1919

Source : num�ro 49 du Bulletin communiste (premi�re ann�e), 16 d�cembre 1920, le nom de l'auteur �tant orthographi� Radeck, pr�c�d� de l'introduction suivante :
� La R�volution prol�tarienne se critique elle-m�me : cette v�rit� du marxisme r�volutionnaire a toujours inspir� les communistes, qui ne craignent pas de critiquer impitoyablement leurs propres fautes, dont le prol�tariat doit tirer profit pour accro�tre son exp�rience politique. En d�voilant sans r�ticence les erreurs que commirent les communistes d'Autriche en 1919, Karl Radeck, dans l'article que nous publions ici, instruit la classe ouvri�re d'Autriche et des autres pays. Les communistes ne redoutent pas les cris de joie que poussent leurs adversaires quand ceux-ci � d�couvrent ï¿½ les fautes des communistes, r�v�l�es par les communistes eux-m�mes. ï¿½


Une malheureuse tentative insurrectionnelle en Autriche allemande

Octobre 1919

Karl Radek


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I.� Les r�v�lations de Bettelheim1

Celui qui, au cours de ces derniers mois, a observ� la marche du mouvement communiste en Autriche allemande (m�me s'il en a �t� r�duit aux seuls communiqu�s de journaux) a pu se persuader que ce mouvement traverse une crise s�rieuse. D�j�, d�s les premiers jours de la r�volution prol�tarienne de Hongrie des tentatives avaient eu lieu, � Vienne, de provoquer une explosion de r�volte. Les initiateurs de ce plan partaient de la supposition profond�ment erron�e que c'�tait l� un moyen de porter secours � la R�publique sovi�tiste hongroise. Pour atteindre ce but ils distribu�rent � droite et � gauche des sommes d'argent qui n'eurent d'autre effet que d'apporter la d�composition dans le mouvement communiste autrichien. Cette tactique eut l'in�vitable r�sultat que le mouvement fut abandonn� par tous les camarades qui ne voulaient en aucun cas porter la responsabilit� de la d�composition du Parti et qui en m�me temps consid�raient comme impossible, vu la situation embarrassante de la R�publique sovi�tiste hongroise, de combattre ouvertement ses agents.

Cela eut pour cons�quence, apr�s la chute de la R�publique sovi�tiste hongroise, de cr�er une p�nible atmosph�re d'accusations r�ciproques de caract�re politique et purement personnel, qui entra�na la d�mission du Parti de toute une s�rie de camarades et qui entrava l'action de ceux qui restaient. Gr�ce � l'intervention des militants dirigeants des autres organisations de l'Internationale Communiste, on r�ussit � si bien purifier l'atmosph�re que d�sormais on put esp�rer en la possibilit� d'une action combin�e des repr�sentants des divers courants du Parti autrichien.

Cependant des difficult�s ult�rieures surgirent, motiv�es par l'impossibilit� d'examiner publiquement ce qu'on avait r�ussi � �lucider dans l'intimit� d'un petit cercle. De plus, on fut oblig� de compter avec les camarades hongrois qui, tels que le docteur Bettelheim, jou�rent pendant la crise un r�le marquant et qui, par la suite, furent arr�t�s � Vienne. Ces difficult�s sont maintenant dissip�es. Le docteur Friedrich Adler a publi� dans le Kampf de Vienne, du 4 octobre 1919, un manuscrit saisi chez Bettelheim lors de son arrestation, dans lequel est expos�e la marche de ces �v�nements. Ce faisant M. Friedrich Adler voulait, disait-il, jeter un rayon de lumi�re sur ce � mar�cage qu'on appelle le Parti Communiste ï¿½. Nous ne pouvons en �tre que reconnaissants envers Friedrich Adler, bien que la l�chet� et la v�nalit� dont il d�non�a jadis le r�gne au sein de la social-d�mocratie autrichienne (voir son discours d'accusation dans l'�dition berlinoise des proc�s-verbaux de son proc�s r�dig�s par lui-m�me) dussent bien l'inciter plut�t � s'occuper de ce � marais ï¿½ dans lequel, apr�s sa coalition avec les antis�mites, la social-d�mocratie s'est certainement bien plus profond�ment enlis�e qu'en 1916. Mais, comme nous l'avons d�j� dit, nous ne pouvons qu'�tre reconnaissants � Bettelheim et Adler d'avoir rendu possible l'examen public de cette question. Et cette possibilit� nous avons l'intention de la mettre � profit d'ores et d�j�.

II. � Naissance du Parti Communiste en Autriche allemande

Pour comprendre comme il convient la crise qui s'est manifest�e si nettement de mai en ao�t, il est n�cessaire de ne pas perdre de vue que le Parti Communiste autrichien �tait consid�rablement plus faible que le Parti Communiste allemand.

En Allemagne, d�j� bien avant la guerre, il existait dans la social-d�mocratie une tendance radicale de gauche qui s'�tait form�e dans la lutte contre l'opportunisme tant avou� que voil� (tendance Kautsky, Haase) et qui jetait les fondements du futur Parti Communiste allemand. Pendant la guerre cette tendance �largit son id�ologie, acquit au milieu de difficult�s exceptionnelles et au prix de pertes consid�rables toute une pl�iade de nouveaux partisans, cr�a des organisations ill�gales et gagna rapidement les masses. La scission qui se produisit en 1917 dans la social-d�mocratie allemande facilita ce travail. La fondation d'un Parti Communiste autonome fut le r�sultat d'une activit� de huit ann�es de lutte d'id�es et de quatre ann�es d'organisation men�e par des centaines de personnalit�s marquantes.

En g�n�ral, dans l'Autriche allemande il n'existait pas, avant la guerre, d'opposition marxiste au sein de la social-d�mocratie. A l'exception de Josef Strasser, tous les marxistes autrichiens, Otto Bauer et Fritz2 Adler les premiers, se donnaient pour t�che non de lutter avec l'opportunisme, mais de l'�clairer th�oriquement. Cette circonstance fait que dans l'Autriche allemande les Partis ne furent pas oblig�s de voter pour les cr�dits militaires ; les sessions de parlement autrichien n'eurent g�n�ralement pas lieu, ce qui donna aux dirigeants du Parti social-d�mocrate autrichien, qui avait en Viktor Adler un chef d'une grande � et l�gitime � autorit� morale et en Renner un guide politique �prouv�, la possibilit� de masquer et de confondre les oppositions existantes dans le Parti. Jusqu'� quel point se sentait faible l'opposition mod�r�e qui apparut dans le Parti autrichien pendant la guerre, c'est ce que d�montre l'attentat de Fritz Adler, qui usa du revolver parce qu'il savait que les masses ne le suivaient pas et se sentait incapable d'une vaste action politique. Surgissant en pleine guerre et se groupant autour du camarade Franz Koritschoner, l'opposition radicale de gauche ne compta que quelques partisans.

Lorsque la r�volution �clata, les �l�ments qui se group�rent bient�t dans un Parti Communiste d'Autriche allemande form�rent un groupe insignifiant de tr�s jeunes intellectuels qui sous l'influence de la guerre se p�n�tr�rent de tendances r�volutionnaires prol�tariennes, mais qui n'en �taient pas moins �trangers � toute exp�rience politique ; les prisonniers de guerre de retour de Russie se joignirent � eux, mais il va de soi qu'ils n'�taient gu�re au courant de la situation en Autriche. D�s lors il est �vident qu'un Parti compos� de semblables �l�ments ne pouvait pas, dans un court laps de temps, devenir le centre des tendances r�volutionnaires qui apparurent dans le prol�tariat lorsque la social-d�mocratie autrichienne, dirig�e par Renner et Seitz3 avec le concours de Fritz Adler (qui apr�s avoir perdu d�s 1916, sous l'influence de la guerre, toute ma�trise de soi-m�me, fut pendant la r�volution le plus paisible des petits bourgeois) conclut une alliance avec la bourgeoisie.

Le jeune Parti Communiste autrichien devait in�vitablement commettre beaucoup d'erreurs avant de pouvoir trouver sa voie l�gitime dans la lutte. La politique communiste n'est pas une simple application des principes invent�s et brevet�s � Moscou, elle consiste � conduire les masses r�volutionnaires, dont les conditions sont de beaucoup diff�rentes dans les divers pays.

Ce n'est qu'apr�s s'�tre enrichies de l'exp�rience de leur lutte naturelle et avoir appris � tirer les conclusions de cette exp�rience que les masses ouvri�res peuvent se frayer une voie vers le communisme. Et plus les combattants d'avant-garde du prol�tariat seront instruits et exp�riment�s, plus vite ils sauront �valuer l'importance de cette exp�rience, plus et mieux ils aideront le prol�tariat � s'orienter.

Le Parti Communiste d'Autriche allemande, vu la jeunesse de ses chefs, n'a pu faire dans les premiers mois de son existence que de timides tentatives dans la voie de la propagande et de l'organisation. Il n'avait pas pu pr�voir combien la route qui m�ne au but serait longue et sinueuse. L'imp�tuosit� du mouvement r�volutionnaire d'Allemagne qui se prolongea de janvier en avril, les gr�ves d'Angleterre leur paraissaient �tre le pr�sage de la victoire prochaine de la r�volution universelle. Et c'est dans l'�tat d'esprit suscit� par ces espoirs que venait les surprendre la proclamation de la R�publique sovi�tiste hongroise et peu apr�s celle des soviets de Munich.

III. � La tactique insurrectionnelle hongroise � Vienne

Les travailleurs r�volutionnaires de Vienne, non seulement les communistes, mais aussi les social-d�mocrates, furent absolument �lectris�s par les �v�nements de Hongrie et de Bavi�re. Les chefs communistes se consid�raient comme oblig�s de mener la propagande la plus �nergique en faveur de la proclamation de la r�publique sovi�tiste. Ils avaient pleinement raison, lorsqu'ils r�pliquaient aux social-d�mocrates que l'�tablissement de la r�publique des Soviets � Vienne �largirait le champ d'action et donnerait la possibilit� de lutter avec les difficult�s alimentaires qui prenaient alors, � Vienne, une grave tournure et qui servaient d'argument principal � F. Adler et ses disciples contre l'institution du pouvoir sovi�tiste en Autriche allemande.

La proclamation de la R�publique des Soviets austro-allemande n'entra�nait pas que la n�cessit� de nourrir une plus grande quantit� d'hommes, ce que criaient les social-d�mocrates, mais e�t r�uni au fougueux prol�tariat hongrois des centaines de milliers d'ouvriers autrichiens aptes � l'organisation ; il est certain qu'elle e�t consid�rablement accru la force militaire des r�publiques sovi�tistes alli�es et leur e�t donn� la possibilit� d'occuper les territoires, si riches en bl�, de la Hongrie, la victoire du prol�tariat austro-allemand d'Autriche e�t �t� incontestablement suivie d'une r�ponse chez les ouvriers tch�ques et e�t servi de calmant � l'Entente, en changeant radicalement la situation qui se cr�a lors de l'isolement de Budapest. Les communistes d'Autriche allemande n'ont donc fait que leur devoir, en tendant toutes leurs forces pour entra�ner le prol�tariat autrichien � proclamer la r�publique des Soviets.

Les � r�alistes ï¿½, Fritz Adler et Bauer en t�te en mettant en garde le prol�tariat contre cette � exp�rience ï¿½, le trahirent en fait, aidant les Renner et les Ellenbogen � le livrer pieds et poings li�s � la bourgeoisie ; et si le prol�tariat est aujourd'hui d�finitivement vendu � la bourgeoisie par ces m�mes Ellenbogen et Renner, c'est l� le r�sultat de leur tactique de renoncement � tonte lutte. Le m�me sort a �t� r�serv� aux Renner et aux Ellenbogen d'une part, aux Haase et aux Dittmann, leurs fr�res en esprit, de l'autre.

Mais l'agitation en faveur de la dictature des Soviets semblait � une partie des camarades hongrois un soutien trop insuffisant de la part du prol�tariat autrichien. Il ne faut pas perdre de vue que le Parti Communiste hongrois ne disposait que d'un tout petit nombre de militants �duqu�s et exp�riment�s, qu'apr�s sa facile victoire il fut oblig� de d�signer � beaucoup de postes importants des camarades d�pourvus de toute exp�rience, sans parler de tous les aventuriers qui s'�taient gliss�s dans ses rangs uniquement parce qu'il �tait victorieux. Il est bien difficile d'�tablir en ce moment dans quelle mesure particip�rent � la propagande �trang�re de la r�publique des Soviets ces �l�ments inexp�riment�s, ces aventuriers et ces chacals qui se risquent toujours sur les champs de bataille apr�s le combat. C'est un fait que ces �l�ments men�rent � Vienne une agitation active, poussant le jeune Parti Communiste autrichien � la r�volte.

Vers le milieu de mai, le docteur Bettelheim arriva � Vienne, en qualit� d'�missaire hongrois, il se donna comme fond� de pouvoir de la 3e Internationale qui l'avait soi-disant mandat� � l'effet de proclamer au plus t�t la r�publique des Soviets en Autriche allemande. En r�alit�, le Comit� Ex�cutif de l'Internationale Communiste connaissait Bettelheim � personnage qui jusqu'alors avait �t� totalement �tranger au mouvement � tout juste autant que Bettelheim connaissait l'Internationale Communiste : c'est dire qu'il l'ignorait absolument.

Nous ignorons si ce fut le docteur Bettelheim lui-m�me qui inventa la fable de cette fantastique mission, afin de pouvoir agir plus facilement sur les camarades inexp�riment�s de Vienne ou si une institution quelconque de la R�publique des Soviets hongroise l'induisit consciemment en erreur, d�sirant donner plus de hardiesse pour l'accomplissement d'un plan �labor� en Hongrie. En tout cas, le � mandat de Moscou ï¿½ du docteur Bettelheim est le produit de la fantaisie d'un jeune camarade n'ayant pas la moindre id�e du communisme ou la man�uvre frauduleuse d'un aventurier.

A aucun moment le Parti Communiste russe � avant et apr�s la fondation de la 3e Internationale � n'a mandat� aucun camarade � l'effet de se rendre dans un pays d�termin� pour y proclamer � un moment donn� la R�publique des Soviets.

Le Parti Communiste russe et le Comit� Ex�cutif de l'Internationale Communiste dirig� par lui ne se sont jamais leurr�s de cette pens�e qu'ils pouvaient de Moscou diriger la politique concr�te des Partis Communistes �trangers qui travaillent en pleine action de leur propre mouvement.

Celui qui �crit ces lignes et qui dirigea jusqu'en d�cembre 1918 la propagande �trang�re des bolcheviks, dans ses pourparlers avec les communistes allemands, hongrois, tch�ques, yougoslaves, lesquels, entre autres, visit�rent en octobre 1918 l'Autriche-Hongrie, les mit en garde cat�goriquement au nom du Parti Communiste russe contre une simple copie des exemples russes dans la premi�re phase de la r�volution austro-allemande et leur conseilla m�me de modifier leur position vis-�-vis de l'Assembl�e nationale par rapport aux conditions de lieu et de temps, et � la phase d�j� atteinte par le mouvement.

Le Comit� Ex�cutif de l'Internationale Communiste, dirig� par des tacticiens aussi avis�s que Zinoviev et Trotsky, disciples de Marx, qui travaillent dans le parti depuis de longues ann�es (Trotsky depuis 25 ans, Zinoviev depuis 17 ans) ne prouvait assur�ment pas recommander une autre politique. Le Parti Communiste russe sait que la victoire d�finitive de la R�volution russe n'est possible que si la R�volution universelle est victorieuse. Et la R�volution universelle ne peut se d�velopper que comme un mouvement cr�� dans chaque pays par ses propres masses prol�tariennes et non par les premiers � ï¿½missaires ï¿½ venus.

Si la r�volution prol�tarienne dans les pays �trangers ne se d�veloppe pas dans un avenir plus ou moins rapproch� suffisamment pour vaincre l'imp�rialisme de l'Entente, la R�publique des Soviets russes peut mourir d'une h�morragie ; car la guerre d�fensive contre l'Entente paralyse toutes ses forces dirig�es vers la r�organisation �conomique de la soci�t�. Ce fut le sort de la Hongrie sovi�tiste par suite de sa base trop restreinte. Mais la conscience de ce danger ne doit pas nous emp�cher de nous rendre compte que seul le d�veloppement de la r�volution prol�tarienne (et non pas les r�voltes provoqu�es artificiellement) peut aider les r�publiques sovi�tistes menac�es ; de semblables insurrections ne peuvent qu'affaiblir le mouvement dans les autres pays, et par cons�quent la Russie sovi�tiste et les autres centres r�volutionnaires, tout en compromettant, en g�n�ral, les id�es communistes.

Si en Autriche allemande, le prol�tariat e�t accept� dans sa majorit� et r�alis� l'id�e de la dictature des soviets, la r�publique sovi�tiste de Hongrie en e�t �t� renforc�e. Mais si le Parti Communiste autrichien se f�t empar� du � pouvoir ï¿½ par l'insurrection � ce qui n'�tait nullement impossible, vue la faiblesse du gouvernement � tout en n'ayant pas derri�re lui la majorit� du prol�tariat, cette victoire n'e�t qu'affaibli la r�publique sovi�tiste de Hongrie. La r�publique des Soviets autrichiens n'e�t point �t� dans ce cas � sovi�tiste ï¿½, car les soviets �taient contre sa proclamation. Les syndicats ne l'admettaient pas non plus. Sur qui donc se f�t-elle appuy�e ? Contrainte d'avoir recours au soutien d'une garde rouge recrut�e au hasard et de lutter contre la majorit� de la classe ouvri�re, o� e�t-elle pu puiser encore des forces pour venir en aide � la Hongrie des Soviets ? Celle simple consid�ration �tait suffisamment persuasive pour d�montrer toute la folie de la tactique insurrectionnelle � tous ceux qui connaissent la R�publique des Soviets autrement que par ou�-dire. Mais en l'occurrence c'est � une malheureuse ignorance que nous avons affaire ici ; le Messie du bureau de la propagande de Budapest n'a pas la moindre conception du Communisme ; c'est ce que prouve chaque mot de ses attaques contre le Parti Communiste d'Autriche allemande.

IV. � La r�volte du 15 juin

Voici ce que communique Bettelheim sur la force du Parti Communiste vers le 15 mai, lorsqu'il arriva � Vienne avec son fantaisiste mandat. Le comit� central du Parti n'avait pas pu se d�cider� une seule action de quelque peu d'importance � plus loin nous verrons ce que ce na�f personnage entend par le mot � action ï¿½ � il ne pouvait se glorifier d'aucun succ�s. Le comit� ne connaissait pas la composition du Parti, le nombre des camarades qui travaillaient dans les entreprises isol�es ; il n'avait pas pu convoquer des fond�s de pouvoir de ces entreprises. Les organisations �taient litt�ralement d�pourvues d'agitateurs et aucun travail syst�matique de parti ne se faisait. Une masse �norme de ch�meurs restait en dehors de toute organisation, les relations avec la campagne �taient n�glig�es. De cet �tat de choses, tout homme judicieux n'aurait pu tirer qu'une seule conclusion bien simple : It's a Long Way to Tipperary. Tout le travail est encore � faire : il faut organiser le Parti, p�n�trer dans les entreprises et y poser le fondement des organisations ; �tablir des rapports avec la campagne, mener �nergiquement l'action de propagande, utiliser chaque manifestation de la vie politique sociale pour l'action qui mobiliserait la classe ouvri�re, l'organiserait et peu � peu ram�nerait sur le terrain de la lutte.

Mais les Messies et les proph�tes, comme on le sait, ne labourent pas et ne s�ment pas ; ils ont une baguette magique avec laquelle ils accomplissent des miracles. Il est vrai que le docteur Bettelheim, qui n'�tait qu'un pseudo-proph�te, n'a pu accomplir que des pseudo-miracles. Au lieu d'organiser le Parti, il le d�sorganise, en dissolvant son centre de direction et en nommant un � directoire ï¿½.

Comme il convient � un faiseur de miracles, il veut moissonner l� o� il n'a pas sem� et d�cide pr�cis�ment le 15 juin � par cons�quent juste au bout de son premier mois, si riche en succ�s, de s�jour � Vienne � d'affranchir le prol�tariat du joug capitaliste en proclamant la R�publique des Soviets. Il ne put pas se d�cider � quelque chose de plus modeste car il l'�crit textuellement dans son �uvre remarquable : � J'entends par action la proclamation de la R�publique Sovi�tiste ï¿½.

En attendant, le docteur Bettelheim n'a fait qu'�vincer du centre de direction du Parti Josef Strasser, le communiste autrichien le plus actif, et nommer le � directoire ï¿½. Ce fut malgr� tout suffisant. La cause avan�a rapidement. Des organisations dans les entreprises surgissaient, dans les casernes de forts mouvements se manifestaient, les ch�meurs, les mobilis�s, les invalides organisaient des d�monstrations. La force de la r�volution prol�tarienne surgissait au grand jour comme par enchantement, � Vienne et dans les campagnes, de sorte que l'on pouvait pleinement escompter le succ�s de l'av�nement de la R�publique des Soviets pr�cis�ment pour le 15 juin.

� Jusqu'� quel point la force de la r�volution prol�tarienne �tait grande ï¿½, c'est ce que nous verrons � l'instant. Le ph�nom�ne vraiment miraculeux que le docteur Bettelheim ait pu � l'avance pr�voir le jour de la r�volution est facilement explicable : comme il le communique, elle avait �t� simplement d�cid�e pour ce jour et m�me aucun d�tail d'une r�volution bien pr�par�e n'avait �t� n�glig�. En un mot, le 15 juin, une insurrection dans les formes requises devait avoir lieu... Il n'y avait rien de surnaturel dans ces moyens miraculeux gr�ce auxquels avant le d�clenchement de l'action � date fixe apparurent l'organisation, les troubles nombreux, etc. Le docteur Bettelheim avait l�ch� sur Vienne toute une nu�e d'agitateurs qui r�pandaient de l'argent et qui pr�paraient � l'action ï¿½ selon toutes les r�gles de l'art. Celle-ci fut d�cid�e pour le 15 juin, mais la veille de ce jour, le 14, le directoire �tait arr�t� (Bettelheim affirme � au reste sans aucune preuve � que le directoire fut arr�t� sur sa propre demande).

Le m�me jour, les ch�meurs et les soldats d�mobilis�s organis�rent une d�monstration, exigeant la mise en libert� des chefs. Il y eut des morts. Pourquoi donc la � r�volution prol�tarienne ï¿½ n'a-t-elle pas triomph� ? Le prol�tariat d�livre ses chefs et exige qu'ils r�alisent en fait la r�volution. � Provoqu�e comme par enchantement ï¿½ la r�volution prol�tarienne pr�sente � ses chefs cette revendication : � Vous m'avez provoqu�e, vous devez mener l'�uvre jusqu'au bout ï¿½. La r�volution doit �tre r�alis�e par Toman4, Koritschoner, autrement il n'en r�sultera rien. La vieille devise que l'�mancipation des travailleurs ne sera l'�uvre que des travailleurs eux-m�mes est transform�e par des � communistes ï¿½ tout frais moulus en celle-ci : le � prol�tariat ne peut �tre affranchi et sauv� que pas ses chefs ï¿½. Ici on sent �videmment la proximit� des Bettelheim et des Renner situ�s officiellement aux antipodes les uns des autres ; ces derniers � sauvent ï¿½ le prol�tariat, comme les mendiants qui demandent du pain pour les affam�s, les Bettelheim les sauvent en � proclamant ï¿½ la R�publique. Dans le premier cas, les prol�taires doivent se tenir tranquilles ; dans le second, ils doivent agir sur un mot de leurs chefs, mais dans les deux cas ils sont des figurants. Les sauveurs ce sont les chefs. Mais ici commence une d�licieuse op�rette : les � chefs ï¿½ �lus par Bettelheim pour sauver le prol�tariat refusent de marcher. Les chefs ont promis de faire la r�volution, mais ils avaient si peu confiance en eux-m�mes qu'ils ne se d�cid�rent m�me pas � para�tre devant la masse. Tout d�sir d'�manciper le prol�tariat les avait abandonn�s.

Voici de bien mauvais hommes qui auraient pu affranchir le prol�tariat et qui ne l'ont pas voulu. Mais le 15 mai le docteur Bettelheim est arriv� � Vienne envoy� par l'Internationale, avec la mission de frayer la voie � la domination du prol�tariat. Pourquoi n'a-t-il pas rempli sa mission et affranchi le prol�tariat ? Qu'il n'ait pas eu confiance en ses propres forces, la chose est inadmissible, car cet intr�pide agitateur croyait aveugl�ment en ses forces. Il � s'est abstenu, c'est vrai, d'�manciper le prol�tariat ï¿½ de crainte que les militants de la r�volution viennoise qui ne savaient pas que la r�volution a �t� provoqu�e � par enchantement ï¿½ pussent lui d�clarer : � Excusez, monsieur Bettelheim, nous ne vous connaissons pas et vous ne pouvez pas nous �manciper ï¿½. Ces � r�v�lations ï¿½ de Bettelheim seraient plut�t plaisantes, si toute cette histoire n'avait pas exig� des victimes. Bettelheim lui-m�me racheta en partie sa faute en imaginant ses r�v�lations et en d�montrant �, contre son gr� � � tout ouvrier judicieux, la stupidit� et le vide de la tactique insurrectionnelle. Cependant apr�s l'exp�rience du 15 juin il ne s'est pas persuad� de l'inadmissibilit� d'une tactique semblable et il faut croire que nous avons affaire � une sorte de Rinaldo Rinaldini5 incurable.

Mais les travailleurs communistes ne sont pas frapp�s d'ali�nation mentale et gr�ce aux r�v�lations de Bettelheim ils auront la plus profonde m�fiance vis-�-vis de la d�testable action miraculeuse des insurrections. Les communistes qui composaient l'avant-garde diu prol�tariat autrichien, ont, dans les journ�es de juin, fait une croix sur la tactique insurrectionnelle de Bettelheim. Ils ne se sont pas laiss�s entra�ner dans l'aventure de � proclamer ï¿½ la R�publique Sovi�tiste. Ils doivent bien se persuader d�sormais de l'inadmissibilit� et de la honte des �meutes, et aussi de la n�cessit� d'extirper dans la pratique l'aspiration m�me � de semblables mouvements.

V. � La tactique du communisme et la lutte social-d�mocrate

Il est cependant clair que contre les crises du mouvement il convient de lutter, non par des recherches historiques quelque bienfaisantes qu'elles soient, mais par des manifestations actives du prol�tariat. Il est certain qu'il n'est pas question de � proclamations ï¿½ � la Bettelheim, mais d'un travail obstin� d'organisation, de la cr�ation de groupements correspondants, de la lutte en masse quotidienne contre les crises chaque jour plus graves � lutte qui coop�rera � l'accumulation de l'�nergie latente du prol�tariat autrichien, jusqu'au jour o� la proclamation de la R�publique des Soviets hongrois ne sera plus une simple boutade insurrectionnelle, mais l'expression r�elle de la vie m�me.

Adler, qui se d�bat dans les filets de Renner, sait bien pourquoi il marche maintenant contre le � marais ï¿½ du Parti Communiste. Il se trouve apr�s la premi�re ann�e de r�volution devant � l'�pave ï¿½ de sa politique qui, au reste, ne fut pas la sienne, mais celle de ses amis et de laquelle, malgr� tout, il porte aussi la responsabilit�. La d�mocratie (c'est-�-dire le � pouvoir populaire ï¿½) n'a �t� en fait que la domination insatiable du capital de l'Entente. La � socialisation ï¿½ l�gislative s'est termin�e par l'achat de la soci�t� mini�re des Alpes par des capitalistes italiens, excellente affaire que M. Adler saupoudra d'une l�g�re couche de � socialisation ï¿½ ; le dossier de cette affaire pourrait �tre d�pos� dans les archives de la 2e Internationale avec cette inscription : � La socialisation d�mocratique du patrimoine national en Autriche allemande ou sa remise aux capitalistes de l'Entente ï¿½. Les Soviets de d�put�s ouvriers, auxquels Adler chantait des hymnes enthousiastes, se pr�parent � une mort indolore. Quelles sont les causes de tout cela ?

Une crise effroyable que ces messieurs avaient pr�dite comme devant �tre la cons�quence in�vitable de la dictature des Soviets et qu'ils avaient voulu �viter au moyen de la coalition avec la bourgeoisie s�vit en ce moment et est le r�sultat de leurs craintes pitoyables de toute lutte. Mais les masses ouvri�res ne peuvent pas se d�tourner de la lutte. Elles souffrent de la faim et du froid et elles demanderont infailliblement : � Est-il possible que nous p�rissions sans r�sister ? ï¿½ Les masses lutteront, elles marcheront dans notre voie. C'est ce que sait Adler qui s'est emp�tr� dans ses propres filets et comme il ne se sent plus la force de s'arracher � son propre mar�cage, il se met en devoir de d�voiler le marais communiste.

Mais le Parti Communiste n'a jamais rien cach� et ne cachera rien. Il a pu commettre des fautes politiques, parce qu'il est jeune, et qu'il est oblig� de chercher des voies nouvelles. Dans ses �garements il a pu rejaillir sur lui quelques �claboussures. Mais il saura se blanchir ; l'avenir lui appartient, car il s'est engag� dans la lutte que dictent les exigences de ce moment historique. Le marais, c'est de l'eau stagnante ; nous irons donc en avant avec le torrent d�cha�n� de la r�volution prol�tarienne. Le docteur Adler nous a jet� une bombe � gaz empoisonn� dont certains pourraient bien se trouver mal. Mais bient�t, apr�s avoir enjamb� cette vague empoisonn�e, nous passerons � l'offensive et les masses nous suivront

Karl RADEK. Octobre 1919.

Notes

1 Il s'agit d'Ern� (ou Ernst) Bettelheim, membre du Comit� Central du Parti Communiste Hongrois en 1919 et envoy� cette m�me ann�e � Vienne sur les instructions de B�la Kun. Voir au sujet de l'insurrection viennoise, R�volution en Allemagne de Pierre Brou�, chapitre XIII. (note de la MIA)

2 Diminutif de Friedrich. (Note de la MIA)

3 Karl Seitz (1869-1950). (Note de la MIA)

4 Karl Toman (1884-1950). (Note de la MIA)

5 Rinaldo Rinaldini, chef de brigands est un roman de l'�crivain allemand Christian August Vulpius paru en 1799. (Note de la MIA)


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