1922 |
Source : Bulletin communiste n° 2 (troisième
année), 12 janvier 1922. |
Chronique internationale - Allemagne
L'activité de l'infime groupe de l'Association Communiste du Travail (Kommunistische Arbeitsgemeinschaft) patronnée par Paul Levi, n'a pu jusqu'ici attirer l'attention du mouvement international. Mais, après s'être donné à sa conférence du 20 novembre une plate-forme politique et après les révélations du Vorwärts, ce groupe s'est hasardé à faire quelques pas dans l'arène politique.
La pratique montre que l'A. C. T. se solidarise ouvertement avec les ennemis du Parti Communiste allemand. Ses résolutions et son programme prouvent assez qu'elle ne vise, sous son accoutrement communiste, qu'à désagréger de toutes façons le communisme allemand. L'A. C. T. ressemble trait pour trait au mouvement des liquidateurs, surgi dans le mouvement ouvrier russe en 1905-06.
Les idées des liquidateurs aboutissent en fin de compte à l'affirmation qu'on ne peut actuellement parler de dissolution du capitalisme et que le vieux monde bourgeois est au contraire en voie de rétablissement économique. Le travail d'organisation des grands trusts économiques capitalistes, et surtout de ceux que dirigent MM. Stinnes et Thyssen, impressionne fortement les prétendus « communistes » de l'A. C. T. Dans la dangereuse fièvre industrielle qui dure encore en Allemagne ils voient les symptômes d'une renaissance véritable du capitalisme allemand. D'où évidemment un penchant pour cette politique du capital victorieux et une tendance à liquider le mouvement communiste. Mais on se garde bien de l'énoncer crûment. Les propositions de liquidation sont habilement présentées, avec une experte démagogie, sous la forme d'un conseil au P. C. allemand : qu'il fusionne avec les gauches des deux partis social-démocrates allemands pour former un nouveau et grand « parti social-révolutionnaire »...
L'habitude prise par le groupe Levi de parler d'un grand parti social-révolutionnaire ne provient pas d'une circonstance fortuite. Cette dénomination correspond à des intentions politiques adéquates. Et la politique qu'elle évoque, tout en rapprochant les « communistes » des social-démocrates, serait une rupture avec l'I. C., avec l'I. S. R., avec la Russie des Soviets.
On n'a peut-être pas oublié que M. Hilferding parlait avant le Congrès de Halle du bateau en train de couler et qu'il fallait quitter en toute hâte. Nos liquidateurs répètent ces propos. Toutes leurs découvertes ne sont ainsi le plus souvent puisées que dans le vieux bric à brac des social-démocrates. Mais où les idées politiques font défaut, certaines gens recourent aux considérations morales, ce qui les fait tomber bien bas. Ayant abandonné toutes les bases objectives d'une politique révolutionnaire, nos liquidateurs doivent bien justifier leur abandon par des sentences morales. Chose curieuse, leur moralité les amène à s'associer aux social-démocrates dans leur campagne de calomnies centre les communistes allemands. Depuis longtemps réfutées par le P. C. les révélations du Vorwärts fournissent un bon prétexte. Ne nous étonnons donc pas que ces singuliers sauveurs de la Révolution associés à la social-démocratie, ne laissent plus passer un jour sans dénoncer — par l'épuration des organisations révolutionnaires ! — des militants révolutionnaires aux procureurs de la justice bourgeoise.
Les liquidateurs ont délibérément laissé des noyaux dans le P. C. allemand. La politique du Parti, depuis le Congrès d'Iéna, rigoureusement conforme aux décisions du IIIe Congrès de Moscou, mal comprise de quelques camarades insuffisamment formés au communisme et trop mal initiés à la politique actuelle pour savoir limiter la droite, a ébranlé leurs convictions. C'est ce qui fait qu'il y a dans le parti des courants parallèles au groupe Levi. Leur importance n'est pas grande ; mais y sont entrés de bons militants que le parti doit ramener à lui. Leur activité se traduit par la propagande au sein du parti des revendications de l'A. C. T. : destitution du Comité Central actuel, relâchement des liens avec l'I. C. Dans la plupart des cas ces camarades ne conçoivent pas la portée de leurs actes. On pourrait aussi leur reprocher des manquements à la discipline du parti — qui leur a laissé la plus grande liberté de discussion. Il faut déplorer qu'un membre du Comité Central, le camarade Friesland, se soit joint à cette agitation, ce qui a contraint le C. C. de le suspendre de ses fonctions jusqu'au prochain Conseil National (12 janvier). De concert avec les camarades Brass et Malzahn, Friesland a publié, à l'insu du C. C., un manifeste et une brochure reproduisant d'une manière plus ou moins déterminée les revendications et aussi les calomnies de l'A. C. T. contre le parti.
La presse bourgeoise et social-démocrate exploite à l'envi ces incidents et parle non sans joie de la crise du parti communiste. Ici le vœu détermine l'idée. Il n'est pas question de crise. Le parti a déjà traversé des difficultés de cette sorte, à diverses reprises, et sans préjudice. Personne ne la juge à la légère, mais personne ne se l'exagère dans le parti et ne doute que nous en viendrons promptement à bout. On considère assez généralement que ce ne sont là que symptômes accessoires, à peu près inévitables, du mouvement qui porte les masses communistes à se rapprocher des masses ouvrières social-démocrates et indépendantes. Ce revirement tactique a fait perdre pied à des social-démocrates du communisme, ils se rapprochent eux-mêmes de l'idéologie social-démocrate.
C'est en Allemagne que ce liquidateur s'est montré au grand jour pour la première fois dans l'I. C. Mais il est indéniable que d'autres parties de l'I. C. renferment aussi des éléments liquidateurs plus ou moins conscients et développés. Pour cette raison les débats relatifs à cette question engagés dans le Parti allemand méritent l'attention particulière de toutes les sections de l'I. C.
Des indices nous portent aussi à croire que les liquidateurs ont déjà noué des relations internationales. Nos partis frères feront bien d'être sur leurs gardes.