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Le groupe "Libération du Travail " se fixe pour but la propagande des idées socialistes en Russie et la formation d'éléments pour l'organisation d'un parti socialiste ouvrier de Russie.
L'essentiel de ses idées peut être exprimé dans les quelques propositions suivantes [1] :
La classe ouvrière des pays les plus développés se rend un compte de plus en plus net de la nécessité de cette révolution à la fois sociale et politique, et elle s'organise en un parti du travail hostile à tous les partis d'exploiteurs. Cette organisation, qui s'opère sur les principes de l'"Association Internationale des Travailleurs" , vise, toutefois, en premier lieu, à la conquête par les ouvriers du pouvoir politique à l'intérieur de chaque Etat. Il va sans dire que "le prolétariat de chaque pays doit en finir avant tout avec sa propre bourgeoisie ".
Cela introduit un élément de diversité dans les programmes des partis socialistes des différents Etats, en obligeant chacun d'eux à se conformer aux conditions sociales de son pays.
Il va de soi que les problèmes pratiques et, par suite, les programmes des socialistes revêtent un caractère plus complexe et plus original dans les pays où la production capitaliste n'est pas encore devenue dominante, et où les masses laborieuses subissent le double joug d'un capitalisme en progrès et d'une économie patriarcale à son déclin. Dans ces pays-là, les socialistes doivent simultanément organiser la classe ouvrière pour la lutte contre la bourgeoisie et livrer bataille à ce qui subsiste de rapports sociaux pré-bourgeois, rapports nuisibles au progrès de la classe ouvrière aussi bien qu'à la prospérité du peuple entier.
C'est la situation des socialistes russes. La population laborieuse de la Russie supporte directement le poids de l'énorme machine d'un Etat policier despotique, en même temps qu'elle endure toutes les souffrances propres à l'époque de l'accumulation capitaliste et que, par endroits, dans nos centres industriels, elle fait déjà l'expérience du joug d'une production capitaliste, que ne limitent encore ni l'intervention plus ou moins énergique de l'Etat, ni la résistance organisée des ouvriers eux-mêmes. La Russie d'aujourd'hui, - Marx l'avait dit à propos de l'Ouest du continent européen - ne pâtit pas seulement du progrès de la production capitaliste, mais de l'insuffisance de ce progrès.
L'une des suites les plus néfastes de ce retard de la production réside dans le développement toujours insuffisant de la classe moyenne, laquelle ne se trouve point chez nous en état de prendre l'initiative de la lutte contre l'absolutisme.
Aussi, l'intelligentsia socialiste a-t-elle dû se mettre aujourd'hui à la tête d'un mouvement d'émancipation dont la mission principale consiste à introduire les libertés politiques dans notre pays, les socialistes devant s'efforcer de permettre à la classe ouvrière de participer activement et avec fruit à la future vie politique de la Russie. Le premier moyen d'atteindre ce but doit être l'agitation en faveur d'une constitution démocratique assurant :
Mais ce but ne sera pas atteint, l'indépendance politique des ouvriers demeurera inconcevable si le renversement de l'absolutisme les trouve en état d'impréparation et d'inorganisation.
Aussi, le devoir incombe-t-il à l'intelligentsia socialiste d'organiser les ouvriers et, dans toute la mesure des moyens, de les préparer à combattre le système gouvernemental actuel ainsi que les futurs partis de la bourgeoisie.
Cette intelligentsia doit entreprendre immédiatement l'organisation des ouvriers de nos centres industriels (éléments d'avant-garde de toute la population laborieuse de Russie) en associations secrètes rattachées les unes aux autres et dotées d'un programme politique et social bien défini correspondant aux besoins actuels de toute la classe des producteurs de Russie et conforme aux tâches fondamentales du socialisme.
Comprenant que les détails de ce programme ne peuvent être précisés que plus tard, et par la classe ouvrière elle-même, appelée à participer à la vie politique et rassemblée dans son parti à soi, le groupe "Libération du Travail " estime que les points principaux de la partie économique du programme ouvrier doivent consister dans les revendications suivantes :
Le groupe "Libération du Travail " est assuré que le succès de ce mouvement conscient de la classe ouvrière russe, voire sa possibilité même, dépendent au suprême degré des activités de l'intelligentsia dans le milieu ouvrier. Le groupe en question estime toutefois que l'intelligentsia doit, au préalable, se placer au point de vue du socialisme scientifique moderne, en ne retenant de la tradition populiste que ce qui n'est point contraire aux énoncés de cette doctrine.
En conséquence, le groupe "Libération du Travail" s'assigne pour mission la propagande du socialisme moderne en Russie et la préparation de la classe ouvrière en vue d'un mouvement politique et social conscient ; c'est à cette mission qu'il consacre toutes ses forces et qu'il invite notre jeunesse révolutionnaire à l'aider et à coopérer. Tout en poursuivant ce but par tous les moyens à sa disposition, le groupe "Libération du Travail " reconnaît la nécessité de combattre par la terreur le gouvernement absolutiste, et il ne se sépare du parti de la "Volonté du Peuple " que sur la question dite de la prise du pouvoir par le parti révolutionnaire, ainsi qu'au sujet de l'action immédiate des socialistes dans la classe ouvrière .
Le groupe "Libération du Travail" tient le plus grand compte de la paysannerie qui constitue l'écrasante majorité de la population laborieuse en Russie . Il estime toutefois que l'intelligentsia, surtout dans les conditions présentes de la bataille politique et sociale, doit orienter l'essentiel de son action sur les éléments plus développés de cette population, ce qui est le cas des ouvriers de l'industrie. C'est seulement après s'être assuré le soutien de ces éléments que l'intelligentsia socialiste sera fondée à espérer avec beaucoup plus de raison l'extension de son influence sur la paysannerie, notamment si elle parvient auparavant à obtenir la liberté de propagande et d'agitation politique. Il tombe au reste sous le sens que la répartition des forces de nos socialistes devrait être modifiée si un mouvement révolutionnaire propre se manifestait dans la paysannerie , et que, d'ores et déjà, ceux qui se trouvent en contact immédiat avec la paysannerie pourraient, par leur action dans ce milieu, rendre d'importants services au mouvement socialiste en Russie. Loin de repousser ces hommes, le groupe "Libération du Travail " s'emploiera de tous ses efforts à s'entendre avec eux sur les points principaux du programme.
Genève, 1884.
Notes
[1]
Nous ne considérons nullement le programme soumis ici au jugement de nos camarades comme un tout achevé et qui n'aurait besoin
ni de corrections de détail ni de précisions complémentaires. Nous sommes prêts, au contraire, à y introduire tous les correctifs
qui ne contrediraient point les notions fondamentales du socialisme scientifique et répondraient aux conclusions pratiques
découlant de ces idées en ce qui concerne l'activité des socialistes en Russie. [Note de G. Plékhanov]
[2]
On pourrait inclure parmi ces actes la corruption électorale, les mesures vexatoires des patrons à l'encontre de leurs ouvriers,
etc. [Note de G. Plékhanov]
[3]
Ce point se réfère logiquement à l'article 4, qui exige, notamment, la liberté totale de conscience. Il nous parait toutefois
nécessaire de le préciser dans un article à part, puisqu'il existe aujourd'hui, chez nous, des catégories entières de la population,
les Juifs, par exemple, qui ne jouissent même pas des misérables "droits" reconnus au reste des "résidants". [Note de G. Plékhanov]
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