1920

Source : num�ro 43 du Bulletin communiste (premi�re ann�e), 18 novembre 1920.


Le mouvement r�volutionnaire dans l'Inde

Manabendra Nath Roy


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Pour comprendre les causes �conomiques, sociales et politiques de la r�volution dans l'Inde, il convient d'avoir sous les yeux un tableau g�n�ral de l'�volution des bases �conomiques et sociales de l'ancienne soci�t� indienne1.

Sous la domination des monarchies hindoues et bouddhistes, l'�volution �conomique et sociale du pays �tait en quelque sorte orient�e vers le communisme. L'Unit� politique et �conomique du pays �tait en ce temps le � Panchayat ï¿½, base de tout l'�difice social.

L'organisation et le travail de ces communes agricoles requi�rent un examen attentif.

On admet g�n�ralement que ces organisations, qui furent intentionnellement d�truites par le gouvernement, n'�taient pas autre chose que le clan familial de tous les peuples primitifs. Elles n'�taient �videmment pas bas�es sur une claire notion du communisme scientifique ; mais elles se cr�aient pourtant consciemment et m�thodiquement en vue d'administrer la vie �conomique et sociale de la Communaut�. L'id�e directrice de ces organisations �tait que les membres de la Commune devaient faire leurs affaires eux-m�mes. � Tous les m�tiers et toutes les professions y �taient repr�sent�s dans la Commune par leurs anciens membres. En plus du payement de la d�me au monarque r�gnant, sa fonction principale �tait de surveiller la r�partition des produits appartenant � la Commune selon les besoins de ses membres. Les magasins communaux �taient administr�s sous le contr�le du � Panchayat ï¿½. Les artisans (coiffeurs, blanchisseurs, potiers, etc.) ne recevaient pas de salaire particulier, mais un terrain suffisant pour nourrir leurs familles. Le village administrait la police et la justice et remplissait toutes les autres fonctions sociales et politiques communales ; la Commune �tait autonome.

En un mot, les indiens n'ont jamais connu l'oppression de l'Etat avant que les Anglais ne leur eussent apport� la centralisation et la bureaucratie. Dans les Indes, le pouvoir de l'Etat, n'ayant subi pendant de longs si�cles aucune �volution, apparaissait � la masse populaire comme une sorte d'abstraction. Quoique jusqu'� la fin du XIXe si�cle la grande industrie n'ait �t� que tr�s faiblement d�velopp�e, il serait pourtant erron� de penser que le pays f�t exclusivement agricole. La grande partie de la population de l'Inde, depuis l'�poque la plus recul�e de l'histoire jusqu'au milieu du XVIIIe si�cle, avait exerc� diff�rentes industries et fournissait le monde entier de ses produits ; � les branches d'industrie ne furent jamais centralis�es comme dans le syst�me capitaliste et les masses populaires vivaient dans des conditions relativement bonnes. La f�odalit� ne s'�tablit jamais solidement malgr� l'existence des plusieurs dynasties r�gnantes. Les castes qui, au d�but, furent des sortes de syndicats h�r�ditaires ont pr�serv� les masses ouvri�res et paysannes des guerres dynastiques. � La caste militaire, qui avait entre ses mains l'administration politique du pays, faisait la guerre par ses propres moyens, le reste de la population pouvait toujours se livrer librement � ses occupations habituelles. La soci�t� agricole conservait son autonomie et les masses ne se rendaient pas un compte exact du joug de la monarchie �tablie. L'indiff�rence � la forme et � l'esprit du gouvernement central se d�veloppa pour ces raisons chez le peuple indien. Les conflits, dont il existe des exemples, entre les grands propri�taires fonciers ou bien les bourgeois de villages et les masses laborieuses ont toujours �t� des conflits locaux d'un caract�re �conomique ou social.

La premi�re invasion mongole se rapporte au milieu du XIe si�cle, et le pays fut conquis dans la premi�re moiti� du XIIIe si�cle. La caste militaire du Nord de l'Inde, qui poss�dait alors tout le pouvoir politique, r�sista � l'invasion. L'empire mahom�tan fut fond�, mais n'apporta point de modifications importantes dans la structure �conomique et sociale de la soci�t�. Le pays fut conquis par la force des armes ; un empereur mahom�tan entour� d'une noblesse indienne et musulmane monta sur le tr�ne imp�rial. Les masses continuaient � paisiblement travaille, chacun exer�ant sa profession ; les paysans continuaient � labourer leurs champs sous l'administration autonome des � Panchayats ï¿½. En un mot, la victoire musulmane eut pour r�sultat le remplacement d'une dynastie par une autre ; elle ajouta quelques noms � ceux de la brillante noblesse qui existait d�j� ; mais elle n'apporta pas un nouveau r�gime �conomique. La tyrannie mahom�tane se manifesta principalement dans la question religieuse et un peu dans les rapports sociaux..

L'animosit� entre vainqueurs et vaincus eut un caract�re exclusivement religieux et se fit principalement sentir parmi les classes gouvernantes, � c'est-�-dire parmi le clerg� et la caste militaire qui s'�taient mis � la t�te du mouvement national antimusulman. L'insurrection contre le joug mahom�tan fut le premier grand mouvement populaire de l'histoire de l'Inde. Elle �clata � la fin du XVIIe si�cle quand les chefs militaires de l'Inde m�ridionale se r�volt�rent contre l'empereur et rassembl�rent sous leurs drapeaux les paysans et les montagnards.

Le peuple, m� exclusivement par la haine religieuse et assoiff� de libert�, renversa le pouvoir despotique de la noblesse et de la caste militaire mahom�tanes. Les commer�ants europ�ens qui p�n�traient d�j� dans l'Inde � la fin du XVIe si�cle, profit�rent de la guerre civile et de l'interr�gne provoqu� par la r�volution pour saisir le pouvoir politique et instituer l'exploitation �conomique.

L'occupation anglaise ouvre une �re nouvelle dans l'histoire du peuple indien. A l'arriv�e des Anglais, les masses populaires de l'Inde se trouv�rent pour la premi�re fois sous le joug de l'exploitation �conomique centralis�e. Afin de d�fendre la grande industrie anglaise, le gouvernement britannique a d�truit l'ancienne petite industrie indig�ne, dont les produits alimentaient principalement l'exportation, jusqu'au commencement du XVIIIe si�cle. L'introduction de la grande industrie a d�truit l'ancienne structure �conomique de la soci�t� indienne. L'ancienne petite industrie ayant �t� d�truite et le d�veloppement de la grande industrie rencontrant des obstacles intentionnels, le r�sultat en fut que presque toute la population se tourna vers l'agriculture et que l'Inde devint le pays des paysans sans terre.

* * *

Sous les empereurs indiens et mahom�tans, il y avait deux proc�d�s d'agriculture :

  1. Les terres communales �taient labour�es en commun sous le contr�le de la population du village ;

  2. La grande propri�t� �tait divis�e en petits lots, que l'on louait pour une certaine quantit� de produits.

Au premier moment de la domination anglaise, une grande partie des terres de la premi�re et de la seconde cat�gorie fut occup�e par les commer�ants anglais pour la production de l'indigo qui fut, d�s les origines, l'objet principal de l'exportation de l'Inde. On louait dans ces domaines une grande quantit� d'ouvriers qui, gr�ce � la destruction de la petite industrie et � la confiscation des terres, se trouvaient sans travail. Ainsi fut cr�� un vaste prol�tariat agricole, plac� dans la situation des esclaves et qui se souleva bient�t contre ses oppresseurs.

Cette r�volution agraire qui prit un caract�re mena�ant au d�but du si�cle pass� aurait, peut-�tre, �t� le commencement d'un grand mouvement prol�tarien si l'extraction de l'indigo v�g�tal n'avait �t� brusquement an�antie par la d�couverte des couleurs d'aniline. L'insurrection des travailleurs agricoles indiens, il y a un si�cle, qui se r�pandit tr�s vite dans tout le pays, fut une v�ritable lutte de classes.

Quand les Anglais conquirent le pays et implant�rent leur politique de destruction de l'industrie et du commerce locaux, un grand nombre de commer�ants et d'industriels de l'Inde s'allia aux �trangers. De grands propri�taires lou�rent leurs terres pour la culture de l'indigo et des commer�ants indiens exploit�rent avec les Anglais les masses laborieuses. Les paysans se r�volt�rent contre la confiscation des terres communales et des lots afferm�s et contre le travail forc� dans les domaines. D�s le d�but, l'insurrection fut impitoyablement r�prim�e. Les masses compl�tement d�sarm�es ne pouvaient pas faire une r�volution et renverser le gouvernement. Leur r�volte n'�tait d'ailleurs dirig�e que contre les entrepreneurs, les propri�taires, les fermiers et les surveillants ; ils n'avaient pas encore l'id�e de renverser le gouvernement. Quand la culture de l'indigo fut abandonn�e, �tant devenue trop peu profitable, le gouvernement n'eut plus besoin du travail forc� des ouvriers. Pour �carter le danger d'une nouvelle insurrection des masses d�sesp�r�es, les terres autrefois occup�es par la culture de l'indigo leur furent distribu�es.

Telle fut la fin de la premi�re insurrection prol�tarienne de l'Inde.

La seconde eut lieu en 1857-58 et est connue sous le nom de r�volte des Cipayes.

Ce fut un vaste mouvement arm� qui r�ussit presque � renverser la domination britannique. Ses chefs furent les princes indiens et les rois musulmans humili�s. Mais la principale cause de la r�volution fut le m�contentement de l'arm�e indig�ne. Quoique plus puissant au point de vue militaire, le mouvement n'avait pas le caract�re �conomique des r�volutions paysannes pr�c�dentes. Et si cette tentative avait r�ussi, l'Inde aurait eu un r�gime d�mocratique, d'un grand secours pour les peuples europ�ens dans leur lutte pour l'�mancipation sociale et �conomique. La r�volution de 1857 fut la premi�re o� les masses populaires combattirent pour l'ind�pendance politique. Quoique, � proprement parler, la bourgeoisie n'exist�t pas encore � cette �poque, il y avait une classe moyenne qui fut l'inspiratrice de cette r�volution. Si le mouvement avait vaincu, elle aurait pris le pouvoir politique et fond� un r�gime d�mocratique. La r�volution fut si atrocement �cras�e que le peuple en demeura pour longtemps moralement an�anti.

Le syst�me �conomique que l'empire britannique a introduit dans l'Inde a exerc� son influence sur le caract�re de l'administration d'Etat ; au lieu de meurtres, de vols, de pots de vins, etc., nous voyons un m�canisme bureaucratique tr�s bien organis� en vue de subordonner toute la productivit� du pays et de la population aux int�r�ts de l'industrie britannique. Sous l'influence de ce syst�me impitoyable, toutes les anciennes traditions de la vie �conomique ont disparu et nous voyons pour la premi�re fois dans l'histoire tout un peuple exploit� �conomiquement par un pouvoir d'Etat authentique.

La croissance de la conscience politique � au sens moderne du mot � premier r�sultat de cette situation, apparut dans les classes moyennes gr�ce � la formation de toute une arm�e de fonctionnaires serviles, juristes, clercs, etc., n�cessaires � la lourde machine bureaucratique. La nouvelle classe moyenne n'a pas tard� � attirer dans ses rangs les meilleurs cerveaux du pays qui ont de suite compris que l'unique moyen d'�chapper � l'oppression anglaise compl�te serait d'obtenir le pouvoir politique. Comme il y a cependant � la t�te de ces fonctionnaires qui s'�veillent � la vie politique des gens grassement r�tribu�s par le pouvoir britannique, la conscience politique s'est orient�e vers l'id�e d'un gouvernement constitutionnel qui admettrait et l'existence et le bien-�tre de la bourgeoisie. D'o� l'origine du mouvement nationaliste qui a trouv� son expression au Congr�s National indien tenu vers 1880. A proprement parler, ce mouvement ne d�passe pas les cadres du parti des r�formes constitutionnelles : ses chefs �vitent de se dire nationalistes, � dans la crainte d'�tre confondus avec les nationalistes r�volutionnaires qui pr�conisent jusqu'� l'insurrection arm�e pour se lib�rer du joug �tranger.

Le gouvernement a accord� des concessions au Congr�s National pour complaire aux m�contents de la classe moyenne. Afin d'emp�cher le d�veloppement politique des grandes masses populaires � ce d�veloppement �tant le privil�ge de la classe moyenne instruite, peu nombreuse et compos�e d'arrivistes � le Congr�s se r�unissait chaque ann�e et votait invariablement les m�mes r�solutions. Certains de ses membres avaient plus d'une fois insist� dans la presse et par voie de propagande sur l'aggravation incessante des conditions d'existence du peuple, �cras� par des imp�ts �lev�s, souffrant de l'absence de contr�le sur le ravitaillement et le trafic des mati�res premi�res, ainsi que les restrictions auxquelles �tait soumise l'industrie locale. Or, ces r�formateurs populaires, malgr� leur �loquence sonore, se tenaient � l'�cart du peuple dont ils semblaient d�fendre le bien-�tre. De sorte qu'� la fin, l'agitation du Congr�s National se restreignit � un milieu de politiciens bourgeois, avocats, m�decins, professeurs et repr�sentants des branches rares et florissantes de l'industrie. Les concessions excessives du Congr�s finirent n�anmoins par provoquer le m�contentement parmi la jeune intelligence bourgeoise, et l'on vit surgir, � la fin du si�cle pass� parmi les Mahrattes et les Bengalais, de petits groupes de jeunes gens d'un �tat d'esprit nettement r�volutionnaire, qui aspiraient � secouer le joug britannique. Leurs organisations, qui acquirent, en quelques ann�es une influence remarquable, avaient pour chefs des id�alistes convaincus qui voulaient noblement mettre fin aux souffrances cruelles de notre peuple.

La premi�re faute de ces jeunes r�volutionnaires, ce fut leur foi dans le terrorisme. Ils croyaient qu'il suffisait pour sauver le pays d'organiser une soci�t� clandestine pour la fabrication de mati�res explosives et que l'affranchissement du peuple pouvait �tre conquis par une poign�e d'intellectuels r�volutionnaires d�vou�s. Leur propagande se basait exclusivement sur le sentiment. Leur unique devise �tait � la Patrie libre ï¿½ et ils �taient r�solus � la r�aliser co�te que co�te. Leur h�ro�sme et leur vaillance, qui allaient souvent jusqu'au sacrifice absolu de soi-m�me, attir�rent des milliers de jeunes intellectuels des classes moyennes dans les rangs d'un parti qui terrorisait en 1908 le gouvernement. L'activit� r�volutionnaire terroriste de ces jeunes nationalistes libres-penseurs ne s'arr�tait devant aucune mesure de rigueur du gouvernement, qui finit par �tablir l'�tat de si�ge dans presque tout le pays. Mais ils ne se rendaient pas suffisamment compte de la n�cessit� d'�laborer un programme d�fini, de pr�parer l'organisation du pays apr�s la lib�ration du joug anglais, de donner au peuple une notion exacte de la libert� en faveur de laquelle ils l'appelaient � combattre. Aussi ne purent-ils pas, malgr� le succ�s relatif de leur propagande r�volutionnaire dans certaines cat�gories de la population, diriger les masses dans la voie d'une r�volution v�ritable.

La tactique terroriste du parti r�volutionnaire national a pourtant forc� le gouvernement d'aller au-devant de la politique du Congr�s. En 1909 et 1911, quelques r�formes constitutionnelles ont �t� r�alis�es. Les leaders du mouvement lib�ral les r�clamaient depuis des ann�es. Les r�volutionnaires eux-m�mes commen�aient d'autre part � se rendre compte de la st�rilit� de leur travail aussi longtemps qu'ils ne pourraient s'appuyer sur les masses populaires. Ils se sont maintenant persuad�s de l'impossibilit� d'un d�nouement heureux de la r�volution sans la participation active des classes laborieuses. Ils ont con�u l'id�e de l'�ducation politique des masses populaires. Des cours du soir ont �t� organis�s partout, des instituteurs envoy�s dans toutes les parties du pays. Mais la police a promptement connu ce travail r�volutionnaire et pris des mesures �nergiques pour le r�primer. Et les instituteurs ont �t� arr�t�s et condamn�s comme des conspirateurs et des agitateurs clandestins.

Or, il n'y avait pas que les vexations gouvernementales qui entravaient l'�uvre d'instruction populaire ; il y avait aussi la mis�re : les masses n'avaient pas m�me le moyen de fr�quenter les cours du soir gratuits des nationalistes r�volutionnaires. Aux Indes, l'ouvrier moyen (l'ouvrier industriel aussi bien que le travailleur rural) travaille 12 � 14 heures par jour, pour un salaire absolument insuffisant � le nourrir. Surmen�, affam�, opprim�, il est hors d'�tat de suivre des cours sur des sujets scientifiques tels que l'histoire, la g�ographie, les doctrines politiques, etc. La seule science accessible aux masses laborieuses serait celle qui montrerait le chemin le plus court et le plus s�r vers une am�lioration de leur situation �conomique, qui leur indiquerait une issue de leur situation intol�rable. Mais la plupart des nationalistes-r�volutionnaires, qui avaient l'esprit bourgeois, ne comprenaient ni la mentalit�, ni les int�r�ts des masses. Aussi, n'ont-ils pas su insuffler aux masses leur enthousiasme r�volutionnaire ; celles-ci demeuraient indiff�rentes vis-�-vis du mouvement de la jeune intelligence aux tendances id�alistes.

Bien que l'appel des jeunes r�formateurs r�volutionnaires au sentiment d'ind�pendance nationale du peuple n'ait pas trouv� d'�cho dans l'�me de celui-ci, ce m�me peuple allait bient�t se tourner inconsciemment du c�t� de la r�volution, pouss� qu'il y �tait par les conditions �conomiques de son existence. Jusqu'� la fin du si�cle pass�, il n'y avait pas encore aux Indes de prol�tariat dans le sens g�n�ralement admis de ce mot. Mais depuis la soumission du pays � la domination du capital imp�rialiste britannique, 80 % de la population se sont transform�s en prol�taires. La presque totalit� de la propri�t� fonci�re du pays a pass� aux mains du gouvernement qui afferme les terres aux cultivateurs � des prix exorbitants. Les paysans meurent de faim. Les 80 % de la population vivant du travail agricole, les trois quarts ne poss�dent pas la plus petite parcelle du sol qu'ils labourent. La mis�re de ces millions d'�tres humains est indescriptible. Bien que sa v�ritable cause r�side dans l'imp�rialisme capitaliste britannique, ils ressentent plus vivement l'oppression des �l�ments indig�nes : des propri�taires de domaines, des traitants, des fonctionnaires administratifs, de la police et de la nombreuse valetaille de l'imp�rialisme �tranger. Quoi d'�tonnant � ce que les masses ne se laissent pas s�duire par l'id�e de se lib�rer du gouvernement britannique qu'elles ignorent ?

Un mouvement r�volutionnaire qui prendrait pour devise : � La terre aux cultivateurs ï¿½ gagnerait rapidement les esprits parmi la masse paysanne. En d'autres termes, la r�volution aux Indes ne pourra r�sulter que d'une lutte de classe victorieuse. L'imp�rialisme britannique, qui concentre les int�r�ts des classes dominantes, doit �tre bris� ; mais avec la domination britannique doit dispara�tre toute domination de classe.

On remarque d'ores et d�j� parmi les masses une certaine effervescence et un grand esprit de r�volte ; il n'y manque qu'une direction consciente pour l'acheminer dans la voie qui convient. Le mouvement nationaliste n'a pas atteint son but par suite de son id�ologie bourgeoise. Le mouvement r�volutionnaire aux Indes doit prendre une nouvelle direction, il doit s'appuyer sur un principe solide : l'int�r�t de classe.

En comparaison avec la population rurale, le prol�tariat industriel n'est pas nombreux aux Indes. Les proc�d�s sans vergogne du gouvernement britannique ont d�truit presque totalement l'industrie rurale du pays ; d'autre part les obstacles qu'il oppose sans cesse � toute tentative d'introduction de l'outillage industriel contemporain ont fait qu'aux Indes il n'existe presque pas de prol�tariat urbain. Certaines branches d'industrie ne s'en sont pas moins d�velopp�es pendant les vingt derni�res ann�es, de sorte que l'on compte dans certains arrondissements pr�s de 5 000 000 d'ouvriers. Ces ouvriers se r�partissent comme suit :

Plus de 100 000 sont occup�s dans les filatures de coton et les fabriques de tissus des rayons m�ridionaux, travaillant presque exclusivement avec les capitaux locaux. 700 000 travaillent dans les plantations de th� ; ils cultivent, pr�parent et empaquettent le th�. De nombreuses plantations emploient de 15 � 20 mille ouvriers. Plus de 5 000 ouvriers sont occup�s dans les fabriques de grosse corde du Bengale (environs de Calcutta) ; 200 000 sont employ�s aux chemins de fer, dans les ateliers, et pr�s de la moiti� de ce chiffre sur les voies. (Les chemins de fer sont tous aux mains des Anglais). Plus de 200 000 personnes travaillent dans les houill�res, appartenant soit � des indig�nes, soit � des �trangers. Pr�s de 50 000 personnes sont employ�es aux chemins de fer des cinq villes les plus importantes du pays. Plus de 50 000 personnes sont occup�es dans les papeteries, imprimeries et ateliers de reliure. 50 000 travaillent d'ans la m�tallurgie et 55 000 dans les fabriques d'armes et munitions du gouvernement. Les autres ouvriers sont �parpill�s un peu partout dans le pays. Au prol�tariat appartiennent �galement les millions de travailleurs ruraux qui ne poss�dent absolument aucune propri�t� et qui subsistent exclusivement, dans les provinces enti�res (qu'ils peuplent et qui ont une population de 20 000 000 h. et plus) de leur labeur salari� dans les fermes colossales appartenant au gouvernement. Les masses y labourent la terre et souffrent de la faim, tandis que les richesses produites par leur travail sont export�es ; de m�me, une �norme quantit� de semences s'en va � l'�tranger alors que la famine la plus terrible s�vit dans le pays Comme en t�moignent ces donn�es, le chiffre des ouvriers qui pourraient former un parti r�volutionnaire est suffisamment important.

L'id�e de l'organisation des masses dans le sens contemporain du mot, est relativement peu r�pandue aux Indes. La premi�re organisation ouvri�re a �t� cr��e dans le pays il y a trois ans par les ouvriers des tramways de Madras, qui se sont organis�s en syndicat.

Depuis, les syndicats ont commenc� � se r�pandre rapidement, en d�pit de l'attitude malveillante et tracassi�re du gouvernement et du refus des entrepreneurs de les reconna�tre. Ainsi, le type d'organisation ouvri�re le plus inoffensif est encore consid�r� dans l'Inde anglaise comme subversif.

* * *

Le d�veloppement du mouvement gr�viste aux Indes m�rite une �tude. La premi�re gr�ve importante eut lieu en 1906 ; les ouvriers et employ�s du chemin de fer de l'Est demandaient une augmentation du salaire. Le gouvernement prit imm�diatement les mesures les plus rigoureuses ; les meneurs furent arr�t�s et la gr�ve �choua lamentablement. Plusieurs centaines d'hommes, appartenant � la caste sacerdotale, qui avaient pris une part active � l'organisation de la gr�ve, furent r�voqu�s � ce qui les fit se joindre aux r�volutionnaires. Par la suite, plusieurs autres gr�ves importantes se produisirent sans effet sur la situation g�n�rale. L'existence des sans-travail et des masses affam�es rend impossible une gr�ve d'ouvriers qualifi�s, d'autant plus que l'industrie n�cessitant le travail qualifi� sur une vaste �chelle est fort peu d�velopp�e.

La hausse incessante des prix des produits de premi�re n�cessit� pendant la guerre a provoqu� parmi les ouvriers une vive fermentation. Les gr�ves se poursuivent dans tout le pays. Depuis trois ann�es, le sentiment de solidarit� s'est d�velopp� parmi le prol�tariat des Indes au point que la gr�ve des ouvriers des filatures qui a �clat� � Ahmedabad, a pris, dans l'espace de plusieurs journ�es, des proportions colossales et rev�tu un caract�re manifestement politique, jusqu'� se transformer � la fin en un soul�vement contre le gouvernement. Les ouvriers des chemins de fer entravaient le d�placement de l'arm�e. On faisait sauter les voies, on arr�tait les trains militaires, tandis que les stations �taient occup�es par les gr�vistes en r�volte. M�me les �piciers et les petits commer�ants prenaient part � la gr�ve.

Le soul�vement a �t� �touff�, mais le prol�tariat a compris pour la premi�re fois la signification d'une organisation de masses.

Des nationalistes-r�volutionnaires vivant soit aux Indes, soit � l'�tranger, et qui avaient aspir� de la fa�on la plus sinc�re � la libert� et au bien-�tre du peuple, se sont aujourd'hui persuad�s que la r�volution prol�tarienne est la seule voie conduisant � leur but sacr�. Un certain nombre des vieux leaders nationalistes participent activement au mouvement ouvrier et luttent pour l'affranchissement �conomique des masses laborieuses ; ils consacrent notamment leurs efforts � l'organisation syndicale.

* * *

Les m�thodes de r�alisation d'une r�volution prol�tarienne aux Indes ne sont pas encore bien d�finies. La plupart des r�volutionnaires de ce pays ne sont pas encore pr�ts � devenir les organisateurs et les directeurs d'une r�volution socialiste. Les connaissances th�oriques leur manquent encore aussi bien que l'exp�rience organisatrice. Mais les masses se r�veillent : les conditions �conomiques les ont forc�es � s'insurger contre le pouvoir. En tout premier lieu, il y a � cr�er un parti disciplin�, centralis� et v�ritablement r�volutionnaire qui mobilisera toutes les forces du prol�tariat et de la masse paysanne non propri�taire et qui entretiendra un contact �troit et syst�matique avec elles.

Il existe aux Indes de nombreux �l�ments capables de se grouper autour du drapeau d'un semblable parti. De nombreux nationalistes r�volutionnaires qui d�sirent sinc�rement l'affranchissement du peuple, adh�reront volontiers au Parti Communiste r�volutionnaire prol�tarien et paysan. Mais il ont besoin de chefs, et il leur faut un appui moral et financier.

Le prol�tariat indien vit tr�s pauvrement. Les conditions de son travail sont des plus p�nibles. La fourn�e de travail dans les fabriques et les usines est de 10 � 11 heures en moyenne, les salaires sont tr�s bas. Les ouvriers vivent souvent � une distance de 6 � 8 milles de leurs entreprises, distance qu'il sont oblig�s de faire � pied deux fois par jour, les chemins de fer et tramways n'existent presque pas. Les ouvriers habitant les villes logent par groupes de 15 � 20 personnes dans de petites pi�ces sales, sans lumi�re et sans air. La situation des journaliers agricoles est peut-�tre plus mauvaise encore. Leur salaire est inf�rieur � celui des ouvriers industriels. Ils travaillent au moins 12 heures par jour dans les conditions climatiques et sanitaires terribles, et ne peuvent m�me pas manger � leur faim. Tout comme le b�tail, ils sont vendus par centaines et par milliers, en vertu d'un contrat impos�, aux plantations de th� et aux exploitations de caoutchouc de la presqu'�le de Malacca ou des colonies anglaises. Ces lev�es d'esclaves donnent parfois lieu � des soul�vements. La traite l�galis�e est le monopole du gouvernement, qui maintient cet �tat de choses par la force des armes. Les soldats de l'arm�e indig�ne se recrutent parmi les mis�rables, accul�s par la faim � cet odieux mercenariat. Les soldats indig�nes adh�reront certainement au parti qui aura pour devise : � Toute la terre aux travailleurs ï¿½.

Le Pendjab, o� est concentr�e � l'Heure actuelle la majeure partie des troupes indig�nes sera tr�s propice au d�veloppement des id�es r�volutionnaires du nouveau parti. Il en sera de m�me, � plus forte raison, gr�ce � un contact plus grand avec le monde ext�rieur, de la population de cette province qui est politiquement plus d�velopp�e et se distingue par son esprit r�volutionnaire. Quand ces masses auront pris conscience de leurs int�r�ts de classe, elles formeront un noyau solide de l'arm�e prol�tarienne et des forces r�volutionnaires des Indes.

Le Parti Communiste prol�tarien, qui entreprendra une lutte syst�matique contre la politique du nationalisme; bourgeois et qui conduira les masses populaires vers l'affranchissement social et �conomique, groupera autour de son drapeau toutes les classes opprim�es du malheureux pays.

Note

1 La traduction parue dans le Bulletin communiste parle de masses � hindoues �, terme vieilli et incorrect que la MIA a remplac� par � indien ï¿½ dans ce texte, o� le sens du terme n'est clairement pas religieux.


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