1924 |
"La pensée de Lénine est action. Ses articles sont dictés par la nécessité quotidienne de l'action, s'identifient à elle, la précèdent, la stimulent, la justifient." |
Il faudrait pouvoir suivre, en même temps que les développements de la pensée de Lénine, ceux des événements. Mais c'est chose impossible. Force me sera de noter seulement, dans la grande bourrasque, quelques faits, quelques dates, servant de points de repère. Du 22 au 27 février, la rue de Pétrograd balaie l'autocratie. Le 27 février, le Soviet de Pétrograd se constitue. Nicolas II abdique le 2 mars en faveur du grand-duc Michel , qui abdique à son tour le 3. Le 14 mars, le Soviet de Pétrograd lance son appel aux peuples, pour une paix démocratique. Le 18 avril, M. Milioukov , ministre des Affaires Etrangères du gouvernement Lvof , adresse une note aux puissances, Le gouvernement russe reste fidèle aux traités, c'est-à-dire à l'impérialisme, tout en souhaitant une paix démocratique. « La Russie fera la guerre jusqu'à la victoire totale, » L'hypocrite formule n'est que trop claire. (« Les conditions de la paix ne peuvent être arrêtées qu'en plein accord avec nos alliés... On ne peut pas ignorer les principes reconnus par tous les alliés, de la reconstitution de la Pologne, de l'Arménie et de la satisfaction des revendications nationales des Slaves d'Autriche... » Déclaration de Milioukov, à Moscou, 10-23 avril.)
Dans la Pravda du 13, Lénine répond à ces nettes paroles de l'homme d'Etat bourgeois pat un appel aux soldats :
Camarades soldats ! Déclarez que cous ne voulez pas mourir pour les traités secrets signés par Nicolas II et demeurés sacrés pour Milioukov !
Sur la guerre, les idées de Lénine sont bien claires depuis le premier jour. Dans cette conflagration mondiale, seule la petite Serbie pourrait invoquer à bon droit les nécessités de la défense nationale. Les grandes puissances belligérantes se battent pour un nouveau partage du monde, toutes impérialistes, elles sont toutes également responsables. Le devoir des révolutionnaires est de combattre chacun le gouvernement de son pays et de préparer la révolution qui peut résulter de la guerre. La révolution russe n'a rien à attendre ni de la bourgeoisie libérale lusse, ni des Etats alliés ; elle a tout à attendre des prolétaires du monde et en premier lieu de l'« ennemi », du pauvre bougre de soldat allemand ou autrichien avec lequel i! faut, autant que possible, fraterniser dans les tranchées...
Ces vérités évidentes, les bolcheviks sont les seuls à les exprimer sans cesse. Elles traduisent en formules lapidaires, elles élèvent à la conscience théorique, le sentiment impérieux et précis des masses, en premier lieu des masses de combattants. Ce qui les séduit au bolchévisme, c'est sa netteté, alors que le Soviet menchévik et socialiste-révolutionnaire adopte des formules équivoques, n'ose même pas désapprouver l'Emprunt de la Liberté, que l'Edinstvo de Plékhanov , la Gazette ouvrière , Terre et Liberté, La Volonté du Peuple, bref toute la presse de la « démocratie révolutionnaire », appuient...
La note de Milioukov aux Alliés (du 18 avril), provoque une crise immédiate. On peut dire que la première vague de la révolution d'octobre monte à ce moment, avec une force irrésistible, du fond de l'indignation populaire.
« Le gouvernement découvre son jeu », écrit Lénine, « Que Va faire le Soviet ? Ou le Soviet s'inclinera et Milioukov l'anéantira demain ; ou le Soviet entrera dans notre voie... » Pour la première fois, l'article de la Pravda se termine par ces mots :
« Ouvriers et soldats, dites-le maintenant bien haut : nous exigeons un pouvoir unique, celui des Soviets l » (20 avril).
Le 22, Lénine insiste : les gouvernements capitalistes ne peuvent pas ne pas vouloir d'annexions. « En dehors de la transmission du pouvoir à la classe révolutionnaire, pas d'issue. » Ce sont des jours graves. A Pétrograd et à Moscou, des foules ouvrières déferlent dans les rues. « Pétrograd bout. » On manifeste contre la guerre. On contre-manifeste. Sur les bannières dressées au-dessus d'une mer humaine, à la perspective Nevsky, on lit ces mots en lettres énormes : « Tout le pouvoir aux Soviets ! » Au coin de la Sadovaïa, des patriotes tirent sur les « antipatriotes ». Premiers coups de feu de la guerre civile. Pendant ce temps, le Soviet, toujours dirigé par les menchéviks, reçoit les explications du gouvernement — et s'en déclare satisfait... Par 34 voix contre 19, l'Exécutif du Soviet vote la confiance au gouvernement provisoire... « L'incident » est liquidé. Pauvres politiques, lamentables socialistes que ceux qui, dans les événements de ces jours, n'ont vu qu'un « incident » à liquider par un vote ! Heureusement qu'une voix, claire, celle-là, retentit à l'écart :
Ce n'est pas, constate Lénine, ni la première ni la dernière oscillation de la masse petite bourgeoise et demi-prolétarienne.
Mais, camarades ouvriers, l'heure presse. Celle première crise sera suivie d'autres crises. Consacrez toutes vos forces à la propagande, à convaincre les arriérés, non seulement par des meetings, mais par le contact direct avec chaque groupe, avec chaque régiment...
Groupez-vous autour des Soviets, dans les Soviets, par la persuasion fraternelle et par le renouvellement partiel des mandats, formez une majorité.
(23 avril).
Ainsi Lénine ne se laisse point griser par la montée du flot de foule qui vient d'ébranler le gouvernement Lvof. Son mot d'ordre reste : Propagande ! Propagande ! L'éditorial de la Pravda du même jour, non signé, mais écrit par lui, se termine par ces lignes en caractères gras :
Nous ne serons pour le passage du pouvoir aux prolétaires et aux demi-prolétaires que lorsque les Conseils des Ouvriers et des Soldats se rangeront à notre politique et coudront prendre le pouvoir.