1921 |
Source : Le bulletin communiste, numéro spécial, 14 février 1922 |
Thèse sur la défense nationale et la question militaire
Premier congrès national - Marseille – 25/30 décembre
1921
L'idéologie de la défense nationale fut une des causes profondes de la lamentable chute de la 2e Internationale. Cette idéologie résultait d'une conciliation impossible, en société capitaliste, entre les prétendras intérêts nationaux et la solidarité internationale, entre le patriotisme et l'internationalisme. Toutes les résolutions des congrès se ressentirent de celte équivoque.
C'est au nom de la défense nationale que les chefs et presque tous les partis socialistes de la 2e Internationale, dans les pays belligérante, renièrent la lutte des classes et lui substituèrent la solidarité des oppresseurs et des opprimés, des massacreurs et des massacrés. C'est au moment le plus décisif de l'histoire mondiale que la 2e Internationale, par son bureau et ses sections les plus importantes, française, allemande et anglaise, abandonna la base vitale de notre doctrine : la lutte des classes.
Cependant, le massacre international était venu à point pour confirmer cette doctrine éprouvée et d'une précision scientifique. La guerre mondiale a confirmé, par le fait, que, sous le régime capitaliste, les intérêts de la classe capitaliste dominent les intérêts généraux de la nation. Car le capitalisme mondial n'a pas hésité à déchainer la plus atroce des guerres, ruinant et assassinant les peuples, pour satisfaire ses ambitions impérialistes, sa soif de domination et de lucre. Ce que les socialistes prédisaient, dans leur propagande quotidienne, arriva. Par sa politique d'aventures coloniales, par la chasse perpétuelle, aux débouchés, par la course folle aux armements, par sa propagande stupidement nationaliste, inquiète surtout des progrès de la classe ouvrière, la société capitaliste se dirigeait tout droit vers la guerre mondiale exterminatrice.
Le socialisme révolutionnaire disait toujours aux peuples : « Le capitalisme, c'est la guerre ». Il prévoyait même le cas où la classe ouvrière serait impuissante à empêcher la guerre. Et il faisait un devoir au prolétariat mondial de faire sortir la révolution sociale de la guerre internationale. Et c'est au moment même où les prévisions du socialisme de classe se réalisèrent que les social-patriotes de la 2e Internationale abandonnèrent le drapeau du prolétariat massacré pour rejoindre celui de la classe capitaliste massacreuse. Le châtiment ne s'est pas fait attendre. La défense nationale a tué la 2e Internationale. Ses chefs gouvernent aujourd'hui la société capitaliste et la protègent de leurs corps contre la révolution prolétarienne. Un portefeuille ministériel est devenu la monnaie courante d'un régime qui solde le prix de la défection socialiste.
Le fait même de l'adhésion à la 3e Internationale signifie la rupture nette et décisive avec la défense nationale. En effet, la fraction du socialisme russe qui a présidé à la première révolution communiste et puissamment contribué à la fondation de la 3e Internationale a, dès le début de la guerre mondiale, reconnu son caractère impérialiste et déclaré qu'il n'y avait pas d'autre solution à cette guerre entre bandits capitalistes que la révolution sociale. Elle a dénoncé la défense dite nationale comme la défense de la société capitaliste et demandé aux prolétariats traînés par force au massacre de s'unir fraternellement dans la seule guerre juste des ouvriers et des paysans contre leurs exploiteurs et les massacreurs.
Les communistes russes ont fait ce qu'ils ont dit. Ils s'emparèrent du pouvoir, conclurent la paix, exproprièrent tes capitalistes et tes propriétaires fonciers et déclarèrent une guerre à mort à la contre-révolution capitaliste qui se dressait, un peu partout, contre le régime ouvrier et paysan. Pour défendre la patrie de la révolution et du travail, tout un peuple se leva et chassa les généraux réactionnaires armés par le capitalisme international. Pour la première fais dans l'histoire, la défense dune nation signifiait celle de la classe ouvrière et paysanne, la défense à la fois ouvrière et révolutionnaire. Les ouvriers défendaient leurs usines, les paysans leur terre, et tout le peuple la paix et la propriété nationalisée.
La première révolution communiste a donné spontanément aux nombreux peuples de l'ancien Empire russe l'autonomie totale et absolue allant jusqu'à la séparation. C'est un exemple sans précédent dans l'histoire. Partout la question des nationalités fait couler des torrents de sang, ainsi que nous le voyons de nos jours es Irlande, en Asie Mineure et ailleurs. Tandis que le pouvoir communiste a permis, sans effusion de sang. la constitution de toute une série de républiques libres et autonomes : la Finlande, la Lituanie, la Lettonie1, etc., etc., les partis bourgeois et capitalistes promettaient aux peuples le droit de disposer d'eux-mêmes. Mais, par leurs traités, dits de paix (Versailles, Sèvres, Trianon, etc., etc.), ils transformèrent en esclaves ou en clients politiques des nations entières. Les communistes ne firent pas de phrases, mais réalisèrent l'autonomie de tous les peuples qui acceptèrent de vivre en paix avec la République des Soviets. Ainsi se trouve justifiée la distinction que Marx faisait entre une révolution bourgeoise et une révolution prolétarienne : la première est le règne de « la phrase » ; la deuxième est celui des « réalités » positives. La défense nationale capitaliste conduit à la destruction des nations ou à leur assujettissement. La société communiste réalise, en définitive, la véritable indépendance des individus et des nations.
Après avoir défini le rôle de la défense nationale dans le passé et dans la Russie soviétique présente, il nous reste à dire quel peut être son rôle, dans l'avenir prochain, en face de la situation mondiale actuelle et des événements que celle-ci peut et doit provoquer. La guerre impérialiste de 1914-1918 a laissé le monde dans un déséquilibre fondamental. Le monde, pulvérisé ou balkanisé, est déchiré en deux groupements de nations : le groupe des prétendus vainqueurs, ruinés, écrasés de dettes et de charges financières, incapables de profiter des terribles leçons de la guerre mondiale, pliant sous le fardeau des armements et prêts à recommencer les folies ruineuses de la guerre ; l'autre groupe se compose des peuples vaincus, humiliés, écrasés, piétinés, désarmés, proie facile et prédestinée des voisins surarmés. La faillite guette à la fois les deux groupements de peuples dressés les uns contre tes autres dans une haine qui dure encore. La vie économique est stagnante. Le commerce et l'industrie sont partiellement ou totalement paralysés. Le chômage s'étend. La monnaie se déprécie. La cherté de la vie augmente. Les budgets deviennent des gouffres engloutissant le plus clair revenu des peuples. La ruine est partout. La sécurité nulle part.
La menace de nouvelles guerres est permanente. La terrible paix sortie de la dernière boucherie mondiale contient de nombreux motifs de guerres certaines. Les traités imposés aux peuples vaincus par la force brutale, au mépris de tout droit même bourgeois, dresse un peu partout de nouvelles Alsace-Lorraine : Fiume, Alsace-Lorraine entre l'Italie et la Yougoslavie ; Vilno, Alsace-Lorraine entre la Pologne et la Lituanie ; Bessarabie, Alsace-Lorraine entre la Russie et la Roumanie ; Haute-Silésie, Alsace-Lorraine toujours menaçante entre l'Allemagne et la Pologne ; Burgenland entre l'Autriche assassinée et la Hongrie mutilée, le Banat entre la Hongrie et la Roumanie ; le Chantoung entre la Chine et le Japon, etc., etc. Partout des poudrières et des mines prêtes à sauter à chaque instant et à faire sauter la mauvaise paix capitaliste.
Au-dessus de ces conflits locaux, un formidable conflit mondial se prépare entre la ploutocratie américaine soutenue par la France et l'impérialisme japonais allié de l'Angleterre. La Chine, avec ses 400 millions d'habitants, est l'objet des convoitises des deux impérialismes : américain et japonais.
C'est la Turquie de la prochaine guerre mondiale.
Les signes précurseurs de la prochaine guerre mondiale se multiplient et frappent tout observateur averti par leur quasi identité avec ceux qui ont précédé te dernière guerre mondiale. Mêmes convoitises, mêmes inquiétudes, mêmes provocations, mêmes combinaisons diplomatiques et mêmes recherches d'alliances. Et pour parfaire l'analogie des situations, une conférence pour le désarmement est convoquée à Washington à l'instar de celle de La Haye. Ces sortes de conférences font partie intégrante de la préparation militaire. Elles trompent les nations sur les véritables desseins des gouvernants. Elles font croire aux peuples abusés que leurs gouvernements ont tout fait pour combattre les dangers de guerre. Et si la guerre éclate, c'est la faute de l'ennemi agresseur. Ainsi, ces conférences de paix préparent les « Unions sacrées » des peuples que la politique des classes dominantes mène à la boucherie.
Se déclarer, dans ces conditions, pour la défense nationale, c'est donner carte blanche aux gouvernants préparant de nouveaux carnages, c'est leur donner d'avance l'assurance qu'ils peuvent tout se permettre avec des peuples prêts à sacrifier leur vie sur l'autel de la patrie capitaliste.
Les considérations de principe, ainsi que la situation internationale, dictent au Parti Communiste une attitude claire et précise :
Le P. C. dénonce, par tous les moyens en son pouvoir, par sa propagande orale et écrite, par des interventions fréquentes et énergiques de son groupe parlementaire, la politique impérialiste et nationaliste des classes dominantes et de leurs gouvernements. Il rattache la politique de guerre des gouvernements à leurs véritables raisons : à la lutte pour la propriété privée et nationale, pour la domination, pour les zones d'influence ; pour les frontières stratégiques et les bases navales, et surtout à la lutte pour les plus grands profits capitalistes sur le marché mondial. Il démontre, en, un mot, qu'il ne peut se produire, en régime bourgeois, que des guerres d'agression ou de défense capitaliste, et il rejette, en conséquence, le mensonge de la défense nationale2.
Le P. C. dénonce sans cesse toutes les manœuvres diplomatiques préparant la guerre et allant des alliances et des traités plus ou moins secrets jusqu'aux conférences dites de paix et de désarmement.
Le P. C. combat tous les budgets et tous les crédits de guerre, en démontrant leur caractère capitaliste et impérialiste, les périls constants de guerre qu'ils contiennent.
Le P. C. défend les intérêts et l'indépendance de tous les peuples et particulièrement des peuples vaincus et désarmés.
Le P. C. dénonce le système militaire3 actuel, qui, par sa durée et ses méthodes, cherche à préparer des esclaves résignés et soumis au régime de l'exploitation et du massacre de l'homme par l'homme.
Le Parti Communiste4, parti de lutte de classe, combat par tous les moyens, sur tous les terrains, le militarisme bourgeois, pivot et soutien des vieilles institutions dont il poursuit l'entière destruction.
Le Parti Communiste sait que le militarisme bourgeois est une arme indispensable au régime capitaliste, qui ne maintient sa domination qu'au moyen de la violence et de la force. L'armée assure au capitalisme de nouveaux débouchés dont il ne peut sans grands dangers se passer ; elle lui permet5 surtout d'opposer à la force sans cesse grandissante du prolétariat révolutionnaire une force susceptible de la contrebalancer.
* * *
La bourgeoisie ne peut logiquement désarmer. La Conférence de Washington nous en fournit une nouvelle preuve. C'est pourquoi le Parti, ne voulant pas abuser la classe ouvrière, refuse de prendre pour des mots d'ordre communistes des utopies comme6 le désarmement général et simultané, l'arbitrage mondial, l'abolition des casernes, la réduction du temps de service, etc... S'il dénonce les scandales du système militaire actuel, si son groupe au Parlement se prononce contre tout projet ayant comme base l'encasernement du peuple, c'est qu'il est un grand parti de classe, le Parti de l'opposition révolutionnaire et communiste et que, comme tel, il doit faire constamment, face à l'opinion publique, le procès de la bourgeoisie dominante et opposer à toutes ses tentatives d'impérialisme, avec la protestation du prolétariat, les solutions communistes.
Dans ses luttes, en aucun cas, il ne se préoccupe des intérêts et des possibilités du système capitaliste dont il n'a cure. La bourgeoisie est obligée de suivre ses propres lois de développement interne, aussi les travailleurs ne doivent-ils attendre d'elle aucune amélioration susceptible de modifier leur sort.
La position du Parti Communiste vis-à-vis de la défense nationale lui impose une tache immédiate de défense de classe : la propagande antimilitariste doit redoubler d'énergie et d'activité et rappeler aux travailleurs sous les drapeaux qu'ils n'ont de devoir qu'envers leur classe.7
Par-dessus l'antimilitarisme, le Parti affirme sa conviction d'un bouleversement brutal de la société ; il sait contraire à la doctrine éprouvée du marxisme d'espérer un développement paisible du communisme. La violence ne disparaîtra que dans un régime nettement communiste ; jusqu'à cette période dont on ne peut nullement fixer la date, les principes de violence, de dictature et d'Etat prolétarien resteront à l'ordre du jour.
Par conséquent, si le Parti combat l'armée capitaliste qui défend la propriété privée et favorise l'oppression de la classe ouvrière, il préconise l'armement du prolétariat, seul moyen d'assurer l'inévitable dictature prolétarienne, c'est-à-dire la défense des conquêtes déjà réalisées pendant la période transitoire de la société capitaliste à l'avènement de la société communiste.
Il prépare résolument la classe ouvrière à l'idée de son armement prochain, l'armée révolutionnaire rouge devant nécessairement succéder à l'armée contre-révolutionnaire et capitaliste.
Le Parti ne reconnaît pas comme étant un moyen efficace de lutte antimilitariste le geste individualiste de la désertion, quelle que puisse être la signification d'un tel geste8.
Le Parti demande9 aux travailleurs sous les drapeaux et aux jeunes conscrits de remplir leurs impérieux devoirs de classe qui leur font une obligation de propager, avec toute la prudence indispensable en pareil cas, les principes antimilitaristes du communisme.
Chaque travailleur à l'armée doit être effectivement un soldat de la Révolution.
Le Parti prend toutes précautions utiles pour que son action antimilitariste ne soit pas enrayée par les coups que la réaction ne manquera pas de lui porter.
Les efforts faits par les « Ligues Civiques » et autres organisations blanches de la bourgeoisie n'échappent pas au Parti. Il en connaît les dangers ; il saura y faire face.
C'est avec les Jeunesses Communistes qu'il luttera pour la défense des principes de cette thèse.
Le Parti Communiste doit, en tout occasion, prendre la défense des soldats indigènes des troupes coloniales, les éclairer sur les rapines du capitalisme français dans leurs pays d'origine et leur faire comprendre qu'ils constituent avant tout une force mercenaire au service d'une bourgeoisie de guerre civile.10
En cas de mobilisation générale, le P. C. fait appel11 à la résistance du peuple et utilise tous les moyens, y compris la gréve générale, pour précipiter la chute du régime capitaliste, cause directe des guerres
De plus, dans l'éventualité où le gouvernement entendrait morceler habilement la mobilisation par le rappel d'une ou plusieurs classes dans un but de brigandage impérialiste (occupation de la Ruhr, etc.), le Parti se fera un devoir, après un examen réfléchi des conjonctures du moment, de recourir au même procédé de résistance12.
13En vue de donner une sanction pratique et efficace aux considérations de principe qui précèdent, le Comité Directeur devra, dans le délai de trois mois, élaborer un projet d'action14 antimilitariste.
Il tiendra compte à cet effet des rapports préalables que devront lui adresser d'urgence les secrétaires fédéraux et se mettra d'accord avec les représentants des Jeunesses Communistes.
Ce projet15 sera transmis aux secrétaires fédéraux et leur sera renouvelé périodiquement16, revu et mis au point d'après les circonstances, à charge par eux d'en assurer obligatoirement l'application dans le territoire fédéral et de rédiger un rapport trimestriel au Comité Directeur sur les résultats régionaux de cette action.
Notes
1 Projet du C. D. : la Lettonie, le Turkestan, etc.
2 Paragraphe emprunté à la thèse de la Fédération de la Seine.
3 Projet du C. D. : Il dénonce le scandale du système militaire...
4 Les quatre paragraphes qui suivent on été empruntés au projet de la Fédération des Jeunesses.
5 Le projet des Jeunesses portait : « Elle lui permet de maintenir l'intégrité nationale et surtout, etc. »
6 Projet des Jeunesses : C'est pourquoi le Parti estime utopiques, et comme tels se refuse à les faire siens les mots d'ordre social-patriotes de désarmement général, etc.
7 Les neuf paragraphes qui suivent sont empruntés au projet des Jeunesses.
8 Dans le projet des Jeunesses, ce paragraphe était rédigé ainsi : « Le Parti repousse la méthode individualiste de la désertion : quelle que soit la signification de ce geste, il est condamné à demeurer vain. »
9 Projet des Jeunesses : « Le Parti dicte... ».
10 Les deux paragraphes qui suivent proviennent d'un amendement Planchon, adopté par la Seine.
11 Projet du Comité Directeur : « En cas de déclaration de guerre, le P. C. affirme : « Au système capitaliste, pas un homme, pas un sou. » Il fait appel... » (Le reste du paragraphe, sans changement.)
12 L'amendement Planchon portait : « Au même procédé de résistance insurrectionnelle. »
13 Les trois paragraphes qui suivent proviennent du projet de la Seine.
14 Projet de la Seine : « Un règlement tactique d'offensive. »
15 Projet de la Seine : « Le règlement. »
16 Projet de la Seine : « Trimestriellement. »