1920

Source : num�ro 44/45 du Bulletin communiste (premi�re ann�e), 25 novembre 1920.


La politique internationale de l'ann�e 1920

Karl Radek


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L'ann�e de lutte du capital de l'Entente contre la Russie Sovi�tique a �t� pour lui une ann�e de d�faites et cela non seulement de d�faites militaires sur tous les champs de bataille, sur lesquels la Russie Sovi�tique a mesur� ses forces avec celles de la contre-r�volution russe arm�e par l'Entente ; ce fut aussi l'ann�e de d�faites �conomiques et politiques de l'Entente. L'alliance des vainqueurs des puissances capitalistes s'est montr�e impuissante comme un fant�me. Cette alliance ne put pas non seulement �tre d'accord en fait, dans sa politique � l'�gard des pays vaincus par elle, elle ne put pas non seulement emp�cher la destruction �conomique de ces pays, laquelle menace de l'arr�t de leur propre d�veloppement �conomique, mais encore elle heurta les unes contre les autres les puissances de cette alliance sur tous les points vitaux de la politique mondiale. Alors que l'id�e directrice de l'imp�rialisme fran�ais semble �tre l'exploitation fi�vreusement rapide du peuple allemand �cras� par les exigences financi�res et cessa de contraindre le peuple russe � payer les dettes tsaristes � le gouvernement anglais, lui, esp�re avec l'aide des mati�res brutes russes et du pain russe s'affranchir du monopole am�ricain. Le gouvernement am�ricain craint la renaissance du march� de mati�res brutes russes et du pain russe pr�cis�ment pour le m�me motif pour lequel l'Angleterre d�sire cette renaissance. Mais le gouvernement am�ricain a besoin de la Russie comme march� priv� de tous les produits fabriqu�s et comme contrepoids � l'influence du Japon. Le gouvernement italien, par trop faible pour poursuivre une politique enti�rement ind�pendante � l'�gard de la Russie sovi�tique, est guid� en premier lieu par la crainte d'aggraver sa politique militaire � l'�gard de la Russie sovi�tique absolument en opposition avec le mouvement du prol�tariat italien attach� par une profonde affection au grand prol�tariat russe. �tant donn�e la force plus grande du capitalisme anglo-am�ricain par rapport au capitalisme fran�ais il faut s'attendre � la victoire des tendances pacifiques dans le camp des alli�s, car l'imp�rialisme fran�ais, vivant du cr�dit anglais et am�ricain, n'est pas en �tat d'imposer sa volont� contraire � celle de ses � alli�s ï¿½ plus puissants, mais ni le gouvernement capitaliste am�ricain ni l'anglais ne purent, jusqu'� pr�sent, mener une politique aussi clairement pacifique. Non seulement il n'existe pas de politique g�n�rale de l'Entente, mais m�me le gouvernement anglais ou le gouvernement am�ricain n'ont pas eux-m�mes de politique d�finie. La bourgeoisie marchande de l'Angleterre est pour les relations pacifiques avec la Russie sovi�tique, mais plus les difficult�s de l'imp�rialisme anglais s'accroissent dans l'Asie Mineure et dans l'Asie Centrale et plus il est oblig� de mener une politique d�fensive et plus la Russie sovi�tique lui appara�t comme un ennemi redoutable. Ayant montr� aux peuples de l'Orient, jusqu'� pr�sent sans d�fense, qu'un peuple travailleur peut vaincre ses oppresseurs, la Russie sovi�tique est devenue le centre attracteur, le soutien des peuples de l'Orient soulev�s. La vieille clique imp�rialiste anglaise, ayant consenti ext�rieurement aux relations commerciales avec la Russie sovi�tique, essaye en m�me temps de jeter contre celle-ci de nouveaux ennemis et organise contre elle de nouvelles attaques sanglantes afin qu'au moyen de la guerre civile il ne soit point possible � la Russie sovi�tique de se renforcer comme centre d'organisation du soul�vement de l'Orient. Cette tendance se joint � l'action antisovi�tique de l'imp�rialisme fran�ais, lequel a pouss� contre la Russie sovi�tique la Pologne Blanche. Cette derni�re vassale de la France tire avec l'aide de Wrangel les derni�res cartouches restant � l'intervention des alli�s et d�truit la politique pacifique de la bourgeoisie marchande anglaise, dirig�e par Lloyd George. Celui-ci lutte sans d�cision contre cette nouvelle intervention et, en effet, comment lutterait-il avec d�cision pour la paix avec la Russie sovi�tique en la force de laquelle lui-m�me n'avait pas foi ? Comment pourrait-il approfondir les dissensions avec la France par une paix aussi douteuse avec la Russie sovi�tique, alors que la France garantit par son arm�e la soumission de l'Allemagne � peine derni�rement �cras�e ?

Lloyd George et le gouvernement anglais ne s'opposent pas, � l'avance, � l'attaque polonaise du 26 avril, laquelle entra�ne m�caniquement la nullit� de l'accord commercial, car la premi�re condition de cet accord semble bien �tre l'organisation pacifique de la Russie. Les capitalistes anglais perdent d'autant plus les r�nes de leurs mains qu'ils voient que la Russie sovi�tique n'est point Denikine et qu'elle n'a point l'intention de permettre aux Anglais de piller la Russie. Elle veut recevoir, en �change de son or, les objets et les machines n�cessaires � la reconstruction de son �conomie. Or, la Russie sovi�tique essaye de remettre la question des mati�res brutes � l'�poque o� elle pourra renforcer son appareil �conomique et lorsqu'elle sera en �tat d'exporter de ses mati�res brutes et d'autres produits. Les capitalistes de l'Angleterre ont consenti � reprendre les relations commerciales avec la Russie sovi�tique et m�me des relations de contrebande au cours desquelles ils vendent les objets demand�s afin de d�truire le plan �conomique du gouvernement sovi�tique et non point pour permettre � la Russie de montrer an monde que le communisme pr�sente la seule issue de l'anarchie capitaliste. Les capitalistes anglais attendent donc pour voir si les l�gions blanches polonaises ne r�ussiront pas, les armes � la main, � faire sauter des mains de la Russie sovi�tique le pain et le sucre ukrainien, s'il ne sera pas possible aux bandes de Wrangel de s'emparer du charbon du Donetz. Alors l'Angleterre pourra d�fendre devant la France sa part de butin. La Russie sovi�tique se montre plus forte que ne l'avaient cru les capitalistes anglais, son arm�e arrive jusqu'� Varsovie et la bourgeoisie londonienne croit d�j� voir la cavalerie rouge sur les bords du Rhin. Elle menace la Russie sovi�tique de la guerre, mais au m�me moment la classe ouvri�re se soul�ve et crie � la bourgeoisie anglaise : Halte ! C'est la premi�re fois dans l'histoire de l'Angleterre que celle-ci d�finit sa politique.

Ayant essuy� une d�faite, l'arm�e rouge recule, mais la peur de voir revenir sur elle avec les droits d'une grande puissance la Russie prol�tarienne ne quitte plus l'esprit de la bourgeoisie anglaise. La paix avec la Russie sovi�tique, les relations commerciales avec cette derni�re, voil� des questions qui reviennent � la surface et en m�me temps l'Angleterre fait de nouvelles tentatives pour cr�er un nouveau front du sud et r�unir les arm�es de Wrangel � celles de la G�orgie Blanche et de l'Arm�nie et de couper avec leur aide la Russie sovi�tique du charbon du Donetz, du pain du Kouban et du naphte de Bakou. La France fait une pression pour obtenir qu'on �carte la Pologne de ses intentions de paix. Mais la Pologne Blanche qui a entendu � Varsovie m�me le son des canons sovi�tiques et qui sait que les alli�s n'�taient pas en �tat de la soutenir au moment d�cisif, se refuse � marcher sous la f�rule des alli�s. Elle conclut les pr�liminaires de paix dans des conditions un peu plus mauvaises qu'elle aurait pu le faire en mars, et de la sorte elle livre Wrangel � la d�faite.

Le troisi�me anniversaire de la r�volution d'octobre voit d�j� le commencement de cette d�faite, mais celle-ci n'est pas encore termin�e. Un nouveau foyer de lutte appara�t au Caucase aux portes de Batoum que l'Angleterre essaye d'acheter aux tra�tres mencheviks. Le bras des bandits anglais est d�j� tendu vers le naphte de Bakou, mais une chose est s�re, le capital international europ�en ne peut plus se jeter avec ses propres forces contre la Russie sovi�tique ; la r�volution mondiale a d�j� enlev� les armes de ses mains dans un tel combat. L'attraction des masses populaires de tous les pays vers la Russie sovi�tique est tellement forte que m�me les tra�tres ordinaires et les espions de l'Entente du camp des ouvriers commencent � quitter ouvertement, � la tribune de Gen�ve de la 2e Internationale, leur attitude haineuse envers la Russie sovi�tique et sont oblig�s, sous la pression des masses ouvri�res, de se d�clarer ouvertement contre toute tentative de guerre avec la Russie. Le blocus de la Pologne par les cheminots allemands tch�ques et autrichiens a montr� l'impossibilit� absolue de toute guerre ouverte des gouvernements de l'Entente contre la Russie sovi�tique. Restent seulement les tentatives de faire verser le sang avec l'aide de petits mercenaires dans le genre du h�ros Savinkov, dont le cheval blanc sorti des �curies de Pilsudski ne saurait aller bien loin, ou dans le genre de Boulak-Balakhovitch jouant � son tour le r�le du patriote grand-russien Ioudenitch, ce r�le de comp�re concurrent de l'ataman Petlioura au sujet duquel le peuple chante d�j� cette chanson : � Le directoire dans le wagon, le territoire dessous ! ï¿½. Il est �vident qu'avec ces poux de la contre-r�volution internationale, la Russie sovi�tique r�glera rapidement ses comptes quelles que soient les difficult�s qu'ils cr�ent � ses efforts. Mais il faut compter avec ce fait que pendant qu'elle m�ne des pourparlers en vue de relations commerciales, la bourgeoisie mondiale se servira de toutes les possibilit�s, de toutes nos difficult�s, de toutes les plaies sur le corps de la Russie sovi�tique afin d'y introduire le poison et afin de cr�er de nouvelles plaies et nous �carter finalement de tout travail. Au moment o� la Russie sovi�tique sera alli�e � quelque autre pays dans lequel la masse ouvri�re aura vaincu, la bourgeoisie mondiale aura commenc� � jouer son va-tout et lancera contre nous la garde volontaire de la contre-r�volution qui s'est dispers�e dans le monde entier, elle ach�tera peut-�tre moyennant des concessions consid�rables dans l'Oc�an Pacifique l'intervention des Japonais, elle pourra peut-�tre nous obliger, une fois de plus, � un corps-�-corps d�cisif. Mais nous ne sommes plus isol�s du march� mondial et nous devons essayer, avec toutes nos forces, de recevoir du monde capitaliste tout ce qu'on en peut recevoir en vue du travail pour la r�surrection de la vie �conomique du pays. Nous devons, une fois pour toutes, tirer cette conclusion que notre organisation �conomique n'est pas possible, ou du moins, ne pourra s'�tendre avant la conclusion de la paix mondiale. Que ce moment n'arrivera pas tr�s vite, qu'une partie de la classe ouvri�re russe doit construire le nouveau monde pendant que l'autre partie doit la d�fendre avec ses bras ; et de l� une deuxi�me conclusion, � savoir que longtemps encore nous ne pourrons transformer notre glaive en charrue. Enfin que l'organisation de l'arm�e rouge semble devoir �tre notre t�che dans la m�me mesure que l'organisation �conomique. Trois ann�es de politique ext�rieure de la Russie sovi�tique, c'est trois ann�es de lutte, les armes, mais aussi le marteau � la main.


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