui est écrit dans Le Capital sur la question pour s’économiser une telle bêtisse. Et ce n’est pas qu’ils méconnaissent les textes, c’est que leur matérialisme maladroit les a mené à interprêter comme présomptions de leur désir ardent de crise, ce qui de fait n’était qu’un simple résidu de la réorganisation industrielle. En plus de ce mirage fiévreux ils se sont mis dans la masse encéphalique un article de foi du même acabit mécaniste : ils croient que l’ébranlement de la surproduction capitaliste est un des facteurs principal, ou même unique, de la lutte et de la conscience révolutionnaires du prolétariat. Car sinon, quelle motivation matérielle aurait la révolution ? C’est pour cela, s’entichant et s’enchaînant à un autre délire encore plus fort, qu’ils se sont persuadés que le système capitaliste, afin de se débarrasser de la crise, et plié sous ses énormes instruments de production, déchaîne la guerre afin de les détruire en grande partie, pour jouir ensuite d’une autre période de grandes affaires en reconstruisant ce qui a été détruit. C’est comme cela, aussi simpliste et grotesque que l’oeuf de Colon ! Là réside mise à nue, la qualité du matérialisme où tombe tête baissée les crisistes sans exception.
On reste stupéfait devant une telle sorte d’élucubrations, tant sont nombreux et manifestes les arguments et les faits qui rendent évidents leur délirante extravagance. Mais il suffit d’offrir le principal. Si la technologie a atteint, dans le domaine militaire, le degré d’habileté qu’on lui connait, c’est parce que dans n’importe quel domaine de la production que l’on considère, elle assassine déjà dans l’actualité, homme et société. L’un et l’autre aspect se correspondent et s’inter-déterminent entre eux, et mettent l’humanité, prolétariat en tête, devant le plus préremptoire des dilemmes : ou la révolution communiste, ou bien, celui-ci faisant défaut, la lente dégénérescence de ce qui existe, à commencer par l’homo sapiens ; à moins que ce soit, d’un seul coup, la mort totale par la guerre mondiale impérialiste. C’est là où ressort le plus le comble de la caducité du système existant, car l’éclatement de la guerre entre les Blocs militaires annihilerait directement l’un et l’autre sans distinction, y compris les couches et classes exploiteuses et dirigeantes elles-mêmes. Ca n’a donc aucun sens, même du simple aspect formel et statistique, de parler d’un cycle guerre-reconstruction-guerre, ou pire encore, de le voir comme un projet délibéré de salut capitaliste. Les chefs de blocs et leurs sous-fifres eux-mêmes le disent ouvertement et pas seulement maintenant. Dans la récente entrevue Reagan-Gorbatchev, il a été dit sans ambages qu’une troisième guerre mondiale doit être évitée, parce qu’elle ne bénéficierait à personne. Le communiqué officiel de la rencontre dit : “les deux côtés conviennent qu’une guerre nucléaire ne peut être gagnée et que jamais elle ne doit éclater”. Et il insiste sur la nécessité d’empêcher toute guerre entre les deux puissances. Cela ne signifie pas bien sûr qu’elle ne puisse éclater, même s’ils ont beau de ne pas en vouloir, mais que les assistants à la coterie de Genève s’efforceront de l’éviter, attisant en même temps cette forme de guerre impérialiste indirecte dont on connait tant d’exemples, du Vietnam à l’Angola, Nicaragua ou Afganistan, plus autres Liban.
Bref, la seconde vérification négative est aussi concluante que la première. Et puisque les deux sont connectées, non dans les faits sociaux, on l’a vu, mais très étroitement dans les cogitations de ses postulants, il faut crier : Ferment Ouvrier Révolutionnaire a eu raison face à vous tous, crisistes et recourantistes.
La raison d’une telle justesse provient du fait que, contrairement aux crisistes, pour le FOR, la grande causalité matérielle de la révolution n’est pas et ne pourra pas être quelque chose de contingent, mais qu’elle est donnée par le système capitaliste comme un tout et par sa propre existence à notre époque, même dans le moins mauvais de ses fonctionnements, c’est-à-dire le meilleur pour lui. Et engendrée par cette causalité générale, il y en a une autre, non moins matérielle, la plus motivante et la plus pressante : la nécessité, qui est en même temps la possibilité, que le prolétariat cesse d’être prolétariat. Cette deuxième causalité renforce et rehausse son importance parce qu’elle porte, à flanc de sa base objective, la subjectivité humaine en lutte pour transformer le monde en se transformant elle-même. Elle abrite donc la conscience révolutionnaire, dont l’expansion et la cristallisation en actes supprimera capital, classes, Etat.
Par conséquent, à chaque grand problème social, à chaque affrontement quotidien avec le système actuel, il faut préparer promptement la solution révolutionnaire, avec la plus grande clarté, loin des détours dilettantes. Naufrageront ceux qui ne se montreront pas capables de le faire.