Source : Semachko [1]; Lénine tel qu’il fut ; Souvenirs de contemporains Tome II, Moscou, Éditions en Langues Étrangères, 1959, pp. 835-844. Notes MIA.


Lénine et la Santé publique en 1921

N. A. Semachko


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En sa qualité de président du Conseil du travail et de la défense [2] et du Conseil des Commissaires du Peuple, Lénine s’intéressait à la protection de la santé de la population. En 1921, il prêtait une attention particulière aux besoins médicaux et sanitaires du front. À l’époque, la médecine militaire et civile étant réunie au sein du Commissariat du peuple de la Santé publique, j’eus plus d’une fois l’occasion de m’entretenir avec Vladimir Ilitch sur ce sujet, au cours de réunions officielles ou de réceptions privées.

Lénine comprenait parfaitement l’importance de la Santé publique pour la défense du pays et le travail pacifique. Tout le monde connaît sa phrase célèbre, prononcée au VIIe Congrès des Soviets : « Ou bien les poux triompheront du socialisme, ou bien le socialisme triomphera des poux ! »

L’état sanitaire du pays des Soviets était alors déplorable. En Sibérie, les blancs battaient en retraite ; un télégramme arriva d’Omsk : les blancs ont laissé des remises pleines de cadavres de typhiques ; toute la population des environs est contaminée ; le mal gagne les troupes de l’Armée rouge. Kharkov expulsa les blancs. Aussitôt, le camarade Chtcherbakov [3], Chef du service de santé, télégraphia : les blancs ont laissé une terrible épidémie qui décime la population ; le typhus se propage dans l’Armée rouge. Ainsi, sur tous les fronts, l’affreux héritage des blancs risquait de saper la puissance défensive de l’État soviétique et son œuvre d’édification.

Lénine suivait anxieusement les péripéties de notre lutte contre le typhus ; il m’écoutait d’une oreille attentive aux audiences, demandait des rapports aux réunions du Conseil du travail et de la défense et du Conseil des Commissaires du Peuple ; il réprimandait sévèrement les négligents et accordait son appui énergique dans les cas difficiles.

Je me plaignis une fois à Lénine des désordres observés dans la marche des trains destinés à porter secours au front Sud et à l’Ukraine :

« Le convoi n° 17009, écrivais-je, ayant à sa tête la Commission médicale extraordinaire présidée par le camarade Veisbrod [4], qui fut expédié vers le front Sud et en Ukraine pour la lutte contre le typhus, avance très lentement. Il n’a fait que 115 verstes [5] en trois jours. On ne sait pas qui a donné l’ordre de transformer ce convoi express et indépendant en train de marchandises mixte, qui stationne longuement en gares, dans l’attente qu’on lui ajoute d’autres wagons.

Dans ces conditions, les secours envoyés au front Sud et aux régions libérées des blancs peuvent arriver trop tard. Je vous prie :

l. de prendre les dispositions nécessaires pour faire avancer le convoi,
2. de lui accorder une attention particulière,
3. de mener une enquête sur les causes du retard et de traduire les coupables devant le tribunal révolutionnaire.

N. Sémachko, Commissaire du peuple à la Santé publique »

Lénine donna au secrétaire du Conseil des Commissaires du Peuple l’ordre suivant : « 18/I. Je vous prie de téléphoner à Markov que je soutiens énergiquement la demande de Sémachko. Lénine. »

Le convoi reprit sa marche rapide.

Sur l’ordre de Lénine, le Commissariat du peuple de la Santé publique envoyait au Conseil du travail et de la défense des rapports mensuels sur la lutte contre les épidémies aux fronts. Il nous enjoignait de vérifier minutieusement chaque phrase, chaque chiffre avant de les insérer dans les rapports. La lutte contre les épidémies aux fronts se poursuivit avec un succès variable, jusqu’à la défaite et l’expulsion définitive des blancs. Ensuite, cette lutte devint plus efficace. Le 26 août 1921, dans un rapport adressé à Lénine, au Conseil du travail et de la défense, sur l’évolution de l’épidémie dans l’armée, du 25 juin au 25 juillet, le Commissaire du peuple à la Santé publique pouvait déjà annoncer : « La dernière vague d’épidémie (automne et hiver) du typhus exanthématique a atteint son chiffre maximum en décembre de l’année passée : 25,7 % des effectifs de l’Armée rouge. Puis on constate une baisse progressive : de 22,2 % en janvier, 19,0 % en février et 14,2 % en mars, à 7,3 % en avril, 3,5 % en mai et 1,7 % en juin ; cette dernière proportion, comme d’ailleurs celle de juillet, a été calculée d’après les effectifs de l’Armée rouge en mai. »

Cependant, Lénine ne permettait pas de relâcher la vigilance, il exigeait au contraire une opiniâtreté, une persévérance encore plus grandes. En octobre 1921, la situation devint critique dans la région militaire du Caucase du Nord. Une décision du Conseil du travail et de la défense, signée par le camarade Lénine, enjoignit au Commissariat du peuple de la Santé publique d’organiser un réseau de postes de secours médical dans les centres de répartition et aux étapes de la région militaire du Caucase du Nord, qui ne relevaient pas des services de santé militaires, mais des services sanitaires civils, et de pourvoir tous ces points en vivres, combustible, locomotives et wagons.

Les hostilités prenaient fin. La population civile, épuisée par la guerre, le blocus, la famine, avait grand besoin de secours médical. On pouvait affecter une partie des ressources de l’armée à la population civile, sans nuire à la défense. D’autant plus que la médecine militaire et civile dépendait du Commissariat du peuple de la Santé publique, organisme souple, capable de s’adapter rapidement aux exigences nouvelles.

Le 15 juin 1921, le Conseil du travail et de la défense adopta la résolution suivante :

« Afin de mieux assurer à l’Armée rouge le personnel médical et le matériel sanitaire en cas d’une reprise éventuelle des opérations militaires, le Conseil du travail et de la défense ordonne :

1. D’entretenir dans l’Armée rouge, en temps de paix, l00 % du personnel médical.

2. De conserver, dans les magasins de la Direction centrale du service de santé de l’armée, une réserve intangible de matériel sanitaire pour 140 000 lits, dont 40 000 pour 100 trains sanitaires et 100 000 pour 500 hôpitaux de campagne, de 200 lits chacun.

3. Remettre au Commissariat du peuple de la Santé publique, pour les besoins de la population civile, 50 000 lits, prélevés sur le nombre total des lits du service de santé de l’armée ; et ceci, aux conditions suivantes : par hôpitaux entiers, sans les morceler, sans modifier les cadres ni les déplacer, car ils sont considérés comme une réserve active en prévision d’une reprise des hostilités » [*].

Comme on voit, la question fut résolue judicieusement : la population civile bénéficia d’un secours médical beaucoup plus considérable (50 000 lits). En même temps, le personnel médical de l’Armée rouge, l’immense réserve de 140 000 lits, l’interdiction de morceler les hôpitaux mis a la disposition de la population civile, pourvoyaient entièrement aux besoins de la défense « en cas d’une reprise éventuelle des hostilités ».

A l’époque, j’inspectais souvent les services sanitaires des fronts. Lénine me donnait chaque fois un mandat portant sa signature, qui me donnait les pouvoirs les plus étendus (ces mandats se sont conservés jusqu’à nos jours à l’Institut Marx-Engels-Lénine). Je me souviens d’avoir trouvé un grand désordre dans les services de secours aux soldats rouges à la gare de Liski : malades et blessés restaient là presque sans nourriture ni soins, on tardait à les évacuer ; les services de secours étaient dans un état abominable. A mon retour, je le racontai avec indignation à Vladimir Ilitch. Il entra dans une grande colère. Les responsables furent sévèrement punis. Bon nombre de saboteurs payèrent de leur vie leur attitude odieuse envers les défenseurs de l’État soviétique.

Les questions de médecine civile étaient ordinairement examinées au Conseil des Commissaires du Peuple. C’est là également que Vladimir Ilitch accordait toute son attention à la lutte contre les épidémies. En automne 1921, la peste se déclara sur le littoral de la mer Noire. Les autorités locales s’en tenaient généralement a des dispositions purement administratives (quarantaine, postes de milice placés devant les maisons contaminées, etc.), et ne prenaient aucune mesure d’ordre médical (isolement des malades, désinfection, dératisation). J’en fis plus d’une fois le rapport à Vladimir Ilitch. Son intervention énergique (notamment une décision spéciale du Conseil du travail et de la défense datée du 30 novembre 1921 sur le financement urgent des mesures à prendre contre la peste) permit de liquider l’épidémie en quelques mois.

À chacune de mes visites à Lénine, je recevais des indications précieuses. Il comprenait fort bien que sans culture, sans un effort consenti par la population elle-même, il était très difficile de combattre les maladies épidémiques (il approuva vivement le mot d’ordre que j’avais lancé : « La protection de la santé des travailleurs incombe aux travailleurs eux-mêmes. »). Il ne se lassait pas de recommander la lutte méthodique pour l’hygiène, contre les poux. Avec le camarade Bontch-Brouévitch [6] et moi, il inspectait les postes sanitaires aménagés dans toutes les grandes gares de la capitale, et destinés à faire passer tous les arrivants par les bains-étuves, les chambres de désinfection et les blanchisseries. Pendant ces visites, Lénine donnait des instructions précieuses. C’est ainsi qu’il me suggéra d’organiser dans les fabriques et les usines, des comités de lutte pour la propreté. « Mobilisez le plus grand nombre possible d’ouvrières », me dit-il. Une autre fois, il me conseilla de faire appel aux komsomols [7] : « Une jeunesse énergique se répandra dans les cours et les maisons, et vous verrez la propreté qu’elle saura y créer. »

Au début de l’été 1921, il y eut à Moscou plusieurs cas de choléra. Sachant parfaitement qu’il fallait étouffer les foyers épidémiques (et surtout ceux du choléra) dès le début, avant qu’il ne soit trop tard, je donnai aussitôt l’alarme. Les organismes municipaux étaient durs à la détente et ne secondaient en rien la section de Moscou de la Santé publique. Les institutions centrales (le Commissariat du peuple des Finances, le Commissariat du peuple du Ravitaillement) n’étaient guère plus actives. Je m’adressai alors à Lénine. Sur sa demande, la question de cette épidémie fut portée à l’ordre du jour d’une séance du Conseil du travail et de la défense le 15 juin 1921.

La décision prise par le Conseil à ce sujet est un modèle de lutte efficace contre les épidémies. Le Conseil assigna dans ce but des fonds considérables (un milliard de roubles en valeurs de l’époque). Le Commissariat du peuple du Ravitaillement eut l’ordre d’assurer l’alimentation des 8000 ouvriers préposés aux nettoyages, à la canalisation, à la vidange ; des produits diététiques furent délivrés aux malades ; des moyens de transport, automobiles et voitures à chevaux, furent mis à la disposition des services de voirie ; on mit sur pied un nouveau réseau d’hôpitaux anti-épidémiques ; tous les établissements médicaux furent équipés en linge et en matériel, etc.

Bien entendu, chaque paragraphe de la décision fut adopté non sans résistance de la part des organismes intéressés, car on manquait partout de ressources financières, de vivres et de matériel. Mais une directive de Lénine permit de surmonter les obstacles, la lutte anti-épidémique, menée à bonne fin, eut raison du choléra.

Lénine, qui ne ménageait pas les ressources pour financer cette œuvre, exigeait formellement que chaque kopeck fût dépensé à sa destination. La lettre ci-dessous, qu’il m’adressa, souligne ce souci :

« Camarade Sémachko !

Après avoir signé aujourd’hui la décision du Petit Conseil [8] des Commissaires du Peuple sur les 2 milliards (je crois que c’est bien ça ? Je ne me souviens pas exactement de la somme [**]) assignés au nettoyage de Moscou, et après avoir lu le « Règlement » du Commissariat du peuple de la Santé publique sur la semaine consacrée à l’assainissement des habitations (Izvestia du 12 juillet), je constate que mes soupçons [quant à l’organisation déplorable de toute cette entreprise] se confirment. On prendra ces milliards, on les dilapidera et l’on ne fera rien.

A Moscou il faut obtenir une propreté exemplaire (ou du moins, pour commencer, une propreté passable), car on a peine à imaginer quelque chose de plus rebutant que la saleté « soviétique » dans les « meilleures » maisons soviétiques. Qu’est-ce que cela doit être dans les autres ?

Je vous prie de m’envoyer un rapport, aussi bref que possible, mais précis, concret, réel, sur les résultats de la semaine d’assainissement. Y a-t-il au moins une province ou l’on ait fait quelque chose de bien ?

Ensuite, que fait-on (et qu’a-t-on fait ?) à Moscou ? Qui répond du travail ? Seulement les « bureaucrates » affublés d’un titre soviétique ronflant, qui ne comprennent rien de rien et qui ne savent que signer les papiers ? Ou bien y a-t-il de vrais dirigeants ? Lesquels ? Le principal est d’établir une responsabilité personnelle.

Qu’a-t-on fait pour cela ? Qui est chargé de faire le contrôle ? Des inspecteurs ? Quel est leur nombre ? Qui sont-ils ? Y a-t-il des détachements de jeunes (Komsomol) ? Combien ? Où et comment ont-ils fait leurs preuves ? Quels sont les autres moyens de contrôle effectif ? Dépense-t-on l’argent à l’achat de l’indispensable (phénol ? instruments de nettoyage ? combien en a-t-on acheté ?) ou à l’entretien de nouveaux « bureaucrates » qui ne font rien ?

V. Oulianov (Lénine), président du Conseil des Commissaires du Peuple. »

Cette lettre montre on ne peut mieux à quel point Lénine insistait sur le contrôle de l’exécution. (« Le contrôle de l’exécution est le pivot de tout notre travail, de toute notre politique », disait-il.)

Lénine s’intéressait particulièrement aux stations de cure. Il comprenait qu’elles avaient une importance non seulement médicale, mais politique. En effet, c’était la première fois dans l’histoire mondiale que des ouvriers, des travailleurs, pouvaient suivre un traitement dans les villas d’anciens richards.

Les paysans pauvres se soignaient dans l’ancien palais du tsar. Lénine portait le plus grand intérêt à la Crimée, dont son frère Dmitri Ilitch [9], qui était alors inspecteur du Commissariat du peuple de la Santé publique pour les stations de cure de cette région, lui avait vanté les charmes dans ses lettres. Aussitôt que Wrangel [10] fut repoussé dans la mer Noire, je me rendis en Crimée, d’accord avec Vladimir Ilitch, pour m’occuper des stations de cure, sauver le matériel (palais, ameublement) de la dilapidation et organiser le traitement. Bravant mille dangers (les montagnes de Crimée étaient alors infestées de blancs et de toutes sortes de bandits), je remplis ma mission. La vue de toutes ces richesses m’émerveilla.

De retour à Moscou, j’en fis à Lénine une description enthousiaste. Il m’écouta attentivement et me dit : « Rédigez un projet de décret du Conseil des Commissaires du Peuple, mais un décret politique où chaque phrase porte. » J’ébauchai le projet en une nuit et le montrai à Lénine le lendemain. En voici le premier alinéa : « La libération de la Crimée par l’Armée rouge qui a brisé la domination de Wrangel et des gardes blancs, offre la possibilité d’utiliser le climat salubre du littoral pour soigner les ouvriers, les paysans, les travailleurs de toutes les républiques soviétiques qui retrouveront leurs forces dans les sanatoriums et les stations de cure, qui furent autrefois le privilège de la grande bourgeoisie. Les superbes Villas et hôtels particuliers dont jouissaient les grands propriétaires fonciers et les capitalistes, les palais des anciens tsars et des princes doivent être transformés en sanatoriums et en maisons de cure pour les ouvriers et les paysans. »

Vladimir Ilitch approuva le projet, mais proposa d’ajouter que les stations de cure de Crimée devaient être également mises à la disposition des révolutionnaires des autres pays, blessés ou tombés malades dans la lutte contre le capitalisme. Je faillis objecter : « Il faudrait attendre que les stations de cure soient mises sur pied… » Mais Lénine déclara catégoriquement : « C’est d’une grande portée politique. » Et il ajouta sur le brouillon du décret : « ainsi que pour les ouvriers des autres pays, envoyés par le Conseil international des syndicats » (décret du 21 décembre 1920).

Cette fois, comme toujours, Vladimir Ilitch avait raison. Les stations de cure de Crimée donnèrent bientôt asile aux révolutionnaires étrangers. En 1924, comme je procédais à une vérification, je vis que les révolutionnaires de huit pays dont l’Inde se soignaient alors en Crimée.

Dès le début, Lénine s’intéressa constamment à l’organisation des stations de cure. Il soutenait les bonnes idées et ne pardonnait pas les négligences. Un jour, un malade atteint de tuberculose des os, porta plainte à propos du désordre qui régnait dans les stations de cure (cette catégorie de malades est la plus difficile : ils se soignent durant des années, changent souvent de sanatorium et excédent le personnel médical par leur nervosité et leurs caprices). Vladimir Ilitch m’écrivit alors cette lettre sévère :

« Camarade Sémachko, je reçois de plus en plus de plaintes sur l’état déplorable où se trouvent nos stations de cure de Crimée et du Caucase : concussion, privilèges accordés aux bourgeois, attitude odieuse à l’égard des ouvriers, et, surtout désordre absolu dans le traitement des malades, et, le plus grave, ravitaillement défectueux au possible.

Je vous prie de me fournir sans retard les renseignements précis dont vous disposez. Le plus de détails possible sur les moyens de contrôle : combien de stations de cure (par rapport au nombre total) présentent les comptes rendus réglementaires (vivres disponibles pour tel nombre de malades, combien de malades pour tel nombre de personnel médical, etc.), nombre des baignoires (pour soins de boue), etc.

V. Oulianov (Lénine), président du Conseil des Commissaires du Peuple. »

Je répondis que les indications du malade sur les défauts des stations de cure étaient certainement exagérées : il était vrai que les stations étaient insuffisamment ravitaillées, mais on n’y observait ni dilapidation, ni concussion, ni privilèges accordés à la bourgeoisie, ni désordres dans le traitement des malades, ni autres défauts analogues ; une enquête venait d’être faite par une commission spéciale, avec la participation de délégués du Comité central et de la Commission centrale de contrôle, qui n’avait constaté aucun abus de ce genre. Sans avoir réussi à dissiper entièrement les doutes de Vladimir Ilitch, je le rassurai toutefois quelque peu.

De tout temps, Vladimir Ilitch ne cessa de se préoccuper des enfants. À la fin de 1921, il y eut des complications avec les locaux affectés aux établissements pour enfants, qui relevaient du Commissariat du peuple de l’Instruction publique et du Commissariat du peuple de la Santé publique. Aussitôt après la révolution, nous avions mis les hôtels particuliers, les meilleures villas et les palais à la disposition des établissements pour enfants ; dans les fabriques et les usines, les enfants disposaient des appartements et des maisons qui avaient appartenu aux directeurs et aux ingénieurs. Mais vu l’état de guerre et les circonstances de l’époque, dans certaines localités on relégua les établissements pour enfants dans les locaux plus exigus ou on les expulsa tout simplement. Nous adressâmes à Vladimir Ilitch, au Conseil des Commissaires du Peuple, la demande de nous venir en aide.

Le 13 mai 1921, le Conseil des Commissaires du Peuple publia sous la signature de Lénine un décret qui consolida les conditions locatives des établissements pour enfants. Ce décret stipulait que l’expulsion des établissements pour enfants relevant du Commissariat du peuple de la Santé publique n’était tolérée que dans les cas exceptionnels, lorsque la région se trouvait à proximité immédiate du théâtre des opérations militaires. Il était interdit de tasser les établissements pour enfants, s’ils occupaient des locaux correspondant aux normes établies par le Commissariat du peuple de l’Instruction publique et par le Commissariat du peuple de la Santé publique. Au contraire, les comités exécutifs de province étaient tenus de mettre à la disposition de ces établissements « les meilleurs immeubles des villes, des localités et des anciens domaines seigneuriaux ». Ces immeubles devaient être évacués à bref délai et remis au Commissariat du peuple de l’Instruction publique et au Commissariat du peuple de la Santé publique pour les besoins des enfants. Les organismes administratifs étaient sommés d’effectuer rapidement la réparation de ces immeubles.

« Les comités exécutifs de province, était-il dit notamment, sont tenus, dans un délai d’un mois à partir de la publication du présent décret, de présenter respectivement au Commissariat du peuple de l’Instruction publique et au Commissariat du peuple de la Santé publique des rapports sur les mesures prises en vue d’appliquer ce décret ; le Commissariat du peuple de l’Instruction publique et le Commissariat du peuple de la Santé publique sont tenus de présenter, dans le même délai, un rapport au Conseil des Commissaires du Peuple. Les personnes reconnues coupables de l’inexécution de ce décret en répondront devant la loi. »

Inutile de dire qu’il en résulta un revirement dans l’extension du réseau des établissements pour enfants.

En 1921, le Conseil des Commissaires du Peuple régla nombre de problèmes relatifs à la protection de la santé, en particulier celui de la structure du commissariat du peuple de la Santé publique. On vit renaître la tendance à morceler les services médicaux, à répartir les services de la Santé publique entre divers départements (« à la dilapider », comme je m’exprimai alors). Il fallut de nouveau lutter activement contre cette tendance. Et de nouveau, Vladimir Ilitch nous soutint, et l’unité de la médecine soviétique triompha.

Telle fut l’attitude de Vladimir Ilitch Lénine comme président du Conseil des Commissaires du Peuple et du Conseil du travail et de la défense, à l’égard des questions de la Santé publique.


Notes

[1] Sémachko, Nikolaï Alexandrovitch (1874-1949), médecin, adhère au mouvement social-démocrate dès 1893. Arrêté pour sa participation à la révolution à Nijni-Novgorod en 1905, émigre en 1906 à Genève, puis à Paris, où il se lie à Lénine. Secrétaire et trésorier du bureau du CC du parti bolchevique à l’étranger. Après la révolution d’Octobre, dirige les services de santé du Soviet de Moscou, puis Commissaire du peuple à la Santé publique (1918-1930), spécialiste de l’hygiène sociale. En 1924, après la mort de Lénine, il lance dans les « Izvestias » un appel à tous ceux qui connurent Lénine pour qu’ils communiquent leurs souvenirs. Membre du présidium du Comité exécutif de l’URSS (1931). Membre de l’Académie de médecine et de l’Académie des sciences pédagogiques de l’URSS. Directeur de plusieurs instituts médicaux de recherche scientifique (1945-1949).

[2] Le Conseil de Défense Ouvrière et Paysanne a été constitué par décision du Comité exécutif central des soviets le 30 novembre 1918 et Lénine en fut désigné président. Il s’agissait d’un organe extraordinaire de l’État soviétique né de la situation de crise consécutive à la Guerre civile, à l’intervention étrangère, à la désorganisation de l’économie et à la famine. Ce Conseil avait les pleins pouvoirs afin de mobiliser et concentrer toutes les forces nécessaires pour répondre à ces défis. Les décisions du Conseil avaient force de loi pour tous les organismes et institutions soviétiques centrales et locales. Le Comité militaire révolutionnaire de la République et toutes les institutions militaires étaient soumises à son contrôle. En avril 1920, avec la fin de la guerre civile, le Conseil a été réorganisé et rebaptisé Conseil du Travail et de la Défense. En décembre 1920, par décision du VIIIe Congrès des soviets, le Conseil a été réorganisé comme une commission du Conseil des Commissaires du peuple destinée à coordonner le travail de tous les départements concernés par l’organisation de l’économie.

[3] Chtcherbakov, Alexandre Sergueïevitch (1901-1945), membre du Parti bolchevique en 1918, responsable du Komsomol au Turkestan (1918-1922), étudie à l’Université Sverdlov. Occupe de multiples fonctions dans l’appareil administratif. Premier secrétaire de la nouvelle Union des écrivains soviétiques (1934), Premier secrétaire du Parti à Moscou (1938), élu au Comité central (1939). Pendant la Seconde guerre mondiale, Chef de la Direction politique de l’armée rouge avec grade de colonel-général (1943), puis directeur du Bureau d’Information soviétique (Sovinformburo).

[4] Veisbrod, Vassili Vassiliévitch (1874-1942), chirurgien, devient bolchevique en 1904. Dirige en 1917 le Service de santé publique du Soviet de Zamoskvorétchié et commissaire des établissements médicaux. Président de la Commission extraordinaire pour la lutte contre les épidémies au Turkestan et sur le Front Sud-Ouest (1919-1920). Médecin-chef de l’Hôpital n°2 de Moscou à partir de 1922. Soigna Lénine pendant sa maladie.

[5] Mesure de longueur : une verste équivaut à 1066 mètres.

[6] Bontch-Brouévitch, Vladimir Dmitrievitch (1873-1955), historien et ethnographe (spécialiste des sectes religieuses). Social-démocrate depuis 1892, bolchevique et en exil à Genève depuis 1903, participe à la rédaction de divers journaux du parti. Après la révolution d’Octobre, Chef administratif des services du Conseil des commissaires du peuple (1917-1920). Rédacteur en chef de la Maison d’éditions Science et Vie, fondateur et directeur du Musée littéraire d’État, à Moscou, directeur du Musée de la religion et de l’athéisme de l’Académie des Sciences de l’URSS à Leningrad.

[7] Komsomol : « Union Communiste de la Jeunesse », organisation de jeunesse du Parti communiste fondée le 29 octobre 1918. Rebaptisée en 1924 « Union des jeunesses léninistes communistes » en hommage à Lénine.

[8] Institué le 30 décembre 1918, le « Petit Conseil » était officiellement une « commission » dépendant du Conseil des Commissaires du peuple. Elle était destinée à décharger l’ordre du jour de ce dernier en réglant, à ses débuts, les questions « secondaires » (surtout financières), mais ses compétences décisionnelles furent peu à peu élargies. Sa composition et sa présidence furent très variables.

[9] Oulianov, Dmitri Ilitch (1874-1943), médecin, frère de Lénine. Adhère à la social-démocratie en 1895, arrêté plusieurs fois. Agent de l' « Iskra » en 1900, bolchevique à partir de 1903, milite à Toula, Kiev et Simbirsk. Médecin militaire pendant la Guerre mondiale. Participe à la Révolution d’Octobre en Crimée. Membre du Comité du Parti et du Comité militaire révolutionnaire d’Eupatoria (1919), puis membre du Comité régional du Parti et Vice-Président du Conseil des Commissaires du peuple de Crimée (1920-1921). Occupe plusieurs postes au Commissariat à la Santé publique (1921-1925), puis mena un travail scientifique médical à l’Université Sverdlov et fut affecté au Service médical du Kremlin.

[10] Wrangel, Piotr Nikolaïévitch (1878-1928), Baron, lieutenant-général de la garde blanche, monarchiste, dirigeant de la contre-révolution dans le sud de la Russie soutenu par les puissances de l’Entente. S’enfuit à l’étranger en novembre 1920 après la défaite de ses troupes en Crimée par l’Armée rouge.

[*] Dès l’organisation du Commissariat du peuple de la Santé publique. Lénine, on le sait, se prononça pour un service médical et de santé unique. C’est sur ses instances qu’on remit les fonds médicaux qui relevaient du Commissariat du peuple du Travail au Commissariat du peuple de la Santé publique, et que l’on confia la protection de la maternité et de l’enfance, qui relevait du Commissariat du peuple des Assurances sociales, au Commissariat du peuple de la Santé publique. Lénine était pour l’incorporation de la médecine militaire au Commissariat du peuple de la Santé publique ; on peut dire que sans son appui, il est peu probable que cette dernière mesure eût été appliquée, tant elle avait d’adversaires au début. (N.S.)

[**] Comme nous l’avons vu, il s’agissait d’un milliard de roubles. (N.S.)


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